III. 8. Les cadeaux du président de la
République aux évêques
Le silence de la hiérarchie catholique vaudra
à celle-ci toutes les largesses du guide de la Révolution
zaïroise << authentique >>. En particulier, les
évêques vont se familiariser avec le charme des véhicules
de luxe offerts par `le Président Fondateur du MPR et Président
de la République'. Une véritable tradition en naîtra,car
les évêques rivalisant en cela avec les <<dinosaures
>> (entendez les barons) du régime. A chaque sacre d'un nouvel
évêque, <<le président de la République
saisissait l'occasion pour offrir au nouveau prélat une voiture <<
Mercedes >> ou un fonds important pour la construction de sa
résidence >>139.
Beaucoup d'observateurs de la vie socio-politique
congolaise (zaïroise) seront frappés par cette
réalité et la dénonceront fréquemment, mais la soif
d'avoir et la recherche de prestige étaient plus fortes pour les
prélats au point que cela ne parut pas les émouvoir
singulièrement.
Reprenant une observation faite en 1980 par M.G.
Schartzberg, JeanFrançois Bayart dit que : << la Mercedes est
d'ailleurs devenue le véhicule épiscopal par excellence,
attribuant ainsi aux princes de l'Eglise une place de choix dans la
nomenklatura de l'Etat postcolonial : dans les
années 1970, l'évêque catholique de Lisala, au Zaire,
partageait ce privilège avec deux notables seulement, le commissaire de
l'administration territoriale et un riche marchand
>>140.
L'auteur ajoute que l'évêque de Lisala
n'était pas le seul à savourer le charme de la << Mercedes
>>. Le cardinal Malula et Mgr Nkongolo, parmi les plus
célèbres, en ont reçu de Mobutu à l'occasion de
leurs jubilés d'épiscopat. Cet engouement pour la Mercedes
pourrait s'expliquer par un autre fait de société qui n'excuse
pas pour autant la corruption ni l'excessive inclination au lucre des
prélats.
De même, Mobutu n'offre pas que des Mercedes ;
pour les gens de la campagne, il sait qu'une Land Rover, une Toyota Land
Cruiser..., sont mieux adaptées à l'état désastreux
des routes. Mais il n'y aura pas que cela. Des enveloppes accompagneront
également chaque circonstance. Les évêques, et à
leur suite l'ensemble du clergé zaïrois, aiment bien fêter
les anniversaires marquants de leur
139 P.B. KABONGO-MBAYA, Op. cit., p.
138.
140 J.-F. BAYART (dir), << Les Eglises
chrétiennes et la politique du ventre >>, in Religion et
modernité politique en
Afrique noire. Dieu pour tous et chacun pour soi,
Paris, Karthala, 1993, p. 153.
vie épiscopale ou sacerdotale, tandis que les
religieux et surtout les religieuses ne laisseraient passer pour rien au monde
le loisir de marquer d'une empreinte spéciale le jour de leurs
professions religieuses (premiers voeux, voeux perpétuels, etc.). Chez
les uns et les autres, des jubilés par des festivités grandioses
en net contraste avec la grande misère qui a élu domicile dans le
pays. Mobutu saisira chaque occasion pour offrir un << don personnel du
Président Fondateur », dont l'importance varie selon le rang des
bénéficiaires ou des relations particulières avec le
président ou des membres de son entourage.
Selon Emmanuel Dungia141, les <<
escarcelles des évêques se remplissent lors des passages du Guide
dans leur province ou à l'occasion de leurs séjours dans la
capitale. (...) La part du lion est toute% réservée dans cette
pluie de semences destinées à dompter le clergé, à
un Monseigneur nommé Kesenge (...) Pour son sacre, ce prélat
avait droit à 60 véhicules Mercedes de fort tonnage et deux
grosses limousines toutes options, avec téléphone pour
communiquer avec le Maréchal, plus un chèque de deux millions de
dollars ». Les congrégations des soeurs dans lesquelles le
Maréchal puise de temps en temps des alliées sexuelles ne sont
pas oubliées.
Nous pouvons voir par là, les pratiques du
pouvoir qui réussit à acheter les religieux par des largesses et
autres manoeuvres du Chef-Président qui l'ont aidé à
consolider son pouvoir autoritaire et de ce fait, assoupir l'opposition. Ces
pratiques ont pour conséquences, entre autres, le clientélisme
excessif et l'étouffement de la prise de conscience par le peuple de sa
situation dramatiquement détériorée sous l'oeil complice
des prélats dont les bouches exhalent l'odeur des ognons.
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