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Les droits de l'homme et les difficultes de leur application en Haiti

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par Clement Noel
Faculte de Droit et des Sciences Economiques de Port-au-Prince, Haiti - Licence 2013
  

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B- L'histoire des Droits de l'Homme

La question des Droits de l'Homme ne se réduit donc pas seulement à la prise en compte des sources, qu'elles soient bibliques, philosophiques, littéraires ou autres, mais il y a aussi de grands textes, adoptés dans des moments particuliers, constituant des socles incontournables dont on doit tenir compte en matière de l'histoire des Droits de l'Homme. En fait, ces moments ne sont que l'expression d'une prise de conscience de l'importance des Droits de l'Homme. A part leur histoire, il importe de mentionner que les Droits de l'Homme se répartissent en catégorie, c'est-à-dire qu'on les met dans une classification permettant de mieux les saisir par ordre d'importance.

1- Les grands moments et les grandes dates internationaux des Droits de l'Homme

D'entrée de jeu, on a recourt généralement à un ensemble d'expressions, inscrites dans un contexte historique bien déterminé, ayant de grandes valeurs sur le plan sémantique quand on aborde la question des Droits de l'Homme : « Ne ris pas d'un aveugle, ne taquine pas un nain, l'étranger a droit à l'huile de ta jarre, etc. ». On fait remonter ces expressions très loin dans le temps dans un texte datant des siècles. Ces expressions, à bien interpréter, traduisent non seulement l'obligation morale de partager avec les autres ce que l'on a, mais aussi l'idée de respect des autres avec leurs qualités, ou leurs défauts.

Il y a trois générations de textes, selon M. Dumais19(*), qui, sur le plan international favorisent historiquement l'extension des droits de l'homme. La première génération remonte aux premières déclarations telles que la Magna carta en 1215 (en Angleterre), la procédure en Habeas corpus en 1679, le Bill of rights en 1689, la Constitution du Généralat Pascal de Paoli en Corse20(*) en 1755, la Déclaration de l'Indépendance Américaine en 1776, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen en France en 1789. Cette dernière demeure le symbole de la revendication parvenue au faîte des droits de la personne humaine. Cette Déclaration postule comme principe cardinal : le droit à la vie et les divers droits civils et politiques. La deuxième génération de texte s'inscrit surtout au XXe siècle, depuis la révolution russe de 1917 qui consacre un ensemble de droits sociaux : travail, rémunération, protection sociale. La troisième se rattache à l'article 28 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948, relatif à l'ordre social et international ; elle vise les droits dits collectifs : indépendance, paix, développement.

Dans cette perspective, il y a, pour paraphraser Monique Dumais, deux idées cardinales dans la conception des Droits de l'Homme qui ne sont pas contradictoires, mais qui laissent transparaitre une certaine nuance. D'abord, la première idée postule le principe d'immutabilité et la permanence de la nature humaine, indépendamment de son origine, de sa condition sociale ou de son milieu. Cette conception, résultée du droit naturel, est fort ancienne : elle remonte aux débuts du christianisme et jusqu'aux oeuvres de l'antiquité. Jacques Maritain affirmait que l'idée du droit naturel est un héritage de la pensée chrétienne et de la pensée classique. Cette idée ne remonte pas à la philosophie du XVIIIème siècle qui l'a plus ou moins déformée, mais à Grotius, et plus loin dans l'antiquité grecque avec Cicéron. Il s'agit là des droits classiques ou traditionnels qui se trouvent rattachés à l'essence de tout être humain. Ensuite, il y a une autre représentation de ces droits qui vise la réalisation concrète des facultés incluses dans les droits naturels. L'expression « droits sociaux » permet de rendre compte que l'être humain se réalise dans les multiples rapports sociaux dans lesquels il est engagé et que l'Etat a des devoirs dans le processus de la concrétisation de ces droits. Ce qui requiert la création d'un environnement propice à l'Etat de droit. Dans les démocraties libérales et socialistes, on déploie des efforts considérables pour garantir le respect des droits civils et politiques des populations.

2- La classification des Droits de l'Homme

Il peut paraitre étonnant et superfétatoire de vouloir établir une catégorisation, c'est-à-dire une classification, ou du moins une hiérarchisation des Droits de l'Homme dans la mesure où il est, sur le plan philosophique, difficilement concevable d'accorder une importance fondamentale à une liberté par rapport à une autre. Toutefois, il est une exigence logico méthodologique de procéder à une catégorisation des Droits de l'Homme. La catégorisation de ces derniers traduit l'idée de l'hétérogénéité des Droits de l'Homme qui consiste à fragiliser leur capacité comme notion ou catégorie juridique, tout est fonction de la situation socioculturelle dans laquelle ils vont s'appliquer. Car chaque pays est habilité à choisir les droits humains qui sont prioritaires en fonction de la nature de son développement.

En réalité, cet exercice de catégorisation des Droits de l'Homme met en évidence deux positions théoriques différentes, développées par le professeur Patrice Meyer-Bisch21(*) : la théorie de l'ultra-libérale et la théorie sociale-étatiste. Pour la première théorie, seuls les droits civils et politiques sont des Droits de l'Homme à part entière. Par contre, pour la seconde, les droits économiques, sociaux et culturels passent avant les autres, puisqu'ils les conditionnent. Pour la communauté internationale, les droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux sont indivisibles et interdépendants. Toutefois, cette dichotomie théorique semble ne pas pouvoir résoudre ce problème. C'est pourquoi, toujours dans la logique de mieux saisir les droits de l'homme, on recourt à la théorie des générations des Droits de l'Homme. La mise en évidence de cette théorie se justifie par le fait que ces derniers n'occupent pas le même rang, ou n'impliquent pas le même degré de responsabilité. Les Droits de l'Homme se repartissent en trois générations.

La première génération des Droits de l'Homme

La première génération des Droits de l'Homme se retrouve inscrite dans la déclaration française de 1789 ou celle du Bill of Right américain. Cette première catégorie se retrouve confinée dans les droits civils et politiques : le principe d'égalité, la liberté individuelle (l'absence des mesures arbitraires de la part de l'Etat, la liberté d'aller et venir, les garanties dans la répression pénale), la protection du domicile, de la correspondance, de la vie privée, la liberté de l'information, la liberté d'opinion, la liberté d'association, la liberté de réunion, etc. Pour assurer le respect des libertés, on met le plus en évidence une abstention de l'Etat.

La deuxième génération des Droits de l'Homme

La deuxième génération des Droits de l'Homme concerne les droits économiques, sociaux, et culturels qui, eux, contrairement à la première génération, réclament l'intervention de l'Etat de manière à assurer leur garantie. Ils comprennent la liberté syndicale, le droit au travail, le droit à la sécurité sociale, le droit à la formation professionnelle, le droit à un niveau de vie suffisant, le droit à la santé, le droit à l'éducation.

La troisième génération des Droits de l'Homme

La troisième génération des Droits de l'Homme, on l'appelle aussi droit de solidarité, est issue d'une prise de conscience concernant un certain nombre de problèmes dont la résolution requiert la mobilisation de la solidarité de tout le monde. De fait, cette génération traduit une nouvelle façon de voir la vie en communauté dont la réalisation réclame la conjugaison des efforts de tous les participants de la vie en société : individus, Etats, autres entités publiques ou privées. Cette génération englobe un ensemble de droits qui sont : droit à un environnement décent, droit à l'eau potable, droit à la paix, droit au développement, etc. Autrement dit, la troisième génération des Droits de l'Homme permet d'assurer ce que l'on appelle aujourd'hui la qualité de vie.

Ces trois générations des Droits de l'Homme se retrouvent dans une relation de complémentarité, dès l'instant que les droits civils et politiques ont une influence sur les droits sociaux et culturels. Et la concrétisation des droits de la troisième génération est fonction en grande partie des deux premières générations.

Il est intéressant de souligner, au passage, que la théorie des générations des droits de l'homme est une théorie imposée par le modèle occidental, qui n'est pas forcément susceptible de pouvoir être appliquée dans toutes les sociétés. Les pays sous-développés peuvent se retrouver dans l'impossibilité de mettre en application ce modèle occidental. D'ailleurs, il revient au pays de définir les critères des Droits de l'Homme qui sont prioritaires en fonction de la nature de son développement. Selon cette théorie, la classification des Droits de l'Homme en génération ne convient pas pour tous les pays. L'application de ces catégories de Droits de l'Homme en Haïti se révèle éminemment problématique dans la mesure où elles sont l'émanation de la culture occidentale, et de plus, Haïti est un pays sous-développé. Et qui dit sous-développement dit obstacle au respect des Droits de l'Homme. Aussi cela n'est-il pas cause de nombreux cas de violations de ces derniers que l'on a enregistrés et que l'on continue à enregistrer encore dans le pays.

Par ailleurs, il faut considérer aussi la nature du régime politique du pays suivant qu'il est socialiste ou capitaliste dans la détermination des priorités à accorder à telle ou telle génération des Droits de l'Homme. A cet effet, la priorité d'une génération par rapport à une autre peut connaitre de variations d'un Etat à un autre. Ainsi, s'agissant d'un Etat capitaliste, il s'attache surtout au respect des droits civils et politiques, tandis que pour les sociétés à régime socialiste les droits économiques, sociaux et culturels doivent être priorisés, ce qui nous permet d'évoquer les fondements idéologiques et théoriques des Droits de l'Homme.

SECTION 2. LES FONDEMENTS IDEOLOGIQUES ET THEORIQUES DES DROITS DE L'HOMME

Pour appréhender les Droits de l'Homme, il n'y a pas une méthode universellement admise, vu qu'il est très difficile de les circonscrire dans une catégorie théorique déterminée. En effet, les définitions qu'on leur attribue font toujours l'objet de bon nombre de mésententes paradigmatiques. Et cela est aussi dû au fait qu'ils comportent une forte dimension de transversalité et de complexité. Ainsi, selon une définition qu'offre PNUD, les Droits de l'Homme : «  sont des droits dont disposent toutes les personnes, en vertu de leur condition humaine, pour vivre libres et dans la dignité. Ces droits confèrent à chacun des créances morales sur le comportement des autres individus, ainsi que sur la structure des dispositifs sociaux. Ils sont universels, inaliénables et indivisibles22(*) ». Cette définition est loin de pouvoir calmer les esprits. Car il y a d'autres théories qui essayent, bien avant cela, de les définir. Ces théories résultent de la philosophie du droit. Celle-ci se porte, d'abord sur l'opposition de deux courants théoriques : les théories du droit naturel et celles du positivisme, qui se résument en ce qu'on appelle les doctrines des Droits de l'Homme. Et ensuite, elle concerne les conceptions fondamentales modernes des Droits de l'Homme.

A- Les doctrines des Droits de l'Homme

Les doctrines des Droits de l'Homme mettent en évidence ce que l'on appelle généralement la philosophie du droit. Et c'est cette dernière qui, à son tour, fait appel à deux grandes tendances ou deux théories : théories du droit naturel et théories du positivisme, qu'il faut, de toute évidence, mettre en exergue. Cela répond, d'ailleurs, à souci de compartimentation épistémologique.

1- Les théories du droit naturel

Les théories du droit naturel ne sont pas tombées du ciel comme de la manne. Elles correspondent à une longue étape de la pensée juridico-philosophique de l'antiquité. Plus concrètement, la question du droit naturel tire son titre de noblesse, à bien des égards, dans l'Antigone de Sophocle en avançant que, pour justifier sa désobéissance à l'égard de l'édit de Créon pour avoir donné à son frère une sépulture : «  Je ne pensais pas qu'il eût assez de force, ton édit, pour donner à un être mortel le pouvoir de violer les divines lois non écrites que personne ne peut ébranler. Elles ne sont pas d'aujourd'hui, ni d'hier, mais elles sont éternelles, et personne ne sait quel est leur auteur passé profond23(*).» Cicéron (Republica). Par ailleurs, la réflexion de Socrate, personnage emblématique de la philosophie grecque, a irrigué cette philosophie du droit naturel en réagissant contre le matérialisme positiviste des sophistes. D'ailleurs, cette réaction allait lui coûter la vie. D'autres disciples de Socrate ont pu emboîter le pas en interprétant sa pensée dans de sens différents. Ces disciples de Socrate sont : Platon, Aristote. Entre ces deux piliers de la philosophie antique, il y a une cloison étanche. En effet, Aristote considère que la nature, oeuvre d'un Dieu créateur, obéit à un ordre rationnel. En ce sens, il doit exister une harmonie entre la loi et la nature. Ainsi la loi doit-elle découler, non d'un sentiment intérieur, mais d'une observation intelligente de l'ordre naturel, supposé rationnel. Cette approche sera reprise par saint Thomas d'Aquin dont la conception est que : « La loi naturelle est le reflet de la loi divine 24(*)». De là se dégage l'idée de droit naturel positif.

Cependant, il y a d'autres philosophes dont Platon, qui semblent ne pas vouloir s'adhérer à cette approche. Pour lui, la loi vient de la nature de l'homme. Elle lui est édictée par la droite raison, c'est-à-dire parce qu'il y a de divin en chaque individu. Supérieure à l'homme, elle ne lui est pas étrangère. Se mêlant à d'autres dont le stoïcisme, la philosophie platonicienne aura non seulement une très grande diffusion dans le monde antique, mais aussi, influencera Cicéron lorsqu'il a précisé que «  une loi vraie, c'est la droite raison, conforme à la nature, répandue dans tous les êtres. » D'où le droit naturel subjectif.

En effet, le droit naturel subjectif postule l'idée, dans un sens restreint, d'un ensemble de règles qui se trouvent inscrites dans la nature humaine, c'est-à-dire qu'elles font entièrement partie du patrimoine génétique de l'humanité tout entière et sont inscrites aussi sur la carte chromosomique de tout être humain ; et donc, de toute évidence, méritent d'être prises en considération ces règles. Autrement dit, il s'agit des droits qui existent indépendamment de toute intervention des acteurs juridiques, des droits qui découlent directement de l'ordre du cosmos ou de la nature humaine. Les droits naturels sont des droits qui dérivent de la nature de l'homme sans prendre en considération sa race, sa position sociale, sa nationalité et son ethnie. Cela semble, d'ailleurs, se résumer dans les trois préceptes d'Ulpien, jurisconsulte de la Rome impériale, à savoir : Honeste viviere (vivre dans la dignité) ; neminem laedere (ne faire de tort à personne, c'est le principe de la personnalité) ; suum cuique tribuere (à chacun le sien, respecter les droits individuels25(*)).

A part cela, d'autres formulations du concept de droit naturel, sur le plan d'idées, viennent de l'école de Salamanque, et ont ensuite été reprises et reformulées par les philosophes contractualistes : Thomas Hobbes, John Locke, Jean Jacques Rousseau, etc. D'où la position théorique qui prédomine dans le domaine des Droits de l'Homme. Toute la question des Droits de l'Homme gravite autour d'elle, à savoir une compréhension subjectiviste de la théorie du droit naturel.

Outre cela, le droit naturel étant supposé exister partout même s'il n'est pas effectivement appliqué et sanctionné, il n'est donc pas nécessairement un droit opposable; étant fondé sur la nature humaine et non sur la réalité sociale dans laquelle vit chaque individu, le droit naturel est réputé universellement valable même dans les lieux et aux époques où il n'existait aucun moyen concret de le faire respecter. Cette universalité s'inscrit dans une dynamique de reconnaissance de manière réelle et non discriminatoire de la dignité inhérente à tout être humain. D'ailleurs, cette universalité des Droits de l'Homme constitue la véritable boussole des Nations Unies.

Cette conception théorique du droit est, historiquement, l'émanation de la pensée de la civilisation occidentale moderne. Il y a plusieurs auteurs qui sont à la base de la mise en évidence de cette conception du droit. Parmi lesquels se trouve le philosophe néerlandais Hugo Grotius (1583-1645). Il est souvent considéré comme l'un des fondateurs du droit naturel moderne. Il est aussi le premier philosophe à avoir étudié cette question en rapport avec le droit international et le droit du commerce, à une époque où le commerce maritime se développait considérablement. Il y a un philosophe, très influencé par Grotius, qui s'est penché sur cette question : Samuel Von Pufendorf.

Toutefois, malgré toute l'importance de la conception du droit naturel subjectif, elle a été fortement critiquée. Généralement, les critiques qui lui sont administrées sont au nombre de trois. D'abord, pour les doctrinaires comme Kelsen et Carré de Malberg, ils estiment que cette conception correspond à une vision métaphasique du droit. Et cette vision est incompatible, voire une entrave à une approche scientifique de ce dernier. Ensuite, on lui a adressé également une critique ontologique qui s'inscrit dans une logique de rejet de la question d'universalité des droits de l'homme. Ceux-ci ne sont pas universels, dans la mesure où il faut prendre en compte le contexte social, culturel et historique de l'homme du pays dans lequel ils sont appelés à être appliqués. De l'avis de Marx particulièrement, la notion de nature humaine est jugée très problématique. Enfin, la dernière critique, elle est de nature épistémologique. La question qui la résume est la suivante : à supposer même que les droits naturels existent, comment peut-on les connaître ? C'est une critique formulée par Pascal contre Hobbes: la raison ne peut servir à nous indiquer des lois naturelles universelles. Cette objection se rapproche du non-cognitivisme éthique, qui s'oppose à une sorte de réalisme moral. Elle est reprise par Jeremy Bentham, qui insiste sur l'équivocité, c'est-à-dire l'ambiguïté entourant la notion de droits naturels dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Il essaie alors de construire une vision utilitariste des Droits de l'Homme.

2- Les théories positivistes

Les doctrines positivistes est le contraire des théories du droit naturel. Elles postulent que : « Il n'y a de droit que posé26(*) ». Cela équivaut à dire que le contenu dans les sources matérielles du droit n'est donc pas du droit. Ce contenu deviendra du droit qu'après avoir été posé par une autorité compétente. En fait, les théories positivistes se divisent en positivisme juridique et en positivisme sociologique. Le positivisme juridique, bien que ce soit en France que l'on retrouve cette pensée dominante, n'est pas le fruit de la main capricieuse de la modernité. Il y eut de tout temps des positivismes dans la mesure où les dirigeants athéniens, par exemple, dans le but de pouvoir mieux organiser la cité, exigèrent l'obéissance au nom des ordres qu'ils promulguaient ; nul n'a besoin alors de justification théorique pour s'y soumettre. Mais, celle-ci apparut seulement lorsqu'il existait des tendances contradictoires. Et c'est à cela que l'on a pu assister dans la cité grecque. Les sophistes enseignaient la primauté de la loi humaine.

En outre, il existait à Rome certaines tendances positivistes, mais elles furent moins théorisées. L'apparition de l'Etat moderne, s'opposant, comme son nom l'indique nettement, non seulement aux formes politiques de l'Antiquité, mais aussi aux monarchies traditionnelles de l'Europe médiévale, au 17e siècle qui battaient leur plein, a permis de poser le problème de l'organisation du pouvoir en provoquant une importante mutation sociale, en témoigne même la naissance de l'Etat moderne, car il est fondé sur une démarche réaliste visant à consolider l'ordre et la souveraineté, et favoriser une transformation positive de la société. L'Etat moderne a été pensé par les philosophes politiques. Il exprime, en effet, l'aspiration à un pouvoir rationnel, organisé dans un cadre géographique limité par l'existence d'autres Etats. Toutefois, il fallait attendre le XXe siècle, sous l'influence de Kelsen, dans sa théorie pure du droit, pour que l'on puisse assister au plein épanouissement de la doctrine du positivisme juridique, concept central dans la compréhension de la question de l'Etat moderne. Le positivisme de Kelsen est diamétralement opposé aux théories du droit naturel dans la mesure où il affirme qu'il n'existe que le droit positif, c'est-à-dire le droit posé par les acteurs juridiques.

En effet, le positivisme juridique met l'emphase sur la définition de la Science du droit, puisqu'il est saisi comme une conception éminemment scientifique du droit. Cette conception considère le droit comme un ordre clos, coupé non seulement de toute métaphysique, mais de toute référence aux valeurs morales. De fait, c'est l'Etat qui est la seule source du droit, cela signifie qu'il est le créateur du droit.

Il y a aussi le positivisme sociologique qui conçoit le droit comme un fait de société qui peut être observé. Il n'émane pas de la volonté plus ou moins arbitraire des gouvernants, mais est imposé par la conscience collective du groupe.

Le positivisme juridique et le positivisme sociologique partagent l'idée de la légitimité des normes juridiques régulièrement formées, quel que soit leur contenu. Par contre, contrairement au positivisme juridique, le positivisme sociologique admet qu'une norme soit légitime lorsque son contenu reflète les aspirations de la conscience collective. En un mot, le positivisme juridique et sociologique s'affirment contre le droit naturel, car celui-ci ne correspond pas à une conception scientifique du droit.

B- Les conceptions fondamentales modernes des Droits de l'Homme

Aborder la question des Droits de l'Homme, aussi intéressante et fructueuse qu'elle puisse être, crée une certaine frayeur dans l'esprit. Mais ne pas l'aborder relève d'une certaine naïveté intellectuelle. En effet, elle relève d'une catégorie de droit s'ancrant dans une complexité. Cette complexité se situe au niveau de la sémantique des Droits de l'Homme et à celui des idéologies qui les traversent. Il y a toute une concurrence idéologique, c'est-à-dire plusieurs paradigmes s'affrontent en matière de ces droits. Les uns sont dotés d'une puissance explicative plus que d'autres. Ainsi, on rencontre les trois grandes conceptions des Droits de l'Homme qui vont être développées ci-dessous : la conception libérale, la conception marxiste et la conception communautariste des Droits de l'Homme. Lesquelles conceptions constituent une sorte de nappe phréatique destinée à nourrir épistémologiquement les sources théoriques de ces droits.

1- La conception libérale des Droits de l'Homme

L'expression « Droits de l'Homme» est une grande caractéristique de la modernité politique, puisqu'on est obligé de la considérer comme le but à atteindre, le centre de gravite de tout souci d'organisation rationnelle de la vie collective. Force est de reconnaitre que tout discours politique moderne doit être couronné par les couleurs chatoyantes des droits de l'homme. Cette expression remonte au XVIIIe siècle, période à partir de laquelle elle a su étendre ses tentacules dans toutes les fibres de la pensée des intellectuels comme Montesquieu, Voltaire, Rousseau, etc. De là vient l'idée de la conception libérale, l'une des conceptions les plus dominantes en matière des Droits de l'Homme. Pour s'en tenir à l'essentiel, cette conception trouve son point d'ancrage dans la philosophie des lumières et dans la pensée chrétienne. Elle est fondée sur l'abstention de l'Etat et la reconnaissance pour chaque individu d'une sphère d'indépendance dans laquelle l'Etat ne doit pas s'immiscer. Ce qui traduit l'idée de liberté de l'individu. La notion de liberté, l'une des caractéristiques essentielles de la philosophie des lumières, se retrouve ainsi définie sous la plume de Voltaire comme « la faculté de raisonner juste et de connaitre les Droits de l'Homme 27(*)». Plus loin avec Rousseau, ce philosophe français, l'homme se définit par sa liberté. D'ailleurs, c'est la proclamation sur laquelle s'ouvre le premier chapitre de son contrat social : « L'homme est né libre, et partout il est dans les fers28(*) ». Il s'agit là d'une définition anthropologique de la liberté, qui doit figurer en entame de toute méditation relative aux Droits de l'Homme. C'est donc la reconnaissance de la liberté à tout individu que ces penseurs s'attaquent au système ancien pour instaurer un climat où la dignité de l'homme, le progrès de la société seront pris en considération.

Après une longue période de gestation, la conception libérale voit son épanouissement en 1789 dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen en France. Par la suite, elle se transformera progressivement, et cette transformation se concrétisera en 1946, dans le préambule de la Constitution du 27 octobre.

2- La conception marxiste des Droits de l'Homme

La conception marxiste des Droits de l'Homme se retrouve aux antipodes de la conception libérale de Droits de l'Homme. Elle est une conception difficile à cerner. Sa difficulté nait, en effet, du fait qu'elle est d'une grande complexité susceptible d'impressionner toute approche simpliste.

La conception marxiste des Droits de l'Homme utilise presque le même terme que la conception libérale des Droits de l'Homme : la liberté. Mais la notion de liberté dans ces deux conceptions n'a pas la même acception. La conception marxiste part du principe que la liberté n'est pas à l'homme. Elle est une conquête dont la réalisation est fonction des transformations de la société, d'une révolution sociale. L'homme se doit de lutter pour assurer la garantie de sa liberté, puisque selon Marx, il est sous la domination d'un ensemble de réseaux de déterminismes façonnant ses idées et sa compréhension des choses. Car il est produit de sa condition sociale de l'existence. C'est en remettant en question celle-ci qu'il va accéder à la liberté réelle. De ce fait, la conception marxiste des Droits de l'Homme est lecture critique de la conception libérale des Droits de l'Homme dans la mesure où celle-ci ne favorise pas l'épanouissement des Droits de l'Homme, mais constitue une véritable limitation et une hypothèque pour la cristallisation réelle de ces des droits. Le libéralisme s'inscrit dans une perspective consistant à propulser l'individualisme égoïste, qui est une menace pour le développement du sens du bien commun, et peut provoquer une déchirure des liens sociaux. Donc, il est susceptible de détruire tout sentiment d'appartenance à une communauté humaine. Il fragmente la société. Aussi est-il perçu comme un danger éminent pour la vraie matérialisation des Droits de l'Homme. Car ils ne peuvent pas se réaliser dans une société fragmentée, déchirée et inégalitaire.

3- La conception communautariste des Droits de l'Homme

Le communautarisme est un concept sociologique qui a été créé aux Etats-Unis dans les années 1980. En effet, la création de ce concept rentre dans le cadre d'une nouvelle conception philosophique de l'homme par rapport à un ensemble de valeurs susceptibles d'harmoniser ses relations avec la communauté. Le communautarisme sert à designer une philosophie dite "communautarienne" affirmant que l'individu n'existe pas indépendamment de ses appartenances : culturelles, ethniques, religieuses ou sociales. Il s'agit d'une conception qui accorde la préséance au groupe, à la communauté. Transposée dans le domaine des Droits de l'Homme, cette conception met l'accent sur la nécessité de saisir ces derniers non pas de manière individuelle, mais de manière collective. De ce point de vue, Le Vicomte de Bonald avance pour dire que : « L'homme n'existe que pour la société, la société le forme pour elle-même 29(*)». C'est cette conception des Droits de l'Homme qui prévaut en Afrique, surtout avec la création de la Cour Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples. Cependant, cette conception est très critiquée. Dans la perspective du professeur Y. Madiot, elle présente deux caractéristiques fondamentales : « Une condamnation de l'individualisme, une glorification de l'Etat et l'affirmation des devoirs et des obligations de l'individu30(*) ». Ces caractéristiques même sont considérées comme une menace pour la liberté individuelle. Dans ce cas, l'individu se trouve obligé d'hypothéquer une partie de sa liberté au profit des intérêts de l'Etat. Et aussi, les droits d'un individu risquent de devenir différents en fonction de son appartenance à telle ou telle communauté, fondée sur une religion, une ethnie, etc.

4- Les facteurs d'encadrement des Droits de l'Homme

Selon Yves Madiot : « Les Droits de l'Homme n'existent pas de façon autonome comme un idéal fixé une fois pour toutes et qui indiqueraient la voie du progrès de la société 31(*)». Cela sous-entend qu'ils ne sauraient être pensés en dehors d'un ensemble de facteurs favorisant leur matérialisation. Ainsi, d'après ce même auteur, parmi les facteurs encadrant les Droits de l'Homme se trouvent : facteur politico-juridique, facteur culturel, facteur socio-économique.

Les facteurs politico-juridiques d'encadrement des Droits de l'Homme

Les facteurs politico-juridiques des Droits de l'Homme sont nombreux. On retiendra la notion de démocratie et celle d'Etat de Droit comme les conditions d'existence réelles des Droits de l'Homme.

Démocratie et Droits de l'Homme

Selon D. Lochak «Les Droits de l'Homme ne peuvent exister que dans une démocratie32(*) ». Cela sous-entend qu'il existe une relation de consubstantialité entre Droits de l'Homme et Démocratie. La démocratie est la véritable garantie de la question des Droits de l'Homme. Et constitue, à bien des égards, une évidence. A telle enseigne que cela se trouve mentionné dans le préambule de la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) : « Le maintien des libertés fondamentales repose essentiellement sur un régime politique démocratique 33(*)». De plus, dans le cadre de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe(CSCE), les Etats réunis en 1990 à Copenhague reconnaissaient que « La démocratie pluraliste et l'Etat de droit sont essentiels pour garantir le respect de tous les Droits de l'Homme et de toutes les libertés fondamentales 34(*)». Ces réflexions se trouvent renforcées par la définition qu'A. Lincon a pu attribuer à la démocratie : « Le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Toutefois, l'existence d'un régime démocratique ne traduit pas automatiquement que les droits de cette majorité sont respectés même si, lorsque ses droits sont foulés au pied, c'est-à-dire que l'on perd les rails de la démocratie, elle peut forcer les gouvernants à céder le pouvoir. D'où la notion d'alternance politique. Elle est l'une des caractéristiques essentielles de la démocratie libérale se caractérisant aussi par l'acceptation de la diversité d'opinions, la tolérance et l'esprit d'ouverture.

Droits de l'Homme et Etat de Droit

L'Etat de Droit, concept de la modernité, est une réponse à ceux qui pensent qu'avoir le pouvoir, c'est faire ce qu'on veut sans la prise en compte de la loi et des droits fondamentaux des citoyens. Il propose une nouvelle vision de la gestion du pouvoir dans la mesure où il implique l'idée d'une limitation du pouvoir. Cela rejoint cette fameuse théorie de Montesquieu, celle de la séparation des pouvoirs. Selon lui, « il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir35(*) ». En fait, l'Etat de Droit s'inscrit dans un processus de constitutionnalisation en prônant le respect de la hiérarchie des normes, une notion chère à Kelsen à travers sa théorie pure du droit.

L'Etat de Droit est, en effet, une grande thématique des Droits de l'Homme. En d'autres termes, l'Etat de Droit ne renvoie pas seulement au respect de la hiérarchie, mais aussi au respect des droits fondamentaux. L'Etat de Droit et les Droits de l'Homme constituent une sorte de binôme inséparable, c'est-à-dire qu'ils se retrouvent dans une relation symbiotique ; les deux notions s'impliquent mutuellement au point d'apparaitre interdépendants. Cette interdépendance est aussi mise en évidence dans les discours internationaux. C'est ainsi par exemple, lors de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE), le trinôme Droits de l'Homme-Démocratie-Etat de Droit a été considéré comme la clé de voûte de la nouvelle Europe. Mesurant l'importance de ce trinôme et se sentant concerner naturellement par la nécessité de préserver cela, les Etats, ayant participé à cette Conférence, ont lancé un message dont l'écho demeure jusqu'à aujourd'hui pour renforcer les institutions qui maintiennent l'Etat de Droit, et ce pour créer les conditions permettant à chacun de jouir des droits universels et des libertés fondamentales.

Le facteur d'ordre culturel d'encadrement des Droits de l'Homme

L'épanouissement des Droits de l'Homme est étroitement lié à la culture du pays où ils se retrouvent. Cela suppose que la population en question doit avoir un certain niveau d'éducation. Or, dans les pays sous-développés, ce facteur d'éducation n'est pas assuré. Le niveau d'éducation de la nation permet au peuple d'avoir une meilleure compréhension des droits de l'homme. C'est en ce sens que l'art 26 al.2 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme précise que : « L'éducation doit viser à l'épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux36(*) ». Par contre, il se pose un sérieux problème au niveau d'une compréhension réelle des Droits de l'Homme dans un pays comme Haïti, d'autant que le peuple fait face à un manque de prise de conscience de l'existence, voire un manque de connaissance de ces derniers.

Les facteurs social et économique d'encadrement des Droits de l'Homme

La conception marxiste est en grande partie dominée par les rapports de production dans les sociétés. Les Droits de l'Homme seraient le produit des rapports de production formant la base de ces droits.

Il convient de souligner, avec évidence, que les facteurs d'encadrement des Droits de l'Homme varient d'un pays à un autre, même si l'on peut admettre qu'il ait un certain niveau de standardisation. On ne peut pas les importer, et donc toute idée d'importation de ces facteurs est une bataille perdue à l'avance. A ce titre, pour ce qui a trait à la réalité haïtienne, il faut faire en sorte que les Droits de l'Homme puissent correspondre à la dimension de la réalité socioculturelle haïtienne. Car ces droits ne sauraient se penser en dehors d'une prise en compte de la situation des conditions matérielles d'existence des gens du pays dans lequel ils sont appelés à être appliqués à travers des mécanismes ou structures de protection des Droits de l'Homme.

* 19 - Monique Dumais, Les droits des femmes, Paulines, Québec, 1992, p. 12.

* 20 - c'est le premier état démocratique du siècle des lumières, selon Voltaire et Rousseau. Cela allait être ensuite repris par Lafayette et Thomas Jefferson pour les Etats-Unis (loge des neufs soeurs).

* 21 - Patrice Meyer-Bisch, Présentation systémique des droits de l'homme, s.e, s. l, s. d, p. 10.

* 22 - Cité par P. Meyer, Op.cit., p.13.

* 23 - Cité par Jean Carbonnier in Droit civil. Introduction, Puf, Paris, 1955, p.85.

* 24 - Ibid.

* 25 -Ibid.

* 26 - Georges Burdeau, Droit constitutionnel, E.J.A, Paris, 1997, p.49.

* 27 - Jacques Mourgeon, Les droits de l'homme, Puf, Paris, 1978, p. 16.

* 28 - Jacques Mourgeon, Op.cit., p. 3.

* 29 - Cité par Claude-Albert Colliard, in Libertés publiques, Dalloz, Paris, 1975, p. 29.

* 30 - Yves Madiot, Droits de l'homme et Libertés publiques, Masson, Paris, 1976, p. 33.

* 31 - Op.cit., p.31.

* 32 - Daniel Lochak, Les droits de l'homme, La découverte, Paris, 2002, p. 3.

* 33 - Op.cit., p.77.

* 34 -Ibid.

* 35 - Cité par Laurence Hansen-Love in Philosophie Terminale, Hatier, Paris, 2001, p. 215.

* 36 - Henry Oberdorff et J. Robert, Libertés fondamentales et les droits de l'homme, Montchrestien, Paris, 1997, p. 222.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote