Chapitre 4
3.4- L'ENGAGEMENT HERMENEUTIQUE
DE LA THEOLOGIE EN AFRIQUE
3.4.1- De la négritude à la
théologie
Jésus-Christ est le mode de dialogue entre Dieu et les
hommes. Et notre réponse à son appel à entrer en alliance
nous est dictée encore par lui. Il est donc la mesure de notre
engagement. En ce sens, l'africain ne s'inscrira dans la vraie alliance comme
en partenariat avec Dieu que s'il s'inscrit dans la réalité de
l'inculturation. La négritude comme mouvement littéraire de cette
quête d'identité a pensé les jalons d'une telle
quête de soi. Son enjeu de revendication est à dépasser
dans un contexte de relation de l'africain avec l'Etre Transcendant de qui il
reçoit sens et existence. L'engagement authentique de l'africain en face
de l'évangile ne peut se faire dans l'ignorance ou le mépris de
son identité culturelle. L'être-là africain est ouvert et
réceptif. D'où il importe de pouvoir situer culturellement le
Message évangélique. C'est assumer la négritude et la
dépasser. Car, l'histoire définitive de Dieu avec les hommes
n'est pas un objet historique banal. C'est cette histoire même qui
dispose de nous et nous détermine. L'auto livraison objective de Dieu
en Jésus-Christ, dira R. Barth, devient réalité
subjective en nous par l'effusion du Saint Esprit74(*). C'est cette
réalité subjective qui est ouverte à dire Dieu à
partir de l'auto livraison qu'il accueille. Toute la démarche de
l'inculturation est à ce niveau et il faut le percevoir dans
l'ouverture que nous propose M. Heidegger.
3.4.2- De l'ontothéologie
à l'inculturation
Nous voulons partir de cette critique heideggérienne,
adressée à la théologie embrigadée dans des
considérations sur le concept Etre, pour déterminer les points
théologiques qui doivent servir de bases à l'inculturation. Ceci
pour justifier une fois encore la pertinence de notre choix du philosophe
allemand dans un débat sur l'être- là africain en
quête d'identité théologique. La révolution
opérée par ce philosophe a montré la force de la tradition
et sa capacité d'ouverture. L'enjeu fondamental du débat de
Heidegger avec la théologie est que tout homme possède une
identité culturelle capable d'accueillir le message de salut, de se
l'approprier et de se l'exprimer avec son outil conceptuel propre. C'est en
cela que nous avons posé l'hypothèse que toute
Herméneutique est une Inculturation. Toute interprétation de la
Bonne Nouvelle de salut est un engagement de celui qui accueille, à
faire sien le message, à se l'approprier et à lui faire porter
les marques de son être-là. Ne pas le percevoir ainsi, c'est
vivre en dichotomie avec sa foi dans un contexte où Dieu est sans enjeu
pour le sujet culturel. Il importe de voir comment
l'évangélisation des cultures réalise l'inculturation. J.
Scheuer notait que « L'inculturation est le processus par lequel
la vie et le message chrétien s'insèrent dans une culture
particulière, s'incarnant pour ainsi dire dans une communauté
culturelle, une société donnée et y prennent si bien
racine qu'ils produisent de nouvelles richesses, des formes inédites de
pensée, d'action, de célébration. »75(*) Et H. Carrier renchérit
en notant que « L'inculturation désigne l'effort pour faire
pénétrer le message du Christ dans un milieu socioculturel,
appelant celui-ci à croître selon toutes ses valeurs propres
dès lors que celles-ci sont conciliables avec l'Evangile. ... dans
le plein respect du caractère et du génie de chaque
collectivité humaine. »76(*) A la suite de ses définitions rendues
accessibles par la critique ontothéologique qui nous fait passer de
`'Dieu égal à l'Etre'' à `'Dieu sans l'Etre'', nous nous
inscrivons dans les analyses de Achiel PEELMAN77(*) pour percevoir combien
l'inculturation, un terme proprement théologique se
situe aux frontières de l'anthropologie et de la théologie
systématique. Il note en effet que le rôle de la culture qui
reçoit l'Evangile est primordial. C'est d'elle-même que chaque
culture doit produire les fruits de l'inculturation. Chaque inculturation
véritable de l'Evangile est en quelque sorte une actualisation dans le
temps et dans l'espace du mystère unique et central de l'incarnation ou
de l'humanisation de Dieu. L'incarnation est donc le donné fondamental
sur lequel repose le processus d'inculturation et qui en même temps
détermine le mode de dialogue. Dieu se propose à l'homme et
communique à celui-ci l'itinéraire pour l'accueillir. Peelmann
note que du côté du Fils de Dieu incarné, il n'y a donc
aucune restriction au lien qui l'attache à l'humanité et à
l'histoire. Au contraire, précise Balthasar, c'est en parlant notre
langage, le langage culturel et anthropologique d'un groupe humain
particulier, que s'ouvre pour lui la voie de l'universalité et que sa
parole s'offre comme message de salut à l'humanité toute
entière78(*).
L'inculturation est fondée sur le mystère de l'incarnation mais
d'une incarnation rédemptrice. C'est là une des conclusions
auxquelles aboutit la critique de Heidegger montrant que c'est la personne de
Jésus crucifié qui permet d'entrevoir le vrai visage de Dieu. En
Jésus nous contemplons la Parole crucifiée. Et cette crucifixion
est fondamentale dans l'oeuvre d'inculturation où l'Eglise pour laisser
transparaître son universalité ne peut s'imposer en
réalisant une seule expression culturelle à toutes les cultures.
Le salut offert par le Père dans le Fils et par l'Esprit est une
possibilité pour tous. C'est pourquoi le grand respect pour
l'expérience humaine est fondamental. C'est le lieu où
s'opère la première action de l'Esprit Saint comme
médiation de la rencontre salutaire avec le Père et le Fils. On
notera l'engagement des cultures dans ce processus à partir de l'esprit
de créativité et d'originalité dont ils feront montre.
C'est la condition royale pour sortir des situations de captivité et de
pesanteur ; et retrouver le chemin de la libération. La critique
ontothéologique a su donc ouvrir les portes pour l'inculturation, que
seul un engagement herméneutique rendrait authentique.
* 74 _ R. Barth, Kirchliche
Dogmatik t. ½ , 6
* 75 _ J. Scheuer,
« L'inculturation. Présentation du thème »,
Lumen Vitae, vol. 39, 1984, n°3, p .253
* 76 _ H. Carrier, Evangile
et Cultures de Léon XIII à Jean-Paul II. Cité du Vatican,
Libéria Editrice Vaticana, Paris, Mediaspaul, 1987, p. 147
* 77 _ Achiel PEELMAN,
Inculturation. L'Eglise et les cultures, Desclée/ Novalis p 112-149
* 78 _ H.U.von Balthasar, La
foi du Christ, coll. « Foi Vivante », n°76, Paris,
Aubier Editions Montaigne, 1966, p 129
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