III. 3. Le Temps de l'idéologisation
autoritariste
Le 12 novembre 1969, le gouvernement décide que
le Manifeste de la N'sele soit enseigné obligatoirement dans toutes les
écoles de la République à tous les niveaux de
l'enseignement. Cette décision d'idéologisation du système
éducatif national va heurter les responsables catholiques dont on a
déjà vu le rôle et l'importance dans le secteur
éducatif117.
A quel titre en effet, devait-on enseigner à
tous les écoliers et à tous les étudiants le projet
politique d'un parti politique ? Les responsables catholiques
protestèrent donc aussitôt contre le projet ; à la place le
BEC esquissa un projet de cours de civisme, afin de prouver la volonté
et la disponibilité à coopérer du côté
catholique.
Mais, alors que cette première question
était encore pendante, le gouvernement prit une autre mesure non moins
déplaisante pour la hiérarchie ecclésiastique. Le 30
juillet 1969, suite à une manifestation estudiantine par ailleurs
réprimée dans le sang, environ 50 étudiants ont
été tués à l'occasion d'une marche pacifique. A la
même époque, le Bureau politique du MPR prononça la
dissolution de toutes les associations de jeunes aussi bien dans l'Eglise que
dans les écoles et universités catholiques au profit d'une autre
dénommée : la Jeunesse du Mouvement Populaire de la
Révolution (JMPR). Par là, il contraignait l'Eglise catholique
à accepter la disparition de ses nombreuses associations de
jeunes.
116 W. OYOTAMBWE, op. cit., p. 35.
117 Idem., p. 36.
La hiérarchie catholique essaya de négocier
à plusieurs reprises avec le Président Mobutu, en vain.
L'affrontement devenait de plus en plus
inéluctable118.
A l'issu de l'installation des comités JMPR
dans les maisons de formation religieuse et sacerdotale, il va se remarquer des
dissensions au sein de l'Episcopat catholique. En effet, en application des
décisions de juin et juillet 1969 qui instituaient l'enseignement de
l'idéologie du MPR dans des écoles et qui établissaient la
JMPR comme unique cadre des activités de la jeunesse, le gouvernement
décida l'installation, avant le 1er avril 1972, des
comités de la JMPR au sein des grands séminaires et des maisons
de formation religieuse sous peine des poursuites judiciaires.
L'Episcopat zaïrois dans son ensemble s'opposa
à cette tentative d'embrigadement des futurs prêtres et religieux.
Le 08 mars, Mgr Lesombo, évêque d'Inongo et alors président
de la CEZ (conférence épiscopale du Zaïre), décida de
fermer les séminaires plutôt que de procéder à cette
idéologisation des futurs prêtres. Cependant, certains
prêtres se voudront réservés ou prudents sur la question.
Ainsi, Mgr Bakole, archevêque de Katanga, accepta d'installer les fameux
comités JMPR dans deux grands séminaires de sa province
ecclésiastique de Kananga. Affaibli par ce genre de trahisons,
l'Episcopat finira par accepter, après des pourparlers avec le
gouvernement, l'installation des comités JMPR en échange du
respect de la finalité religieuse de ces
établissements119. Plus tard, le pouvoir décida de
dissoudre l'Assemblée épiscopale jugée « subversive
» et les évêques furent interdits de se déplacer en
dehors de leur leurs diocèses respectifs.118
On peut déceler à ce sujet, la
soumission de l'Eglise au régime autoritaire qui venait de
s'ériger au Congo. Cette soumission de l'Eglise à l'Etat
autoritaire postcolonial s'enracine en partie dans les relations ambiguës
qui ont caractérisé les relations des missions avec le pouvoir
colonial.
Nous venons de voir à ce titre, comment le
Président Mobutu avait tenté de dominer l'Eglise et
contrôler son action interne. Mais là encore, il s'agit d'un
manquement au principe de laïcité en ce sens que le pouvoir de
Mobutu pensait et réussissait d'étendre par imposition,
l'idéologie du MPR au sein de l'Eglise, cette dernière devenant
ainsi politisée.
On peut à ce titre, imaginer quelques
hypothèses. En premier lieu, on peut penser que le pouvoir voulait
s'assurer de la main mise sur le système éducatif d'une part pour
réduire l'influence du catholicisme dans le secteur public qui
n'était pas toujours vue d'un bon oeil, mais aussi pour briser dans
l'oeuf un foyer de résistance virtuelle qui risquait de faire ombrage
à sa volonté d'hégémonie sans partage.
Peutêtre aussi une explication d'ordre psychologique : Mobutu pouvait
craindre aussi
118 L. NZUZI, « Zaïre : quatre années de
« transition », Bilan provisoire », in L'Afrique politique
1995. Le meilleur, le pire et l'incertain, Paris, Karthala, 1995, p.
256.
119 W. OYOTAMBWE, op. cit., p. 48.
que le moment venu l'Eglise fasse à son
détriment ce qu'elle a pu faire contre Lumumba et dont il a
été témoin ou acteur direct selon les cas. En face de lui,
l'Eglise tenait à maintenir ses acquis en tous genres dont
l'enseignement représentait le maillon principal, mue en plus par un
soucis d'humanisme et des valeurs chrétiennes dont les principes ne
pouvaient en aucun cas coïncider avec les méthodes du nouveau
pouvoir.
En second lieu, on peut imaginer la volonté du
nouveau régime de contrôler tout seul l'ensemble du processus
national de socialisation.
Ainsi, se référant au rôle
joué par l'Eglise au temps de la << trinité coloniale
>>, le pouvoir mobutiste qui se voudrait l'héritier et le
successeur de l'ordre colonial espérait de l'Eglise catholique un apport
similaire et lui exigea une sorte de réforme ecclésiastique qui
l'insère dans une nouvelle ère socio-idéologique. Chose
inacceptable car du point de vue symbolique cela aurait signifié que
l'Etat fonde et institue les Eglises qui est un fait du gallicanisme (ce
dernier concept entendu comme le fait du régime politique à
exercer un contrôle sur les Eglises).
Ce qu'il importe de révéler à ce
sujet, est que le gallicanisme ci-haut défini n'est naturellement
irréductible au régime autoritaire de la deuxième
République où César refuse de reconnaître son
incompétence en matière spirituelle.
Cet alliage des causes multiformes et
d'intérêts divergents va conduire au bras de fer fatal qui se
produira plus tard.
En 1971, le gouvernement décide de
laïciser les deux Universités tenues par les Eglises, à
savoir l'Université catholique Lovanium de Kinshasa et
l'Université Libre du Congo, située à Kisangani et
administrée alors par les Eglises protestantes. La fusion de ces deux
universités avec l'Université d'Etat de Lubumbashi donna
naissance à une nouvelle structure, l'Université Nationale du
Zaïre (Congo à l'origine), l'Unaza dont la direction sera encore
confiée à l'ancien recteur de Lovanium, Mgr Tharcisse Tshibangu,
qui devint le recteur de ce corpus universitaire120.
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