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L'etre-là  africain et inculturation: essai d'une relecture théologique de Martin Heidegger pour l'Afrique

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par Roland TECHOU
Grand Séminaire Mgr Louis Parisot Tchanvedji Bénin - Baccalaureat en théologie 2010
  

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1.1.2- Appropriation critique de la tradition

Par réappropriation, on évoque le fait de reprendre en d'autres termes l'héritage de ses prédécesseurs ; par appropriation, on entend l'action d'approprier, c'est-à-dire de rendre propre à un usage, à une destination. Ainsi approprier une tradition, c'est la réintégrer dans le propre de son sens et dans ce contexte heideggérien, ce que la tradition possède de propre n'est rien d'autre que l'être dans sa vérité. En s'appropriant et en se réappropriant la tradition, Heidegger trace une voie neuve qui lui permet de prendre ses distances et de poser sa question ontologique; de critiquer la tradition elle-même afin de récuser la tradition transmission en faveur de la tradition création.

En ce sens, il distingue la tradition, qui en accédant à la suprématie recouvre ce qu'elle transmet de la délivrance, qui libère le retour vers des possibilités d'existence du Dasein ayant être-là. C'est ce point de réappropriation qui répond à notre investigation. Nous allons donc à partir de l'authenticité de l'être-là présentée par Heidegger, restituer celle de l'africain en lui faisant réapproprier son essence originelle qui seule serait capable de recevoir un souffle théologique. Ceci sera le présupposé théologique d'un dialogue entre foi chrétienne et culture africaine sans que l'une soit sacrifiée au détriment de l'autre. Si une telle vision avait été ratée, sa réappropriation ne manquera pas de tenir compte du contexte de la culture aujourd'hui et de l'enjeu que présente le dire théologique de nos jours. Si les mutations de celui-ci sont évidentes aujourd'hui sans que soit niée son essence, il faut aussi restaurer à l'homme pour qui il se fait, sa vraie identité. La tradition devrait être désormais intégrée et enrichie dans une expression créative.

1.1.3- Nouveauté conceptuelle de la tradition

Nous sommes en face du rapport entre Heidegger et la Tradition. Il se pose le problème de "l'authenticité», de "l'originalité" de la pensée Heideggérienne en général, et de l'ontologie fondamentale en particulier. Tout part de la problématique heideggérienne de l'être. Heidegger place la tradition philosophique dans l'horizon de la question de l'être pour la jauger avec ce qui devrait être son objectif essentiel. Face donc à l'oubli de l'être dont il taxe ses prédécesseurs, il adopte une attitude critique à l'égard de la tradition. Loin d'être purement négative, cette critique fait apparaître aussi bien les limites de la tradition que ses contours. D'où son interprétation de la tradition est dans son fond une appropriation de la tradition. Heidegger s'approprie et se réapproprie la tradition à elle-même en dévoilant ses zones d'ombre, ses fondements cachés. Ainsi, approprier une tradition revient à la rendre en propre et ici il ne s'agit que de la question de l'être qui fait sa vérité essentielle. Heidegger donne à l'occident la mesure de son être en prenant sa distance par rapport à la tradition, ce qui lui permet de se percer sa propre voie déjà ébauchée par Héraclite et Parménide. Dès lors il donne au concept de Tradition une nouvelle connotation. Exposée dans les paragraphes 6 et 67 de Etre et Temps, sa vision critique de la tradition récuse celle-ci comme "transmission" c'est-à-dire dans son "apparaître quotidien". L'analyse de départ est axée sur le thème de répétition. Etre, c'est être dans le temps. Donc, l'être est dans le temps, non seulement comme présent ou comme exclusivement passé, mais aussi et surtout comme futur. Pour Heidegger, l'être-là est donc historicité. L'innovation ici est de ne plus restreindre l'être-là vers le seul présent mais de l'orienter également sur le futur, sur son avenir. Or l'historicité pour Heidegger n'est rien d'autre que la tradition dans laquelle se trouve inséré tout Dasein. Celui-ci est alors un héritier. Il est donc en mesure de lire sa tradition, de la découvrir à la suite des récits et événements à lui légués par les "anciens", et aussi capable de la "conserver". Mais il peut également la perdre et donc la faire passer dans l'oubli ou dans l'errance. La perte de la tradition viendrait sans doute du fait de l'être-là qui se laisse aller dans l'abandon au monde de la quotidienneté. Tout être - là incapable de considérer sa vie et son existence comme une décision personnelle est donc, absolument, sous l'emprise de la quotidienneté; et là disparaît le jugement personnel et on se met sous "l'autorité de la tradition". Tous les philosophes occidentaux en ont été victimes, ce qui a occulté la vérité de l'être en occident. La tradition transmission où chacun, soumis à la loi des préjugés, des interdits, des tabous que nul ne peut enfreindre, emprisonne le Dasein et ne lui laisse aucun espace de liberté pouvant lui permettre d'assumer sa tradition d'une façon créatrice. Ce qui demande à l'être-là une décision personnelle en vue de conduire sa vie ou son existence de manière autonome et responsable. Il s'agit- là d'un passé à cultiver, à actualiser et à réanimer. C'est un moment de reprise herméneutique. A ce niveau de la critique de la tradition transmission à la volonté de création, se dessine une nouvelle image de la tradition « à la Heidegger », sa "re-prise herméneutique" Comprendre sa tradition d'une façon créatrice, c'est la soumettre à un double langage d'interprétation et de transformation, c'est-à-dire au travail de l'herméneutique. Alors, le sens de la re-prise herméneutique veut que chaque peuple assume sa situation, la connaisse, mieux, en prenne conscience. Il n'y a donc que l'acte de création qui peut sauver du déclin. Tout créateur s'appuie sur les faits et oeuvres de sa tradition, de son histoire et donc de sa culture dans lesquels il est lui-même partie prenante. Or depuis toujours, l'être-là africain a été nié, tourné au ridicule. A l'aune de l'évangélisation du continent, cet être-là a été perçu à tous les niveaux comme porteur d'un germe pathologique à opérer en procédant à une tabula rasa de la mentalité, de tout le schème mental à remplacer systématiquement par les visions et confusions occidentales. Or avec Heidegger, on perçoit nettement que le dasein est une personne humaine, ouverte aux autres. Peut-il y avoir donc de relation humaine sans culture? Nous sommes donc à un niveau où la présentation de l'être-là heideggérien présente les caractéristiques de l'homme enculturé, capable d'accueillir sa culture et tout en s'ouvrant à celles des autres ne perd rien de la sienne et ne se nie point. La culture devient son trait distinctif en même temps qu'elle justifie sa capacité de s'ouvrir aux autres. Une telle image de l'homme interpelle l'africain et plus précisément le chrétien africain qui est, à son tour, interpellé par le message du salut et qui dans le processus d'harmoniser son identité culturelle avec une telle Bonne Nouvelle, recherche des itinéraires sûrs. C'est pour cela qu'il faut lui permettre de redécouvrir en lui-même le processus qui avait été escamoté dans la hâte d'imposer cette Bonne Nouvelle. Il s'agit donc de voir que la définition qu'offre Heidegger n'est pas étrangère dans la conception africaine. La saisir et s'en convaincre, c'est se réconcilier avec sa tradition pour une meilleure insertion dans le dialogue du salut.

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"Ceux qui rĂªvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rĂªvent de nuit"   Edgar Allan Poe