Chapitre IIème : DE L'IMBRICATION DU RELIGIEUX ET
DU
POLITIQUE EN RDC : Une Approche
évolutive
Section Ière : La situation pendant la
colonisation
A l'époque coloniale, les relations de l'Eglise
à l'Etat étaient confuses. L'Eglise catholique qui apparaît
vis-à-vis du pouvoir colonial comme une Eglise au service de ce dernier,
était aussi considérée comme une religion d'Etat. Ainsi,
il sied de faire une réflexion sur cet aspect des choses en montrant
comment l'Eglise catholique était marquée par la colonisation
avant de faire un regard sur son attitude face au pouvoir politique depuis
l'accession du pays à l'indépendance.
I.1. Une Eglise au service de la colonisation
Si l'on essaie de faire la configuration globale de
l'Eglise catholique en RDC, on s'aperçoit qu'elle s'inscrit selon
Isidore Ndaywel97, dans son histoire, sa théologie et surtout
ses relations avec l'Etat. Cette Eglise est largement tributaire de la
colonisation belge qui a marqué le pays.
Elle s'inscrit dans son histoire dans la mesure
où, l'on part de la date de l'accord signé le 26 mai 1906 entre
le Saint siège et Léopold II portant l'introduction du
catholicisme au Congo. Mais en réalité les premiers contacts
s'établirent dès le XVè siècle avec
l'arrivée des portugais. Il faut préciser ici que notre propos
porte sur le catholicisme romain officiel qui a accompagné la
colonisation et qui s'est poursuivi sans discontinuité depuis lors
jusqu'à ce jour.
En effet, lorsqu'en 1908 le roi Léopold II
légua à la Belgique « l'Etat indépendant du Congo
>> pour en faire une colonie, le « Congo belge >>, il fit
baser son action colonisatrice sur trois piliers. Le premier était
l'Eglise catholique, dite Eglise nationale, chargée de « pacifier
>> les coeurs des indigènes par la conversion au christianisme ;
le deuxième fut le commercial et les sociétés coloniales
chargées de rentabiliser la colonisation par l'exploitation des
richesses du pays ; le troisième était l'administration et son
armée, la force publique, chargées d'installer le pouvoir
colonial en lieu et place des pouvoirs traditionnels des chefs
indigènes.
Cependant, l'opération de rentabilisation de la
colonie par le deuxième pilier de cette tripartite va vite
dégénérer en abus dans l'exploitation des richesses
locales. A cet effet, l'indigène qui n'aura pas livré la
quantité d'ivoire ou de caoutchouc imposée aura la main
captée ; ce fut le scandale dit du « caoutchouc rouge >> que
les missionnaires protestants d'origine britannique et
américaine
97 I. NDAYWEL cité par
W. OYOTAMBWE, Eglise catholique et pouvoir politique au Congo-Zaïre. La
quête
démocratique, Paris, Harmattan, 1997, p.
17.
<< dénoncèrent avec
véhémence, alors que l'Eglise catholique se murait dans
un silence prudent que lui imposait son rôle du premier pilier de
l'aventure coloniale >>98.
Il en sera de même lorsque, pour la construction
des routes et surtout, des chemins de fer, plusieurs milliers des
colonisés perdirent la vie à cause de la dureté des
travaux ; l'Eglise se taira pour préserver ses relations avec le pouvoir
établi.
Dès lors les relations entre l'Eglise et l'Etat
vont suivre le principe du << do ut des
>> qui résume les enjeux de leur étroite
collaboration.
L'Etat colonial confia, moyennant subsides, aux
Eglises et principalement à l'Eglise catholique, toutes les oeuvres
sociales : l'enseignement et la santé notamment. L'Eglise catholique va
s'arroger un quasi-monopole notamment sur la formation scolaire, tandis que les
protestants, peu subventionnés, et les musulmans, ouvertement combattus,
se contenteront d'une portion congrue. A cette époque, les missionnaires
avaient le statut d'agents administratifs, allant jusqu'au pouvoir
judiciaire.
A la demande explicite ou implicite de l'Eglise
catholique, l'Etat va également se mettre à la rescousse du
catholicisme dans sa lutte contre les autres confessions
religieuses99. L'insistance sur l'aspect politique vient du fait que
le prélat savait très bien sur quelle corde il fallait tirer pour
toucher la sensibilité du pouvoir colonial et le pousser à agir
dans un sens précis. Cette attitude belliqueuse des catholiques
prévaudra également à l'égard des autres mouvements
religieux, et en particulier contre les messianismes indigènes dont le
Kimbanguisme et le Kitawala, tous deux sévèrement
réprimés par l'autorité coloniale. Mais il faut dire que
Léopold II avait manifesté la même méfiance à
l'égard des missions catholiques non belges (notamment les pères
blancs) ; dès 1906, un concordat négocié avec le Vatican
mettait en avant le principe qui resta en vigueur jusqu'en 1960 : <<
l'effort missionnaire devrait être principalement belge
>>100 .
Si l'on ne peut réduire purement et simplement
le projet missionnaire à l'entreprise coloniale, il est certain que,
fondamentalement, les deux mouvements se sont appuyés l'un sur l'autre.
Les missions avaient besoin de l'ordre colonial pour mener à bien leur
action. Inversement, l'administration coloniale pouvait se reposer sur les
missions dans l'exercice de certaines tâches qu'elle n'avait pas les
moyens ou le désir de prendre à son compte. En échange,
des retombées, positives pour elles, de la colonisation, les missions se
devaient de respecter cet ordre colonial.
En retour, l'Eglise catholique s'acquittait de la mission
lui impartie par le colon. Somme toute, autant la colonisation a profité
de la mission pour exploiter les
98 L. TERRAS., (dir.),
Petit atlas des Eglises africaines. Pour comprendre l'enjeu du christianisme
en Afrique, Paris, Golias, 1994, p. 176.
99 L. TERRAS, Op.
cit., p177.
100 C. YOUNG, Introduction à la politique
congolaise, C.R.I.S.P., Bruxelles, 1994, p. 14.
indigènes, autant la mission a profité
à la colonisation pour s'implanter. Alors que les buts de la
colonisation étaient néfastes pour l'homme noir
considéré comme « inférieur », des missionnaires
s'y étaient compromis jusqu'à la légitimer. On retiendra
ici qu'en accompagnant la colonisation, l'Eglise catholique a utilisé
ses méthodes de destruction des cultures autochtones et s'est ainsi, en
quelque sorte, piégée.
Il ressort de ce qui précède que les
rapports entre l'Etat colonial et l'Eglise catholique sont de nature à
ignorer catégoriquement le principe de la séparation des deux
structures sociales et de la non immixtion dans les domaines respectifs ; dans
la mesure où le pouvoir colonial avait la prétention à
institutionnaliser l'Eglise catholique comme une religion d'Etat et ne
reconnaître donc l'existence juridique des autres confessions
religieuses.
Par ailleurs, l'intervention de l'Eglise dans presque
tous les services sociaux de l'Etat vient contrebalancer dans une certaine
mesure le rôle fonctionnel de l'Etat qui est celui de garantir les
conditions sociales de son peuple.
Ici, il suffit de reconnaître le fait que le
pouvoir colonial n'était pas au service du peuple congolais comme il
l'était au peuple belge. C'est dans ce contexte que l'Eglise s'est
montrée puissante dans ce domaine. Cependant, les gènes de cette
mentalité coloniale dans les rapports Religion-Etat produisent encore
d'effets jusqu'à atteindre leur paroxysme aujourd'hui en RDC. C'est
autant dire que les rapports actuels entre l'Eglise et l'Etat congolais
dépendent des conditions initiales de la construction de l'Etat. En
effet, la construction de l'Etat en RDC s'est appuyée sur base de
l'influence de l'Eglise catholique qui, ayant réussi un espace
privilégié auprès du politique et du social notamment dans
divers domaines : enseignement, éducation, santé,
etc.,
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