Section IIIème : Situation sous la
deuxième République
La deuxième République a
été marquée dans son premier volet par une forte
composition des prélats aux politiques avant de sombrer dans divers
accrochages pour en finir ensuite, par la recomposition mutuelle entre les deux
parties.
A ce titre, la question de la laïcité de
l'Etat semble n'intéresser personne et par là, bannie du
débat national aux vues des intérêts que l'une ou l'autre
des parties tirerait de cette situation de confusion institutionnelle (de
l'Eglise et l'Etat). Il sied de passer en revue les éléments
marquant cette imbrication.
III. 1. Du Temps du coup d'Etat militaire et sa
légitimation par l'Eglise catholique
Le 24 novembre 1965, un coup d'Etat militaire place au
pouvoir le lieutenant-général Joseph Mobutu, un croyant fervent
catholique apparemment respectueux de l'Eglise, mais aussi le bras militaire
dont les adversaires locaux et étrangers de Lumumba se seront servis
pour écarter et éliminer l'ancien premier ministre112.
Mobutu suspend la jeune démocratie qui s'installait après les
troubles qui ont émaillé la période des crises politiques,
et congédie les acteurs politiques.
L'Eglise accueillit favorablement et témoigne son
soutien à un régime issu de coup d'Etat militaire en ces termes
:
« C'est Dieu qui distribue l'autorité.
Monsieur le Président, l'Eglise reconnaît votre autorité,
car l'autorité vient de Dieu. Nous appliquerons fidèlement les
lois que vous voudrez bien établir. Vous pouvez compter sur nous dans
votre oeuvre de restauration de la paix à laquelle tous aspirent si
ardemment... »113.
Dès lors, l'Eglise et le nouveau régime
entretiendront d'altruistes rapports, surtout avec l'entente entre le
Président et l'archevêque de Kinshasa à la personne de
Malula qui deviendra plus tard, cardinal avec le concours du premier. Le
prélat avait cru alors qu'il était possible au regard des
intérêts de l'Eglise, de collaborer étroitement (de mener
ensemble les affaires de l'Etat) avec le nouveau régime et lancera
même l'idée de l'insertion objective de l'Eglise dans le projet
nationaliste du nouveau régime.
112 J. CHOME, op. cit., pp. 82-85 et pp.
100-106.
113 Le courrier d'Afrique du 26 Novembre
1965.
A cette époque également, la puissance
de l'Eglise catholique vis-à-vis de l'Etat va s'affirmer encore une fois
en matière d'enseignement par le fait qu'elle réussi à
gérer seul , plus de la moitié d'écoles soit 67,4%
dépassant très largement les réseaux protestants et
officiels réunis. Tandis que l'Université catholique Lovanium de
Kinshasa totalisait 2. 083 étudiants. Face à l'endémique
désorganisation du ministère de l'éducation, c'est le
Bureau de l'Enseignement Catholique (BEC) qui assurait l'organisation des
études sur l'ensemble du territoire national, tous réseaux
confondus. En matière sociale, l'action catholique s'orienta vers
l'oeuvre caritative et l'action pour le développement, principalement
dans les milieux ruraux, au sein des nombreux diocèses. C'est tout
naturellement aussi que le gros des cadres de la deuxième
République naissante sera formé par l'enseignement
catholique114.
En 1967, le nouveau régime, qui a suspendu tous
les partis, crée son propre le Mouvement Populaire de la
révolution (MPR), dont la doctrine et les principes directeurs sont
exposés dans le Manifeste de la N'Sele. Les artisans de ce manifeste,
dont l'inspiration tout au service de l'homme et du bien commun est
évangélique, sont des prêtres, des catholiques, dont la
plus part avaient milité dans les rangs de l'Action catholique, ils
menaient la barque nationale sans désavouer leurs convictions, et
paraissaient décidés à servir avec
désintéressement. L'épiscopat sembla apprécier dans
ce régime une manifestation exemplaire du laïcat prenant ses
responsabilités d'hommes et de chrétiens dans la nation
zaïroise. Par la suite, les prêtres catholiques se
présenteront aux élections sur la liste du MPR. Mais en
dépit de toutes ces connivences, les relations entre le régime et
la hiérarchie catholique vont vite se
détériorer115.
Dans l'ensemble, on comprend que si Mobutu avait
réussi dans son plan autoritariste, c'est parce qu'il était bien
soutenu par l'Eglise catholique qui occasionnait le clientélisme et le
culte du chef rendant ainsi légitime un désordre établi.
L'Eglise catholique qui était déjà majoritaire au Congo ne
pouvait que dans ce contexte, assoupir les revendications démocratiques
légitimes en gardant le peuple congolais dans l'ignorance.
Antonio GRAMSCI dûment cité à ce
sujet, l'avait prouvé dans son expérience. Selon lui, l'Eglise
catholique universelle est capable grâce à son
hégémonie, de soutenir le régime de son choix et de
démobiliser la société civile dans l'élan du
changement, et d'assoupir d'éventuelles contestations populaires face
aux abus du pouvoir politique en place. L'Eglise appartient donc à la
catégorie sociologique 'appareils idéologiques de l'Etat dont la
vocation stratégique consiste à inoculer au peuple les fables de
la soumission qui prédisposent l'homme à tendre la
deuxième joue après que la première ait été
frappée.
114 W. OYOTAMBWE, op. cit., p. 34.
115 Idem.
III. 2. Les premiers accrochages
Un régime pourtant légitimé et
consolidé par l'Eglise catholique, n'a pas manqué au fil du
temps, à afficher de plus en plus un visage autoritaire et imposer un
monolithisme sociopolitique qui ne tardera pas à inquiéter la
hiérarchie catholique qui se trouvait déjà
confrontée à diverses pressions et menace du
Chef-Président. Les violations des droits de l'homme et les
exécutions sommaires se multiplient : la pendaison publique des «
quatre conjurés de la pentecôte » le 02 juin 1966 à
Kinshasa, etc. face à cette situation qui a déstabilisé la
hiérarchie catholique se sentant dorénavant menacée, les
autorités ecclésiastiques seront encore les premiers à
dénoncer les dérives et le laxisme du nouveau
pouvoir116.
Depuis lors les rapports entre le pouvoir et l'Eglise
vont se détériorer graduellement ; d'une part, l'Eglise entend
rappeler le pouvoir politique à respecter ses engagements, tandis que le
pouvoir de son côté n'entend recevoir des leçons de
l'Eglise et dénonce l'ingérence de l'Eglise dans les affaires de
l'Etat et ainsi s'affiche résolu à réprimer toute critique
de l'Eglise visant son action.
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