Chapitre IIIème : ANALYSE DES RAPPORTS DE LA
RELIGION
A LA POLITIQUE EN RDC
Section Ière : Etude factorielle de
l'influence de la religion en politique en RDC I.1. Les facteurs
historiques
1. L'héritage du gallicanisme
Jésus-Christ, le premier, fonde une Eglise
distincte de l'organisation étatique et instaure le principe de la
distinction des domaines spirituel et temporel : « Rendez à
César ce qui est à César et à Dieu ce qui est
à Dieu » (Matthieu XXII, 21). Mais César refuse de
reconnaître son incompétence en matière spirituelle, les
chrétiens vivent pendant trois siècles dans
l'illégalité et sont à plusieurs reprises
persécutés, vient l'empereur Constantin, qui leur reconnaît
la liberté du culte (édit de Milan, 313), puis Théodose
qui déclare le christianisme seule religion de l'Empire (380). Plus tard
Charlemagne essaie de tenir l'Eglise en son pouvoir148.
Au moyen Age, on assiste à l'effritement de
l'Etat. L'Eglise apparaît alors comme la seule force de cohésion ;
puissante est son emprise sur le temporel mais le prince se ressaisit ;
l'affrontement des deux autorités spirituelle et temporelle, est
dès lors inévitable ; il est parfois même violent. On
connaît la célèbre querelle des investitures qui oppose
Grégoire VII à l'empereur germanique Henri IV et se prolonge avec
leurs successeurs (1075-1122), épisode aigu de la lutte du sacerdoce et
de l'Empire.
Nombreux sont, au cours de l'histoire, les conflits
entre le roi et le pape notamment en France et pour commencer entre Philippe le
Bal et Boniface VIII. Les rois de Frances trouvent en Europe, dans cette lutte
séculière, des complices directs ou indirects, chef des penseurs
chrétiens, un Guillaume d'Ockham (1349) ou un Marsile de Padoue (1342),
en particulier. Mais la construction doctrinale, juridique et politique, fut
l'oeuvre patiente des « légistes » du roi.
Au XIVe Siècle, ils commencent à parler
des « libertés de l'Eglise gallicane » dont, en 1438, la
pragmatique sanction des Bourges appliquera les principes. Au XVIe
Siècle, ces légistes sont du Moulin, Guy Coquille, Pierre Pithou
qui donnent en 1593 la charte du gallicanisme. En 1631, Pierre et Jacques Dupuy
compilent leur traité des droits et libertés de l'Eglise
gallicane. Il s'agit de permettre au roi de percevoir des impôts sur les
biens de l'Eglise, de contourner la compétence des juridictions
ecclésiastiques, de nommer les évêques, etc. ; en un mot
d'avoir l'Eglise à sa disposition149.
148 Encyclopédie, Op. cit. p.
1003.
149 Ibidem.
Pour cela, quelques principes juridiques sont mis en
avant par les légistes : la puissance temporelle est distincte et
indépendante de la puissance spirituelle.
Le pape ne peut légiférer pour l'Eglise
gallicane que de consentement et avec la confirmation du roi.
Le gallicanisme politique trouve souvent appui dans le
gallicanisme ecclésiastique désireux d'affranchir l'Eglise,
notamment en France, de la tutelle ultramontaine.
Comme on peut le constater, le gallicanisme a
fortement inspiré les rapports de l'Eglise à l'Etat et, pour
utiliser l'expression chère à Philippe Bernard, l'Etat et
l'Eglise ressemblent à << deux enfants >> qui se disputent
un même héritage au sein de la même
famille150.
L'auteur confirme par ailleurs que la même
logique a entraîné l'action coloniale dans laquelle l'Eglise et
l'Etat ont développé la violence de la civilisation
occidentale.
Cette << violence de la civilisation occidentale
>> est articulée dans un triangle à trois
côtés inégaux mais complémentaires151
:
· La violence physique par laquelle
l'administration coloniale a conquis l'Afrique en assujettissant les
populations à leur mode de vie, de pensée, à un
contrôle par le broussard. Il s'agissait de réprimer dans le sang
toute révolte ou tentative de résistance et d'insoumission ; et
par la chicotte toute contravention au régime des travaux forcés
dont le plus atroce était la récolte du caoutchouc rouge au Congo
de Léopold II.
· La violence symbolique à travers
laquelle les cultures autochtones, les pratiques magico-religieuses ainsi que
la médicine autochtone ont été disqualifiées et
réduites dans un ensemble qualifié par Alfred North de violence
ex-fonctionnelle de la tradition africaine par l'ordre colonial.
· La violence du capital qui a permis au
colonisateur de créer des débouchés pour l'industrie
métropolitaine.
A chaque violence correspondait ce que Talcott
Parsons appelle medium dans son
structuro-fonctionnalisme, c'est-à-dire, un code symbolique
distinctif152. Ainsi la violence physique était
symbolisée par le fusil, la matraque, la potence. Quant à la
violence symbolique, elle était représentée par la bible,
l'Eglise, les missionnaires, la bénédiction. Enfin, les totems de
la violence du capital étaient l'argent, les concessions
minières, les plantations du café, de thé, de
caoutchouc.
150 P. BERNARD, L'Utopie, Paris, Maspero, 1984,
p. 49.
151 Idem, p. 113-119.
152 Cité par J. HERMAN,Le langage de la
sociologie, Paris , PUF, 2000, p. 203.
Ce triangle inégal et complémentaire a
donc permis le renforcement des relations entre l'Etat et l'Eglise dans leurs
rapports d'interdépendance.
Selon Benoît Verhaegen cité par Marc
Amadou Kane153, la trilogie coloniale était inégale
car c'est la force physique qui était privilégiée pour
assujettir l'autochtone au Congo. La violence symbolique incarnée par le
missionnaire visait la séduction et l'aliénation de l'autochtone
à l'épiphanie de la civilisation occidentale. Le capital visait
le renforcement de la séduction en tant que vecteur de l'influence
à travers le mécanisme du don pour créer les relations du
Magister au Minister pour reprendre l'expression de Marcel Mauss cité
par Philippe Braud.154
2. L'Encadrement religieux de la colonie belge du
Congo
Elikia Mbokolo155 dénonce la
complicité coloniale dans la modernisation de l'Afrique au plan
socio-économique et institutionnel mais doublée par la
marginalisation et l'aliénation bénies par l'évangile. Il
démontre combien sans l'Eglise, l'oeuvre coloniale serait vouée
à plus d'échecs qu'elle n'en a eu.
Marc Amadou Kane156 ajoute à ce
propos que la configuration géopolitique des missions et des postes de
police et d'administration révèle que le colonisateur avait
besoin de l'Eglise pour légitimer son action en échange de la
sécurité et le confort économique que cette
dernière attendait de lui.
En effet, il suffit par exemple de constater la
position géographique des postes coloniaux et des missions dans la ville
de Bukavu, notamment dans les communes de Kadutu et de Bagira. Dans la commune
de Kadutu, la paroisse SaintFrançois Xavier et le bâtiment
administratif de la commune occupent une position analogue et rapprochée
à celle que l'on trouve dans la commune de Bagira.
I. 2. Les facteurs culturels
La thèse à développer ici est
que les acquis de la religion ont encadré la formation scolaire, la
préparation des cadres et la revendication de l'indépendance.
Selon Elikia Mbokolo, toutes les écoles créées par l'ordre
colonial étaient confessionnelles. Ce sont les missionnaires qui ont
piloté l'éducation scolaire au Congo-Belge jusqu'à
l'institutionnalisation de l'enseignement laïc concurrent, par le
gouverneur le Général Buisseret en 1948. Effectivement, et
à titre illustratif, les grandes écoles de Bukavu ont une
tradition missionnaire. Le cas du collège Alfajiri, du collège
Saint-Paul, du Lycée Wima nous le prouve suffisamment.
153 M. AMADOU KANE, La montée de l'Occident.
Essai sur la civilisation occidentale moderne, Paris, Flammarion, 1999, p.
71.
154 Infra paginal à revoir
155 E. MBOKOLO, Mouvements messianiques et
résistance, Paris, CEDEX, 1990, p. 86.
156 M. AMADOU KANE, Op. cit., pp.
147-148.
en plus, tous les leaders de l'indépendance et
les hommes politiques post-coloniaux ont été formés dans
ces écoles. La plupart étant les anciens séminaristes.
Patrice Lumumba lui-même en est un cas d'illustration.
Par ailleurs, l'Abbé Malula
considéré par la société civile comme le
précurseur de la conscience civique des politiciens congolais est un
prêtre catholique157.
De tout ceci découle l'impression que la
logique du combat politique contre la colonisation, la conception des affaires
publiques, de l'autorité et du développement de la RDC a
été façonnée à l'aide des matériaux
missionnaires.
par la suite des événements, la
première opposition au régime autoritaire de Mobutu a
été inaugurée par l'Eglise catholique à la
tête de laquelle Malula était cardinal. Jusque donc en 1981,
année de l'apostasie des << 13 parlementaires >> dont
Etienne Tshisekedi, Faustin Birindwa et Ngunz A Karl I Bond ..., l'Eglise
était à la pointe du combat contre le régime dont les
ressource symboliques ainsi que les fonctions remplies par celle-ci
inquiétaient tout observateur perspicace.
En vue d'approfondir ce point de vue, Mgr Guery
Mama158 indique que ne pouvait entrer au gouvernement issu de
l'indépendance que la personnalité qui avait la faveur de
l'Eglise. Effectivement à la tête du Congo, il y avait Joseph
Kasavubu comme président. Il avait été élevé
chez les missionnaires dans une province influencée par le Kimbanguisme.
Le président Mobutu qui lui succède était également
un fervent catholique, formé dans les écoles missionnaires. Le
chef de fil de l'opposition et même ses compagnons Faustin Birindwa et
Ngunz A Karl I Bond étaient de la même obédience
culturelle.
La société civile de Bukavu
placée à la pointe des revendications civiques depuis 1990
jusqu'à ce jour en passant par la résistance de 1996 à
2003 est dominée par l'ordre catholique.
Par ailleurs, ce n'est pas par hasard que Mgr
Monsengwo Pansinya avait été placé à la tête
de la CNS. Eric D'Artagnat159 pense que ce choix était
dicté par deux impératifs contradictoires à savoir
:
· La crédibilité et
l'impartialité de l' << homme de Dieu >> pour conduire une
oeuvre entourée d'incertitude, de soupçon, de complicité
et de risques de corruption. C'était la conviction de la
société civile et des opposants au régime.
· La qualification historique de l'Eglise en
entraînant le prélat dans une spirale conflictuelle dont la
société ne pouvait pas se retirer et lui faire porter la
responsabilité du chaos. C'était l'option de la classe au pouvoir
pour fragiliser les prétentions innocentes de l'Eglise.
157 TSHIMANGA WA TSHIMANGA, Histoire politique du
Zaïre, Bukavu, CERUKI, 1989, p. 46.
158 Cité par C. AMADOU KANE, Op. cit., p.
218.
159 Idem, p.37.
Enfin pour terminer cet aspect culturel de la
question, rappelons que l'actuel président de la République,
Joseph Kabila, a contracté son mariage religieux chez les catholiques et
cela à la veille de son élection. Ce geste stratégique
visait, on dirait, la sympathie du public catholique féminin à la
cause du candidat président.
Tout ceci prouve à suffisance que les
société civile et politique placent confiance en l'Eglise et la
considère comme la seule instance ne pouvant pas trahir ou faillir
devant les intérêts populaires, d'où la reconnaissance
manifeste de l'Eglise comme acteur privilégié et oeuvrant pour le
peuple, remplissant ainsi l'intérêt général. Ceci
n'est q'une affirmation des contraintes non seulement symboliques mais aussi
matérielles qui pèsent sur la consolidation de la
laïcité de l'Etat.
Section IIème : De la laïcisation de
l'espace public
II. 1. Indicateurs de l'osmose du religieux et du
politique
D'après Julien FREUND, la démagogie se
présente sous sa forme la plus élaborée dans un discours
qui récupère la religion ou la dénigre selon les
circonstances.
Cette affirmation qui reflète le gallicanisme
peut être justifiée dans les indicateurs suivants :
1) Inféodation de l'autorité politique
à celle de l'Eglise
Par inféodation nous comprenons la soumission
et la prédisposition des autorités politiques à rendre
hommage à l'autorité morale de l'Eglise. Le cas du gouverneur de
Goma Julien Paluku qui, en date du 28 août 2008 est allé rendre
hommage à L'évêque de Beni ; visite qui s'inscrit selon
lui, dans le cadre de lui présenter ses civilités et de lui
témoigner la fidèle collaboration entre l'institution
diocésaine que ce dernier anime et le gouvernement provincial du
Nord-Kivu en est l'exemple-type.
Ceci traduit donc les cas suivants :
a) Invitations des autorités
ecclésiastiques aux manifestations publiques
A toutes les manifestations publiques de grande
envergure, l'Eglise est invitée.
Au niveau central, les manifestations
commémoratives de la journée de l'indépendance ne manquent
pas d'embrigader le cardinal, l'archevêque de Kinshasa.
Ce qui est curieux, affirme Amadou, est que l'Eglise
décline souvent les invitations et ne se fait pas
représenter.
Le contraire existe également. L'Eglise invite
les pouvoirs publics à ses manifestations mais fait curieux, ces
derniers sont toujours signalés présents physiquement ou se font
représentés.
De ceci découle que l'Eglise est plus autonome
que l'Etat chacun vis-à-vis de l'autre. L'Eglise décline souvent
des invitations mais l'Etat y répond toujours. Ce qui revient à
dire que le dernier a plus besoin de l'autre.
b) les visites de courtoisie
D'après un évêque anonyme, depuis
1987, l'archevêché de Kinshasa a déjà
été 12 fois visité par les présidents de la
République (Mobutu, Kabila I et Kabila II), 18 fois par les premiers
ministres, des centaines de fois par les ministres, les gouverneurs, les
bourgmestres, les généraux de l'armée et de la
police160. Ces visites ont lieu dans toutes les circonstances, qu'il
y ait tension sociale ou non sous l'étiquette de « visite de
courtoisie >> mais qui, en réalité se transforment en
séance de travail qui dure des heures jusqu'à fatiguer les gardes
de corps portés dehors161.
Au terme de nos entretiens avec un anonyme commis au
protocole d'Etat pré la province du Sud-Kivu, les autorités
cléricales visitent rarement le gouvernorat. Il a affirmé que
c'est vers les années 1990-1996 que l'archevêque était
convié chaque Jeudi de la semaine à la réunion du conseil
de sécurité du Sud-Kivu. Depuis lors jusqu'aujourd'hui,
l'archevêque n'a jamais foulé le sol du
gouvernorat162.
Comme on peut le constater encore une fois, il y a un
déséquilibre compétitif entre l'Eglise et l'Etat. Les
autorités publiques visitent très souvent les autorités de
l'Eglise plus proches de l'opinion et dotées d'un pouvoir de
séduction important en leurs qualités de « clercs
>>163. Il en est de même pour le pape. Le cas le plus
récent est effectivement le séjour au mois de Novembre 2008, du
président de la République au Vatican dans le cadre d'aller
rendre vénération au pape Benoît XVI. Il faut signaler que
ça fait trois fois depuis la prise de la magistrature par Joseph Kabila
qu'il effectue ce genre de visite au pape depuis Jean-Paul II.
Les autorités de l'Eglise en tant que pontifes
ou clercs se couvrent par conséquent d'arrogance et de complexe de
Romero, c'est-à-dire des prédispositions à être
rejoint sur l'hôtel, un moment de la sainte scène, par les
autorités publiques, justement comme Mgr Romero avait été
assassiné à l'hôtel d'une balle dans la poitrine en
Amérique latine164.
160 Entretien du 06 Septembre 2008.
161 Ibidem.
162 Entretien du 21 Septembre 2008.
163 Cité par P. BRAUD, Sociologie
politique, Paris, LGDJ, 2006, p. 354.
164 I. KALET, Les martyrs de l'Eglise, Bogota,
1997, p. 340.
2. Substitution fonctionnelle de l'Eglise à
l'Etat
En RDC, l'Eglise est devenue, progressivement avec
les pertes fonctionnelles de l'Etat dans la réalisation des tâches
socio-économiques, un organisme de substitution qui renforce les
capacités de la société civile contre l'Etat mais pour
prendre en charge certains problèmes vitaux de la société
devant lesquels l'Etat a perdu de l'énergie.
En dehors du cadre monopolisateur de la violence
physique légitime (Armée, Police, Cours et Tribunaux, Prison,
lois,...), l'Etat a déjà été défiguré
par l'Eglise sur plan socio-économique. D'où, le
rétrécissement de l'espace du rôle et de l'espace public
sur le plan social, économique mais aussi symbolique.
a) Le secteur d'emploi
Si l'on essaie de faire un bilan sur l'intervention
de l'Eglise dans le domaine notamment de l'emploi, on s'aperçoit
d'après nos investigations, qu'actuellement l'Eglise prend en charge 74.
360 emplois dans biens des secteurs au Sud-Kivu165.
Cette configuration actuelle de la situation de l'emploi
au Sud-Kivu couvert par l'église catholique se répartit de la
manière suivante :
· Associations socio-humanitaires : 10.032
postes,
· Personnel paroissial : 15. 340
postes,
· Enseignement primaire, secondaire et
professionnel : 17.321 postes,
· Enseignement U.C.B et ISPF : 743
postes
· Services socio-économique (BDOM,
Hôpitaux et dispensaires, Centre Olame, Plantations, Elevage, ...) :
22.500 postes,
· Services socio-culturels (bibliothèques,
centres culturels, ...) : 1.078 postes
· Charroie automobiles (chauffeurs,
mécaniciens) : 4. 846 postes.
· Autres services : plus ou moins 2500
postes.
Au terme de ce calcul, nous constatons effectivement
que l'Eglise est aussi pourvoyeuse d'emplois rémunérés
régulièrement, pourtant chez l'Etat, tel n'est toujours pas le
cas. Ce qui dispense ce dernier de se doter d'un Etat fort-social étant
donné que l'emprise de la société civile est forte et
grande, et, par conséquent, l'Etat s'affaiblit. Ce qui témoigne
ensuite pour l'opinion ; soumission, fidélité, allégeance,
confiance et conscience, plus en faveurs des institutions cléricales et
moins en faveurs des institutions publiques.
165 Entretien au BDD/Bukavu, le 02 octobre
2008.
b) le secteur socio-éducatif et
sanitaire
La tradition élitiste reconnaît à
l'Etat la plénitude de fournir à ses citoyens une
éducation qualitativement et quantitativement contrôlée
à l'effet de développement intégral. Dans ce cadre, il
s'agit en réalité de logique de l'administration du
développement, précisément au chapitre de la programmation
socio-éducative qui ne doit pas être abusive mais
rationnelle166.
Concernant l'enseignement au Congo, rien ne sert
à rappeler qu'après la grève générale de
1992-1993, c'est l'Eglise qui a initie le nouveau système de financement
du secteur par la fameuse « prime » payée par les parents et
fixée arbitrairement par les responsables d'écoles . Depuis lors,
l'Etat qui avait déjà trahi ses capacités fonctionnelles
n'a plus pris en charge le secteur éducatif. Ce dernier est par
conséquent resté à la merci de la société
civile ; particulièrement au plan financier et matériel.
D'ailleurs, le dernier gouvernement du Premier Ministre Kengo wa Dondo avant
1996 avait fini par réclamer un quota sur la prime payée par les
parents à ce jour, les écoles versent ce quota à l'Etat.
C'est en réalité une interversion de la pratique dans la mesure
où au lieu de subventionner les écoles, l'Etat les
ponctionne167.
Au plan quantitatif, soulignons avec le coordonnateur
des écoles catholiques que les 3/4 des écoles primaires et
secondaires sont confessionnelles. Donc, l'Eglise est à 3/4
impliquée dans la sauvegarde et l'autorégulation du
système éducatif congolais après la faillite et les
grandes vacances de l'Etat.
Au plan de la santé, l'Eglise détient un
quasi monopole sur le système sanitaire particulièrement au
Sud-Kivu. A ce titre, elle cogère (par l'entremise de son institution
dénommée Bureau Diocésain des OEuvres Médicales)
sous contrat de concession plusieurs hôpitaux et centres de santé
notamment, l'hôpital général provincial de
référence de Bukavu, le laboratoire Dr Lurhuma, hôpital
Fomulac/ Katana, etc. L'on cite également, les institutions sanitaires
qu'elle crée qui font d'elle une véritable entreprise de
référence en la matière.
Il ressort de ceci que l'Eglise ayant réussi
à conquérir le social, l'Etat s'est affaibli et en
s'affaiblissant, a perdu son équilibre de domination qui lui permettait
de résister face à l'emprise de la société civile
devenue trop accablant sur lui. Or, pour que l'Etat se ressaisisse, il lui faut
préalablement maîtriser le social c'est-à-dire s'en
approprier ou tout au moins le libéraliser tout en restant le seul
maître qui lui définit la politique
général.
Sommes toutes, l'Etat ne retournera tant qu'il ne se
dépouille en les dominant, des forces sociales qui l'entourent y compris
les Eglises.
166 P. GONAUD, L'Administration du
développement, Yales University Press, Paris 2000, p.
308.
167 MASHAKO NVURUNTSEKE, L'humour en
démocratie. Où va la RDC depuis 1990, Kinshasa, 2006, p.
4950.
II.2. L'influence religieuse en politique 1) Au plan de
la dramaturgie politique
La production du discours politique inclue les
variantes religieuses dans la mesure où la théâtralisation
du pouvoir procède de la << divinisation de la formation d'un
mandat céleste >> ou de ce que Achille Mbembe appelle <<
Médiation théocratique >>168. A ce niveau, il
s'agit de mesurer le degré de recours aux thèmes à
caractère religieux dans la production des discours
politiques.
Ainsi, au terme de la recension par nous faite des
discours produits par le Président Mobutu de 1967 à 1990, nous
avons repéré 601 discours169.
Voici leurs fréquences quant à la
thématique religieuse :
- 60% contiennent le mot << Dieu
>>
- 21% recèlent le mot << sacré
>>,
- 78% recèlent le mot << ancêtre
>>,
- 16% n'oublient pas l'expression << Dieu tout
puissant >>,
Après Mobutu, les partis politiques et les
opérateurs politiques continuent de faire allusion au thème
touchant la Religion et Dieu, sa puissance, sa bienveillance, sa protection, sa
bénédiction, son appui au peuple congolais.
Pour illustrer cela, constatons que sur 264 partis
aujourd'hui en compétition politique et qui se sont disputés
l'électorat de 2006, 33 sont d'inspiration religieuse dont 31 à
connotation chrétienne et 2 à connotation islamique. Le
dénombrement ci-dessous en rend compte :
1. ACDC : Alliance Congolaise des Démocrates
Chrétiens ;
2. ACDC : Alliance des Nationalistes Croyants Congolais
;
3. CCD : Convention Chrétienne pour la
Démocratie ;
4. CD : Chrétiens Démocrates ;
5. CID : Congrès Islamique pour le
Développement ;
6. DC : Démocratie chrétienne
;
7. DCF-COFEDEC : Démocratie chrétienne
Fédéraliste- Convention des
fédéralistes pour la Démocratie
Chrétienne ;
8. DCF/N : Démocratie Chrétienne
Fédéraliste/Nyamwisi ;
9. FORENAC : forum des Chrétiens pou la
Reconstruction Nationale ;
10. LDC : Ligue des Démocrates Chrétiens
;
11. MCC : Mouvement Chrétien Congolais
;
168 Achille MBEMBE et alii, Le politique par le bas.
Contribution à une problématique de la
démocratie, Paris, Karthala, 1991, p.
67.
169 D. MALOT et I. KALONDJI, Recueil des discours du
Président Mobutu (1967-1990), Bruxelles, 1991, pp.23-98.
12. MDC : Mouvement Démocrate Congolais
;
13. PAPRA HORODE : Parti de la Protection d'Allah et son
Prophète
Mohamed Roi Souverain des Hommes ;
14. PCR : Parti Chrétien pour la
République ;
15. PCSA : Parti Chrétien pour la
Solidarité Africaine ;
16. PDJCC : Parti Démocrate des Jeunes
Chrétiens au Congo ;
17. PDSC : Parti Démocrate et Social
Chrétien ;
18. PLDC : Parti Libéral Démocrate
Chrétien ;
19. RCDP : Rassemblement des chrétiens
Démocrates pour le Progrès ;
20. RCPC : Rassemblement des Chrétiens pour le
Congo ;
21. RCR : Rassemblement des Chrétiens
Républicains ;
22. RDC : Rassemblement des Démocrates
Chrétiens ;
23. UCLO : Union Chrétienne pour la
Libération des Opprimés ;
24. UCR : Union des Chrétiens Républicains
;
25. UCRJ : Union Chrétienne pour le Renouveau
;
26. UDC : Union des Démocrates Chrétiens
;
27. UDHC : Union des Démocrates et Humanistes
Chrétiens ;
28. UDSC : Union des Démocrates et Sociaux
Chrétiens ;
29. ULDC : Union des Libéraux et
Démocrates Chrétiens ;
30. UNADEF : Union Nationale des Démocrates
Chrétiens ;
31. UNDC : Union pour la Nouvelle Démocratie
Chrétienne ;
32. UPDC : Union des Patriotes Démocrates
Chrétiens ;
33. URD : Union des Républicains
Chrétiens.
Source : Archives de la Radio Maendeleo. Voir
liste actualisée au 03 mars
2006 des partis politiques autorisés à
fonctionner en RDC par le Ministère de l'Intérieur,
Décentralisation et Sécurité.
En suite, avons-nous constaté que tous les 24
discours déjà prononcés par l'actuel chef de l'Etat
intègre cette thématique. Plusieurs d'eux finissent toujours par
la formule empruntée à la religion « ...Que Dieu
bénisse la RDC » ou encore « ...Que Dieu vous bénisse
».
A l'extrême des moments dramatiques de la ville
de Bukavu par exemple, les archevêques Munzihirwa et Kataliko ont recouru
à la médiation théologique, une façon de
contextualiser les écritures de l'ancien testament en rapport à
l'exode des israélites comparé à l'occupation rwandaise de
1996 à 2002.
Même les ténors du RCD de 1998 à
2002, précisément le commandant Jean-Pierre Ondekane
insérait toujours dans ses harangues des versets bibliques pour
dissimuler le crime et légitimer le sang qui coulait à flot pour
la défense des intérêts
sectoriels des étrangers et des nationaux face
au gouvernement central, il en est de même pour le Général
Laurent Nkunda dans sa campagne de déstabilisation de l'est du pays au
motif de protéger les minorités tutsies. Cet homme faisait violer
les femmes et gaspiller des vies humaines au nom d'un combat identitaire dans
lequel les saintes écritures étaient contextualisées dans
un style lyrique et médiumnique.
Finalement, nous pouvons constater que Dieu a toujours
été invoqué dans les discours politiques sur les moments
de joie et de peine repérés dans la trajectoire historique du
politiquement possible en RDC ; en dépit de la non-rentabilité du
peuple congolais qualifié par Regis Debray de « crucifiés de
naissance »170 qui accouchent à cheval sur une tombe
selon Samuel Beckett171.
2) Au plan compétitif
L'Eglise a joué un grand rôle dans la
structuration de la compétition politique homogène,
hétérogène, individuelle, collective, directe et indirecte
en RDC.
a) Avant les élections de 2006
Nous avons déjà mentionné comment
l'Eglise a été à la pointe des mouvements pour
l'indépendance, de l'opposition au régime de Mobutu, à la
résistance à l'occupation d'une partie du territoire par les
étrangers voisins de l'Est (Rwanda, Burundi et Ouganda).
Ces périodes ci-haut
énumérées correspondent aux phases de compétition
hétérogène, c'est-à-dire qui mettent sur
scène des opérateurs qui font chacun recours à ses propres
règles de combat politique. Les uns recourent à la violence (coup
d'Etat, rebellions, ...), les autres privilégient le dialogue et le
recours à des mécanismes institutionnels). Dans toutes ces
périodes, nous avons assisté à la montée sur
scènes des prélats et de leurs entrelacs et chenaux de la
société civile :
- Le cardinal Malula était politiquement
engagé de 1955 à 1989,
- Le cardinal Etsou était aux côtés
de l'opposition depuis 1990,
- Mgr. Monsengwo a piloté la plus grande
entreprise de l'opposition à savoir
la CNS.
Les grands acteurs de la compétition politique
congolaise avant 2006 étaient des catholiques :
- Patrice Emery LUMUMBA - MOBUTU
170 Cité par Jean ZIEGLER, Les nouveaux
maîtres du monde et ceux qui leur résistent, Paris, Fayard,
2002, p. 346.
171 Idem, p. 349.
- TSHISEKEDI
- BIRINDWA Faustin
- NGUNZ A KARL I BOND - KIBASA MALIBA Frederic - KENGO
WA DONDO Léon - Etc.
b) La phase électorale
Pendant le processus électoral (2003-2006),
l'Eglise prend position pour les acteurs politiques ; mais l'on note une
contradiction entre l'Eglise de l'Est et de l'Ouest sacrifiant la soumission
hiérarchique (le cardinal Etsou à Kinshasa et à l'Est
(Province orientale), Mgr. Monsengwo adoptent une attitude favorable à
l'opposition).
A l'Est, plus particulièrement dans l'ancien
Kivu (Nord-Kivu, Sud-Kivu, Maniema) et Katanga, l'Eglise ferme ses
écoles et ses structures à toute tentative de campagne
électorale après avoir pourtant procédé à
une campagne électorale socioéducative au profit des candidats du
PPRD.
Pour illustrer cela, rappelons qu'à la
première venue à Bukavu du Chef de l'Etat depuis
l'avènement du gouvernement de Transition, le président de la
République Joseph Kabila Kabange à peine arrivé à
Bukavu, est allé s'incliner sur les tombes des archevêques
défunts, Munzihirwa, Kataliko et Mbogha où après,
l'évêque auxiliaire et administrateur diocésain de Bukavu,
le pasteur François Xavier MAROYI, en lui souhaitant la bienvenue, a
exprimé à la population ce qui suit :
« En faisant ce geste, je voulais vous exposer le destin
de celui qui incarne aujourd'hui l'espoir de la renaissance du pays ainsi que
l'avenir de la Nation »172.
Ces propos d'un chef religieux intervenus à la
veille des élections nous apparaît paradoxaux et nous
révèlent la prise de position de l'Eglise en faveur du
Président de la République en exercice et en même temps
candidat aux élections présidentielles. Nous y entrerons en
détail dans les pages qui vont suivre.
Propos paradoxaux dans la mesure où ils font
penser aux dispositions de la doctrine socio-politique de l'Eglise catholique
dans sa version congolaise qui stipulent ce qui suit :
« L'Eglise du Congo ne peut cependant
s'ingérer en aucune manière dans le gouvernement de la
cité terrestre (...). Le clergé ne doit donc exercer aucune
fonction publique et doit éviter à tout prix de donner
l'impression qu'il prend parti pour l'une ou l'autre faction politique
»173.
172 Mgr. MROYI cité par V. KAMERHE, Op.
cit., p. 3.
173 Actes de l'Assemblée plénière de
1967, p. 112.
Ce paradoxe se situe également au fait que
certains membres de l'Eglise catholique congolaise ont retrouvé leur
compte dans la médiation des acteurs en compétitions politiques
en se présentant comme animateurs des institutions concernées.
C'est le cas de l'abbé Apollinaire Malu-malu aujourd'hui
Président de la Commission Electorale Nationale Indépendante
jadis appelée Commission Electorale Indépendante (CEI), c'est
aussi le cas du prélat Monsengwo qui fut président de la
Conférence Nationale Souveraine en 1990-1991.
Retournons au sujet du discours de l'Evêque de
Bukavu qui a symboliquement procédé par la remise d'une branche
d'olivier au chef de l'Etat en terme de bénédiction en lui disant
:
« Puisse ce geste constituer à nos yeux, aux
yeux de tous les vivants et les morts engagés pour la noble cause de
protéger l'unité et l'intégrité de notre territoire
national, un pacte de haute fidélité à l'amour du Congo
qui entre, grâce à votre clairvoyance, dans sa phase
décisive pour figurer parmi les Etats de droit. Voilà pourquoi
nous remettons entre vos main ce frais rameau d'olivier que la colombe ramena
à Noé pour signifier la fin du déluge et le début
d'une alliance établie entre Dieu et toute chair qui est sur la terre
». Il continue : vos fils et filles de cette Province...vous souhaitent
l'intelligence de Joseph, la force de David, la sagesse de Salomon et l'amour
du Christ pour la reconstruction d'un Congo nouveau
»174.
Voilà un comportement qui n'a rien à
voir avec la laïcité de l'Etat évoqué à
l'article 1er de la constitution de la IIIème
République. Le président est sensé faire respecter les
lois du pays en servant lui-même d'exemples. Mais on le comprend bien et
nous l'avons dit, c'est un problème d'enjeux et d'intérêts.
Donc autant les politiques mobilisent des rituels qui naturellement
émanent du fait religieux pour s'affirmer à la seine du pouvoir,
autant les acteurs religieux s'engagent en politique et la laïcité
de l'Etat reste alors illusoire.
Puisque nous parlons de la laïcité de
l'Etat, mentionnons à ce sujet les propos clientélistes
émis par le secrétaire général du PPRD, Vital
Kamerhe : << j'ai toujours cru moi-même en la puissance de Dieu
dans toutes ses entreprises. Et j'ai découvert en Joseph Kabila un homme
profondément religieux. Respectueux de la liberté de religion, et
conscient de la laïcité de notre Etat », et il ajoute <<
Joseph n'hésite pas à envoyer ses collaborateurs à
assister aux cérémonies religieuses de toute les confessions
religieuses dans les circonstances officielles ». Dans chacun des ses
discours, le chef de l'Etat termine toujours par une parole messianique :
<< que Dieu bénisse la République Démocratique du
Congo ».
Selon Vital Kamerhe, toutes les réunions du
comité des stratégies autour du Chef de l'Etat
commençaient toujours par une prière prononcée par le
Pasteur Mulunda175.
174 Discours de l'évêque de Bukavu in Vital
KAMERHE, Pourquoi j'ai choisi Kabila, Kinshasa, RDC,
Février 2006, p.9-10.
Au demeurant, pendant la période transitoire en
République Démocratique du Congo précisément dans
son deuxième volet, nous avons observé une situation d'un
pluralisme politique en RDC qui a donné au peuple congolais une lueur
d'espoir : les partis naissent avec des idéologies et des programmes
respectifs. Ce qui a laissé croire à l'avènement d'une
éventuelle démocratie naissante.
Chose étonnante, l'apparence de l'Eglise
qu'elle soit de l'Est ou de l'Ouest ne revêtait aucun caractère
neutre vis-à-vis des partis politiques compétitifs à la
légitimité du pouvoir. La question que tout politiste curieux
pourrait se demander ici consiste à savoir : comment une Eglise qui,
pourtant longtemps engagée dans la quête de la démocratie
en RDC a vite trempé dans cette besogne tendant à remettre le
processus en question par des pratiques assoupissant et contrariant l'amorce du
développement politique ?
Au Sud-Kivu par exemple, nous avons remarqué
une étroite collaboration entre l'Eglise catholique et le PPRD dont le
Président de la République est le Chairman. Le cas de
l'occupation un bon jour, de la maison chrétienne appelé «
Nyumba ya ba Christu » de la paroisse de Bagira pour abriter la
réunion du PPRD nous révèle l'exemple le plus frappant
quant au manque de la neutralité de l'Eglise catholique. En plus, il est
des discours et déclarations des prêtres à l'occasion des
messes en faveur des membres de cette famille politique ou des ses candidats
potentiels. C'est le cas pendant la période de la campagne
électorale, lors d'une messe à Bagira à l'homélie,
le curé176 après avoir exposé tendanciellement
les raisons de voter en ces termes :
« Vous peuple de Dieu, voilà le moment
longtemps clamé par notre Eglise nous arrivé oil chacun de nous
trouvera son compte, son arrivée n'a pas été le fait du
hasard mais c'est le fruit d'un fructueux lobbying (...). C'est le moment oil
le peuple de Dieu va se choisir ses propres dirigeants pour se sortir de sa
fatigue de misère (...) Mais Dieu nous a envoyé Joseph qui est
venu sauver le peuple de Dieu, qui a recherché et rétabli la paix
longtemps prise en otage par ses ennemis, nous voulons nous confié
à lui parce que : il est nôtre, l'élu de Dieu, il n'a pas
cherché la paix par le sang, il est main propre. C'est mon choix tout
d'abord parce qu'il craint l'éternel, pour la garantie de l'espoir de
notre cher beau pays, pour le bien-être de tout le peuple congolais, pour
la paix sociale, pour un Congo uni, fort et prospère »
déclare devant ses adeptes :
« Voter utile, c'est voter celui que Dieu nous a
envoyé, le fils de Dieu » et il pose la question
: « Est-ce parmi nous ici, il est celui qui ne le
connaît pas ? » Et comme pour tenter de mesurer son
électorat, le curé demande que celui qui le connaît mette
son doit en l'air. Et la plupart l'ont fait. Le prêtre appelle une femme
et lui demande de dire son nom à haute voix, ainsi dit ainsi fait et le
nom qui sort c'est « Joseph KABILA le numéro sept
».
176 Le curé dont les propos sont recueillis lors
d'une messe dominicale à la paroisse de Bagira le 25 juin
2006.
Voilà les événements drastiques
qui constituent un obstacle à la démocratie et donc à la
participation sincère des gouvernés à la vie politique du
pays. Cela est encore plus paroxystique dans les milieux ruraux où la
présence de l'Etat n'est du tout ressentie par la population autochtone,
la culture politique de participation y est quasi inexistante,
l'allégeance y est faite mieux en faveur de l'Eglise, ce que l'on
appelle dans le jargon politologique « le repli
identitaire ». Ici les autorités et institutions
religieuses ont plus d'influence, plus de respect que les autorités et
les institutions publiques. Et par conséquent, il était
évident que les religieux indiquent les choix de leurs adeptes presque
dépourvus de la couverture ou de l'encadrement publique.
Par ailleurs, pendant et après les
élections voire même avant, les favoris ou les notables du camp
présidentiel (PPRD) procèdent à l'octroie des largesses de
marque aux prélats, prêtres et autres religieux aux occasions et
circonstances bien choisies. C'est le cas en 2005, d'une Jeep de marque
TERRANO octroyé par le Président de la
République au prélat de Bukavu, le prélat François
Xavier Maroyi. Ce don il le bénéficie dans le contexte de la
campagne électorale. C'est ensuite les cas des innombrables dons du
Secrétaire national du PPRD accordés à l'Eglise et/ou
à ses subdivisions. Selon une source anonyme, des maisons auraient
été payées aux curés des paroisses.
Il faut également voir des financements et
fonds de diverses catégories, tirés du trésor public. Ici
on cite notamment le fonds à concurrence de 1. 000. 000 de dollars (un
million de dollars) libéré par la présidence de la
République pour financer les travaux de construction des infrastructures
qui abriteront l'Université Catholique de Bukavu (UCB). Il sied de
signaler ici que ce financement intervient à la vielle des
élections et donc, dans le contexte de la campagne électorale. Le
drame ici est que ce financement du secteur privé, intervient pendant
que le secteur public demeure toujours en état de carence
d'infrastructures de dotation publique. C'est le cas de l'Université
Officielle de Bukavu qui jusqu'aujourd'hui patauge encore dans le loyer et le
logement problématiquement éprouvé. Et pourtant,
l'intérêt public devrait toujours être au centre des
préoccupations prioritaires des animateurs politiques.
Cependant, nous ne pouvons pas ne pas
reconnaître le fait que le secteur privé concours dans une
certaine mesure, à l'intérêt collectif alors que c'est
l'intérêt privé qui reste toujours au centre des
préoccupations de son propriétaire. Par exemple, les subventions
investies dans le domaine de la santé, de l'éducation concourent
à l'intérêt général.
De plus, la majorité des députés
élus en 2006 au niveau central comme au niveau provincial sont des
catholiques. Le tableau suivant en rend compte : où est le
tableau
C'est normal que les catholiques soient nombreux sur
la liste par rapport au poids démographiques de cette religion.
Cependant, il ne faut pas oublier qu'il n'y avait pas que les catholiques
à la candidature. Les élections ont donc traduit le clivage
socio-religieux présent dans la société et il n'est pas
exagéré de dire que l'Eglise catholique a structuré le
vote si nous nous référons à Lénine qui disait de
son vivant que dans la démocratie, le peuple vote mais c'est celui qui
compte les voix qui choisit. A ce propos, rappelons que la majorité des
écoles primaires et secondaires sont catholiques. Ceci suppose donc que
la majorité des centres et bureaux de vote aient été
placés dans les écoles catholiques. Par ailleurs, les chefs de
centres et de bureaux de vote étaient les chefs d'école et les
enseignants catholiques.
Il y avait donc d'avance une probabilité pour
l'Eglise de choisir parmi les candidats celui qui convenait le mieux aux
intérêts cléricaux. Comptez tenu des propos d'avance
favorable au camp présidentiel que l'Eglise diffusait sournoisement dans
les chenaux sociaux, il est possible de vaticiner qu'elle ait mis en
circulation des consignes précises à l'endroit des centres et
bureaux de vote contrôlés par les chefs d'écoles et les
enseignants catholiques en ce qui concerne la péréquation
stratégique des résultats électoraux au plan quantitatif
en faveur du choix du Président et des
députés.
Nous avons recueilli beaucoup de témoignages
couplés à nos propres observations qu'à travers les
écoles confessionnelles, des séances d'alphabétisation
politique en faveur du Président de la République (le père
à l'image de Dieu) et du député Kamerhe (le fils à
l'image de Jésus-Christ) avaient eu lieu dans une théologie
remarquable. Le prénom de Joseph avait été assimilé
à la personnalité légendaire du fils de Jacob vendu comme
esclave par ses frères mais élevé premier ministre en
Egypte par Pharaon. Dans ces séances, il s'agissait d'apprendre à
la masse des femmes illettrées, peu instruites et aveuglées par
l'autorité morale du prêtre, l'orthographe des noms « Kabila
>> et « Kamerhe >> ainsi que leurs numéros d'ordre sur
les listes électorales à savoir le 7 pour Kabila et le 91 pour
« son fils >>177.
Sommes toutes, il faut dire que l'Eglise catholique a
non seulement réussi à conquérir un espace
privilégié dans les affaires publiques mais aussi, on constatera
combien certains partis politiques ont réussi à s'attirer la
sympathie de l'Eglise et à captiver le public catholique. Il suffit de
citer le député provincial du Sud-Kivu Déogratias
Buhambahamba qui fréquentait la paroisse catholique de Kadutu avant
comme après sa campagne électorale aux législatives
provinciales de 2006 au compte du Camp de la Patrie. C'est le cas de
collaboration entre le PPRD qui, on dirait oeuvre en partenariat implicite avec
l'Eglise catholique. Ce climat de collaboration intéressée s'est
soldé par des signes de reconnaissance que nous venions d'étaler
en faveur aussi bien du parti que de l'Eglise.
177 Synthèse des entretiens avec les partis de
l'opposition au PPRD au sein ou en dehors de l'AMP, à savoir, le CVP, le
PCBG, le PALU, la DCF-COFEDEC, le MIRE, le CRID, le Camp de la Patrie, le MLC,
le RCD. Entretiens réalisés du 07 au 15 novembre
2008.
3) Au plan de la sécularisation
culturelle
Pour rappel, la culture politique est un ensemble de
valeurs, de perceptions des scripts, d'aptitudes, des comportements,
d'orientations et de représentations que les aînés
inculquent à leurs cadets sociaux en vue de susciter en eux des
sentiments d'allégeance identitaire à une même
communauté politique et de soumission à l'autorité
physique légitime178.
Cette culture politique conceptualisée dans la
tradition développementaliste américaine recèle trois
dimensions d'après Gabriel Almond et Bingham Powell179
:
- La dimension cognitive instituée de la trame
des connaissances que l'individu a sur les institutions politiques,
l'autorité, les problèmes généraux du
politique.
- La dimension affective déterminée par
les sympathies et les haines, les soutiens et les rejets, les passions et les
émotions qui lient l'individu aux autorités et à la
communauté.
- La dimension évolutive qui intègre
l'appréciation subjective que chaque individu se fait de la nature,
de la forme et de l'efficacité du système politique.
En vue de mieux appréhender l'aspect
politiquement culturel du facteur religieux dans la configuration politique,
notion chère à Norbert ELIAS180, il sied de mentionner
que la sécularisation culturelle suppose que l'individu développe
plus les dimensions cognitives que celles affectives et évolutives de la
culture politique, il devient plus critique et plus rationnelle, mesure
sincèrement la dilatation des politiques publiques d'avec les
conjonctures, les contraintes et les opportunités, se dégage du
carcan des discours autoglorificateurs et messianiques. C'est donc une culture
politique de participation sincère.
A propos de l'Eglise catholique, disons que c'est une
mécanique aux ambitions totalisantes de par son apostolisme et son
universalisme. Elle vise à contrôler les âmes, les esprits
et les comportements. En d'autres mots, il s'agit de ce que Harold
Lasswell181 appelle « père rédempteur » ou
le grand maître qui se penche à l'oreille du petit garçon
pour non pas l'informer mais lui allouer des faits. S'il n'y a pas
l'information mais allocation, Jean Lacouture182 dit à juste
raison qu' « un peuple qui ne se sent concerné qu'en tant que
témoin ou observateur ne peut jamais progresser ou se transformer
».
Les pratiques et les liturgies de l'Eglise font d'elle
un maître qui procède à l'enfantement du monde en
entretenant l'obscurantisme, le collectivisme spirituel et culturel, un mode de
vision et de pensée conforme à son hégémonie. Par
conséquent,
178 P. BRAUD, op. cit., p. 221.
179 Cités par R.-G. SCHWARTZENBERG, Sociologie
politique, 5e éd., Paris, Montchrestien, 1998, p.
361.
180 Idem. p. 352.
181 Ibidem, p. 353.
182 Cité par R.-G., SCHWARTZENBERG, op.
cit., p. 357.
le peuple n'a plus la conscience politique qui lui
permettrait d'avoir une vision rationnelle du politique mais plutôt il
développe une culture politique d'emprunt des croyances religieuses. Par
exemple, il n'est aisé ici de voir un paysan s'exprimer politiquement en
se passant de ce que lui reproche sa foi et cela faute d'une culture politique
de participation sincère, les gens raisonnent en fonction de leur foi.
La foi prime donc sur la raison dans la pratique.
Signalons à ces propos que depuis la
dégradation de toutes les capacités de l'Etat congolais, il a
été remarqué un développement de
l'interventionnisme religieux où la religion devient un supplétif
aux pertes fonctionnelles de l'Etat dans divers domaines tant social
qu'économique. De son côté, le peuple a été
entraîné dans une allégeance conjoncturelle à
l'autorité morale de l'Eglise disqualifiant l'autorité de l'Etat
et il ne serait pas exagéré de conjecturer une situation
cérémoniale dans la quelle le prêtre serait plus
écouté que le bourgmestre.
Il suffit de reconnaître ici que l'Eglise n'a
pas besoin de la force mais de l'influence pour entraîner les masses. En
même temps que moins les dirigeants répondent aux attentes de la
population, moins ils sont obéis et plus il y a inféodation
morale des hommes aux clergés.
Pour rappel, l'Eglise a contribué à la
systématisation de ce que Bertrand Badie et Guy Hermet183
appellent << réduits autoritaires » en vue de favoriser des
élections sans choix et une attitude politique conforme à ses
intérêts dans le cadre des expressions politiques
surveillées.
En effet, l'Eglise a conduit la main des
électeurs sur le bulletin de vote, favorisé une sorte de vote
collectif et communautaire, une véritable solidarité
électorale mécanique ; nous pourrions dire un << vote
catholique ». Les individus moralement contrôlés par l'Eglise
ont voté non pas selon eux-mêmes mais plutôt selon le
groupe, la communauté, la foi, etc. c'est donc ce que nous appelons
<< colonisation du choix ». Ceci nous rappelle le reproche de
SENGHOR aux français : « Dieu pardonne aux
français. Ils nous indiquent la ligne droite mais empruntent des chemins
obliques »184.
Pour appliquer ce reproche à l'Eglise
congolaise, nous constatons effectivement que celle-ci a toujours
été à la pointe des revendications civiques, à la
préparation morale des cadres de la gouvernance ainsi qu'à la
résistance face aux guerres. C'est justement cela la ligne droite
qu'indique l'Eglise.
183 B. BABIE et G. HERMET, Politique
comparée, Paris, Dalloz, 2001, p. 412.
184 KOSSI FUATE, L'or noir, Paris, PUF, 1987, p.
94.
A titre d'exemple, référons-nous aux 10
commandements de la non violence active inspirée par
l'Eglise.
1. Avant un respect absolu de la personne. Ne jamais
tuer ni blesser, en paroles ou en actes,
2. S'attaquer au mal et non à la personne qui le
fait,
3. Se garder de la haine, prier pour les ennemis et les
pardonner,
4. Agir avec fermeté permanente dans la
solidarité,
5. Ne jamais se taire ni courber la tête devant
l'injustice,
7. Refuser de s'habituer au mal,
8. Chercher, dire et servir la vérité dans
l'amour en toute circonstance,
9. Désobéir aux ordres de n'importe quelle
autorité visant à détruire et humilier le
peuple,
10. S'enraciner dans la prière pour
s'imprégner des attitudes de Jésus-Christ.
Ensuite, rappelons les appels pathétiques des Mgr
Munzihirwa et Kataliko à la résistance et à la bonne
gouvernance.
En effet, Mgr. Munzihirwa avait dit quelques heures avant
son assassinat par les forces de l'AFDL le 29 octobre 1996 :
« Je suis avec vous. Continuez à encourager
nos frères à ne pas perdre le sens de leur vie. C'est l'amour de
Dieu et de nos frères ; à ne pas se décourager, à
savoir que Dieu est toujours avec nous. Sans doute, nous entendons par ci par
là des coups de fusils. Sachons que ce ne sont pas des coups de fusils
de nos ennemis mais de nos militaires qui, je crois, sont en train de s'exercer
à tirer et à manifester parmi nous leur présence.
Restez chez vous. Il vaut mieux mourir chez soi que sur la
route qui est incertaine. Dans nos maisons, prenez soin de garder le calme et
de prendre des précautions au cas oil il tomberait des obus. Je demande
aux chefs militaires de tout faire pour reprendre leurs troupes qui sont venues
ici pour nous protéger et non de nous désorganiser. Et vous mes
frères, ne suivez pas ces chefs militaires qui ont commencé
à déménager et à fuir pour créer parmi nous
la panique. Nous, restons fermes chez nous et soutenons par nos prières
et par tous nos moyens les bons combattants qui sont au front. Ceux-là
mériteront les honneurs de la nation. On n'est soldat que pour cela.
Nous demandons aussi à nos militaires, surtout à ceux qui
commencent à avoir peur et à fuir, de se reprendre pour
défendre nos frontières dans la justice
»185 .
L'opinion croit par conséquent que la mort de
Munzihirwa serait liée à ses prises de position en
politique.
Son successeur Kataliko avait ajouté que
:
185 Archives sonores, Radio maendeleo.
« Des pouvoirs étrangers, avec la
collaboration de certains de nos frères congolais, organisent des
guerres avec les ressources de notre pays. Ces ressources qui devaient
être utilisées pour notre développement, pour
l'éducation de nos enfants, pour guérir nos malades, bref, pour
que nous puissions vivre d'une façon plus humaine, servent à nous
tuer. Plus encore, notre pays et nous-mêmes, sommes devenus objet
d'exploitation (...).
Aujourd'hui (...) nous sommes appelés à
recouvrir notre dignité d'hommes libres »
186
.
Cet éveil des consciences nous
révèle le développement de la résistance qui
s'était observée face à l'agression du Congo par les
Rwanda et l'Ouganda couverte localement par la rébellion du
RCD.
Dans la pratique, les gestionnaires en majorité
catholiques n'ont produit que le chaos et l'incertitude, de la mal-gouvernance.
Les prélats eux-mêmes se compromettent en acceptant des dons en
nature.
Par ailleurs, l'Eglise est exonérée des
impôts et taxes pourtant elle est dotée du charroi automobile le
plus important du Sud-Kivu (3000 véhicules) et investit sans vergogne
dans le secteur économique (PME, Magasins, Pharmacies, Agriculture,
élevage,...).
C'est justement cela qui relève des voies
obliques qu'elle emprunte tout en indiquant la ligne droite à ses
fidèles.
En somme, l'Eglise enseigne et cultive les sentiments
de soumission ou de résistance selon ses intérêts
:
Lorsque le RCD en 2000 an avait mis en circulation des
nouvelles plaques minéralogiques, l'Eglise s'était
insurgée non pas parce qu'elle partageait le drame du peuple mais
plutôt parce qu'elle disposait d'un important charroi automobile
coûteux de ce point de vue. Une plaque minéralogique coûtait
100$ us. Ce qui suppose que l'Eglise devrait payer 300.000 dollars pour ses
3000 véhicules.
Par contre, lorsque le chef de l'Etat finance la
construction de l'UCB et les prélats trouvent leurs comptes financiers
et économiques dans l'affaire électorale, ces derniers
soutiennent les candidats du camp présidentiel et alignent au MSR,
uniquement des candidats catholiques187 or, le MSR est un
conglomérat des ressortissants sociaux et culturels des plates-formes de
la société civile dominée par des catholiques et
obligés de créer un parti politique pour trouver
l'opportunité de s'aligner sur une liste et non individuellement selon
les termes de la loi électorale.
Ceci veut dire en somme que, toutes les fois que
l'Eglise trouve son compte c'est-à-dire d'intérêts
économiques et matériels par rapport au régime
en
186 KATALIKO, Consolez, consolez mon peuple, Message Noel
1999, à la population de Bukavu.
187 Entretien, op. cit.
place, elle mobilise des soutiens autour de lui,
même aveuglement. En revanche, s'il est de régime qui oeuvre en
l'encontre des intérêts de l'Eglise ou encore lorsque cette
dernière s'aperçoit que ses intérêts sont
menacés par la politique en place, elle mobilise des contestations
autour d'elle. N'est-ce une manière de l'Eglise d'assujettir la
politique à la religion ? Rien n'est moins sûr.
Section III. De l'Etat moralement encadré par la
religion à l'Etat subsidiaire III.1. L'encadrement moral de la dynamique
étatique
D'après Pierre Ronsavallon, le retour du
religieux peut être expliqué comme l'expression d'une
insatisfaction des individus par rapport à la mise en ordre
socio-politique acquis. En d'autres termes, les individus ornent leur
allégeance multiple à plusieurs constellations à
côté de l'Etat. Il s'agit par exemple de la communauté et
de la religion.
En tant que signe de malaise de l'Etat, cette
contestation religieuse entraîne l'énonciation religieuse de la
diplomatie. Le fait transcende par conséquent l'aspect identitaire pour
devenir un vecteur d'expression dans l'ordre des relations internationales
producteur d'un ordre mondial déterritorialisé et
émancipé des référents claniques associés
à l'Etat188.
a) l'Eglise et l'ordre interne en RDC
L'Eglise joue un rôle important dans l'effort de
mise en ordre des domaines vitaux de la vie de la
société.
En effet, l'Eglise se montre attachée à
la famille en tant que segment social. Elle défend l'importance de la
famille pour l'individu et la société, la valeur du mariage,
l'amour de la formation d'une communauté des personnes, le devoir des
parents d'éduquer les enfants ainsi que la dignité et les droits
humains en général.
Par ailleurs, l'Eglise prône le devoir de
cultiver et de conserver la terre, le devoir pour l'homme de travailler pour
transformer la société et accroître le capital
valant
En effet pour l'Eglise, le travail est un droit et une
nécessité. Par conséquent, l'Etat et la
société civile se doivent de promouvoir le droit au travail et de
lutter contre le travail des enfants. Les travailleurs ont droit à la
dignité et à des droits juridiquement reconnus et socialement
éprouvés. Ils ont droit à une juste
rémunération en plus de la grève. L'Eglise prône en
plus de solidarité des travailleurs par le canal des syndicats
pluralistes189.
188 << L'Etat en question » in Sciences
humaines, n° 22, Novembre 1992, p. 24-25.
189 Conseil pontifical << Justice et Paix »,
Compadium de la doctrine sociale de l'Eglise, Liberia, Editrice Vaticana,
Vatica, 2008, p. 115-137.
Les institutions économiques doivent être
au service de l'homme sur le marché libre. L'action de l'Etat est la
régulation de l'économie d'un cadre de l'Etat Keynésien
guidé par la nécessaire intervention comme l'usage des
dépenses publiques comme stimulant de la croissance et du plein emploi.
Par ailleurs, l'Eglise insiste pour l'implication effective de l'Etat dans les
opportunités de la mondialisation en dépit des risques pour
consolider le développement intégral et solidaire entre les
Nations du monde.
En ce qui concerne la configuration de la
communauté politique, l'Eglise approuve l'amitié civile pour
promouvoir et protéger les droits de l'homme. L'autorité passe
pour une forme morale chargée de la promotion de droit à
l'objection de conscience et le droit à la résistance. En plus,
l'Etat doit infliger des peines justes à qui le mérite. Dans
cette communauté politique, l'Etat doit promouvoir les valeurs
fondamentales et les institutions de la démocratie en plus des
éléments moraux de la présentation politique, des
instruments de participation politique et de l'information. Cette
communauté politique considérée est au service de la
société civile à travers l'application de principe de
subsidiarité :
<< De nombreuses expériences de
volontariat constituent un autre exemple de grande valeur, qui incite à
voir la société civile comme un lieu où la recomposition
d'une éthique publique centrée sur la solidarité, sur la
collaboration concrète et sur le dialogue fraternel est toujours
possible »190
b) L'Eglise et les politiques
extérieures
Ce point de notre réflexion nous fait penser
à la situation déplorable que la RDC et le Rwanda traversent au
plan de leur sécurité mutuelle depuis l'arrivée massive
des réfugiés rwandais sur le sol congolais de l'est en 1994
assortie de l'intervention militaire rwandaise contre les camps de
réfugiés et le régime Mobutu qui tolérait des
activités politico-militaires attentatoires à la
sécurité du nouveau gouvernement rwandais dans les camps de
réfugiés.
Cette intervention militaire qui a
entraîné la rébellion de l'AFDL et plus tard du RCD et du
CNDP a sensiblement détérioré le contexte
sécuritaire de la région des grands lacs et interpellé par
conséquent l'Eglise catholique. C'est pourquoi nous devons consacrer une
réflexion à cette dimension internationalement pertinente de la
dynamique cléricale en matière de
récomposition-décomposition étatique congolaise de 1994
à 2008.
Dans ce contexte, l'Eglise considère la
communauté internationale comme l'unité de la famille humaine
irriguée par la vocation universelle du christianisme. Les Etats doivent
fonder leur survie collective sur des valeurs liées à
190 Conseil pontifical << justice et paix »,
Op.cit., p.220.
l'harmonie entre ordre juridique et ordre moral mais sans
sous-estimer le poids international du Saint-Siège.
Les Etats se doivent de collaborer pour garantir le
droit au développement, lutter contre la pauvreté et
réduire la dette extérieure. En d'autres termes, l'Eglise
prône notamment deux conduites pour quelques Etats y compris la RDC et le
Rwanda qui depuis 1994 connaissent une situation compromettante au plan
sécuritaire et diplomatique :
· Le fédéralisme
coopératif
Inspiré par Jean-Louis Quermonne et Maurice
Croisat, le fédéralisme coopératif est un mode de
gouvernement qui repose non seulement sur l'autonomie des communauté
fédérées et leur participation aux institutions et
instances fédérales mais surtout sur la coopération entre
gouvernements pour atteindre des buts communs par des ententes, des programmes
et des financements conjoints191.
Fonctionnant à base du principe de
subsidiarité pour gérer les compétences exclusives d'une
part et partagées d'autres part, la coordination est volontaire des
politiques fédérales.
Ce modèle coopératif du
fédéralisme pousse l'Eglise à considérer la
communauté internationale comme un modèle fédéral
virtuel ou les Etats participent à la dynamique collective : << la
solution du problème du développement requiert la
coopération entre les différentes communautés politiques
(...) la doctrine sociale encourage des formes de coopération capables
de favoriser l'accès au marché international de la part des pays
marqués par la pauvreté et le sous-développement (...)
l'esprit de la coopération internationale requiert qu'au dessus de la
logique étroite du marché , il y ait la conscience d'un devoir de
solidarité de justice sociale et de charité universelle
»192.
· L'intergouvernementalisme
Initié par Stanley Hoffmann et
complété par Robert Keohane, l'intergouvernementalisme
s'intéresse aux mécanismes par lesquels les Etats sont conduits
à s'associer pour répondre plus efficacement à des besoins
communs. La coopération interétatique par le biais des
organisations internationales est envisagée comme un
procédé rationnel destiné à optimiser l'emploi des
moyens mis en commun par les Etats membres. C'est ce que Stanley Hoffmann
appelle << mise en commun de la souveraineté » pour
créer un << multiplicateur de la puissance » en vue de
répondre aux attentes des populations193.
191 J, - J., ROCHE, Théories des relations
internationales, Puis, 2006, P.99. 192Conseil pontifical
<< Justice et Paix, Op.cit, p.235-236
193 Cité par J,-J., ROCHE, Op.cit,
p.99-101
A ce sujet, l'Eglise insiste beaucoup sur
l'intergouvernementalisme dans la lutte contre la pauvreté dans le
monde, la problématique de l'endettement des pays pauvres et la paix
internationale.
En ce qui concerne la lutte commune contre la
pauvreté, l'Eglise estime qu'au début du nouveau
millénaire, la pauvreté de milliards d'hommes et de femmes est la
question qui, plus que toute autre, interpelle la conscience humaine et
chrétienne. La lutte contre la pauvreté trouve une forte
motivation dans l'option ou amour préférentiel de l'Eglise pour
les pauvres en fonction des principes de la destination universelle des biens,
la solidarité et la subsidiarité194.
Quant à l'endettement des pays pauvres dont la
RDC, l'Eglise reconnaît que dans les questions liées à
l'endettement de nombreux pays pauvres, il faut avoir présent à
l'esprit le droit au développement. A l'origine de cette crise se
trouvent des causes complexes et des différentes sortes, tant au niveau
international : fluctuation des changes, spéculations
financières, néocolonialisme économique. A
l'intérieur des différents pays endettés il y a
curieusement corruption, mégestion du trésor public, utilisation
non conforme des prêts reçus. Les plus grandes souffrances qui se
rattachent à des questions structurelles mais aussi à des
comportements personnels, frappent les populations des pays endettés et
pauvres qui n'ont aucune responsabilité. La communauté
internationale ne doit pas négliger une telle institution. Tout en
affirmant que la dette contractée doit être remboursée, il
faut trouver des voies pour ne pas compromettre le droit des peuples à
leur substance et à leur progrès.
Enfin en matière de promotion de la paix,
l'Eglise reconnaît la légitime défense comme droit des
Etats menacés mais insiste sur l'obligation de protéger les
innocents, de condamner le terrorisme et de répéter les
engagements en matière de désarmement. Le magistère
condamne la barbarie de la guerre et demande qu'elle soit
considérée avec une approche nouvelle. La guerre est un massacre
inutile, une aventure sans retour qui compromet le présent et sacrifie
l'avenir. La guerre c'est la faillite de tout humanisme authentique, c'est une
défaite de l'humanité.
« Les Etats ne disposent pas toujours des
instruments adéquats pour pourvoir efficacement à leur
défense ; d'où la nécessité et l'importance des
organisations internationales et régionales dans le cadre
intergouvernementaliste.
En ce qui concerne la connexion
épistémologique ce cet aspect internationalement pertinent de la
dynamique cléricale au substrat sociologique congolais,
commençons par souligner que l'Eglise catholique a été
à la pointe de la résistance populaire à l'agression
étrangère de 1996 à 2002. Elle a considéré,
à juste raison, qu'une guerre d'agression menée par le Rwanda, le
Burundi et l'Ouganda était intrinsèquement immorale. Dans le cas
tragique où elle éclate, les responsables d'un Etat
agressé ont le droit et le devoir d'organiser leur défense en
utilisant
194 Conseil pontifical, Op.cit, p. 237
notamment la force des armes. La charte des
Nations-unies élaborée à la suite de la tragédie de
la deuxième guerre mondiale dans le but de préserver les
générations futures du fléau de la guerre, se base sur
l'interdiction généralisée du recours à la force
pour résoudre les différends entre les Etats, à
l'exception de deux cas : la légitime défense et les mesures
prises par le conseil de sécurité dans le cadre de ses
responsabilités pour maintenir la paix. Quoi qu'il en soit, l'exercice
du droit à se défendre doit respecter les limites traditionnelles
de la nécessité et de la
proportionnalité195.
Aux yeux de l'Eglise, la résistance était
tout à fait légitime et rentrait dans le cadre du droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes et à
s'autodéterminer.
En légitimant la résistance armée
et non armée, l'Eglise a contribué à la restitution du
patrimoine historico-symbolique de l'Etat congolais menacé par des
avidités étrangères sans nom. Il est donc possible de dire
que dans certaines circonstances de péril national, l'Eglise sauve
l'Etat des risques de dissolution dans la souveraineté d'un autre Etat
en l'occurrence le Rwanda.
III. 2. La sécularisation culturelle à
l'épreuve de la foi catholique
Stein Rokkan a montré que l'Eglise catholique dans
son élan hégémonique, apostolique et universel a
retardé l'avènement de l'Etat-nation.196
Max Weber a ajouté à cette
prétention que l'ascétisme puritain favorisait l'accumulation du
capital pour dire que l'éthique protestante était favorable
à l'esprit du capitalisme et par conséquent du marché, du
libéralisme et de la puissance.
L'implication non avouée mais réelle de
l'Eglise dans les affaires de la cité a fini par disqualifier la
neutralité de cette dernière et à la présenter
comme une victime expiatoire et absolutoire de la politique.
Pour rendre compte de cette prétention du reste
fondée, il suffit d'examiner l'obscurantisme que développe
l'Eglise notamment en barrant la route à la sécularisation
culturelle et en prônant une communauté d'esprits, de
pensée et d'action guidée par la foi.
L'Eglise favorise la production fondée sur le
messianisme, l'autoprolifération et les référents
bibliques guidés par la foi. Elle développe ce que nous avons
appelé avec Achille Mbembe, « médiation théologique
» ou la tendance des clergés à contextualiser les saintes
écritures particulièrement en période de crise pour
assimiler cette dernière à la traversée du désert
de l'Egypte à Canaan par les israélites mais aussi en
période de point nodal où le peuple doit prendre une
option,
195 J.- Paul II, Le sage pour la journée
mondiale de la paix 2004, 6 : AAS 96 (2004) 117.
196 S. ROKKAN, cité par D., CHAGNOLLAUD,
Science politique. Eléments de sociologie politique,
3e édition,
Paris, Dalloz, 2000, p.43.
une possibilité objective formatrice de
l'histoire et à l'occasion de laquelle des messies sont crées
à l'image de Jésus ou de Noé venus délivrer les
peuples exposés au péril197.
L'Eglise encourage les passions et les émotions
pour occulter les éléments rationnels. Elle s'efforce de
totaliser les âmes et les esprits et de soumettre à son
contrôle l'ensemble de la dramaturgie politique.
En mêlant théologie et politique, elle tente
d'expliquer la phénoménologie du monde par l'abstraction
spirituelle.
Le fait de dire aux fidèles en majorité
non instruites et guidés par l'instinct du ventre que tel candidat, tel
leader, tel officiel est l'envoyé de Dieu et prédestiné
à gouverner le destin national est une véritable diatribe
à la démocratie et à la sécularisation culturelle
des individus.
De ceci découle que les individus sujets et non
citoyens ont voté comme le dénonce le paradigme de Columbia : par
déterminisme social. La possibilité n'étant pas offerte
d'opérer un choix rationnel suivant le modèle consumériste
ou stratégique.
Bref, la culture politique est encadrée par
l'Eglise qui lui insuffle des ingrédients subjectifs à même
d'empoisonner et de vouer à l'échec le développement
politique.
En empêchant au public de cultiver une opinion
libérée et guidée par la raison, l'Eglise prône au
contraire une raison guidée par la foi. Le retour de la main de Dieu
dans le jeu démocratique est une négation flagrante de la
souveraineté populaire et de la citoyenneté. C'est de
l'obscurantisme délibérément entretenu par
l'Eglise.
197 A. MBEMBE et alii, Op. cit., p.
67.
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