O. INTRODUCTION
0. 1. ETAT DE LA QUESTION
Lorsqu'on entame une analyse, il d'abord
nécessaire de passer en revue la littérature existante autour de
la question que l'on veut étudier. C'est pour cette raison que Michel
Giacobbi et Jean- Pierre Roux nous recommandent de procéder à la
lecture des recherches préalables en vue de voir, à travers le
regard des autres, la question que nous voulons
analyser.1
Par conséquent, il a fallu passer en revue la
littérature antérieure déjà consacrée
à l'étude des rapports Religion-Politique pour d'abord
en comprendre la portée, le problème analysé, circonscrire
le contenu et, enfin identifier les performances et les limites. Tout ceci nous
permet d'imprimer à notre réflexion des marques plus
objectives et d'éviter de traiter des problèmes
déjà résolus.
Dans cet élan de fouille,
Alfred de Soras2 aborde le développement des
grands principes directeurs sur lesquels, dans les perspectives et les
prospectives de l'Eglise catholique, doivent s'établir les rapports
pouvoir ecclésial et pouvoir politique. Il démontre ensuite que
les prises de position du catholicisme sur les rapports pouvoir
ecclésial et pouvoir politique n'étaient pas seulement
liées au rôle qui incombe au pouvoir ecclésial à
l'égard du pouvoir politique, mais étaient aussi
réciproquement des estimations sur les attitudes qui incombent au
pouvoir politique à l'égard du pouvoir ecclésial. L'auteur
a enfin tracé quelques grandes vues d'ensemble qui devraient permettre
aux jeunes Eglises catholiques d'Afrique noire et aux jeunes Etats
indépendants d'Afrique d'établir des relations cordiales et
bienfaisantes.
L'auteur semble tomber sous la séduction des
dogmes catholiques dont il essaie ; et c'est ce qui corrompt son analyse ; de
faire l'apologie au lieu de se placer du coté critique en vue de nous
fournir une meilleure élucidation de la dynamique cléricale en
Afrique noire.
Achille Mbembe3 fait une critique politique
du christianisme africain post-colonial dans ses rapports avec le pouvoir,
l'Etat et les sociétés indigènes. Dans cette critique, il
met en relief certains conflits par rapport auxquels le vecteur chrétien
a eu à se situer dans le passé et qu'il affronte aujourd'hui dans
ses
1 J.- P. ROUX, Initiation
à la sociologie. Les grands thèmes, la méthode, les grands
sociologues, Paris, Hatier,
1990, p.17.
2 A. SORAS (de), Relations de l'Eglise et de l'Etat
dans les pays d'Afrique francophone. Vues et prospectives,
Paris, Manes, 1963, pp. 167-169.
3A. MBEMBE, Afrique indociles, christianisme, pouvoir
et Etat en Afrique post-colonial, Paris, Karthala, 1988, p.9.
prétentions à dominer symboliquement les
régimes ancestraux ou ceux résultant du travail culturel de
l'indigène. L'auteur a donc privilégié les données
historiques et anthropologiques situées en « amont » ou en
« aval » de la pénétration du monde africain par le
vecteur chrétien en négligeant d'en associer d'une politologie
relative à la pratique et aux manifestations.
Julien Penoukou4 a quant à lui
rassemblé un texte qui, selon lui, n'avait ni ambition, ni
prétention mais une simple expression momentanée d'un cheminement
intérieur suscité et sans cesse entretenu par les tourments et
les espoirs d'un peuple africain pris entre un monde en mal d'espérance
d'une Eglise d'Afrique en quête d'identité et de maturité
culturelle et spirituelle.
L'auteur a juste précisé les
véritables enjeux de la mission de l'Eglise dans le devenir de l'homme
et des peuples Africains mais passe sous silence, les tendances
hégémoniques de l'Eglise qui asphyxie la différenciation
structurelle et la spécialisation fonctionnelle de l'Etat ; ce qui
vraisemblablement rappelle le paradigme géopolitique de Stein ROKKAN
dans ses études des conditions d'émergence de l'Etat nation,
lequel paradigme démontre les corrélations négatives entre
l'élan culturel de l'Eglise catholique et l'avènement de l'Etat
comparé aux corrélations positives en faveur de l'Eglise
protestante.
Par ailleurs, François Maspero5
analyse les mouvements politicoreligieux ; les syncrétismes,
messianismes, néo-traditionalismes du Congo précolonial et
colonial. Il s'interroge sur la portée de la signification des
mouvements politico-religieux dans les sociétés africaines
après la période coloniale tout en se référant
à leur rôle de nationalistes qui les sous-tend dans la
période coloniale et qui leur a permis de s'adapter et renforcer
l'unité des sociétés africaines post-coloniales. L'auteur
s'est surtout intéressé à deux mouvements
religio-idéologiques Congolais à savoir le Kitawala et le
Kimbanguisme. Il trouve cependant que ces deux pratiques sociales sont
profondément différentes et leur production ne porte pas sur le
même type de contradictions. L'un jaillit d'une première rupture
au sein de la société colonisée : d'où le type du
procès idéologique spécifique au Kimbanguisme ; l'autre
émerge de contradictions plus fondamentales liées à la
domination du mode de production capitaliste : c'est pourquoi le Kitawala
conserva sa vigueur contestatrice dans la société
postcoloniale.
Dans son analyse sur les groupes d'intérêt
et le processus décisionnel au Sud-Kivu, cas spécifique de
l'Eglise catholique, Mugisho Akilimali6 a voulu
4E. Julien PENOUKOU, Eglise d'Afrique, proposition par
l'avenir, Paris, Dalloz, 1963, p.5.
5 F. MASPERO, La construction du monde : Religion,
Représentations et idéologie, Paris, Place Paul
Painlevé, 1974, p. 1974, p.106.
6 M. AKILI MALI, Les groupes d'intérêt et
le processus décisionnel au Sud-Kivu. Cas de l'Eglise catholique,
U.O.B, Mémoire, S.P.A, 2002-2003, pp. 68-70.
étudier les intérêts que l'Eglise
catholique défend pour elle-même et pour ses membres et comment
elle arrive à faire face au pouvoir politique, une façon de
jauger son efficacité à contraindre les gouvernants. Il a
cherché à savoir en plus, les liens de causalité du haut
degré d'antagonisme que l'observation a repéré au SudKivu
entre l'Eglise et les gouvernants. Il conclut que l'Eglise catholique du
SudKivu défendait ses intérêts économiques car,
possédant des unités de production, de biens meubles et
immeubles, des matériels roulant qu'elle doit protéger contre
tout prédateur ou contre l'imposition forfaitaire, mais aussi des
intérêts symboliques.
Cependant, l'auteur semble ignorer de situer le
degré d'antagonisme dans le temps partant du fait qu'il n'y a eu
antagonisme que sous la deuxième République et
dernièrement pendant le régime du RCD. Il oublie ensuite,
qu'aujourd'hui il est difficile de parler d'antagonisme compte tenu de
l'immixtion flagrante du religieux et du politique. Il a enfin,
négligé d'évoquer dans son travail le
rétrécissement fonctionnel du politique sur le social dont
l'Eglise en assume aujourd'hui la charge au détriment de
l'Etat.
Au regard de ces travaux, nous pouvons déjà
imprimer à notre réflexion ses particularités que nous
ramenons à trois :
Tout d'abord, nous allons dépasser le
débat théologique irrigué par les passions et toutes
sortes de fables partisanes pour affronter le problème réel des
ambitions hégémoniques de l'église catholique
particulièrement sur les logiques existentielles, identitaires,
organisationnelles et fonctionnelles de l'Etat congolais en crise.
Ensuite, nous allons mettre à nu le contenu
réel de la disposition constitutionnelle qui consacre au plan formel la
laïcité de l'Etat. Il s'agit bien de l'article premier qui,
curieusement au plan sociologique, semble tomber dans une contradiction patente
avec la réalité dans la mesure où l'Eglise en question et
l'Etat dont elle s'engraisse participent au bloc historique qui perpétue
le couple sociologique domination-soumission entre gouvernants et
gouvernés congolais.
Enfin, nous voulons comprendre à travers le
prisme de la sociologie historique du politique, les facteurs historiques de
l'imbrication du politique et du religieux en vue d'en retracer les tendances,
les crises et les récurrences enracinées depuis le temps colonial
et perpétuées par l'Etat et la théologie importés
et qui, somme toute ont marqué d'un sceau ambigu la gouvernance et le
développement politique de l'Etat, plus particulièrement en ce
qui concerne la sécularisation de celui-ci.
0. 2. OBJET, INTERET, CHOIX ET DELIMITATION DU
SUJET
Notre objectif dans le cadre de cette étude
consiste à déceler la nature des rapports qui existent sous forme
manifeste ou latente, entre le politique et le religieux c'est-à-dire
l'imbrication du système religieux et du système politique dans
son aspect le plus pratique et dans le cadre des fonctionnements de leurs
domaines respectifs. Il sera également question de montrer le jeu que
joue l'Eglise d'une part, dans la conquête et la sauvegarde de ses
intérêts ainsi que dans la manifestation de l'ordre politique en
RDC et d'autre part, l'enjeu religieux que manipulent les acteurs politiques
dans leurs modes de conquête et de légitimation du pouvoir, chose
qui rend confus le processus de la laïcité et ne rassure du tout la
prétention laïque de l'Etat.
Les raisons de notre choix sont, tout d'abord de
réaliser une partie de nos ambitions de politiste
intéressé aux systèmes sociaux, ensuite de nous allier
à l'école de la sociologie historique du politique par laquelle
l'on voulait s'interroger sur les raisons historiques et culturelles consacrant
aujourd'hui la problématique de la laïcité de l'Etat en RDC
; enfin de vouloir tenter la dissociation du sociologiquement réel et de
l'eschatologiquement imaginaire en matière de rapports entre l'Eglise et
l'Etat.
Nos investigations portent sur toute l'étendue
de la République Démocratique du Congo partant de la
période coloniale où l'Eglise était au service de l'Etat
(composante de l'administration coloniale) à nos jours en insistant sur
les soubresauts historiques de la deuxième République (rapports
ambivalents entre l'Eglise et l'Etat) et de la longue transition
parsemée des pratiques participatives violentes incarnées par
l'AFDL, le RCD, le MLC et d'autres microstratèges comme les bandes
armées et les milices résistantes ; le tout ayant abouti à
la tenue des élections de 2006. A travers ces récurrences
historiques, l'Eglise a particulièrement pendant les guerres,
joué un rôle pionnier dans la résistance au sein de la
société civile. Ainsi, l'Eglise a donc empêché la
progression dans la rébellion sous le RCD.
0. 3. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES
A l'aube de l'Etat occidental ; le complexe romain qui
guide les empereurs germaniques se heurte par ailleurs aux visées
politiques de l'Eglise. La papauté aspire elle aussi au pouvoir
suprême, à la fois spirituel et temporel. Cependant, par une sorte
d'ironie de l'histoire les stratégies complexes qu'elle conçoit
dans ce but vont se retourner contre elle, en suscitant une
désacralisation de sa puissance politique qu'elle se souciait
précisément d'éviter. A beaucoup
8 Encyclopedia, Op. cit, p. 1004.
9 B. BADIE, « La pensée politique vers la fin
du XVIème Siècle : héritages antique et
médiéval »
in Pascal ORY (dir), Nouvelle histoire des
idées politiques, Paris, Hachette, 1987, pp.17-25.
d'égards, l'émergence de l'Etat occidental
apparaît comme un effet pervers des obstacles que l'Eglise
médiévale prétendait dresser contre
lui7.
Revenons au débat sur l'Etat laïc
né avec la séparation du domaine temporel et du domaine spirituel
inauguré en 19O5 en France et qui s'est répandu comme du feu sur
une traînée de poudre à travers le monde politique à
l'exception de l'espace musulman, à tel point qu'aujourd'hui, le
principe de la laïcité s'inscrive progressivement dans les
constitutions des Etats.
Le concept moderne de la laïcité
émerge quant à lui lorsque les Etats décident de
tolérer d'autres religions que leur(s) religion(s) d'Etat. Mais la
liberté de culte change de nature : tous les cultes y sont égaux
et subordonnés aux règles de l'Etat. Si une règle de
l'Eglise entre en contradiction avec une règle de l'Etat, les adeptes de
cette religion se trouveront persécutés. La laïcité
est donc parfaitement compatible avec une liberté de culte restreinte
(indépendamment de tout jugement sur la légitimité d'une
telle restriction, qui frapperait par exemple un culte pratiquant les
sacrifices humaines)8.
L'époque contemporaine est marquée, dans
biens des coins du monde, et dans le domaine politique, par l'idée et la
pratique de l'Etat laïcisé. Les philosophes des lumières ont
bénéficié d'un héritage considérable : la
création d'un espace politique prétendant peu à peu
à la laïcité ; un débat précurseur opposant
les tenants d'une vision holistique et les premiers partisans d'une lecture et
d'une conception individualistes des rapports sociaux.
Les historiens sont unanimes que le
phénomène prend sa source dans les crises qui ont secoué
la fin du Moyen-Âge : loin d'être une période obscure de
l'histoire, les temps médiévaux ont été
incontestablement ceux de la progressive invention de la
laïcité9. Cette doctrine de la laïcité de
l'Etat s'est, historiquement, développée dans une large mesure en
face de l'Eglise catholique, à cause de sa centralisation, de la rigueur
de ses dogmes, de la morale, de sa discipline. Au surplus, chez certains
réformés, on trouve souvent une volonté consciente et
doctrinalement fondée de docilité envers l'Etat.
Une des préoccupantes questions qui se posent
à présent a trait aux rapports entre pouvoir temporel et pouvoir
politique, entre Eglise et Etat. Cette question n'est artificielle ni
arbitraire ; elle se situe au coeur de l'activité scientifique et
mérite une affinité intellectuelle perspicace. Elle tourmente le
politiste et l'incite à la réflexion.
7 Alphonse MAINDO, Cours
de systèmes politiques comparés, L1 SPô / UOB,
inédit, 2008-2009, P.38.
Les Eglises et les institutions politiques, toutes
ayant à poursuivre au sein d'une même société la
même fin celui de rendre aux individus le bien être social, la
séparation entre les missions de l'Eglises et de l'Etat a introduit les
domaines spécifiques de chacun. L'église ayant pour fin, le salut
de l'âme et l'Etat vise à assurer aux individus pour lesquels il
existe, les conditions humainement et socialement approuvées envie de
leur développement intégral.
La forme de réaction que l'on peut aujourd'hui,
légitimement, appeler laïcité de l'Etat est, dans une large
mesure un phénomène spécifiquement occidental, et
même français ; du moins est-ce sans doute en France que la
laïcité a pris naissance et a été
élaborée de la manière la plus systématique,
qu'elle trouve aussi aujourd'hui son expression la plus homogène compte
tenu des dispositions positives de ses diverses législations. Et c'est
la loi de 1905 qui en est restée la plus déterminante. Elle
marque la fin d'une longue époque historique au cours de laquelle
l'Église catholique aura en permanence été tentée
par la volonté de régir la vie des individus et d'être la
garante de la légitimité du pouvoir. Les autres confessions
protestante et juive, l'islam ne comptant guère plus qu'en 1801, ne
participeront que très peu aux débats et aux controverses. Elles
se couleront d'ailleurs sans difficultés et immédiatement dans le
cadre de la loi de 1905 qui, aujourd'hui est l'un des piliers essentiels de la
laïcité dans plusieurs pays du monde et particulièrement
ceux d'Afrique francophone10.
Avec la laïcité, il s'est affirmé
la nécessité de ne pas être soumis aux interdictions
morales identiques et l'abandon de la religion dite d'Etat. A dire vrai, les
jeunes Etats d'Afrique francophone ont accédé à
l'indépendance sans idéologies ou modèles propres et sans
institutions inspirés des réalités Africaines, autant dire
que le principe constitutionnel de la laïcité inscrit dans leurs
constitutions est davantage importé et largement inspiré de
contexte occidental, particulièrement de la France.
Le concept laïcité, en tant que
séparation du pouvoir religieux et du pouvoir séculier est
ancien, on pouvait déjà le voir dans l'antiquité
gréco-romaine. De plus, au Vème siècle, le pape
Gélase 1er avait énoncé la doctrine des deux
glaives visant à séparer le pouvoir temporel et l'autorité
spirituelle au sein de l'Eglise11. A l'Eglise le glaive spirituel,
à la cité le glaive temporel, selon l'expression utilisée
par saint Bernard, six siècle plus tard. Il n'en ressort pas seulement
l'élément clé des théories modernes que constitue
cette vision différenciée et déjà
séculière de l'ordre politique. D'autres aspects se
dégagent à mesure que cette vision se stabilise.
Consciente de l'autonomie qu'elle concède au
prince de le doter d'un sur-pouvoir, l'Eglise proclame très tôt,
conformément à une tradition médiévale,
10 M. BARNIER, La laïcité, Paris,
Harmattan, 1995, pp 37-38.
11 Site Wikipédia, l'encyclopédie
libre.
que le domaine politique n'est pas l'apanage du
prince, mais celle de la communauté humaine tout entière. Il
suffisait donc comme le souligne Bertrand Badie12, de rappeler les
conditions dans lesquelles le religieux s'est distingué du politique, en
se reproduisant durant plus de trois siècles hors de l'espace
spécifique dont les acteurs n'ont jamais cessé, depuis toujours,
de protéger et d'institutionnaliser l'autonomie, voire
l'indépendance acquise.
C'est jusqu'à la fin du
XVIIIème siècle environ, que tous les Etats ont
été confessionnels. C'est le christianisme qui a introduit la
distinction du spirituel et du temporel « Rendez à César ce
qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu »
dit JésusChrist (Matth., XX, 21). Cette distinction a une raison
doctrinale à savoir, la distinction du spirituel et du politique ainsi
affirmée ; une raison pratique aussi : le christianisme se
développe en pays juif d'abord, païen ensuite et il est souvent
persécuté13. Mais, comme le souligne Léon de
saint Moulin et Roger Gaise N'gazi14, si les sociétés
anciennes et les sociétés primitives étaient
caractérisées par une concentration et une confusion des pouvoirs
spirituel et temporel, le christianisme s'est appuyé sur cette parole du
Christ pour introduire le principe de la distinction des domaines spirituel et
temporel. Cette distinction s'est affirmée et précisée
progressivement pour servir aujourd'hui de standard aux rapports entre Eglise
et Etat.
S'il est une constante qui caractérise l'Eglise
catholique de la RDC, c'est certainement son attrait, jamais démenti,
pour le politique. En ce sens, elle s'inscrit parfaitement dans la tradition
catholique qui, remontant au pape Léon XIII et prône l'engagement
du chrétien en tant que citoyen dans les affaires du monde, tradition
confirmée par Vatican II, qui l'incite « à assumer ce qui
est moralement bon dans les systèmes sociaux et politiques, et à
recourir à la persuasion pour promouvoir les valeurs
évangéliques dans la société ». Cette invite
est plus que jamais d'actualité aujourd'hui en Afrique en
général et singulièrement en RDC. En effet, la chute de
l'autoritarisme mobutien et l'affadissement des utopies
séculières, entre autres facteurs, frayent la voie de
l'affirmation d'une politisation du religieux dont le discours apparaît
comme le mieux à même d'articuler la quête de sens de
société d'autant plus en mal de repères que les fruits de
la démocratie à savoir les libertés publiques, la bonne
gouvernance, le constitutionnalisme et l'Etat de droit tant entendus, tardent
à venir.
Dans cette perspective, l'Eglise catholique
s'engouffre dans ce vide idéologique, armé d'une vision
holistique du monde dans lequel le spirituel et le temporel tendent à se
confondre. Telle est en tout cas l'impression que donnent parfois les appels en
faveur de l'engagement des religieux en politique « pour réaliser
le plan de Dieu sur terre ».
12 B. BADIE, Op. cit,
p. 17.
13 Encyclopedia Universalis,
V6, Interferences LISZT, p.1006.
14 L. de St MOULIN et R. G.
N'GANZI, Eglise et Société : le discours socio-politique de
l'Eglise catholique du Congo (1956-1998), Kinshasa, FCK, 1998,
p.72.
Devant la défaillance de l'Etat, en RDC,
l'Eglise congolaise s'est vue garder certains attributs relevant du domaine
temporel notamment ses interventions multiples dans les services sociaux qui en
principe, relèvent des fonctions essentielles de l'Etat providence. Cela
est d'abord expliqué pour l'Eglise catholique, par ce qu'elle
considère comme étant sa doctrine socio-politique. Avec
ça, l'influence de l'Eglise est certaine et pèse de tout son
poids dans la conduite des affaires publiques pourtant domaine
réservé à l'Etat. A ce point, l'on observe est semble
s'affirmer le rétrécissement de l'espace public, les
privées et particulièrement les Eglises intervenant
majoritairement dans la prise en charge sociopolitique des citoyens, avec comme
conséquence, la prééminence de la philosophie religieuse
ou tout simplement des dogmes sur les principes devant assurer la bonne
conduite des affaires publiques compte tenu du rôle joué par
l'Eglise. D'où l'influence certaine de la croyance au-delà de
l'engagement durable des citoyens traduisant un indicateur certain de la
participation politique.
L'Etat post-colonial, a intégré dans ses
successives constitutions à commencer par celle de 1964, le principe
fondamental de la laïcité pour réfuter toute imbrication du
religieux dans le politique.
Il faut noter ici, qu'au lendemain de
l'indépendance, Lumumba avait préconisé d'instaurer un
Etat laïc. Mais ses déclarations ad hoc ont vite subi d'oppositions
de l'Eglise catholique qui les qualifia de culture d'emprunt. On s'abstient de
ne pas reconnaître le fait que l'Eglise constitue un groupe de pression
ou d'intérêts très puissant pouvant faire chanceler le
pouvoir politique sur ses propres fondations. Ce qui explique, du moins en
partie, le conflit d'intérêts manifeste ou latent qui a toujours
prévalu entre elle et le pouvoir politique. Mais souvent elle se
comporte en alliée ambiguë et inconditionnelle du pouvoir
politique. Elle constitue donc un agent ou une instance indispensable de
socialisation.
Par ailleurs, Georges Balandier15
démontre que dans les Sociétés modernes
laïcisées, l'imbrication du sacré et du politique demeure
apparente, le pouvoir n'y est jamais vidé de son contenu religieux qui
reste présent, réduit et discret.
Pourtant, l'Etat congolais qui devrait être
fidèle à sa mission propre d'assurer aux personnes les conditions
temporelles de leur développement total, possèderait dans son
domaine une autorité qui lui appartient en propre.
L'Eglise derrière sa doctrine socio-politique
pèse sur ce qui est politique et dont les animateurs tentent de se
substituer aux acteurs politiques, ils se font également des animateurs
institutionnels, des partenaires incontournables afin de protéger ou
encore de conquérir les intérêts de l'Eglise ou personnels
; c'est-à-dire ils cherchent à gagner un espace
privilégié qui leur donne un certain monopole sur
15 G. BALANDIER,
Anthropologie politique, Paris, PUF, 1967, p. 118.
la chose publique. Cependant, il sied de
révéler ici que les acteurs institutionnels au cours de
l'histoire politique de la RDC, ont toujours espionné à amadouer
l'Eglise et l'utiliser comme instrument de conquête du pouvoir et de sa
légitimation. C'est pourquoi l'on constatera, en RDC comme ailleurs, la
pratique politique et les discours politiques ne sont jamais vidés de
leur contenu religieux pour corroborer l'affirmation de Georges Balandier
suscitée. Des nombreuses largesses sont octroyées par des
candidats favoris à la veille des élections aux hommes religieux
mais aussi chaque fois que les circonstances les permettent, l'on cite ainsi
les subventions et financements accordés à l'Eglise en lieu et
place des institutions publiques traduisant la prééminence de
celle-ci en lieu et place des services publics devant en l'occurrence en
bénéficier.
A la veille des élections, l'on a pu observer
le soutien voilé de l'Eglise au camp présidentiel du PPRD et
alliés par des pratiques qui du reste, n'avaient vraiment rien à
voir avec le processus démocratique amorcé au pays. Une
médiation théologique sera mise en circulation par le
clergé en faveur du président de la République et le
secrétaire général du PPRD labellisés
respectivement en Père (Dieu le père) et fils
(Jésus-Christ). Il s'agissait de persuader les masses du choix
couplé du Président et du secrétaire général
du PPRD et candidat député national car selon cette dramaturgie
de type religieux, il était incommode de choisir le père sans son
fils. Ce serait donc un reniement de la sainte trinité, mystifiés
par des rites divers perpétrant ainsi la dramaturgie politico-religieuse
en leur faveur qui s'est soldée ensuite, par leur légitimation au
pouvoir après les élections. En revanche, à l'égard
d'autres candidats potentiels en dehors du PPRD et alliés, l'Eglise se
montrera répugnante et pessimiste scandalisant ainsi la vision
rationnelle du peuple et empêchant de ce fait l'émergence d'une
culture politique de participation réelle.
Avec le multipartisme en RDC, on a assisté
à la naissance des partis dont les noms sont inspirés des valeurs
religieuses (partis chrétiens...). Mais ici l'enjeux majeur est de
partir du fait que le peuple auprès duquel l'on sollicite les mandat
politique, garde un bon souvenir de l'Eglise qu'il considère comme
institution salvatrice devant la défaillance de l'Etat. A ce titre, le
référentiel dogmatique ou spirituel prédomine et vient en
première place. Autant les politiques faiblissent, autant l'Eglise prend
la relève en RDC. Ceci pose pause un problème sérieux de
construction d'une identité politique différente de
l'identité religieuse.
Il n'appartient pas aux politistes d'affirmer que
c'est parce que les intérêts commun de l'Eglise et la foi sont
menacés par la connexion au politique que l'Eglise se vêtit du
costume politique ou parce que un régime efficace doit se fonder sur des
croyances religieuses que les politiques s'inféodent à l'Eglise.
Une telle vision relève de la philosophie morale qui obscurcit l'analyse
en la nourrissant des jugements de valeur théologique que nous
replaçons au compte de la subjectivité.
En RDC, les Eglises et particulièrement
l'Eglise romane disposent d'un patrimoine important, des moyens
matériels et financiers ; des écoles, des entreprises et d'autres
unités de production faisant à ce qu'elles sont aujourd'hui
pourvoyeuses d'emplois au risque de rivaliser sensiblement avec l'Etat. Ce qui
démontre le rétrécissement du rôle et de l'espace
publics sur le plan fonctionnel. D'où, il y aurait en RDC ce que
Voltaire appelle « un Etat dans un Etat ».
Au demeurant, l'Etat réputé garant de
l'ordre public et cylindre principal de la régulation sociale doit se
vouloir efficace, mais suite aux défaillances fonctionnelles dont il
l'auteur, les repères de la légitimité sont en berne ;
cédant la primauté au référentiel religieux. Cette
récupération revêt deux caractéristiques
contradictoires à nos yeux : tout en suppléant aux carences de
l'Etat, l'Eglise l'enfonce en même temps dans l'abîme de la
faillite.
Par ailleurs, l'évolution socio-historique
congolais démontre combien l'Eglise est non seulement un acteur puissant
qui manipule les gouvernés afin de soutenir et/ou de s'opposer
aveuglement au régime politique mais également voire surtout,
elle empêche certainement l'édification d'une culture politique,
d'une identité politique distincte de l'identité religieuse,
accordant une place de choix aux croyances.
Partant du postulat que l'Etat congolais est
formellement laïc mais s'avoue confessionnellement engagé dans la
pratique suite à ses nombreuses connexions au religieux, il y a lieu de
poser les questions suivantes :
· quels sont les facteurs de l'osmose entre les
affaires publiques et religieuses en RDC ?
· Quel est l'impact de cette imbrication sur la
gouvernance et sur le développement politique en RDC ?
En guise d'hypothèses et conformément aux
exigences épistémologiques, nous estimons que :
Les facteurs de l'osmose du religieux et du politique
en RDC seraient d'abord historique à la suite de l'héritage
colonial de la solidarité organique entre l'Etat congolais et l'Eglise ;
ensuite politique dans la mesure où l'Etat et l'Eglise se sont
mutuellement influencés après l'indépendance; enfin
stratégique étant entendu que l'Eglise reste connectée
à l'Etat et influente en politique pour la sauvegarde de ses
intérêts et l'Etat lui-même se sert de l'Eglise comme
partenaire dans la recherche de la légitimité et du consensus
social.
culture politique en RDC, l'on pourrait d'abord
remarquer l'interférence de l'Eglise dans le choix et la conduite des
politiques publiques et dans l'entretien d'une culture non
sécularisée fondée sur les croyances dans un
mélange d'intégrisme, de conservatisme et de fondamentalisme
spirituellement entretenus au nom de l'eschatologie.
0. 4. METHODOLOGIE DE RECHERCHE
.
La recherche scientifique recommande toujours, le
choix d'une approche méthodologique devant guider l'analyse des
données, leur interprétation ainsi que la systématisation
qui en découle16.
Pour expliquer le phénomène
étudié dans ce travail et compte tenu de son objet, nous avons
recouru à la sociologie historique du politique de Yves
Deloye17.
Sous réserve d'être une panacée,
cette méthode nous permet comme l'observe Yves Deloye, d'envisager,
certes, une histoire sociale du politique et, partant, de dégager les
dynamismes qui donnent sens et cohérence à la vie politique, mais
aussi une histoire politique du social apte à identifier l'empreinte
profonde du politique sur le social à travers les
récurrences18.
Comme il s'agit d'étudier les rapports entre
l'Eglises et l'Etat en RDC dans son évolution historique, la sociologie
historique du politique nous a permis de prendre la mesure du temps et de sa
pesanteur, de rendre compte des processus politiques de ce rapport
situés dans des contextes et des configurations de durée et de
forme inégales. D'où la méthode revêt deux exigences
essentielles :
__ La contextualisation : dans le cadre de cette
étude, il s'est agit d'analyser la forme de la laïcité et
les rapports existant entre le politique et le religieux dans le contexte
proprement congolais, et par là se détacher des
réalités qui semblent servir des standards universels. En
d'autres termes, les rapports actuels entre l'Etat et l'Eglise tirent leur
fondement dans le contexte culturellement et socialement congolais.
__ L'historicisation : pour notre domaine de
recherche, il a été question d'étudier les processus qui
ont conduit à l'émergence des situations actuelles des rapports
de deux structures sociales. Ici l'histoire politique du Congo nous a servi
d'instrument d'analyse du politique dans son
hétérogénéité en identifiant les formes
variées des interférences du religieux et du politique.
Convaincus avec Stein Rokkan19 qu'on ne peut expliquer les variables
masquées dans la structuration des politiques de masse en Europe de
l'Ouest sans retourner loin dans
16 M. GRAWITZ,
Méthodes de recherche en sciences sociales, Paris, Dalloz, 1976,
p.22.
17 Yves DELOYE, Sociologie
historique du politique, Paris, La Découverte, 2003, p.
9.
18 Idem, p.12.
19 S. ROKKAN, cité par
Y. DELOYE, Op. cit, p. 47.
l'histoire, sans analyser les différences dans les
conditions initiales et les premiers processus de construction des Etats et de
combinaison des ressources.
En d'autres termes, l'édification de l'Etat
nécessite non seulement l'interaction des différents acteurs mais
aussi s'inscrit dans une dynamique sociohistorique circonscrivant la
différenciation fonctionnelle et relevant les défaillances,
lesquelles peuvent faciliter dans la recherche des intérêts
particularistes l'imbrication, l'osmose , l'interférence dans le cas
sous analyse, du religieux dans le politique. D'où la
nécessité de circonscrire le fait dans le processus historique
partant des enjeux, de la structuration ou tout simplement de la configuration
dynamique des acteurs.
Cette méthode a été sous -tendue par
trois techniques, à savoir :
1. L'analyse documentaire qui nous a permis
d'exploiter des ouvrages, revues et autres documents écrits traitant
d'une manière ou d'une autre notre thème d'étude et qui
nous ont fourni assez d'informations ou des données qui ont
contribué à l'élaboration de ce travail.
2. L'entretien qui est une communication orale ayant
pour but de transmettre des informations de l'enquêté à
l'enquêteur. Cet entretien nous a permis d'entrer en contact avec
certains personnages aussi bien religieux que politiques. les données
recueillies auprès des enquêtés ont enrichi les
informations tirées des ouvrages et nous ont fourni d'autres pistes
indispensables et fiables pour notre recherche.
3. L'observation nos systématisée :
« elle accumule, sinon volontairement du moins de façon plus ou
moins marginale, les observations qui peuvent cependant susciter une
orientation, une idée de recherche. C'est une attitude
générale, qui consiste à se tenir prêt à
saisir les faits significatifs pouvant apparaître dans les champs
d'observation ». Cette technique nous a permet d'observer par nous
même, certains comportements des acteurs politiques et des acteurs
religieux dans leurs rapports contraignant la laïcité de l'Etat et
la rationalité politique en RDC.
0. 5. SUBDIVISION DU TRAVAIL
Hormis l'introduction et la conclusion, ce travail
comprend trois chapitres. Le premier est un débat théorique sur
les rapports entre la religion et la politique. Il présente une
élucidation conceptuelle qui fixe nos lecteurs sur le sens des mots qui
reviennent en leitmotiv, les modèles explicatifs ou cadre
théorique, les controverses sur la laïcité et enfin, la
doctrine socio-politique de l'Eglise catholique prise de manière
particulière dans le cadre de cette recherche. Le deuxième
chapitre s'est attelé à circonscrire l'imbrication du religieux
et du politique en RDC. Ici, il est question de montrer les situations et les
faits attestant
cette imbrication pendant la période coloniale,
après l'indépendance, pendant la première
République, sous la deuxième République, ainsi que de la
transition à la troisième République et fait ressortir
l'impact de celle-ci sur la gouvernance. Enfin, le troisième chapitre
dégage les contraintes (obstacles) liés à
l'effectivité de laïcisation de l'Etat ainsi que les
problèmes de l'édification de la culture politique
dépouillée de toute croyance.
Chapitre Ier : DÉBAT SUR LES RAPPORTS
ENTRE LA RELIGION ET LA POLITIQUE : APPROCHE THÉORIQUE
Section 1ère : Tentative de
définition des concepts 1. Laïcité
La laïcité consignée dans la
constitution désigne la séparation nette du politique et du
religieux et le respect des libertés des croyances et des consciences.
Le principe de séparation des pouvoirs politique et administratif de
l'Etat du pouvoir religieux et de la non intervention de l'un ou de l'autre
dans les domaines respectifs doit en être une application. Toutefois,
l'Etat peut et doit intervenir dans la régulation du religieux afin de
ne pas porter atteinte aux droits civiques garantis aux citoyens.
Une définition liminaire de la
laïcité, au sens où on l'entend ici, ne peut être que
très imprécise. Toute Eglise, dès qu'elle a un minimum de
structures, de hiérarchie, des qu'elle propose, au delà du culte
proprement dit, un humanisme à ses fidèles, exerce une influence
sur ceux-ci, et cherche à accroître leur nombre.
Déjà par là, peu ou prou, elle entre en concurrence avec
l'Etat ; parfois, elle tente de le dominer ; moyen plus facile qu'efficace en
profondeur d'étendre son influence, et l'on voit sévir le
cléricalisme aboutissant à la théocratie. Comment l'Etat
va-t-il se comporter ? Acceptera-t-il d'être subordonné à
une Eglise ? Ou bien essaiera-t-il de dominer les Eglises, pour les mettre au
service de sa politique ? Va-t-il les combattre ? Leur laissera-t-il la
liberté, sauf à conserver sa propre indépendance ? L'enjeu
est d'importance : souveraineté de l'Etat, responsable du destin
national par sa législation et sa politique ; libertés des
citoyens, croyants ou non croyants, en face de l'Etat et en face des Eglises ;
concorde entre citoyens divisés de croyances, et donc unité
nationale20.
Le refus par l'Etat de toute sujétion envers
les Eglises équivaut, au sens le plus large, à la
laïcité. Les Eglises se montrent plus ou moins entreprenantes
envers l'Etat. Celui-ci est plus ou moins jaloux de son indépendance,
plus ou moins libéral. Dans les démocraties, notamment, la masse
des citoyens est plus ou moins réformiste ou, au contraire,
indépendante en face des Eglises et de l'Etat. Selon les pays et les
époques, en conséquences, cette réaction
d'indépendance de l'Etat en face des Eglises, celle qu'il adopte
effectivement ou celle qu'on lui demande d'adopter, revêt des colorations
différentes.
La loi votée le 9 décembre 1905 en
France, paraîtra au Journal officiel le 11 décembre et «
concerne la séparation des Églises et de l'État ».
Elle a mis fin au régime précédent du Concordat
signé en 1801 entre Napoléon Bonaparte, alors Premier consul, et
le pape Pie VII et la même loi affirme la non confessionnalité de
l'Etat : l'Etat ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne,aucun culte.
Pour
20 Encyclopedia
universalis,
Combes, la séparation c'est << le terme
naturel et logique du progrès à accomplir vers une
société laïque débarrassée de toute
sujétion cléricale ». Les modalités d'application de
cette convention diplomatique, définies par des Articles organiques,
seront élargies en 1802 aux protestants et aux juifs, l'islam ne
comptant guère encore21.
Dans le contexte de l'époque, la loi de 1905 a
représenté l'aboutissement d'un processus de laïcisation qui
s'était considérablement accéléré
après la proclamation de la Troisième République quelque
vingt-cinq ans plus tôt, le 4 septembre 1870, et la victoire
électorale des ré publicains quelques années
après.
En réalité, ce processus est plus
ancien. On le fait, selon les auteurs, remonter à l'édit de
Nantes, ou tout au moins à la Révolution française.
Celle-ci avait en effet déjà proclamé la séparation
des Églises et de l'État. Le budget du culte, qui concernait la
seule religion catholique, avait été supprimé en septembre
1794. Le décret du 21 février 1795 (3 ventôse an III)
affirmait que la République (la Première) ne salariait aucun
culte et n'en reconnaissait aucun ministre. Ces termes seront repris dans le
décret du 29 septembre 1795 (7 vendémiaire an IV) qui inspirera
directement les rédacteurs de la loi de 190522. Durant sa
brève existence, la Commune de Paris décrétait elle aussi,
le 3 avril 1871, que << l'Église est séparée de
l'État » et que le budget des << cultes était
supprimé ».
Cette doctrine de la laïcité de l'Etat
s'est, historiquement, développée dans une large mesure en face
de l'Eglise catholique, à cause de sa centralisation, de la rigueur de
ses dogmes, de la morale, de sa discipline. Au surplus, chez certains
réformés, on trouve souvent une volonté consciente et
doctrinalement fondée de docilité envers l'Etat. On s'attachera
donc plus particulièrement à la laïcité de l'Etat
comme réaction en face des affirmations et de l'attitude concrète
de l'Eglise catholique. On n'ignore cependant pas la laïcisation de la
Turquie par Kemmel Atatürk, qui voulait désolidariser l'Etat de
l'Islam, ni la laïcité des Etatsunis d'Amérique du Nord,
où les dominations protestantes et les leurs adeptes sont nombreux. Pour
les dispositions positives des diverses législations.
En d'autres termes, aujourd'hui la loi de 1905 est un
des piliers essentiels de la laïcité dans plusieurs Pays du monde
et particulièrement, elle a servi de copie aux pays d'Afrique
francophone notamment la RDC après leur accession à
l'indépendance. À l'époque, elle était d'abord
conçue comme un outil pour contenir le pouvoir de l'Église
catholique en France. En ce sens, elle marque la fin d'une longue époque
historique au cours de laquelle l'Église catholique aura en permanence
été tentée par la volonté de régir la vie
des individus et d'être la garante de la légitimité du
pouvoir. Les autres confessions, protestantes et juive, l'islam ne comptant
guère plus qu'en 1801, ne participeront que très peu
aux
21 Encyclopedia universalis,
op. cit, p. 1003. 22Site : Wikipédia :
encyclopédie libre, site Web.
débats et aux controverses. Elles se conformeront
et s'adapteront d'ailleurs sans difficultés et de manière
immédiate à la loi.
Adoptée après une période
d'affrontements souvent violents, où l'anticléricalisme occupait
une place à la mesure des résistances très fortes de
l'Église catholique, la loi finalement votée sera pourtant une
loi d'apaisement, << juste et sage >> selon le mot de Jean
Jaurès. C'est un premier paradoxe, résultat des changements
très rapides intervenus dans les mois qui ont
précédé le vote de la loi. Entre le << petit
père Combes >> qui, en tant que président du Conseil
prendra les décisions dont la rupture des relations diplomatiques avec
le Vatican qui rendront la séparation inéluctable et des hommes
comme Aristide Briand, rapporteur de la loi, ou Jaures, qui en sera un partisan
résolu, il y a plus que des nuances dans la conception des relations
avec les confessions. Fallait-il contrôler étroitement les
Églises, dans la logique du Concordat de Napoléon mais aussi de
la longue histoire souvent tourmentée entre le pouvoir et
l'Église dans notre pays ? Ou séparer, ce qui signifiait bien
sûr mettre fin de façon radicale et définitive au pouvoir
des Églises dans la sphère publique, mais aussi, en contrepartie,
garantir la liberté religieuse et des droits pour les cultes, sauf
à vouloir << un texte braqué sur l'Église comme un
revolver >>, comme le disait Aristide Briand pour le refuser
?
L'ordre même des articles de la loi indique
clairement de quel côté la balance a finalement penché, la
première disposition votée stipulant que << La
République assure la liberté de conscience ; elle garantit le
libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées
ci-après dans l'intérêt de l'ordre public >>. Ce
n'est qu'ensuite que la loi disposera que << La République ne
reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte
>>.
Le pilier essentiel de la laïcité des
institutions des Etats c'est la loi de 1905. Cette dernière
n'élucide pas le mot, ni même une périphrase du mot, dans
le texte de la loi. Celle-ci se contente en effet, après les articles de
principes qui viennent d'être rappelés, de légiférer
sur la dévolution des biens des Églises, le versement des
pensions, sur les édifices religieux, sur les << associations
formées pour subvenir aux frais, à l'entretien et à
l'exercice public d'un culte >> - associations qui seront au centre des
conflits à venir entre l'Église catholique et l'État - et
sur la << police des cultes >>. Il faut préciser qu'il
faudra attendre 1945 pour que la République française devienne
elle-même laïque, sans d'ailleurs que pour autant les textes
proprement juridiques retiennent une définition précise du mot ou
précise tout simplement son contour sémantique . Tout se passe
comme si, avec la loi de 1905 et à partir de son adoption, il y avait
séparation de deux sociétés (civile et la religieuse). Ou,
pour l'exprimer dans un autre registre, séparation d'une sphère
publique, où prévaut ce qui concerne la collectivité dans
son ensemble, et la sphère privée, où l'individu est libre
de choisir telle ou telle option philosophique ou religieuse. L'État se
garde d'exercer un quelconque pouvoir religieux. Les Églises renoncent
à exercer un pouvoir politique. Et ceci même si la
réalité est infiniment plus complexe.
S'il n'y a pas de définition juridique du mot
laïcité, il y aussi des nuances aux conséquences
significatives, selon le choix de l'origine même du mot que l'on
privilégie. « L'origine étymologique du mot
laïcité est très instructive », selon Henri Pena-Ruiz,
qui le rattache directement au terme grec laos, qui désigne
l'unité d'une population, considérée comme un tout
indivisible23 . Cela renvoie à un horizon un peu mythique, la
Grèce antique, et donc à des sources dans lesquelles la
philosophie a toujours abondamment puisé. Ces sources sont largement
utilisées en particulier dans les réflexions sur la
démocratie, en oubliant parfois que, tout comme le laos, elle ne
concernait qu'une partie de la population.
La conception française est, dans son principe,
la plus radicale des conceptions de la laïcité (comparativement),
quoiqu'elle ne soit pas totale. La justification de ce principe est que, pour
que l'Etat respecte toutes les croyances de manière égale, il ne
doit en reconnaître aucune. Selon principe, la croyance religieuse
relève de l'intimité de l'individu. De ce fait, l'Etat
n'intervient dans la religion du citoyen, pas plus que la religion n'intervient
dans le fonctionnement de l'Etat.
La laïcité pose comme fondement la
neutralité religieuse de l'Etat. L'Etat n'intervient pas dans le
fonctionnement de la religion, sauf si la religion est persécutée
(article 1 de la loi de 1905 : « l'Etat garantie l'exercice des cultes
»). Elle implique aussi un enseignement public, d'où la formation
religieuse (, dans le sens « enseignement de la foi ») est absente.
Pour autant que l'enseignement des religions n'est pas incompatible avec la
laïcité, tant qu'il ne s'agit que de décrire des us et
coutumes, et si l'on présente chaque religion d'un point de vue
extérieur (historique et géographique).
Etymologiquement, le mot « laïc » est
issu du latin : laicus, de même sens, lui-même issu du grec
laïkos, qui signifie « qui appartient au peuple » par opposition
aux organisions religieuses. Le mot fut repris par la langue religieuse, pour
différencier les Lévites, voués au service du temple, du
reste du temple juif. Le terme laïc fut ainsi également
utilisé au sein de la religion catholique pour designer toute personne
qui n'est ni clerc, ni religieux (ce qui ne l'empêche pas de se voir
confier certaines responsabilités au sein de l'Eglise, ni d'être
croyant)24
Le concept laïcité, en tant que
séparation du pouvoir religieux et du pouvoir séculier est
ancien, on pouvait déjà le voir dans l'antiquité
gréco-romaine. De même, au 5ème siècle,
le Pape Gélase 1er avait énoncé la doctrine des
deux glaives visant à séparer le pouvoir temporel et
l'autorité spirituelle au sein de l'Eglise25.
Le concept moderne de laïcité, lui
émerge lorsque les Etats décident de tolérer d'autres
religions que leur(s) religion(s) d'Etat. Mais la liberté de
culte
change de nature : tous les cultes y sont
égaux, et subordonnés aux règles de l'Etat. Si une
règle de l'Eglise entre en contradiction avec une règle de
l'Etat, les adeptes de cette religion se trouveront persécutés.
La laïcité est donc parfaitement compatible avec une liberté
de culte restreinte (indépendamment de tout jugement sur la
légitimité d'une telle restriction qui frapperait par exemple un
culte pratiquant les sacrifices humains...).
Les positions soutenues par les autres auteurs plus
nuancés, ou plus attentifs à la complexité historique et
politique de la question relative à la laïcité. Claude
Durand-Prinborgne rappelle lui aussi que << étymologiquement, le
mot laïque vient du terme grec laos qui désigne l'unité
d'une population »26 mais, il précise aussitôt
<< qu'il sera plus tard employé pour désigner les
fidèles ». Et que << son emploi postérieur, qui nous
intéresse, le fait dériver d'un adjectif signifiant non
religieux, non clerc ».
La plupart des dictionnaires généraux ou
étymologiques confirment cette vue historique des origines du mot
laïque. Pour le Larousse universel en deux volumes de 1923, qui lui
consacre trois lignes, le mot vient du latin laicus et signifie << qui
n'est ni ecclésiastique, ni religieux ». Pour le Robert de 1972, la
seule étymologie indiquée est encore le << latin
ecclésiastique laicus ». Le premier sens indiqué est celui
déjà cité : << qui ne fait pas partie du
clergé ». Le deuxième renvoie à l'État ou
à l'enseignement laïque : << qui est indépendant de
toute confession religieuse ».
Le dictionnaire étymologique de la langue
française27 [4] d'Oscar Bloch et Von Wartburg rattache lui
aussi laïque au latin ecclésiastique laicus, qui viendrait
lui-même du << grec ecclésiastique laïkos, proprement
du peuple - laos, opposé à klêrikos » Si l'adjectif
remonte au XIIIe siècle tout en restant rare jusqu'au
XVIe, ses dérivés sont beaucoup plus récents :
1870 pour laïciser et laïcisation, 1871 pour laïcité
(dans le Littré). Le dictionnaire étymologique et historique de
Larousse28 dit à peu près la même
chose.
Ce qui fait souvent dire que le moindre paradoxe n'est
pas le fait que la lutte contre l'emprise religieuse sur la vie publique s'est
faite avec des mots directement empruntés au langage
religieux.
Ce petit détour par les mots montre que le
choix de l'étymologie ne contribue pas seulement à
éclairer le débat laïc, il en fait partie. On n'aura pas en
effet tout à fait la même conception de la laïcité
selon qu'on la détache de l'histoire en la rattachant à un
concept très ancien avec lequel la filiation est pour le moins
détournée ou qu'on la considère comme un moment, ici et
maintenant, d'un processus qui se poursuit.
26 Claude Durand-Prinborgne,
La laïcité, Paris,
éd. Dalloz, 2004.
27 Oscar Bloch, W. Von
Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue
française, Paris, PUF, 1960.
28 A. DAUZAT et alii,
Nouveau dictionnaire étymologique et historique, Paris,
éd. Larousse, 1971.
On notera qu'il n'a été question
jusqu'ici que de laïcité en relation avec les religions. En fait,
au cours de cette période, le sens du mot se précisera pour
indiquer l'indépendance de l'État par rapport aux religions, puis
sa neutralité en matière religieuse. Très vite, et
notamment dans le champ scolaire, la laïcité prendra une acception
plus large pour désigner, par exemple, la neutralité des
enceintes scolaires à l'égard de toute influence
étrangère à la mission éducative de l'école
; du refus « des curés et des patrons » formulé par
divers courants politiques à la dénonciation de « tous les
cléricalismes », on en viendra à considérer comme
contraires à la laïcité le financement public des
établissements d'enseignement privés - la loi Estier de 1919,
autorise le financement public sans limite des établissements
d'enseignement technique qu'ils soient privés ou publics - l'influence
du patronat sur l'enseignement professionnel et, aujourd'hui, celle du Medef
sur l'enseignement en général, l'introduction de la
publicité dans les établissements scolaires, voire l'existence
même non seulement de l'enseignement privé, d'ailleurs très
majoritairement confessionnel, mais aussi celui de l'apprentissage ou des
formations professionnelles en alternance .
Le sens à retenir dans ce travail est
d'appréhender la laïcité de l'Etat comme la
séparation du domaine religieux de celui de politique à
défaut desquels il y a blocage à la modernité
politique.
2. Religion
L'étude du fait religieux et des pratiques
religieuses est contemporaine de la naissance de la sociologie. Les auteurs
comme Alexis de Tocqueville, Karl Marx, Emile Durkheim, et Max Weber en ont
mené des études significatives et accordent la place importante
à la religion dans leurs analyses. Cependant, les définitions
sociologiques de la religion sont nombreuses et correspondent à des
orientations théoriques diverses. Les anthropologues ont
contribué à l'étude des phénomènes
religieux, en particulier à travers une réflexion sur les mythes
et les rites. L'analyse des pratiques religieuses, l'étude des rapports
entre religions et comportements (économiques et politiques en
particulier) permet de souligner l'importance de la religion. Pour certains
sociologues du politique, l'influence du religieux est en déclin et nos
sociétés seraient marquées par un mouvement de la
sécularisation. Pour d'autres, au contraire, on assiste à un
« retour du religieux »29 nonobstant les dispositions
constitutionnelles qui prévoient la laïcité de
l'Etat.
Du point de vue sociologique, deux approches sont
possibles pour définir la religion. La première proche de la
philosophie et de la théologie, considère que la religion est
inhérente à la condition humaine. La seconde consiste à
rechercher l'origine du fait religieux dans la réalité
sociale.
29 A. BEITONE et alii,
Sciences sociales, Paris, Dalloz, 3ème éd.,
2002, p. 268.
Dans la première approche, la religion apporte
des réponses à un besoin psychologique lié à
l'angoisse devant la mort, au mystère de l'origine et de
l'immensité de l'univers, à la quête du sens de l'existence
humaine.
Otto30 refuse d'opposer la rationalité
et la religion. Cette essence se trouve dans l'expérience religieuse et
le sentiment religieux.
La seconde approche a été en particulier
développée par Marx31. Ce dernier considère que
la religion est à la fois l'expression de l'aliénation des
individus et un discours de légitimation de l'ordre établi :
<< la détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la
détresse réelle et, pour l'autre, la protestation contre la
détresse réelle. La religion est le soupir de la créature
opprimée, l'âme d'un monde sans coeur, comme elle est l'esprit des
conditions sociales dont l'esprit est exclu. Elle est l'opium du
peuple.».
Sans partager les analyses de Marx,
Durkheim32 recherche lui aussi dans la société
l'origine du fait religieux. Pour lui << la force religieuse n'est que le
sentiment que la collectivité inspire à ses membres, mais
projeté hors des consciences qui l'éprouvent, et
objectivé. ». On peut donc dire dans cette perspective que Dieu
c'est la société. Le sentiment religieux se fixe sur un objet qui
devient ainsi sacré. La distinction entre le sacré et le profane
et l'attention aux pratiques et aux institutions, conduisent Durkheim à
proposer la définition suivante : << une religion est un
système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des
choses sacrées c'est-à-dire séparées, interdites,
croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale,
appelée Eglise, tous ceux qui y adhèrent. ».
Au regard de ces deux approches de la religion
évoquée ci- haut, Bastide33 adopte une position
intermédiaire : il souligne que la religion dépend pour une
grande part du milieu social, mais qu'elle n'est pas un <<
épiphénomène » : << si la religion tend ainsi
à se détacher de tout substrat social pour vivre une vie
autonome, c'est que la religion, plus qu'un système d'institutions est
un système de croyances et des sentiments. ».
Le fait de faire reposer la définition de la
religion sur l'opposition du sacré et du profane apparaît
problématique aujourd'hui à certains sociologues du politique. Le
terme << sacré » a pris une extension considérable,
désignant ce qui est particulièrement respectable, ce qui
relève de l'absolu. On dit ainsi que la vie est sacrée ; comme le
sont les droits de l'enfant ou la liberté de conscience par
exemple.
30 R. Otto cité par
Alain BEITONE et Alii, Op. cit., p. 269.
31 K. MARX, cité par
A. BEITONE et Alii, Op. cit. p. 260.
32 Idem, p. 263.
33 R. BASTIDE, Le fait
religieux, Paris, Fayard, 1993, p. 270.
La spécificité du regard sociologique
sur la religion est clairement formulée par Marcel Mauss34 :
<< il n'y a pas, en fait une chose, une essence appelée Religion :
il n'y a que des phénomènes religieux plus ou moins
agrégés en des systèmes qu'on appelle des religions et qui
ont une existence historique définie, dans des groupes d'hommes et dans
des temps déterminés ».
A la suite de Willaime35 on peut distinguer
les définitions fonctionnelles et les définitions substantives de
la religion. Il donne un exemple de définition fonctionnelle. Pour lui,
la religion est << un système de symboles, qui agit de
manière à susciter chez les hommes des motivations et des
dispositions puissantes, profondes, durables, en formulant des conceptions
d'ordre général sur l'existence et en donnant à ces
conceptions une telle apparence de réalité que ces motivations et
ces dispositions semblent ne s'appuyer que sur le réel ». La
religion est donc définie par les fonctions sociales qu'elle remplit et
non par son contenu.
Rivière36 propose pour sa part une
définition substantive lorsqu'il considère la religion comme
<< un ensemble de croyances et de symboles (et des valeurs qui en
dérivent directement) lié à une distinction entre une
réalité empirique et supra-empirique, transcendante ; les
affaires de l'empirique étant subordonné à la
signification du non empirique ». Dans ce cas, c'est le contenu même
des croyances, en particulier la référence à une
transcendance (un au-delà, des principes supérieurs, un dieu
personnel omniscient...) qui définit la religion.
Willaime souligne en plus, la nécessité
de dépasser l'opposition entre la définition fonctionnelle et
substantive et de prendre en compte la dimension charismatique qui joue un
rôle fondateur dans les religions. Il propose la définition selon
laquelle la religion est << une communication symbolique
régulière par rites et croyances se rapportant à un
charisme fondateur et générant une filiation ». La filiation
évoquée par Willaime est celle qui relie les
générations successives de croyants par la transmission des
normes, des valeurs, ders rites...
3. Politique
Le concept politique n'est pas toujours aisé
à définir pour autant qu'il revêt un caractère
dynamique, complexe et multidimensionnel. Veyne37 dit à ce
sujet que << la politique est une notion sans contenu fixe, tout peut
devenir politique ».
En effet, << issu de mot grec polis, la
cité, politeia, le gouvernement, le terme politique signifie dès
son apparition << les affaires publiques », les
34 M. MAUSS cité par
G. SIMMEL, La religion, Paris, Circé, 1998, p. 253.
35 J.-P. WILLAIME,
Sociologie des religions, Paris, Que sais-je ?, PUF, 1995, p.
108.
36 C. RIVIERE,
Socio-anthropologie des religions, Paris, Armand Colin, Coll. Cursus,
1997, p. 16.
37 VEYNE, cité par
J.-F. BAYART et Alii, Le politique par le bas en Afrique noire :
Contribution à une
problématique de la démocratie,
Paris, Karthala, 1992, p. 7.
collectivités, c'est-à-dire le
problème qui concerne l'ensemble de la communauté (politica : les
affaires de la cité).
Pendant l'antiquité grecque, la cité
représentait le cadre maximal, la plus vaste étendue souhaitable,
le pays, devant être à la portée de tous. Tout ce qui
dépasse ce cadre devient étranger et barbare. De nos jours, la
politique bien qu'elle recouvre un univers plus vaste, demeure l'ensemble des
relations du pouvoir d'influence, de gouvernement, de légitimité,
de hiérarchie et d'organisation dans une
société.
L'auteur distingue parmi les enjeux, ceux qui sont
politiques et ceux qui ne le sont pas. Pour y arriver, il part de la
distinction de ce qui est laissé au libre arbitre de l'individu,
c'est-à-dire le privé qui ne bénéficie nullement
pas de la couverture du gouvernement. Par contre, le public apparaît sous
ses yeux comme étant tout problème individuel faisant l'objet de
l'intervention gouvernementale. C'est ce qui est politique.
Certains auteurs définissent la politique comme
l'art de gouverner un Etat, ils soulignent qu'elle est l'activité la
plus haute qui englobe les autres, car elle est d'ordre général
et vise l'organisation de la vie sociale. C'est dans cette perspective que
Jean-Pierre Cott et Jean-Pierre Mounier38 soulignent qu'on peut
regrouper les tentatives de définition du politique autour de deux
notions : Etat et Pouvoir. Pour eux « personne ne conteste aujourd'hui la
prééminence de l'Etat comme cadre de l'action politique
».
La vie politique tant interne qu'internationale est
dominée par la concentration de tous les pouvoirs au niveau
organisationnel de l'Etat. En évoquant la notion de pouvoir, ces deux
auteurs parlent de la majorité des auteurs contemporains qui
ramènent la politique à la notion du pouvoir. Harold Lasswell et
Robert Dahl aux USA, Georges Burdeau, Maurice Duverger, Raymond Aron, en France
s'accordent pour considérer comme l'exercice du pouvoir.
Au demeurant, mettant en évidence la notion du
pouvoir, Georges Burdeau39 stipule que «tout fait, tout acte ou
toute situation ont dans le groupe humain un caractère politique dans la
mesure où ils traduisent l'existence des relations d'autorité et
d'obéissance établie en vue d'une fin commune », « le
» politique serait du point de vue statique, la structure que des telles
relations imposent à la société ; « la »
politique traduirait plutôt l'aspect dynamique de tous les
phénomènes impliqués par l'activité qui vise
à conquérir le pouvoir, ou son exercice.
38 J-P., COTT et J-P.,
MOUNIER, Pour une sociologie politique, T1, Paris, Seuil, 1974, p.
14.
39 G. BURDEAU, cité
par A. BIROU, Vocabulaire politique des sciences sociales, Paris,
Ouvrières, 1966, p.257
Quant à julien Freund40, pour
définir succinctement possible la politique, on peut s'appuyer sur le
respect des corrélations entre les divers présupposés du
commandement et de l'obéissance, du privé et du public, de
l'ennemi et de l'ami. La meilleure manière nous semble cependant celle
qui la caractérise par l'enrichissement des dialectiques que ces
présupposés commandent. Elle est alors sur le droit de
sécurité extérieure et la concorde antérieure d'une
entité politique particulière en garantissant l'ordre au milieu
des luttes qui naissent de la diversité et de la divergence des opinions
et des intérêts.
Pour sa part, Maurice Duverger41
définit la politique comme les deux faces du dieu Janus <<
à la fois l'instrument de domination de certaines classes et de certains
hommes et un moyen d'assurer un minimum d'ordre social et d'intégration
collective.
Des auteurs comme Jean Leca et Madeleine
Grawitz42 considèrent la politique en tant qu'objectifs qui
accompagnent (la politique-the political ; la politique-politics ; les
politiques-policy ; la politique ou la société : politiquepolity)
ne peuvent être définis. Les différentes théories
les conçoivent et les construisent car il n'existe, en la
matière, d'objet scientifique communément accepté auquel
les théories devraient << s'appliquer ». Ces auteurs
précisent que la définition accordée au concept <<
politique » n'en est pas une puisqu'elle n'est pas liée à
aucun enjeux précis mais elle permet de le désigner avec un
minimum de précision, ce que le théoricien veut dire c'est ce qui
lui servira des matériaux pour ses définitions.
Ils citent à cet effet, Harry Eckstein qui
distingue deux approches du concept << politique ».
La première considère la politique comme
toute relation impliquant un pouvoir légitime, le règlement des
conflits, la régulation des conduites à l'échelon d'une
collectivité englobante quelque soit sa localisation sociale ; la
seconde considère la politique comme la fonction et les activités
d'institutions et appareils différenciés et spécifiques
qui constituent le << domaine public ».
4. Eglise et Etat
Selon l'encyclopédie universelle43,
on entend ici par Eglise toute communauté d'adeptes d'une même
religion, sans exclure, comme on le fait parfois, les religions non
chrétiennes, ou les religions dépourvues plus ou moins
complètement de structure hiérarchisée, avec la
distinction des simples fidèles et des ministres du culte (comme il en
est par exemple dans l'Islam). Les adeptes
40 J. FREUND, Qu'est-ce
que la politique, Paris, Seuil, 1965, p. 177.
41 M. DUVERGER,
Introduction à la politique, Paris, Gallimard, 1964, p.
119.
42 J. LECA et M. GRAWITZ,
Traité de science politique, Vol.1, Paris, PUF, 1985, pp.
55-56.
43 Encyclopedia universalis,
V.6, Op. cit., p.1005.
d'une même religion ont en commun un corps de
croyances, pratiquent le même culte, suivent la même discipline
(formulée le cas échéant par les mêmes
autorités hiérarchiques), etc., et c'est en tout cela qu'ils
constituent une Eglise.
Et par Etat, on entend l'organisme qui constitue la
structure juridique, institutionnelle et politique de la communauté
nationale : le pouvoir, par conséquent, et la législation qui
émane de lui.
Chaque Eglise a une conception propre de ses rapports
avec les Etats sur le territoire desquels elle a des fidèles. Mais ce
sont les Etats, maîtres du temporel, qui, en fin de compte règlent
leurs rapports avec les Eglises soit, dans une très large mesure ce
qu'ils veulent, et non ce que celles-ci voudraient qu'ils soient. On s'en
tiendra donc ici à la perspective étatique, sans s'interdire de
faire allusion, le cas échéant, au point de vue des diverses
Eglises.
Eglises et Etats se rencontrent nécessairement,
et en divers domaines44 ; la cloison entre le temporel, dont l'Etat
a la charge, et le spirituel, qui est de la compétence des Eglises, ne
peut pas être étanche, même si l'Etat ne prétend pas
connaître du spirituel ni les Eglises du temporel.
Sur le plan juridique d'abord, les Eglises ne peuvent
guère faire l'économie d'un statut de droit étatique ; il
faut pour leurs biens une assiette juridique religieux spéciale qui n'a
rien à voir de celui de l'Etat. Cependant, leurs activités
intéressent l'ordre public, dont l'Etat porte la
responsabilité.
Certaines Eglises, l'Eglise catholique notamment, ont
leur législation propre régissant les domaines comme le mariage,
dont s'occupe également l'Etat. Mais, beaucoup plus, s'affrontent
parfois des conceptions du destin de l'homme qui sont à la base des
dogmes, des morales des Eglises, d'une part, des législations, des
structures, des politiques des Etats, d'autre part. L'enjeu est grave :
indépendance de l'Etat part rapport aux « forces religieuses »
; efficience de son action en vue des fins qu'il s'assigne, de l'ordre public
qu'il veux faire prévaloir ; cohésion de la communauté
nationale, dont il est responsable, malgré le pluralisme religieux et
les germes de cloisonnements qu'il porte en lui.
Liberté de conscience pour les citoyens,
liberté pour ce qui pensent de la même façon de se grouper,
sans subir des mesures discriminatoires, sans devoir rendre des comptes
à quiconque et d'abord à César (prince). Où
s'arrête, en tout cela, la mission de l'Etat ? Comment délimiter
le domaine qui est le sien ? C'est l'analyse consacrée par la
laïcité de l'Etat dans la quête de la paix
sociale.
A ce niveau, la rencontre, l'affrontement ne sont plus
simplement du domaine du droit.
44 Encyclopedia universalis,
V.6, Op. cit., p. 1005.
Rencontre politique : il faut prévenir ou
apaiser les conflits ; on négocie. S'agissant de l'Eglise catholique, et
le Saint-Siège étant la personne morale souveraine de doit
international public, des échanges de représentants
diplomatiques, des traités que l'on appelle concordats sont l'un des
modes , non le seul, de ces négociations politiques.
Rencontre, ou affrontement parfois, sur le plan
sociologique enfin : influences, pressions de toutes sortes, des Eglises sur
l'Etat et réciproquement, pressions directes ou par personnes
interposées. Les moyens et les occasions ne manquent pas.
Il ne saurait être question ici d'une
étude d'ensemble des relations, entre les Eglises et les Etats sous les
multiples et complexes aspects qui viennent d'être dits. Dans la
perspective institutionnelle à laquelle on se tiendra, les solutions des
problèmes qu'on a évoqués sont largement commandées
par ces options fondamentales. En premier lieu, l'Etat prend parti pour une
religion déterminée ou, au contraire il s'abstient de le faire,
il reste << en deçà » de l'option religieuse. On se
trouve ainsi, en présence de deux types d'Etats : d'un coté les
Etats confessionnels, de l'autre les Etats non confessionnels ou <<
laïques ».
La seconde option interfère avec la
première : l'Etat confessionnel peut accepter, plus ou moins docilement,
les impératifs de la religion qu'il professe, les faire passer dans sa
politique, sa législation et en constituer une religion d'Etat ; il peut
aussi entendre rester maître de sa législation, de sa politique,
laissant d'autre part l'Eglise libre dans le cadre des exigences de l'ordre
public qu'il définit souverainement ; il peut enfin, à l'autre
extrême , vouloir contrôler, dominer plus ou moins
profondément cette Eglise, afin qu'elle serve sa politique ou du moins
n'y mette pas entrave.
C'est d'une part la démocratie ou le
cléricalisme, d'autre part le libéralisme, enfin le gallicanisme.
L'Etat non confessionnel ne saurait évidemment, par définition,
être institutionnellement théocratique ou clérical,
puisqu'il ne donne investiture officielle à aucune Eglise ; mais il
peut, tout comme l'Etat confessionnel, opter, soit pour le libéralisme,
soit pour le gallicanisme45.
5. L'Espace public
L'espace public représente dans les
sociétés humaines, en particulier urbaines, l'ensemble des
espaces de passage et de rassemblement qui sont à l'usage de tous, soit
qu'ils n'appartiennent à personne (en droit par ex.), soit qu'ils
relèvent du domaine public ou, exceptionnellement, du domaine
privé.
La définition générale ci-dessus
implique un Etat de droit qui garantisse droits et libertés des citoyens
dans le domaine public, dont la liberté de circulation ;
45 Encyclopedia universalis,
V.6, op. cit., p. 1006.
elle n'exclut pas de développer dans cet
article ou des articles parallèles les concepts qui
précèdent l'espace public
républicain ou qui en dérivent dans les
métropoles contemporaines ou s'y substituent dans les régimes
autoritaires, etc.
La définition générale implique
aussi que soient définis le domaine public, les autorités qui le
gèrent et les réglementations ou restrictions qui encadrent le
statut ouvert et anonyme de l'espace public. Par exemple, les fleuves et
rivières, bois et forets, parcs et squares, rues et places
Enfin, l'espace public constitue l'espace de vie
collective de ses riverains (habitants, commerçants, artisans, ..) et
les formes locales de la vie collective le marquent de manière
multiforme : l'aménagement, l'ambiance, la couleur et les
décorations de la rue, les marchés, les activités
économiques (vendeurs ambulants, étals, ...) ou collectives
(terrasses, jeux, processions, carnavals, etc.) préservent plus ou moins
le statut social et l'anonymat de chacun, avec dans les villes une très
grande variétés de situations (des ghettos homogènes aux
zones les plus diversifiées).
En philosophie ce concept a été
utilisé en premier lieu par Kant et a été défini
plus précisément par Hannah Arendt, en particulier dans
Condition de l'homme moderne (1958) et
dans La Crise de la culture (1961).
L'usage de ce concept philosophique a toutefois
rapidement été supplanté par le grand engouement qu'a
connu son acception dans les sciences humaines et sociales.
L'espace public est une notion très
utilisée en sciences sociales depuis la thèse de Jürgen
Habermas intitulée L'espace public : archéologie de la
publicité comme dimension constitutive de la société
bourgeoise (1963).
Dans cet ouvrage, Habermas décrit << le
processus au cours duquel le public constitué d'individus faisant usage
de leur raison s'approprie la sphère publique contrôlée par
l'autorité et la transforme en une sphère où la critique
s'exerce contre le pouvoir de l'État. » Le processus en question
est à dater au XVIIIe siècle en Angleterre (quelque
trente années plus tard en France), siècle de
développement de l'urbanisation et de l'émergence de la notion
d'espace privé dans la bourgeoisie des villes. L'auteur montre comment
les réunions de salon et les cafés ont contribué à
la multiplication des discussions et des débats politiques, lesquels
jouissent d'une publicité par l'intermédiaire des médias
de l'époque (relations épistolaires, presse
naissante).
La notion de << publicité » (au sens
de la large diffusion des informations et des sujets de débats via les
médias) est un élément phare de la théorie
d'Habermas : celle-ci doit être comprise comme dimension constitutive de
l'espace public et comme principe de contrôle du pouvoir
politique.
Pour cet auteur, après son essor au
XVIIIe siècle, l'espace public << gouverné par
la raison >> sera en déclin, puisque la publicité critique
laissera peu à peu la place à une publicité << de
démonstration et de manipulation >>, au service
d'intérêts privés. C'est d'ailleurs aujourd'hui tout
l'enjeu de la démocratie délibérative ou participative,
qui doit composer avec la nécessité d'un débat uniquement
commandé par l'usage public de la raison, et non des
intérêts particuliers. Habermas a été croisé
cri en ce qui concerne critiquement évolution de l'espace public par
l'historienne française Arlette Farge dans Dire et mal
dire (1992) où elle montre que l'espace public n'est pas
seulement constitué par une bourgeoisie ou des élites sociales
cultivées mais aussi par la grande masse de la population. Celle-ci
forge par elle-même les notions de liberté d'opinion et de
souveraineté populaire. Pour Farge, le peuple tente de se forger une
identité en s'émancipant par la discussion politique. Roger
Chartier a également utilisé l'approche d'Habermas dans Les
origines culturelles de la révolution française
(1990).
Aujourd'hui l'espace public est au centre de
nombreuses problématiques, notamment dans le champ des sciences de la
communication. On citera notamment l'analyse de Bernard Miege (La
société conquise par la communication) qui
distingue, dans un retour historique sur les modèles d'espace public,
quatre grands modèles de communication qui organisent un espace public
élargi et fragmenté : la presse d'opinion (milieu du
XVIIIe siècle), la presse commerciale (à partir du
milieu du XIXe siècle), les médias audiovisuels de
masse (depuis le milieu du XXe siècle) et les relations
publiques généralisées (depuis les années
1970)46.
Section IIème : Modèles
explicatifs A. L'analyse institutionnelle
La théorie institutionnelle invoquée
dans le cadre de cette étude révèle selon Maurice Hauriou
que l'Etat est l'institution des institutions en tant qu'il est l'institution
suprême ou terminale. Aucune institution n'ayant vis-à-vis de lui
une puissance égale d'intégration.
La politologie considérant, comme on vient de le
voir, l'institution étatique dans sa totalité ne se limite
cependant pas à elle.
Elle la prend comme point de départ et comme
référence théorique pour l'étude des
phénomènes qui se rattachent à l'Etat en tant que
pré-étatiques, para-étatiques, infra-étatiques et
supra-étatiques47. A cet égard, la politologie
écarte l'erreur méthodologique de la sociologie,
commençant l'étude des phénomènes
politiques
46 Site : Wikipédia
: encyclopédie libre, site web.
47M. PRELOT, La science
politique, Paris, PUF, 1963, p.95.
par celle des manifestations d'autorité, encore
mal différenciés, sur lesquelles nos connaissances ont un
caractère souvent conjoncturel.
Si notre respect est dû aux efforts
considérables déployés par les auteurs des travaux
effectués dans ce domaine, nous ne pouvons pas nous empêcher de
nous en inspirer. Il faut donc, pour aboutir à des résultats
féconds, partir des éléments de connaissance
assurée que fournit ces doctrines.
Cette théorie nous est pertinente de par ses
quatre niveaux d'analyse sus évoqués en tant que
phénomènes déterminant les dynamismes institutionnels,
dont notamment :
> Les phénomènes
pré-étatiques : c'est-à-dire les phénomènes
qui relèvent d'époques ou de lieux où l'Etat n'existe pas
encore. Ils font partie de la politique, en tant qu'ils touchent aux
commencements de l'Etat.
> Les phénomènes
infra-étatiques : ils procèdent, en vertu d'une extension
analogue, de la connaissance politique. On peut définir ceux-ci comme
les institutions et les relations intéressant des collectivités
auxquelles on reconnaît le caractère politique, mais auxquelles on
dédie le caractère d'Etat. C'est notamment le cas des Etats dits
mi-souverains, ou de certaines situations « coloniales ».
> Les phénomènes
inter-étatiques, supra-étatiques, trans-étatiques : ceuxci
non moins logiquement postulent la même intégration que les
précédents. Mais, alors même que les
phénomènes politiques intéressant les hommes d'aujourd'hui
dépasseraient l'Etat, en devenant universels ou régionaux (au
sens donné à ce terme par le droit international), le passage
à des institutions internationales, transnationales ou supra-nationales
n'impliquerait pas la disparition de l'Etat48.
Delos49 constate qu'il y a aujourd'hui
beaucoup moins de différence entre l'organisation étatique et les
phénomènes supra et inter-étatiques qui ne continuent
qu'entre l'ordre féodal et l'ordre étatique. Ainsi, loin de
constituer une objection à l'identification du politique et de
l'étatisation, les phénomènes de l'au-delà de
l'Etat en sont une confirmation, puisqu'ils demeurent eux-mêmes
fondés sur l'Etat.
> Les phénomènes
para-étatiques : sont ceux qui intéressent l'essentiel de cette
étude ; ils peuvent quant à eux être qualifiés de
« remplacement ». Il est des époques dont révèle
Marcel Prelot50, sans Etat, mais où, à la
différence des temps primitifs, une organisation sociale puissante
remplace l'Etat, assurant les fonctions qui, avec le retour de l'Etat,
deviendront le domaine de l'Etat. C'est le cas des organisations
confessionnelles en RDC qui, ont réussi à tirer profit de la
faillite de l'Etat en se « substituant » en lui pour assurer
certaines missions revenant à l'Etat.
48 F. L'HUILLIER cité
par Marcel PRELOT, Op. Cit., p. 98.
49 R. P. Délos
cité par Marcel PRELOT, Op. cit., p. 99.
50 M. PRELOT,
Op.cit., p.96.
Le cas du domaine de l'enseignement assuré
majoritairement par les Eglises en est donc l'exemple-type. D'où la
problématique de laïciser l'Espace public en milieu
éducatif. Relevons aussi le domaine sanitaire, le rôle
privilégié que joue les églises dans le cadre de
développement sanitaire par la mise en place des structures et
organisations ad hoc de développement.
Voici l'un des éléments féodaux
des régimes congolais qui se sont succédés à
l'instar de ce que fait observer Prelot51 : << La
féodalité constitue l'un des plus achevés de ces ordres de
remplacement ». C'est une organisation d'un type spécial qui
apparaît chaque fois que l'Etat, s'affaiblissant et n'étant plus
capable de remplir ses devoirs, finit par perdre conscience de son rôle.
C'est ce que Timbal52 appelle dans ce cadre la <<
relève de l'Etat » qui selon lui, est en particulier le fait de
deux sociétés elles-mêmes réputées parfaites
comme l'Etat : la famille et l'Eglise. Dans le contexte de la RDC, c'est
parfaitement le fait des Eglises qui, depuis l'ancien régime, en plus de
leurs missions, celles d'assurer à leurs adeptes les conditions
spirituelles, elles s'intéressent plus aux activités temporelles
et notamment économiques, politiques et sociales qui leurs ont permis de
devenir vite des véritables machines économiques et politiques
à l'instar de l'Etat entrepreneur et social. Ces
phénomènes ne sont pas sans danger pour l'Etat compte tenu de
l'implication certaine des Eglises dépassant l'intervention de l'Etat au
point que l'on peut affirmer qu'il s'agit d'un << domaine
réservé ».
La théorie institutionnelle en est une propice
pour cette étude en ce sens qu'elle s'intéresse à la
suprématie institutionnelle de l'Etat dans ses rapports avec les
institutions périphériques et notamment les Eglises qui
apparaissent sous nos yeux, dans certaines circonstances comme des substituts
fonctionnels de l'Etat dégradé qu'est la RDC, voulant
surenchérir le point de vue de Lucien Nizard53 selon lequel,
<< l'objection souvent faite à la conception de la politologie,
science de l'Etat, d'être dépassée par
l'institutionnalisation de la vie politique, est déjà
réfutée par l'événement qui, sous nos yeux,
multiplie les nouveaux Etats ».
B. L'Analyse de la sociologie historique du politique
Cette analyse a été mise défendue
par les politistes parmi lesquels, JeanFrançois Bayart, Achille Mbembe,
Tony Toulabor, Yves Deloye, Bertrand Badie, Pierre Rosanvallon pour examiner
l'impact historique sur le politique.
L'objet de cette théorie est, parce que se veut
attentive à la diversité des espaces, aux évolutions
décalées, parfois discordantes, aux temporalités
multiples, aux discontinuités comme aux persistances, aux effets
émergents, la sociologie historique de l'Etat entend éviter toute
pensée qui tend à hypostasier l'existence du
51 Idem.
52 P.-C. TIMBAL, Histoire
des institutions et des faits sociaux, Paris, Dalloz, 2002, p.
10.
53 L. NIZARD, << Les
nouveaux Etats : aboutissements et commencements politiques », in
Politique, juillet- septembre 1961, p. 194.
politique avec un grand P et à y
reconnaître une substance permanente (le pouvoir, la domination, ...).
Elle entend au contraire ériger en objet d'analyse les frontières
fluctuantes et l'autonomie toujours contestée de l'espace
politique54.
Il ne s'agit pas ici comme le montre Pierre
Rosanvallon55, de considérer le politique comme lieu d'action
de la société sur elle-même, moins encore de
découper en rondelles une histoire politique autonome du social mais de
penser l'articulation complexe et dynamique du politique et du social, du
global et du local. Il s'agit pour Karl Polanyi56, non seulement les
moments et les espaces du << desencastrement » du politique par
rapport au social (au sens large : religieux, économique, ...) mais
aussi les périodes et les secteurs où le social (religieux,
économique, ...) se réapproprie le politique.
Bertrand Badie et Pierre Birnbaum57
contribuent à systématiser les acquis de la sociologie historique
de l'Etat. Leur sociologie de l'Etat reste l'une des meilleures introductions
à cette question. Les deux auteurs estiment nécessaire <<
de distinguer les systèmes politiques qui connaissent à la fois
un centre et un Etat (la France) de ceux qui possèdent un Etat sans
centre (Italie), ou un centre sans véritable Etat (Grande Bretagne,
Etats-unis), ou encore ni centre ni Etat complet (Suisse).
* Dans les deux premiers cas (ceux des
sociétés à << Etats forts »), l'emprise de
l'Etat sur la société est particulièrement forte : l'Etat
entend dominer et organiser la société civile en se dotant d'une
importante bureaucratie qui consacre la différenciation entre la
sphère étatique et les autres sphères de l'activité
sociale notamment la religion.
* Dans les deux derniers cas (ceux des
sociétés à << Etat faible »), la
société civile réussit largement à s'autogouverner,
ce qui la dispense de se doter d'un Etat fort. Dans ce modèle, le
degré d'étatisation de la société dépend des
conditions initiales de formation de l'Etat : plus les structures
traditionnelles principalement féodales, résistent au processus
de modernisation politique, plus le centre politique se renforce et se dote
d'un Etat fort, seul capable de surmonter les résistances
périphériques en l'occurrence religieuses, sociales ou
territoriales.
Il en ressort que pour le cas de l'Etat congolais,
l'emprise des Eglises dans le cadre de la société civile est
évidente sur le politique mais aussi ses interventions et
réalisations sur le plan social sont susceptibles de concurrencer celles
de l'Etat rétrécissant ainsi sa présence, le rôle de
celui-ci ou, tout simplement l'espace public posant ainsi avec acuité la
problématique de la laïcisation de l'Etat dans la manifestation
publique quotidienne. D'où la présence ou la manifestation
certaine de
54 Y. DELOYE, Sociologie
historique du politique, Paris, La Découverte, 2003, p.
13.
55 P. ROSANVALLON cité
par Yves DELOYE, Idem, p. 34.
56 K. POLANYI, <<
Repérage du politique. Regard disciplinaire et approche du terrain
», cité par Norbert ELIAS, Espaces Temps,
3ème Trimestre, 2001. p.47.
57 B. BADIE et P. BIRNBAUM,
cités par Yves DELOYE, Op. cit, p. 4748.
l'Eglise que de l'Etat fragilisant
l'édification de l'identité politique au détriment de
l'identité religieuse dominée par les croyances, la foi occupant
ainsi la place prépondérante.
|