III. 4. L'attitude des Eglises face au « recours
à l'authenticité »
Le 04 octobre 1971, le général Mobutu
lance le mouvement de << l'authenticité >>, une
révolution culturelle qui visait la libération économique
et politique des africains par un processus de désaliénation
mentale. Par ce courant, il s'agissait de redonner à l'homme noir sa
fierté, sa dignité d'être négro-africain, que le
colonisateur lui a fait perdre. Pour Mobutu, le retour (et plus tard le
recours) à l'authenticité signifiait << l'affirmation du
peuple zaïrois tout court, là où il est, tel qu'il est, avec
ses structures mentales et sociales propres >>121.
120 W. OYOTAMBWE, Op. cit.,, p. 104.
121 Discours du président de la République
du Zaïre, le général Mobutu, à la 28è
Assemblée de l'ONU, le 4 octobre 1973.
De ce fait, le pouvoir s'investit dans une vaste
entreprise de propagande et de quête de l'identité africaine, dont
la première phase consistera dans la réhabilitation et la
restauration de ce que l'ordre colonial aurait détruit ou
détrôné. Ainsi, la République Démocratique du
Congo fut baptisée « République du Zaïre », les
grandes villes, les vues et avenues vont également porter des noms
« authentiques » afin d'effacer à tout jamais le souvenir et
les traces du colonialisme. Un nouvel élan populaire et nationaliste,
par certains moments xénophobe, naîtra de cette campagne
menée tambour battant à renfort de vaste propagande et des
folkloriques séances d'animation populaire.
Par la suite, en critiquant la campagne de
l'authenticité, un journal belge posa la question de l'usage des
prénoms chrétiens de tradition occidentale dans la logique de
cette exaltation du passé culturel africain. Les autorités
politiques perçurent cette observation comme un défi et y
rétorquèrent avec emportement ; Mobutu lui-même se
défit de ses prénoms de Joseph Désiré et les
remplaça par un post-nom : Sese Seko Kuku Ngbendu Wazabanga.
Aussitôt, une loi fut promulguée portant interdiction du port des
noms à consonance étrangère avec interdiction aux
prêtres de baptiser en employant des prénoms chrétiens. Il
semble que le changement ou le bannissement de ces prénoms occidentaux
étaient déjà à l'étude et que les
autorités politiques tergiversaient à les interdire juste par
peur de heurter davantage la sensibilité des responsables catholiques.
Le commentaire de la presse belge ne sera que la goutte d'eau qui fera
déborder le vase122.
Durant ce déferlement de la campagne de
l'authenticité, l'hebdomadaire catholique Afrique
chrétienne fit à son tour un autre commentaire qui
ne plaira guère au pouvoir.
« Allons-nous exhumer de la nuit du passé une
philosophie africaine originale qui n'a pu être, si du moins elle a un
jour existé, que l'expression d'une vie sociale à jamais
périmées ? (...) Il ne s'agit plus aujourd'hui de nous procurer
l'éphémère satisfaction de réclamer à grands
cris qu'on reconnaisse notre droit d'être nousmêmes et de nous
amuser à saccager notre passé de colonisés. (...) Il faut
passer aux actes et imposer par des réalisations de tous ordres notre
dignité d'hommes africains. La question n'est pas de brandir des slogans
sur notre originalité nos valeurs ...Mais bien de mettre en oeuvre, aux
yeux du monde, cette originalité et ces valeurs
»123.
Le journal ne croyait pas si bien dire, au regard de
l'évolution ultérieure de l'authenticité. Malgré la
justesse et la pertinence d'un tel propos, le pouvoir préféra y
lire une désinvolture supplémentaire de l'Eglise et d'un homme en
particulier, le cardinal Malula. L'hebdomadaire catholique fut saisi et
frappé d'interdiction ; dans
122 cf. CRISP, cité par KABONGO-MBAYA, Op.
cit., p. 301.
123 Idem, p. 303.
son sillage, toute la presse religieuse, sans distinction
de confession, sera prohibée. La tension entre le régime et les
autorités religieuses avait atteint son comble.
Tout au long de ce processus d'absolutisation du
pouvoir, le cardinal Malula se révéla de plus en plus critique
à l'égard du régime. Aussi, au plus fort de la crise entre
l'Eglise et l'Etat, ce qui va créer un conflit entre Mobutu et Malula.
Ce dernier sera la cible des autorités politiques. Sa lettre pastorale
sur les noms chrétiens n'avait pas plu au pouvoir et, en plus on lui
imputait la paternité de l'article critique paru dans
Afrique chrétienne contre l'idéologie
de l'authenticité. En représailles, le cardinal subira quelques
brutalités avant d'être dépossédé de sa
résidence qui deviendra le quartier général de la JMPR ;
il s'exila ensuite au Vatican, le temps que les diplomates du
Saint-siège négocient avec le général pour
dénouer la crise.
Dans l'entre temps, une campagne radiodiffusée
battit son plein contre l' « évêque diabolique », le
« caméléon », la campagne de l'authenticité
s'étant du coup transformée en un déchaînement
passionnel contre le patron de l'Eglise catholique. Mobutu jura qu'aussi
longtemps qu'il sera chef de l'Etat du Zaïre, Malula ne pourra plus
exercer son épiscopat dans son pays. Au cours d'un meeting, Le
Chef-Président s'en pris personnellement à Malula et
proféra à son encontre des propos fort désobligeants ; il
affirma entre autres que Malula n'avait aucune qualité d'homme de Dieu,
qu'il disputait des places d'honneur aux manifestations publiques ; il laissera
insinuer même que c'est grâce à lui, Mobutu, que Malula
avait été élevé à la dignité
cardinalice. Puis, il essaya d'apaiser les fidèles catholiques et
l'opinion internationale en affirmant que ce conflit était strictement
une affaire personnelle entre lui Mobutu et Malula, et que cela n'engageait ni
l'Etat ni l'Eglise catholique. Enfin, il tendra la main aux
évêques modérés et comptera sur le soutien,
même discret, de ceux dont les rapports avec Malula n'étaient
point harmonieux124.
Après le rappel de Malula auprès du
Saint-siège et les négociations en vue de son retour au
Zaïre, le climat va se détendre entre l'Eglise et l'Etat. C'est le
temps où les deux institutions vont se reconnaître une cause
commune dans la quête de l'identité culturelle. Au synode romain
de 1974, le cardinal tiendra un langage visiblement proche des
idéologies mobutistes ; il se voudra même compréhensif
vis-à-vis de l'authenticité et souligna, en des termes clairs et
vigoureux, la nécessité d'africanisation du
christianisme.
C'est sur base de ce rapprochement que nous pensons
que le mouvement d'africanisation du christianisme dans l'Eglise catholique
résulta de l'authenticité mobutiste en plus que certains
théologiens congolais ont entrepris de mettre en exergue
l'interpénétration ou la complémentarité entre
l'idéologie de l'authenticité et la théologie africaine et
la pertinence de la première pour la dernière. Toujours à
ce sujet, Gbabendu Engunduka et Efolo Ngobaasu écrivent : «
l'Eglise congolaise de
124 P. B. KABANGO-MBAYA, Op. cit., p.
40.
MALULA et consorts en a été
bouleversée et à dû, ensuite, passé du christianisme
colonial au christianisme de l'authenticité >>, non pas
authentique125.
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