Section IIIème : Les controverses sur les
rapports religion et politique
L'analyse des relations des pouvoirs Ecclésial
et Temporel dans le temps et dans l'espace, nous révèle à
suffisance qu'elles étaient dominées par des hostilités
dues aux point de vue divergeant de certains auteurs qui s'y
intéressent.
Si, grâce aux certains analystes, ces
hostilités sont à la base des la séparation des deux
domaines c'est-à-dire du politique et du religieux, grâce aux
anthropologues, elles n'ont pas du tout disparues car ces faits devenus
universels, le politique ne s'est jamais vidé de son contenu religieux
et par ailleurs le religieux ne s'est jamais dépouillée du
politique et, les passions sont vraiment avérées.
En cherchant d'expliquer le pourquoi de ces
interférences ou à servir des modèles des rapports des
deux domaines et surtout en tentant de dénoncer l'impact de
l'imbrication des deux domaines, diverses théories ont été
forgées respectivement par certains théologiens, et les
rationalistes.
1. Les thèses théologiques
Sur le plan théorique, Alfred de
Soras58 nous propose les théories explicatives des rapports
entre les pouvoirs temporel et ecclésiastique.
1.1. Quelques théories sur les rapports entre
l'Eglise et l'Etat A. Le pouvoir direct
L'idée essentielle de cette théorie
théologique du pouvoir direct a été la suivante : «
le Christ réussissait en sa personne tout pouvoir au ciel et sur la
terre or le pape est le vicaire du christ, c'est-à-dire son tenant lieu.
Il est donc le chef suprême à la fois dans l'ordre spirituel et
dans l'ordre temporel. Mais ceux qui président immédiatement
à l'ordre temporel, les princes (gouvernants) ne sont en droit que ses
délégués, ses lieutenants responsables devant lui. Au pape
donc revient d'instituer les princes, de les juger et au besoin en cas de
faute, de les destituer et de les déposer
»59.
58 Alfred de SORAS, Op.
cit, p. 30.
59 Idem.
Les grands tenants de cette théorie dans
l'Europe médiévale a été le théologien
Gilles de Rome, (fin du XIIe siècle), auteur d'un
traité intitulé : De ecclesiastica
protesta. C'est à ce traité de théologie
semble-t-il que Boniface VIII a emprunté certaines expressions de sa
bulle Un am sanctam (1302) laquelle définit
par ailleurs la préséance incontestable du spirituel sur le
temporel.
Les partisans de cette théorie auraient voulu
rattacher tous les royaumes chrétiens d'Europe au Saint siège par
une sorte de lien féodal analogue à celui qui rattachait les
princes féodaux au Prince, le suzerain à l'empereur.
Toute fois, cette théorie n'est plus imposable
aujourd'hui, même en Europe. Dans l'Eglise catholique, elle
apparaît aussi périmée que le droit féodal
médiéval qui peut-être en a suggéré
l'imagination.
La raison en est claire : cette théorie
méconnaît la franchise institutionnelle du pouvoir civil et sa
souveraineté. Du même coup, elle limite et nie même
pratiquement la distinction des deux pouvoirs. Elle tend à assujettir la
conduite de l'homme d'Etat aux ordres politiques du clerc (homme
d'Eglise).
D'autres théories ont été
forgées par les théologiens islamistes au XXe
siècle comme Hassan al-Banna (1906-1948), Sayyid Qutb (1906-1966),
AlMawdudi (1903-1979). Cette mouvance importante est le plus souvent
évoquée sous le terme : islamisme.
Banna fonde au Caire l'association des frères
musulmans et théorise son activité sur la base d'une conviction
fondamentale : « l'islam est un système global de vie, qui ne
laisse donc rien en dehors de son influence. Les frères musulmans sont
donc une organisation politique, l'association des frères musulmans est
indissolublement politique et religieuse, elle est par conséquent bien
plus qu'un parti politique : Orants la nuit, chevaliers le jour ! L'islam est
religion et Etat, coran et glaive, culte et commandement, parti et
citoyenneté »60.
Le moyen Age est pour la culture contemporaine, du
rapport entre religion et politique, un temps à la fois
d'établissement et intermédiaire.
Temps d'établissement, il l'est pour le
christianisme avec les deux grandes références de la
pensée théologique que sont Augustin et Thomas d'Aquin.
Aujourd'hui encore ils représentent deux conceptions différentes
du rapport entre christianisme et politique. Il l'est également pour
l'islam puisque ses principaux penseurs, en philosophie ou en politique, sont
médiévaux.
Temps intermédiaire, il l'est du fait depuis qu'on
parle des Temps modernes pour désigner l'humanisme qui, à partir
du XVIe siècle, veut rompre
60 J. ROLLET, Religion et
Politique. Le christianisme, l'islam, la démocratie, Paris, Grasset,
2001, p. 193.
avec l'organisation politique et philosophique de la
chrétienté. Il faut noter dès à présent que
cette histoire vaut pour l'histoire du christianisme en
Occident61.
a) Saint Augustin et l'augustinisme
politique
A la question de savoir le rapport entre l'histoire
humaine, en l'occurrence celle de l'empire romain et l'histoire du royaume de
Dieu qui doit primer ? La nécessité de la réponse va
apparaître d'autant plus fortement que le 24 août 410, Rome est
mise à sac par les troupes d'Alaric, roi wisigoth. Des intellectuels
déclarent alors que le christianisme est responsable de la chute de
l'Empire parce qu'on ne peut gouverner selon des principes qui affaiblissent
l'autorité politique.
En guise de réponse, Saint Augustin
répondra longuement dans la Cité de Dieu, tout au long des 22
livres qui composent cet ouvrage. L'idée de base en est que << le
pouvoir temporel est au service du pouvoir spirituel. Le pape est dans ce cas
le chef suprême de la chrétienté médiévale
». Augustin inspirera donc le courant qu'on va appeler <<
augustinisme politique » et appartient désormais à
l'histoire des doctrines politiques
médiévales62.
L'expression Cité de Dieu a, chez Augustin, un
sens purement eschatologique : elle désigne la cité
céleste et non l'Eglise présente en ce monde. <<
L'antithèse en est donc la cité terrestre. Tout homme est membre
d'une cité ou d'une autre, mais seule la cité céleste sera
éternelle. » Tels sont les propos de l'auteur.
La faiblesse de l'augustinisme réside dans son
mépris à l'égard de l'ordre temporel. La conception des
rapports Eglise-Etat chez augustin et dans l'augustinisme politique permet
d'étayer cette affirmation.
b) Jean Chrysostome et sa problématique de
répartition des tâches
Comme Augustin, Jean Chrysostome développe une
problématique qu'il nomme de répartition des tâches. Pour
lui, à l'Etat les intérêts matériels et la sanction
physique, à l'Eglise les intérêts spirituels et les
sanctions de même ordre, mais dans le cadre d'une juridiction
s'étendant à l'univers. Les deux instances représentent un
ordre mais celui de l'Eglise est supérieur. L'auteur continue en disant
que l'Etat à intérêt à l'action de l'Eglise ; elle
est la grande institutrice qui enseigne les devoirs sociaux en même temps
que les devoirs individuels. L'Eglise à l'action de l'Etat : l'auteur
finit par se rallier à l'idée que le bras séculier doit
agir contre l'hérésie, les lois impériales venant alors au
secours de la vraie foi63.
61 Idem, p. 63.
62 Ibidem, p.
64-65.
63 J. ROLLET, Op. cit,
p. 67-68.
On comprend dès lors que l'auteur aborde la
conception matérialiste des rapports Eglise-Etat en ce sens qu'il fait
la part des choses des intérêts de chacun des ces glaives sur les
individus dans une même société ainsi que leur rapport
d'intérêts.
c) La formule d'auctoritas et de potestas du pape
Gélase Ier
Le pape Gélase Ier voulant
établir la répartition des rôles entre l'empereur et le
pape, énonce en matière temporelle, la soumission de l'Eglise au
prince ; en matière spirituelle, soumission du prince à
l'évêque. D'où, il distingue les notions d'auctoritas
appliquée aux papes et de protestas appliquée au roi ou à
l'empereur ; à l'Eglise le glaive spirituel, à la cité
humaine le glaive temporel, selon l'expression employée par saint
Bernard, six ans plus tard dans son traité De
consideratione. Une théorie qui va permettre à
l'Eglise d'avoir la primauté sans exercer directement le pouvoir
temporel. La théorie des deux glaives symbolise les deux pouvoirs mais
encore tous deux appartiennent à l'Eglise, mais le glaive
matériel ne doit pas être directement exercé par elle. Le
glaive spirituel et le glaive matériel appartiennent donc l'un et
l'autre à l'Eglise : mais celui-ci doit être tiré pour
l'Eglise et celui-la par l'Eglise64.
Grégoire le Grand (pape de 590 à 604) a
établit que les rois doivent être chrétiens et ramener
à l'unité les schismatiques, le devoir religieux des sujets
étant d'obéir passivement au prince65.
La politique devient alors un département de
la morale, un instrument servant à la réalisation des fins
surnaturelles. La communauté chrétienne devient sous la tutelle
du prince mais seulement parce que la magistrature religieuse est promise par
ces théologiens et considérer comme celle qui fonde la puissance
impériale et qui fait que l'Etat tend à s'absorber dans ses
fonctions sacrées.
Pour sa part, Grégoire VII considère que
le pape a le droit de lier et de délier toutes choses sur la terre et
que les rois n'y échappent pas. Il rédige donc en 1075 les livres
qu'il nomme les Dictatus Papae dans lesquels il
écrit entre autres, qu'il lui est permis de déposer les
empereurs.
d) Saint Thomas d'Aquin et la naissance de
l'Anthropocentrisme chrétien
Bertrand BADIE fait observer que nul doute que notre
modernité politique a été en grande partie conçue
à la rencontre de la théologie chrétienne et de la
philosophie du stagyrite, et qu'à ce titre elle doit beaucoup à
saint Thomas d'Aquin dans son oeuvre somme théologique,
oeuvre de synthèse monumentale dont l'Eglise fit
très vite sa doctrine, mais qui inspirera manifestement les princes et
les légistes, confronté tout au long du XIIIe
siècle à l'enjeu de la construction
étatique66.
64 J. ROLLET, Op.cit.,
p. 68.
65 Idem, p. 70.
66 Bertrand BADIE, Op.
cit, p. 19.
Saint Thomas reprend le postulat aristotélicien
de l'homme naturellement porté au jeu social, en l'insérant dans
la construction dualiste chrétienne : l'homme est ainsi en même
temps un membre de la cité temporelle, de
l'humanitas, et membre de la cité spirituelle,
de la christianitas. La première appartient
à l'ordre du délégué, des causes secondes, et
renvoie ainsi à une construction naturelle accessible à
l'entendement humain grâce à la raison. Celles-ci permet de
découvrir les règles de la juste cité, et donc
d'élaborer un droit naturel qui s'impose au prince, mais dont le respect
permet à celui-ci d'obliger les sujets et d'obtenir l'obéissance
civile. La christianitas renvoie, au contraire,
à la cité mystique et sur-naturelle ; elle repose sur la
révélation et on y accède par la foi et non plus par la
raison67.
L'oeuvre est considérable : elle marque
l'insertion de la raison et du droit naturel dans l'histoire des idées
politiques. Sur le plan strictement politique, elle dessine le cadre d'une
cité qui dispose de sa propre légitimité, de nature
proprement séculière : le théologien admet qu'il est
légitime d'obéir à un prince, même païen,
dès lors qu'il est juste et qu'il agit conformément à la
raison. Ces conclusions qui font en même temps la préhistoire de
l'Etat de droit et de l'Etat laïque se retrouvent chez d'autres auteurs
qui marquent la fin du Moyen Age, notamment Jean de Paris.
Nous sentons par là, la différence entre
Augustin et Thomas dans leur traitement du politique dans la mesure où
ce dernier redonne au politique sa conscience et lui reconnaît un
rôle essentiel dans l'édification de la
société.
D'autres auteurs en l'occurrence, Marsile de Padoue,
Guillaume D'Ockham, Pierre d'Ally et Martin Luther King apparaissent comme des
propagateurs de l'autonomie du politique, mais ils le sont encore sur la base
de toute-puissance de Dieu, source de tout pouvoir. Marsile de Padoue, comme
Guillaume d'Ockham, refuse d'assimiler la société politique
à l'Eglise, mais sa position va aboutir à soumettre cette
dernière à l'Etat68.
B. La théorie du pouvoir indirect
Cette théorie a été forgée
par Bellarmin cardinal jésuite. L'auteur voulait écarter la
théorie de pouvoir direct. Il voulait réduire les
prétentions abusives auxquelles avaient donné lieu, la
théorie du pouvoir direct chez l'homme d'Eglise de son temps. Bellarmin
ne prétendait pas du reste, inventer une théorie nouvelle, il se
réclamait une tradition de théologiens et des canonistes qui
s'étaient apposés à Gilles de Rome avec sa
théorie.
Quoi qu'il en soit, il est le premier à avoir
systématisé la théorie du pouvoir indirect. Cette
théorie commence par reconnaître la distinction radicale entre le
pouvoir ecclésial et le pouvoir temporel.
67 Bertrand BADIE, Op.
cit., p. 20.
68 J. ROLLET, op. cit,
p. 70.
Les détenteurs du pouvoir temporel ne tiennent
à aucun titre leur autorité civile d'une délégation
du pape. En cela, il s'oppose a GILLES de Rome : « le pape affirmait-il ne
jouit d'aucun haut domaine, d'aucune super-souveraineté politique sur
les princes mais en certains cas exceptionnels, le pape peut
légitimement intervenir dans le domaine du pouvoir temporel
c'est-à-dire politique si les intérêts de la religion
catholique dont il a la garde, le commandent »69.
Ce pouvoir et ce droit d'intervention papale dans le
domaine temporel et politique entrent en jeu en particulier, soutenait
BELLARMIN, lors que la conduite des princes est manifestement contraire
à la morale politique. En raison du pêché commis par les
princes en des tels cas (ratione paccati), le pape est sommé à
déposer, à destituer les princes coupables.
Selon l'auteur, si un chef d'Etat persécute les
catholiques ou tombe dans l'erreur, le pape devra le destituer et le
déposer, il sera même en droit de désigner son successeur.
De même encore, il devra, en certains cas, abroger une loi civile
injuste. De même, il devra appeler à son tribunal un cas de guerre
injuste et porter une condamnation suivie de sanctions
temporelles70.
Prenant l'exemple historique d'Alexandre VI qui par la
bull intervaetera (1493) avait partagé le
monde entre deux pouvoirs politiques, celui du roi d'Espagne et celui du roi du
Portugal suivant une ligne de démarcation définie par lui,
l'auteur approuvait cette intervention papale pour fixer une frontière
politique entre les deux Etats rivaux. Et il justifiait cette mesure politique
par le fait que papauté se devait d'assurer des conditions opportunes
à l'évangélisation des terres nouvellement
découvertes par les conquêtes espagnoles et
portugaises.
L'auteur déclare légitimes les
interventions du genre, car selon lui, elles ne constituent que l'exercice d'un
pouvoir simplement indirect sur le politique. En effet, elles se font
uniquement en raison d'une fausse morale ou en vue d'une fin spirituelle et non
pas d'un pouvoir juridictionnel et civil direct du pape sur les
princes.
En somme, ces interventions dites exceptionnelles sont
justifiables en raison de la solidarité ontologique qui lie l'action
temporelle des chefs d'Etats et l'action spirituelle de l'Eglise et du
peuple71.
Il y a lieu de souligner que cette théorie qui
avait été soutenue par d'aucuns de théologiens semble
aujourd'hui abandonnée par des théologiens contemporains mais
inspire encore à présent des relations Eglise-Etat dans leur
manière d'agir. C'est notamment le cas la RDC sous l'ancien
régime c'est-à-dire sous la deuxième république
dans ces premières années, caractérisé par des
hostilités entre l'Eglise
69 A. de SORAS, op.
cit, p. 13.
70 Idem, p. 35.
71 Ibidem.
catholique et le régime en place, ce dernier
émergeant dans l'autoritarisme sous toutes ses formes en tentant
également de remettre en cause l'influence de l'Eglise sur le politique
et ses intérêts, a connu des oppositions radicales de
celle-là qui cherchait à le renverser. L'intervention de
l'église fut certaine dans l'engagement au changement du
régime.
C. La théorie du pouvoir directif
Pour Soras, cette théorie admettait sans doute
l'idée capitale incluse dans le principe de la solidarité
fondamentale du pouvoir ecclésial et du pouvoir politique. Elle
reconnaît que l'Eglise ne peut se désintéresser des
jugements de valeurs qui animent et orientent les décisions
concrètes que prennent les gouvernants dans les situations d'existence
où l'histoire les engage. Elle professait alors que l'Eglise catholique
possède en matière politique un pouvoir purement spirituel qui
n'a aucun caractère de juridiction proprement dite sur les âmes,
fût-ce des âmes de baptisés. Cela étant, l'Eglise
catholique a la charge d'éclairer uniquement par des conseils
historico-prudentiels la conscience des gouvernants et surtout les gouvernants
catholiques72.
Cette théorie souligne que le pouvoir
ecclésiastique ne peut se désintéresser de l'action du
pouvoir politique et d'autre part elle affirme de façon claire que le
pouvoir ecclésiastique ayant à respecter la franchise
institutionnelle du pouvoir civil, ne pourra en conséquence intervenir
dans les affaires temporelles que par la médiation des consciences des
gouvernants et des gouvernés qu'elle aura éclairé,
guidé et au besoin, redressé par des interventions spirituelles.
C'est ce qu'a souligné M. GLEZ en ces termes : << le souverain
pontife peut-il normalement et de droit divin aller jusqu'à
déposer un prince ou transférer une couronne ? Il ne semble
pas..., car son droit, en ce qui concerne le temporel, ne peut se
réclamer d'un haut domaine qui s'exercerait du dehors sur les choses
mais d'une primauté du spirituel qui n'agit souverainement sur la
cité qu'en opérant par le dedans sur les consciences des ses fils
auxquels elle signifie le non licet »73.
Cette théorie soutient que la direction
spirituelle du pouvoir ecclésiastique à l'égard des
consciences des hommes d'Etat n'adoptera jamais que la forme de conseils. C'est
ainsi par exemple que GOSSELIN écrivait : << l'Eglise et le pape
peuvent seulement diriger la conduite des princes et des peuples par des sages
avis »74. Or, les évêques se reconnaissent le
pouvoir de déclarer et de codifier canoniquement les devoirs
impératifs pour la conscience morale tant des gouvernants que des
gouvernés.
72 A. de SORAS, op.
cit, p. 28.
73 M. GLEZ, cité par
Alfred de SORAS, op. cit, p. 39.
74 GOSSELIN cité par
Alfred de SORAS, op. cit, p. 47.
De plus, elle peut, en cas de faute soit de ces
princes, soit de ces sujets appuyer cette promulgation de la loi morale par des
sanctions spirituelles appropriées (excommunication,...) que la
juridiction canonique a instituée.
La manière dont s'exprimaient souvent les
auteurs de cette théorie semblait insinuer qu'épisodiques et
qu'elles étaient surtout d'ordre négatif.
Ces directives se bornaient à déclarer,
en tel ou tel, cas que le peuple ne doit pas obéir à tel ou tel
décret que le prince ne doit pas promulguer telle ou telle loi..., or
l'action spirituelle de l'Eglise catholique ne se réduit pas à un
rôle épisodique de freinage.
En fait, les lumières du christianisme doivent
tendre à inspirer positivement et de façon continue toute la vie
politique75.
Cette analyse des théories du catholicisme
Européen sur le rapport de l'Eglise et de l'Etat ne serait sans doute
pas suffisante, si nous ne disions ici quelques mots sur les systèmes
concrets qui ont mis en oeuvre au XIXe siècle pour
matérialiser l'emprise du pouvoir ecclésial sur le pouvoir
temporel à l'époque.
D. Le système des partis catholiques
La papauté encourageait les catholiques
à fonder et à animer parmi les partis existant, un parti
catholique sur le quel de manière moins directe, elle aurait la haute
main. Ce fut le cas du parti catholique Belge (parti conservateur catholique en
1897) opposé au parti socialiste.
En Italie, on parlait de Mouvement d'action
catholique. Mais en France au XIXe siècle, la papauté s'est
montrée de moins en moins favorable à une telle solution quand un
député français sous le nom de Jacques PIOU voulut sous la
IIIe République imiter ce qui s'était passé quelques
années plus tôt en Belgique et en Italie. La raison de ce refus
est parfaitement claire, un parti politique suppose solidairement et
indissolublement un ensemble de jugements et de valeurs fondamentaux qui lui
fournissent son assise idéologique et qui lui servent d'idées
directrices sur les situations historiques et locales auxquelles le parti
entend faire face, un choix concret de méthodes et de moyens pour
incarner son idéologie dans les situations historiques et locales
données76.
Cela étant, rien ne prouve que les jugements de
valeurs composant l'idéologie d'un parti même quand ce parti
arbore dans son drapeau l'étiquette de « parti catholique »
coïncident en tout et pour tout avec les jugements de valeurs authentiques
dont le pouvoir ecclésial et le dépôt et la
garde.
75 A. de SORAS, op.
cit, p. 52.
76 Idem, p. 61.
E. Les systèmes concordataires
Pour établir, entre la puissance
ecclésiale et la puissance civile, des rapports convenables pour l'une
ou l'autre, il est nécessaire et, en un certain sens, suffisant que soit
passé entre les deux puissances, un traité bilatéral, une
sorte de contrat, un concordat. Les clauses de ce contrat ont pour but de
définir les relations entre les deux pouvoirs, leurs obligations
respectives et leurs droits réciproques en matière de <<
gestion mixtes »77.
Le problème qui se pose est celui de
définir ou encore de déterminer les << questions mixtes
» car en général, si l'on considère les clauses des
concordats passés, il semble que ces << questions mixtes »
soient en nombre bien défini et limité. Mais l'Eglise fait moral
et spirituel et, toute la vie politique en droit et en fait est une vie mixte
dont le corps ecclésial organisé ne saurait se
désintéresser.
Et c'est sur cette base que s'est fondé l'action
catholique du laïcat : mettre toute l'évangile dans toute la vie
temporelle, dans toute la vie politique78.
On voit donc que le concordat, en partant,
implicitement au moins, de l'idée que les << questions mixtes
» sont en en nombre restreint partent du même coup d'une idée
qui n'est pas exacte en rigueur. Le domaine de la solidarité du corps
ecclésial organisé et du corps politique organisé est
beaucoup plus étendu que les systèmes concordataires ne le
pensent expressément. La notation précédente est si
évidente qu'en fait tous les systèmes concordataires ont
prévu l'établissement de rapports diplomatiques entre le saint
siège et les gouvernements. Ils ont prévu la présence d'un
représentant du Saint siège accrédité au
près du gouvernement et la présence d'un représentant du
gouvernement accrédité auprès du Saint
siège.
Les nonces et les internonces dont les fonctions sont
précisées par le droit canon et les diplomates
accrédités auprès du Saint siège dont les fonctions
sont précisées par des textes juridiques particuliers à
chaque Etat ont entre autres, pour raison d'être l'existence de <<
question mixtes »79.
Signalons aussi que l'interférence vitale entre
l'action religieuse du corps ecclésial organisé et l'action
politique du corps politique organisé est quelque chose de si complexe
et de si mouvant à tous échelons des structures et des services
soit ecclésiaux soit étatiques, que ce serait une gageuse de
prétendre régler cette interférence vitale, complexe,
mouvante par les seules voies diplomatiques établies à la
tête seulement entre les deux pouvoirs suprêmes de l'Eglise et de
l'Etat.
77 Ibidem.
78 A. de SORAS, Op.
cit., p. 78.
79 Ibidem.
2. La thèse rationaliste
Selon les auteurs de cette thèse, la religion
catholique, comme les autres religions, est dans son fond, une mystification
irrationnelle.
Ils professent en tout cas que fondée ou non
toute foi religieuse quelle qu'elle soit, n'est qu'une affaire toute
intérieure, privée, individuelle. Tout au plus, on peut
tolérer qu'elle se manifeste dans le for clos des Eglises et des
sacristies. Mais c'est un abus de sa part de prétendre s'exprimer sur le
terrain de la vie politique et sociale dans la
cité80.
En effet, pensent-ils, le pouvoir ecclésial n'a
aucun droit d'exiger du pouvoir politique une reconnaissance qui entraîne
de soi la légitimité d'une action catholique
extérieure.
Tout débordement du religieux hors du culte
privé, hors des Eglises, hors des sacristies est un abus. La
laïcité bien comprise du pouvoir politique lui interdit de
méconnaître le bien fondé de ces retentissements du
religieux sur-le-champ du politique.
La neutralité des pouvoirs politiques modernes
exige d'eux autre chose que la tolérance indistincte de confusions
plurielles et la liberté des consciences religieuses. Elle exige
l'interdiction de toute tentative destinée à permettre l'invasion
et l'insertion du message religieux, dont les croyants se réclament,
dans la vie publique dont relèvent les citoyens notamment, la
prétention des catholiques de faire passer tout l'évangile auquel
ils croient dans toute la vie publique qu'ils partagent avec les autres
citoyens dans l'Etat est une prétention qu'un Etat moderne ne saurait
admettre81.
Si en RDC, il s'avère que le pouvoir
ecclésial suscite ou ambitionne une telle prétention, le pouvoir
politique doit fermement s'y investir et s'opposer au pouvoir ecclésial
qui, sur son terrain juridico-politique commet des abus de droit. Cette
thèse rationaliste semble être l'opposée radicale des
thèses précitées qui plus ou moins voudraient
confessionnaliser l'Espace politique et le subordonner à la tutelle de
l'Eglise. Cette théorie rationaliste est donc le vecteur de la
rationalisation de l'Etat et parlant, correspond à la
laïcité ainsi qu'au processus simultané de la
laïcisation de l'Espace public et des moeurs, gage et moteur de la
démocratie moderne.
L'autre aspect du rationalisme politique nous est
proposé par les rationalistes de lumières qui, analysant la
capacité naturelle de l'homme, le considèrent comme disposant de
la faculté de juger qui lui permet de saisir la totalité de
l'existence humaine et de comprendre la nature. Selon eux, c'est
l'expérience de
80 A. de SORAS, Op.
cit., p. 78.
81 Idem, p. 80.
la raison qui lui donne accès à la
connaissance vraie pourvu que qu'on lui remette sa liberté de conscience
déjà bousculée par le dogme et la foi
chrétienne.
A. Voltaire82 de dire que <<la parole
délivrée par les hommes d'Eglise en dehors de leur domaine
spirituel, est responsable de l'obscurantisme qui, depuis le moyen- âge,
maintient les esprits en servitude et l'Eglise elle-même tient ses
fidèles dans l'ignorance en les empêchant de penser par
eux-mêmes. En érigeant une mythologie sur la rédemption
céleste, elle n'a d'autres visées que de contrôler leur
existence terrestre (politique) ».
Ce point de vue philosophique nous
révèle essentiellement le cas de la RDC, où les individus
éprouvent des difficultés de raisonner ou d'agir en fonction de
la raison dont ils sont naturellement dotés car, étant
déjà imprégnés des valeurs spirituelles. Cela a
été notamment observé pendant la période
électorale de juillet 2006.
En effet, les individus s'exprimaient pour un candidat
selon le choix leur indiqué par leurs pasteurs. Ce comportement
était fréquent surtout, dans les milieux
périphériques des grandes villes ou encore dans des milieux
ruraux. Ceci prouve à suffisance combien les individus
développent une culture politique paroissiale par le fait qu'ils
préfèrent faire allégeance à leur appartenance
religieuse. Ainsi devenu un marché du religieux et de la foi, la RDC
risque de s'engloutir avec le retour en force de l'irrationnel dans cette
société en crise profonde d'identité
nationale.
La pensée des lumières peut se
définir par la laïcisation des valeurs et par la promotion de
l'individu. Qu'on insiste sur son rationalisme ou sur son pragmatisme, elle met
en avant les pouvoirs de l'être humain, rendu autonome par la force de sa
raison ou par la richesse de son expérience. Le fondement de la vie
morale demeurait longtemps religieux : toute existence ici était tendue
vers un salut dans l'au-delà, toute réalité terrestre
était dévalué au profit de la vérité
éternelle. De même, la finalité de la vie collective
résidait dans l'intérêt supérieur et dans la gloire
du prince : le sujet ne prenait sens que par rapport à son roi
(monarchie) ce dernier qui était lui-même chef de
l'Eglise.
Par ailleurs, les marxistes eux aussi dénoncent
le caractère assoupissant de la religion en considérant cette
dernière comme étant << l'opium du
peuple » c'est-àdire qu'ils entendent par là
qu'elle permet souvent d'endormir le peuple dans son ignorance afin de mieux
permettre son exploitation ; qu'elle justifie et berce la douleur des
opprimés, les rend résignés et humbles par des promesses
d'un au-delà enchanteur ; c'est-à-dire en un mot qu'elle
anesthésie et paralyse le peuple, l'éloignant ainsi de toute
action révolutionnaire salutaire83.
82 VOLTAIRE cité par
Oliver NAY, Histoire des idées politiques, Paris, Almand Colin,
2004, p. 77.
83 S. LABIN, Tiers Monde
entre l'Est et l'Ouest. Vivre en dollars, voter en troubles, Paris,
Collection Ordre du jour, La table ronde, 1964, p. 168.
A ce sujet, ils partagent l'expérience
d'Antonio GRAMSCI dans son Cahier de prison où
il développe sa théorie de l'hégémonie
par laquelle, il démontre pourquoi la révolution
prolétarienne ne pouvait pas avoir lieu en Italie. Pour lui,
l'échec de la révolution est provoqué par les
intellectuels organiques que le pouvoir recrute pour répandre dans la
société des valeurs, des croyances et des représentations
qui légitiment les acquis de la domination. Ces intellectuels ainsi que
les classes ouvrières qu'ils enivrent des convictions
hégémoniques participent au bloc historique aux cotés de
la bourgeoisie avec la bénédiction de l'Eglise catholique qui
enseigne les valeurs de soumission inaptes à contribuer à
l'affermissement de la conscience de classe. Il y a donc là une fonction
intégrative de l'idéologie.
L'attitude des marxistes à l'égard de la
religion, explique Lénine, n'est pas dictée par des
considérations tactiques comme le désir de ne pas <<
effaroucher » les croyants, mais, par le fait qu'ils sont des
matérialistes dialecticiens.
D'autre part, continue-t-il, la religion n'est pas le
résultat de l'ignorance pure et simple des masses comme l'affirment les
progressistes radicaux et les matérialistes bourgeois, mais, << le
reflet fantaisiste dans des cerveaux des hommes, des puissances
extérieures qui dominent leur existence quotidienne, reflet dans lequel
les puissances terrestres prennent des formes supra-terrestres.
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