B- L'exercice des actions en responsabilité contre
les dirigeants fautifs
Traditionnellement, la mise en oeuvre de la
responsabilité des dirigeants exige que certaines conditions soient
réunies. Elles relèvent essentiellement du droit commun, à
savoir, le demandeur doit prouver une faute du dirigeant, un dommage et le lien
de causalité entre la faute et le dommage269. Ce n'est qu'une
fois ces conditions réunies que l'Acte uniforme offre plusieurs actions
aux actionnaires pour la défense de leurs droits. Aussi, les arts. 161
à 172 de L'AUSC organisent-ils de manière générale
l'action en responsabilité civile contre les dirigeants de
sociétés, prenant le soin de distinguer entre l'action
individuelle (1) et l'action sociale (2). Toutes ces actions étant
rigoureusement encadrées dans le temps, il revient aux actionnaires de
toujours être aguerris, diligents, vigilants et agir ainsi dans les
délais indiqués afin de ne pas tomber sous le coup d'une
prescription malencontreuse (3).
1- L'exercice de l'action individuelle ou
personnelle
L'art. 162 de l'AUSC définit l'action individuelle
comme l'action en réparation du dommage subi par un tiers ou par un
associé, lorsque celui-ci subit un dommage distinct du dommage que
pourrait subir la société, du fait de la faute
265 Tout d'abord, la mesure frappe les dirigeants qui ont commis
des fautes graves autres que celles visées à l'article
précité ou ont fait preuve d'une
incompétence manifeste ; elle s'applique ensuite aux dirigeants qui
n'ont pas déclaré dans les 3O jours, la cessation des
paiements de la société ; et enfin ceux qui n'ont pas
acquitté la partie du passif social.
266 Cf. art. 203 AUPC, pour les effets de la faillite
personnelle.
267 Cf. art. 203 in fine de l'AUPC pour la fixation
de la durée de la sanction. V. aussi les art.204 à 215 AUPC pour
la réglementation de la réhabilitation. A noter aussi que la
jurisprudence admet ici beaucoup plus facilement l'existence d'une faute de
gestion.
268 La jurisprudence admet ici beaucoup plus facilement
l'existence d'une faute de gestion.
269 CARBONNIER (J.), Droit civil, les obligations, Tome 4,
21e éd. PUF, 1998, n° 200 et s., p. 34 et s.
commise individuellement ou collectivement par les dirigeants
sociaux dans l'exercice de leurs fonctions. L'article ajoute que cette action
appartient à l'actionnaire et ne peut être intentée que
dans la mesure où celui-ci subit un dommage.
Dans la mesure où les actionnaires peuvent souffrir des
conséquences des décisions prises dans l'exercice des fonctions
sociales, il est logique qu'une action indépendante leur soit reconnue.
De la sorte, pris individuellement, les actionnaires ont le droit d'agir en
responsabilité contre les dirigeants sociaux afin qu'ils
répondent de leurs actes, lorsqu'ils s'estiment victimes des fautes de
ces derniers270. C'est dire que lorsqu'un acte irrégulier
d'un dirigeant a causé à l'actionnaire un préjudice qui
lui soit direct et personnel, c'est-à-dire un préjudice propre
qui ne se confonde pas avec le préjudice subi par la
société, il dispose de l'action individuelle pour demander
réparation.
Il s'agit là donc bien d'une action intentée par
l'actionnaire qui agit seul. Toutefois, la question se pose de savoir si les
actionnaires qui entendent demander réparation du préjudice
qu'ils ont personnellement subi peuvent donner à un ou plusieurs d'entre
eux le mandat d'agir en leur nom devant les juridictions civiles.
L'Acte uniforme n'en souffle mot, mais il ne semble non plus
l'interdire. Aussi, de l'esprit même du législateur qui est de
sécuriser les investissements, il nous est autorisé de
répondre par l'affirmative, d'autant que le droit français dont
s'est une fois de plus inspirée la législation OHADA l'admettait
déjà271, à la condition cependant qu'il
s'agisse d'un dommage de même nature et que ledit mandat soit
écrit et mentionne expressément qu'il donne aux mandataires le
pouvoir d'accomplir au nom des mandants les actes de procédure.
En ce qui concerne la procédure d'engagement proprement
dite, elle se fera par le biais traditionnel de la saisine des tribunaux en
matière civile, c'est-à -dire ici au moyen d'une assignation
délivrée du ministère d'un huissier de justice et
signifiée par ses soins au dirigeant social en cause. Evidemment, la
juridiction ayant compétence d'attribution sera déterminée
en fonction du montant de la demande en justice, faute de quoi, la demande sera
considérée comme étant sans objet et donc
déclarée irrecevable, tout au moins par référence
au droit civil processuel tel qu'actuellement applicable au
Cameroun272. Sur la compétence rationae loci, c'est
la juridiction du lieu de situation du siège social qui est
compétente d'après les articles 164 et 170 de l'Acte uniforme.
270 NJEUFACK TEMGWA (R.), Mémoire de DEA, op. cit. p.
17.
271 GUYON (Y.), Droit des affaires, op. cit. n°462 ? P.
477.
272 Cf. Code de procédure civile et commerciale
camerounais ensemble avec les articles 14 à 18 de la loi camerounaise
n° 2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire.
87
Si l'exercice de l'action individuelle par les actionnaires
facilite la mise en jeu de la responsabilité des dirigeants sociaux, il
reste que de manière habituelle, les fautes de ces derniers causent un
dommage à la société toute entière, n'ouvrant donc
pas droit à l'action individuelle. Dans ces conditions, c'est par la
voie de l'action sociale que l'actionnaire contrôlera de manière
efficace la gestion de la société.
2- L'exercice de l'action sociale : action ut
singuli
L'action sociale ut singuli est, au sens même des
dispositions pertinentes de l'art. 166 de l'AUSC, une action d'inspiration
actionnariale et à finalité sociale273. En d'autres
termes, il s'agit de l'action en responsabilité dirigée par les
actionnaires contre les dirigeants sociaux, et dont le but est de poursuivre la
réparation du préjudice subi par l'entreprise en raison des
fautes de gestion commises par ces derniers, exercée soit par un
actionnaire, soit par un groupe d'actionnaires.
C'est une action qui a donc pour vocation la réparation du
préjudice subi par la société de par l'acte fautif du
dirigeant.
C'est l'action la plus commune, car le dommage a
généralement un caractère collectif. Le patrimoine tout
entier souffre des fautes commises par les dirigeants. C'est la raison pour
laquelle cette action échoit prioritairement à la
société. Et à ce titre, ce sont ses représentants
qui doivent l'exercer d'après les dispositions de l'art. 166 de l'AUSC
précité. On parle alors d'action sociale ut universi.
Mais parce qu'il existe un certain risque que les administrateurs y mettent une
mauvaise volonté, l'action tendant à établir leur propre
responsabilité ou celle de leurs prédécesseurs ou encore
celle d'un d'entre eux. C'est donc afin d'éviter la paralysie de
l'action sociale que le législateur a conféré aux
actionnaires la possibilité de se substituer aux organes sociaux
défaillants en exerçant l'action sociale à leur
place274. On parle dans ce cas d'action sociale exercée
ut singuli. Et l'exercice de cette action postule une substitution
organique qui s'éprouve et se réalise au travers d'une
suppléance technique.
On peut néanmoins se questionner sur
l'intérêt qu'ont les actionnaires à agir pour le compte de
la société ? De même, de quel préjudice s'agit-il en
réalité ? Car, ou bien l'actionnaire agissant invoque un
préjudice personnel et on serait plus pertinemment en présence
d'une action individuelle en réparation, ou bien il invoque un
préjudice indirect, et dans ce cas il serait privé de
l'intérêt à agir. Il en résulte que
273 OUSMANOU Sadjo, op. cit. p. 95.
274 AMEIL (C.), op. cit. p. 9.
le préjudice qui doit fonder l'action ut singuli
est corollaire du dommage subi par la
société275.
Quant à l'intérêt, l'action ut singuli
traduit de façon concrète la marque d'une tension entre un
intérêt abandonné - celui que l'actionnaire abandonne
à la société - et un intérêt non
défendu -celui de la société que les dirigeants n'ont pu
défendre-.
Il convient de souligner que l'action sociale ut singuli
peut être exercée par un ou plusieurs actionnaires. Dans ce
sens, l'art. 167 de l'AUSC commande au préalable une mise en demeure des
organes compétents non suivie d'effet dans le délai de trente
jours. En outre, d'après les dispositions de l'art 168 du même
Acte, est réputée non écrite toute clause de statuts
subordonnant l'exercice de l'action sociale à un avis préalable
ou à une autorisation des organes sociaux. Mais la disposition ne
s'oppose pas à ce que l'actionnaire ou les actionnaires qui ont
intenté une action puissent conclure une transaction avec la ou les
personnes contre laquelle ou contre lesquelles l'action est intentée
pour mettre fin au litige276.
Dans le même sens, aucune décision de
l'assemblée des actionnaires, d'un organe de gestion, d'administration
ne peut avoir pour effet d'éteindre une action en responsabilité
contre les dirigeants sociaux pour la faute commise dans l'accomplissement de
leurs fonctions277. D'ailleurs, le désistement d'un des
actionnaires intéressés, ou la perte de sa qualité
d'actionnaire en cours d'instance, est sans effet sur la poursuite de
l'instance278. A noter que la possibilité laissée
à un actionnaire ou à un groupe d'actionnaires d'agir au nom et
pour le compte de la société constitue également une
exception remarquable à l'adage processuel « nul ne plaide par
procureur ».
Quant à la juridiction territoriale auprès de
laquelle la demande doit être introduite, il s'agit de celle dans le
ressort de laquelle est situé le siège de la
société279 ; la juridiction ayant compétence
d'attribution étant celle visée dans nos précédents
développements280.
Au demeurant, la multiplicité de ces actions
témoigne, à n'en point douter, de cette volonté ferme du
législateur à assurer la quiétude des actionnaires dans
l'entreprise. Toutefois, les actionnaires doivent être
particulièrement diligents pour ne pas tomber sous le coup de la
forclusion.
275 Tel serait, par exemple, le cas où la faute des
dirigeants cause un dommage à l'ensemble du patrimoine de la
société. V. aussi OUSMANOU Sadjo, op. cit. p. 95.
276 Cet article est d'ailleurs strictement appliqué par
les tribunaux. V. en ce sens Cotonou, n° 256/2000, 17 août 2000,
Affaire Société Continentale des Pétroles et
d'Investissements, M. Séfou FAGBOHOUN, SONACOP, M. Cyr KOTY c/ Etat
béninois.
277 Cf. art. 169 AUSC.
278 RIPERT (G.) et ROBLOT (R.), Traité de droit
commercial, op. cit. n° 1374, p. 1050.
279 Cf. art. 164 et 170 AUSC précités.
280 V. supra p. 86.s
89
3- Prescription des actions en
responsabiité
D'une manière générale, qu'il s'agisse de
l'action individuelle ou de l'action sociale dirigée contre les
dirigeants sociaux ou contre les commissaires aux comptes, les
textes281prévoient que le délai de prescription est de
trois ans, « à compter du fait dommageable, ou s'il a
été dissimulé, de sa révélation
».
D'après ces mêmes textes, d'autres délais
de prescription peuvent cependant prolonger le droit d'agir en
responsabilité. Ainsi, selon les articles 164, 170 et 727 de l'AUSC,
lorsqu'il s'agit d'un crime, la prescription n'est acquise qu'au bout de dix
années. C'est dire en définitive que le régime de la
prescription suit celui applicable aux fautes commises par les dirigeants et
les commissaires aux comptes. L'actionnaire qui entend donc assigner ces
derniers doit agir une fois de plus avec diligence. Mais de toute
évidence, l'actionnaire n'est pas toujours en mesure de savoir
exactement quand la faute a été commise, ni ne peut
déterminer aisément le point de départ de la
prescription.
On comprend toute la gène que peut éprouver un
actionnaire qui entend défendre ses droits en cas de faute de la part
des dirigeants sociaux, des commissaires aux comptes, et même de ses
coactionnaires. Mais il ne s'agit là que de signes avantcoureurs des
nombreux obstacles qui jonchent le chemin des actionnaires dans leur entreprise
de défense de leurs intérêts. Cependant, rien ne les oblige
à supporter les caprices ou les incartades d'un dirigeant, car disposant
du droit de le révoquer.
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