1.1.2- Appropriation critique de
la tradition
Par réappropriation, on évoque le fait de
reprendre en d'autres termes l'héritage de ses
prédécesseurs ; par appropriation, on entend l'action
d'approprier, c'est-à-dire de rendre propre à un usage, à
une destination. Ainsi approprier une tradition, c'est la
réintégrer dans le propre de son sens et dans ce contexte
heideggérien, ce que la tradition possède de propre n'est rien
d'autre que l'être dans sa vérité. En s'appropriant et en
se réappropriant la tradition, Heidegger trace une voie neuve qui lui
permet de prendre ses distances et de poser sa question ontologique; de
critiquer la tradition elle-même afin de récuser la tradition
transmission en faveur de la tradition création.
En ce sens, il distingue la tradition, qui en
accédant à la suprématie recouvre ce qu'elle transmet de
la délivrance, qui libère le retour vers des possibilités
d'existence du Dasein ayant être-là. C'est ce
point de réappropriation qui répond à notre investigation.
Nous allons donc à partir de l'authenticité de
l'être-là présentée par Heidegger, restituer celle
de l'africain en lui faisant réapproprier son essence originelle qui
seule serait capable de recevoir un souffle théologique. Ceci sera le
présupposé théologique d'un dialogue entre foi
chrétienne et culture africaine sans que l'une soit sacrifiée au
détriment de l'autre. Si une telle vision avait été
ratée, sa réappropriation ne manquera pas de tenir compte du
contexte de la culture aujourd'hui et de l'enjeu que présente le dire
théologique de nos jours. Si les mutations de celui-ci sont
évidentes aujourd'hui sans que soit niée son essence, il faut
aussi restaurer à l'homme pour qui il se fait, sa vraie identité.
La tradition devrait être désormais intégrée et
enrichie dans une expression créative.
1.1.3- Nouveauté
conceptuelle de la tradition
Nous sommes en face du rapport entre Heidegger et la
Tradition. Il se pose le problème de "l'authenticité», de
"l'originalité" de la pensée Heideggérienne en
général, et de l'ontologie fondamentale en particulier. Tout part
de la problématique heideggérienne de l'être. Heidegger
place la tradition philosophique dans l'horizon de la question de l'être
pour la jauger avec ce qui devrait être son objectif essentiel. Face donc
à l'oubli de l'être dont il taxe ses prédécesseurs,
il adopte une attitude critique à l'égard de la tradition. Loin
d'être purement négative, cette critique fait apparaître
aussi bien les limites de la tradition que ses contours. D'où son
interprétation de la tradition est dans son fond une appropriation de la
tradition. Heidegger s'approprie et se réapproprie la tradition
à elle-même en dévoilant ses zones d'ombre, ses fondements
cachés. Ainsi, approprier une tradition revient à la rendre en
propre et ici il ne s'agit que de la question de l'être qui fait sa
vérité essentielle. Heidegger donne à l'occident la mesure
de son être en prenant sa distance par rapport à la tradition, ce
qui lui permet de se percer sa propre voie déjà
ébauchée par Héraclite et Parménide. Dès
lors il donne au concept de Tradition une nouvelle connotation. Exposée
dans les paragraphes 6 et 67 de Etre et Temps, sa vision critique de la
tradition récuse celle-ci comme "transmission" c'est-à-dire dans
son "apparaître quotidien". L'analyse de départ est axée
sur le thème de répétition. Etre, c'est être dans le
temps. Donc, l'être est dans le temps, non seulement comme
présent ou comme exclusivement passé, mais aussi et surtout comme
futur. Pour Heidegger, l'être-là est donc historicité.
L'innovation ici est de ne plus restreindre l'être-là vers le
seul présent mais de l'orienter également sur le futur, sur son
avenir. Or l'historicité pour Heidegger n'est rien d'autre que la
tradition dans laquelle se trouve inséré tout Dasein. Celui-ci
est alors un héritier. Il est donc en mesure de lire sa tradition, de la
découvrir à la suite des récits et
événements à lui légués par les "anciens",
et aussi capable de la "conserver". Mais il peut également la perdre et
donc la faire passer dans l'oubli ou dans l'errance. La perte de la tradition
viendrait sans doute du fait de l'être-là qui se laisse aller
dans l'abandon au monde de la quotidienneté. Tout être - là
incapable de considérer sa vie et son existence comme une
décision personnelle est donc, absolument, sous l'emprise de la
quotidienneté; et là disparaît le jugement personnel et on
se met sous "l'autorité de la tradition". Tous les philosophes
occidentaux en ont été victimes, ce qui a occulté la
vérité de l'être en occident. La tradition transmission
où chacun, soumis à la loi des préjugés, des
interdits, des tabous que nul ne peut enfreindre, emprisonne le Dasein et ne
lui laisse aucun espace de liberté pouvant lui permettre d'assumer sa
tradition d'une façon créatrice. Ce qui demande à
l'être-là une décision personnelle en vue de conduire sa
vie ou son existence de manière autonome et responsable. Il s'agit-
là d'un passé à cultiver, à actualiser et à
réanimer. C'est un moment de reprise herméneutique. A ce niveau
de la critique de la tradition transmission à la volonté de
création, se dessine une nouvelle image de la tradition «
à la Heidegger », sa "re-prise herméneutique" Comprendre sa
tradition d'une façon créatrice, c'est la soumettre à un
double langage d'interprétation et de transformation,
c'est-à-dire au travail de l'herméneutique. Alors, le sens de la
re-prise herméneutique veut que chaque peuple assume sa situation, la
connaisse, mieux, en prenne conscience. Il n'y a donc que l'acte de
création qui peut sauver du déclin. Tout créateur s'appuie
sur les faits et oeuvres de sa tradition, de son histoire et donc de sa culture
dans lesquels il est lui-même partie prenante. Or depuis toujours,
l'être-là africain a été nié, tourné
au ridicule. A l'aune de l'évangélisation du continent, cet
être-là a été perçu à tous les niveaux
comme porteur d'un germe pathologique à opérer en
procédant à une tabula rasa de la mentalité, de tout le
schème mental à remplacer systématiquement par les visions
et confusions occidentales. Or avec Heidegger, on perçoit nettement que
le dasein est une personne humaine, ouverte aux autres. Peut-il y avoir donc de
relation humaine sans culture? Nous sommes donc à un niveau où la
présentation de l'être-là heideggérien
présente les caractéristiques de l'homme enculturé,
capable d'accueillir sa culture et tout en s'ouvrant à celles des
autres ne perd rien de la sienne et ne se nie point. La culture devient son
trait distinctif en même temps qu'elle justifie sa capacité de
s'ouvrir aux autres. Une telle image de l'homme interpelle l'africain et plus
précisément le chrétien africain qui est, à son
tour, interpellé par le message du salut et qui dans le processus
d'harmoniser son identité culturelle avec une telle Bonne Nouvelle,
recherche des itinéraires sûrs. C'est pour cela qu'il faut lui
permettre de redécouvrir en lui-même le processus qui avait
été escamoté dans la hâte d'imposer cette Bonne
Nouvelle. Il s'agit donc de voir que la définition qu'offre Heidegger
n'est pas étrangère dans la conception africaine. La saisir et
s'en convaincre, c'est se réconcilier avec sa tradition pour une
meilleure insertion dans le dialogue du salut.
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