Ecriture romanesque post-apartheid chez J.M. Coetzee et Nadine Gordimer( Télécharger le fichier original )par Ives SANGOUING LOUKSON Université de Yaoundé I - Master2 0000 |
II-3- La transparence intérieure des personnagesLa transparence intérieure est un concept méthodologique d'étude des oeuvres littéraires dont les jalons ont été posés pour la première fois par Käte Hamburger dans Die Logik der Dichtung145(*). C'est véritablement Dorrit Cohn qui rend le concept opérationnel dans son livre intitulé Transparent Minds146(*). Comme approche méthodologique de lecture du roman, la transparence intérieure se préoccupe d'étudier l'extériorisation ou la verbalisation de la vie intérieure des personnages sinon par eux-mêmes, par le narrateur, du moins par un autre personnage du même récit. La pertinence d'une telle démarche, justifie Dorrit Cohn, réside dans le fait que « le récit de fiction est le seul genre littéraire et le seul type de récit dans lequel il est possible de décrire le secret des pensées, des sentiments, des perceptions d'une personne autre que le locuteur »147(*). C'est dire que l'observation du déploiement de la vie intérieure des personnages dans le roman conduit nécessairement à « la relation de dépendance mutuelle qui associe le réalisme dans le récit et la mimésis de la vie intérieure »148(*). En d'autres termes, la vie intérieure des personnages qui ne sont que des créations du romancier constituent une sorte d' « autre voie »149(*) dont parle Laurence Sterne à propos de Tristam Shandy, voie qui permet « de traverser du regard le crâne ou le coeur de tous les humains [Le romancier y compris]150(*) qu'on rencontre, et d'en discerner les pensées secrètes »151(*). Étant donné que Get a life et Elizabeth Costello sont des récits à la troisième personne, j'exclue d'emblée de mon analyse le modèle d'étude de la vie intérieure des personnages pour les récits à la première personne. Je me limite au paradigme que Dorrit Cohn développe à l'intention des récits de la troisième personne. Ce paradigme est bâti sur un tryptique constitué du psycho-récit ou discours du narrateur sur la vie intérieure d'un personnage ; du monologue rapporté ou le discours mental d'un personnage et du monologue narrativisé ; le discours mental d'un personnage pris en charge par le discours du narrateur152(*). J'adapte néanmoins ce paradigme à la particularité de mon corpus qui, dans ses deux composantes, n'a pas l'avantage de répertorier à suffisance et de façon distincte le troisième élément du tryptique dorritien. Je me limite donc au psycho-récit et au monologue rapporté. * 145 Käte Hamburger, Die Logik der Dichtung, Ernst Klett Verlag, Stuttgart, 1957. * 146 Dorrit Cohn, Transparent Minds, Pricetown University Press, Guildford, Surrey, 1978, traduction d'Alain Borry, La Transparence intérieure, Modes de représentation de la vie psychique dans le roman, Paris, Seuil, 1981. * 147 Dorrit Cohn, La Transparence intérieure..., op.cit., p.20. * 148 Dorrit Cohn, La Transparence intérieure..., op.cit., p.20. * 149 Tristam Shandy est le personnage central du récit de Laurence Sterne, The Life and Opinions of Tristam Shandy, Gentleman (1759-1767) publié en 1967. Ce dernier entreprend de tracer le portrait de son oncle Toby en répétant le reproche du dieu grec Momus à Vulcan, un autre dieu qui, dans la forme qu'il aurait donnée à l'homme n'aurait pas ouvert, à la place du coeur, une fenêtre dans la statue d'argile ; une fenêtre qui aurait permis de faire apparaître clairement les sentiments et les pensées dont le coeur est le siège. Conscient de l'échec d'une telle entreprise, Tristam conclut par la nécessité, puisque l'exercice consistant à percer le mystère de la vie intérieure mérite l'attention, malgré les résistances qu'il recèle, d'opter pour une autre approche : « Nos esprits ne vivent pas à travers nos corps mais y vivent enveloppés dans l'ombre opaque de la chair et du sang. Si nous voulons donc apercevoir les nuances, il nous faut prendre une autre voie ». Voir à ce sujet Laurence Sterne, Tristam Shandy (P1759-1763), I, XXXIII : Coll. « 10/18 », I, P.100-101 (trad. Charles Mauron), citée par Dorrit Cohn, La Transparence intérieure... P.15. * 150 Je souligne * 151 Dorrit Cohn, La Transparence intérieure, op.cit., (P.16) * 152 Dorrit Cohn, La transparence intérieure... op.cit., pp. 28-29. |
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