Ecriture romanesque post-apartheid chez J.M. Coetzee et Nadine Gordimer( Télécharger le fichier original )par Ives SANGOUING LOUKSON Université de Yaoundé I - Master2 0000 |
II-1-1- L'organisation des personnages dans Elizabeth Costello et Get a lifePhilippe Hamon propose un modèle d'étude de l'organisation des personnages composé de deux catégories : les personnages principaux et les personnages secondaires. Les premiers sont des personnages de premier plan. Ils assurent fonctionnellement la cohérence du récit. Les personnages secondaires se singularisent quant à eux de plusieurs manières : ou bien il apparaît fugitivement, entièrement absorbé par un rôle ponctuel, épisodique et secondaire, à remplir ( par exemple assister à un enterrement d'un autre membre de la famille) ; ou bien il est simplement cité dans la parole d'un personnage ; (...) il est mis à une certaine « distance » du reste du personnel romanesque, il n'a aucune fonctionnalité narrative, il n'oriente ni ne fait avancer l'action, il ne modifie pas la trajectoire du personnage de premier plan qu'il contribue cependant, par sa seule présence, à mettre en relief107(*). Étant donné que je m'appuie sur deux romans distincts, j'exclue d'emblée l'idée de procéder à un repérage exhaustif des personnages fussent-ils secondaires ou principaux. Je m'intéresse cependant à ceux qui, d'une manière ou d'une autre ont des points de ressemblances ou de divergences entre eux dans Elizabeth Costello et Get a life. L'idée c'est de montrer comment de l'organisation des personnages, il se dégage déjà quelques caractéristiques propres à chacune des écritures des deux romans. Je me sers de deux tableaux pour rendre compte de l'organisation des personnages dans chacun des deux romans : Tableau I : Organisation des personnages dans Get a life108(*)
Dans ce tableau qui permet de visualiser l'organisation des personnages dans Get a life, on peut observer la centralité du roman sur le combat pour l'amélioration des conditions de vie (écologiques, sociales...) en Afrique du Sud. Les personnages mis à une certaine distance par rapport aux personnages centraux, lorsqu'ils ne mettent pas en relief les traits caractéristiques fondamentaux des personnages centraux, aident à mieux comprendre pourquoi ils sont secondaires. Le départ physique d'Adrian et plus tard son décès en Norvège n'est peut-être que l'achèvement d'un processus commencé depuis longtemps avec son admiration des classiques occidentaux de la musique. Et qu'il soit le seul personnage à être frappé de mort symbolique n'est pas sans informer sur sa fonction de figurant parmi les autres personnages. Elizabeth Costello, comparé à Get a life où les noms des personnages qui assurent « l'effet de réel »109(*) ne sont pas légion, semble avoir été conçu conformément à l'observation de Pierre Larousse à propos des noms employés en littérature. Les noms, écrit Pierre Larousse, employés en littérature, sur la scène ou dans le roman, ont par eux-mêmes une physionomie, au point que la date d'une oeuvre littéraire est souvent visible dans les noms seuls des personnages (...) ; les auteurs contemporains, des plus grands aux moindres, se sont appliqués à donner à leurs personnages de ces noms qui constituent déjà, par eux-mêmes, une sorte d'individualité110(*). Autrement dit, l'organisation des personnages dans Elizabeth Costello, permet au lecteur de constater de multiples correspondances entre les noms des personnages de la diégèse et des personnages ayant effectivement existés. Peut-être faut-il d'abord rendre compte de comment les personnages y sont organisés avant de décider de la signification de ces correspondances ou coïncidences. Tableau II : Organisation des personnages dans Elizabeth Costello111(*)
Un fait est remarquable avec les noms des personnages convoqués dans Elizabeth Costello. La quasi-totalité, en commençant par le personnage central, de par leur dénomination fait prévaloir des coïncidences avec la réalité qui ne s'auraient être négligées pour la compréhension du roman. C'est dans cette perspective qu'Elizabeth Costello se révèle être une construction personnelle de Coetzee partant des personnages réels que furent John Aloysius Costello et Elizabeth II. Le premier, né en 1891 et mort en 1976 fut un homme politique irlandais. Il fit par exemple abroger la loi sur les relations extérieures, rompant les derniers liens avec le Commonwealth. La deuxième, elle, est née en 1926 et a été reine du Royaume Uni de Grande Bretagne et d'Irlande et chef du Commonwealth. Elle est considérée comme symbole de l'unité monarchique. Francis Bacon et les penseurs ayant inspiré Elizabeth Costello sont autant de dénominations suggestives de l'angle sous lequel Coetzee place d'emblée son roman. Non seulement la nationalité de Costello lorsqu'on sait qu'elle est une création d'un Sud-Africain, mais surtout l'origine de ceux qu'elle considère comme ses devanciers ou ses inspirateurs induisent à constater une extraversion caractéristique du roman de J.M. Coetzee. Qu'à cela ne tienne, le moment semble propice pour souligner quelques lieux communs à Get a life et Elizabeth Costello à l'issue de l'organisation des personnages. Get a life et Elizabeth Costello attestent explicitement de leur postériorité par rapport à l'époque de l'Apartheid. Le début d'Elizabeth Costello en 1994, année de la tenue des premières élections multiraciales en Afrique du Sud, et la situation d'ancien détenu de Thapelo pour avoir été membre de l'Umkhonto we Sizwe, en sont quelques repères chronologiques suggestifs de l'époque post-apartheid dont traitent ces deux romans. Seulement, comme pendant l'Apartheid, on remarque chez Coetzee comme chez Gordimer, une incapacité à envisager un personnage central qui ne soit pas blanc. Sur ce sujet, il n'est pas exagéré de dire que malgré l'ère post-apartheid en cours en Afrique du Sud, Coetzee et Gordimer continuent de produire leurs romans comme si la métamorphose sociale n'avait point eu d'influence sur eux. Aussi juste ou cohérente que puisse être cette conclusion, il n'en demeure pas moins qu'elle est susceptible d'être considérée à juste titre de hâtive et précoce, au regard de sa position par rapport à l'ensemble de ma réflexion. Peut-être que l'étude des modalités des personnages permettrait aisément de se rendre compte néanmoins de cette particularité commune à Get a life et à Elizabeth Costello qu'on ne saurait ne pas relever même précocement. * 107 Philippe Hamon, Le personnel du Roman, op.cit., pp. .55-56. * 108 Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle GL suivi de la page et placées entre parenthèses dans le corps du texte. * 109 Roland Barthes signifie par ce concept la particularité qu'a le récit de prendre en charge le réel par truchement des descriptions, d'une certaine catégorie de noms ou de référents temporels, pourvu que le lecteur soit attentif et cultivé. Voir Roland Barthes, « L'effet de réel », in Gérard Genette, Tzvetan Todorov (s/d), Littérature et réalité, Paris, Seuil, 1982, pp. 81-89. * 110 Pierre Larousse, cité par P. Hamon, Le personnel du roman, op. cit., p.109. * 111 Désormais les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle EC suivi de la page et placées entre parenthèses dans le corps du texte. |
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