Ecriture romanesque post-apartheid chez J.M. Coetzee et Nadine Gordimer( Télécharger le fichier original )par Ives SANGOUING LOUKSON Université de Yaoundé I - Master2 0000 |
I-2- Repères biographiques de Coetzee et de GordimerJ.M. Coetzee66(*) est descendant des Afrikaners qui mirent sur pied le système ségrégationniste de l'Apartheid en Afrique du Sud. Il est né au Cap le 9 février 1940 d'une mère institutrice et d'un père procureur. Ce dernier servit de 1941 à 1945 l'Armée sud-africaine en Afrique du Nord et en Italie aux côtés des Alliés. Bien que ses parents soient Afrikaners, la langue usuelle dans la famille est l'Anglais. Coetzee reçoit son éducation primaire au Cap et à Worcester. Son éducation secondaire a lieu dans une institution gérée par l'ordre catholique dénommée « Marist Brothers ». À 21 ans, Coetzee rejoint l'Angleterre pour y mener ses études supérieures. Il y étudie la langue anglaise et les mathématiques. Il y obtient sa licence et décroche plus tard une maîtrise portant sur le romancier anglais Ford Madox Ford. Coetzee travaille à Londres de 1962 à 1963 en tant que programmeur pour International Business Machines (IBM), puis pour International Computers à Bracknell. Il quitte l'Angleterre à l'âge de 25 ans à la poursuite d'une carrière universitaire. À nouveau, il poursuit des études d'Anglais à l'université du Texas à Austen aux États-unis, consacrant une partie de son temps à l'anglais ancien et à la grammaire allemande. En 1968, Coetzee termine un doctorat sur les écrits du jeune Beckett, intitulé The English Fiction of Samuel Beckett : An Essay in stylistic Analysis. De 1968 à 1970, Coetzee est professeur associé à la State University of New York à Buffalo, Texas. Obligé de partir des États-unis au début des années soixante-dix, à cause de sa participation aux manifestations contre la présence des États-unis au Viêt-Nam, Coetzee rentre en Afrique du Sud. Plus d'une vingtaine d'années durant, il est professeur d'anglais à l'Université du Cap. Mais il va fréquemment aux USA où il enseigne tour à tour à Johns Hopkins University, Harvard University, Standford University et à l'université de Chicago. Depuis 2002, moins d'une décennie après la montée des Noirs au pouvoir en Afrique du Sud, Coetzee émigre en Australie67(*) où il continue d'enseigner à l'université d'Adelaide au Sud de l'Australie68(*). De ces indications biographiques sur Coetzee, il ressort que celui-ci a hérité de ses parents une identité (langue anglaise) autre que la leur. Coetzee a cultivé cet héritage jusqu'à en faire son gagne pain et sa vie. C'est plutôt dans un récit autobiographique, Scènes de la vie d'un jeune garçon, que Coetzee expose la conscience victorienne que ledit héritage visait à lui inculquer. En effet, dès son jeune âge, Coetzee redoute déjà la honte qu'entraîne l'échec scolaire ou celle qu'entraîne le fait de se faire bastonner en classe par la maîtresse. Le jeune Coetzee redoute tellement la honte qu'il lui préfère la mort : Ce qu'il ne pourra pas endurer, c'est la honte. Cette honte, il le craint sera si terrible, si insurmontable, qu'il se cramponnera à son pupitre et refusera de bouger quand on l'appellera. Et cela sera une honte encore plus grande qui le mettra à l'écart des autres et qui en plus tournera les autres contre lui. Si jamais on l'appelle pour être battu, ce sera une scène tellement humiliante qu'il n'aura aucun autre moyen de s'en sortir que de se tuer69(*). Voilà qui explique peut-être pourquoi Coetzee est devenu un prodige des réussites scolaires, universitaires et professionnelles comme on peut le remarquer à travers son curriculum très impressionnant. Il est dès lors difficile d'éviter la conclusion que Coetzee est le produit d'un groupe social pour lequel l'initiative, la bravoure, l'exploit, et le progrès constituent des critères identifiants. Ces critères correspondent comme on peut le constater aux caractéristiques de la bourgeoisie occidentale, laquelle, selon Fanon serait dynamique, pionnière, inventrice et découvreuse de monde70(*). Si Coetzee se livre volontiers au travail autobiographique, Gordimer, elle, se montre plutôt réservée. Kathrin Wagner est aussi de cet avis lorsqu'elle suggère que : Gordimer has avoided giving the public much autobiographical information, remaining largely true to the belief expressed in an early statement in 1963 that autobiography can't be written until one is old, can't hurt anyone's feelings, (and) can't be sued for libel, or worse, contradicted71(*). C'est dire que la recherche biographique sur Nadine Gordimer relève pratiquement de la gageure. Néanmoins, Gordimer est née le 20 novembre 1923 à Springs, près de Johannesburg. Son père est un bijoutier juif et sa mère britannique. Les deux parents de Gordimer appartiennent à la « bourgeoisie aisée et privilégiée sud-africaine »72(*). Pendant sa tendre enfance, sa mère la considère comme trop faible de coeur au point de lui éviter tout contact avec l'ambiance extérieure. C'est la raison pour laquelle Gordimer reçoit son éducation primaire et secondaire dans un couvent. Elle passe plus tard une année à l'université de Witwatersrand à Johannesburg. Au titre de la production littéraire, Gordimer peut être qualifiée de précoce. Sa première nouvelle intitulée Come again tomorrow est publiée dans la section jeunesse du Johannesburg Magazine dénommé Forum alors qu'elle a 14 ans. En octobre 2006, le domicile de Gordimer est cambriolé par des forbans. Elle y est victime d'une agression avec des dommages physiques légers73(*). Comparée à John Coetzee, on remarque que Nadine Gordimer est restée comme prisonnière de Johannesburg malgré les épreuves qu'elle y a subies. Tout se passe avec elle comme si, comme Coetzee s'est révélé très engagé vis-à-vis de la tradition victorienne, Gordimer elle, n'a plus eu à s'y engager ailleurs qu'à domicile à Johannesburg. Les écrits de Gordimer sont souvent marqués des indices de son appartenance à la classe dirigeante en Afrique du Sud. Dans une interview accordée à Chris Davies, elle indique par exemple à mots couverts son engagement pour un enracinement pacifique de la société capitaliste ou bourgeoise en Afrique du Sud. La finalité ultime c'est de réaliser une société capitaliste sud-africaine authentique : On ne peut pas, affirme-t-elle, attendre d'un écrivain qu'il reste dans le juste milieu quand ce juste milieu n'existe pas. Un écrivain traite de ce qui dans cette société se trouve autour de lui, ou autour d'elle. C'est un fait, on en a la preuve dans ce que les gens vivent, dans la société sud-africaine, il n'y a pas de juste milieu (...) Je ne peux pas inventer un juste milieu qui n'existe pas, je ne peux parler que de ce qui existe, de l'absence d'un juste milieu (...) Si jamais cela se produit, et si à ce moment là les Africains noirs l'acceptent, alors nous aurons une nouvelle culture, vraiment autochtone et c'est là que je sens mon engagement74(*). Si avec l'extrait ci-dessus, le doute quant à l'engagement de Gordimer pour des valeurs progressistes de sa classe sociale semble persister du fait de la rhétorique abstraite que Gordimer lui préfère, son roman A world of strangers ressort de façon plus explicite cet engagement75(*). Aussi m'apuierais-je sur Michaël K., sa vie, son temps de J.M. Coetzee pour exposer les différences et les similitudes entre ces romans. * 66 Jean Michael Coetzee pour les francophones, John Maxwell Coetzee pour les anglophones. * 67 En guise de rappel, l'Australie est le pays d'origine d'Elizabeth Costello, personnage central d'Elizabeth Costello, op. cit. * 68 Pour l'essentiel de ces indications biographiques, voir Tore Frängsmyr, The Nobel prizes 2003, Nobel Foundation, Strockholm, 2004 in http : nobelprize.org/nobel_prize/Literature/Laureates/2003/Coetzee_bio.html et David Coad, « John Maxwell Coetzee » in Notre Librairie, Littérature d'Afrique du Sud 2 N° 123, op.cit., 19. * 69 J.M. Coetzee, Scènes de la vie d'un garçon, trad. de Catherine Glenn-Lauga, Paris, Seuil, 1999, p. 13. * 70 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, Gallimard, 1961, p. 194. * 71 Kathrin Wagner, Rereading Nadine Gordimer, op. cit., p. 85. * 72 Le jugement est de Denise Coussy, « Une Africaine blanche, entretien avec Nadine Gordimer », in Notre Librairie, Littérature d'Afrique du Sud1 No.122, Avril-Juin 1995, p. 74. * 73 Les informations proviennent respectivement de http://www.kirjasto.sci.fi/Gordimer.htm et « Gordimer, Nadine » Microsoft ® Etudes 2008 (DVD), Microsoft Corporation, 2007. * 74 Voir Jean Sévry ,. Afrique du Sud, ségrégation et littérature, anthologie critique, op. cit., pp. 266-267 * 75 Il convient de préciser que chez Gordimer, la fiction est plus vraie que tout autre type de texte : I really do want to write novels(...) I have written a few stories that satisfy me but I've not written a novel that comes anywhere near doing so. Nadine Gordimer, A writer in South Africa, 1965:25, cité par Kathrin Wagner, Rereading Nadine Gordimer, op. cit., p. vii. |
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