CHAPITRE II. THEORIES PSYCHOLOGIQUES DE LA MEMOIRE
II.1. Introduction
Le concept de la mémoire est un concept que nous
pouvons qualifier de fourre-tout, de passe-partout. En effet, il est
utilisé dans plusieurs disciplines scientifiques ou domaines de la vie
courante mais, généralement, avec des sens qui ne se recoupent
que très partiellement. Il est utilisé notamment en sciences
humaines et plus particulièrement en histoire, en neuroscience ou en
psychologie, en informatique, etc. Dans le cadre de notre recherche, nous nous
intéressons à la mémoire comme « pôle crucial
de nos activités cognitives » (Matlin, 2001, p.101). Pour mieux
comprendre la portée de notre sujet d'étude, il s'est
imposé à nous de passer d'abord en revue certaines
théories psychologiques relatives à la mémoire.
Ainsi, nous débattons dans le
présent chapitre de certains aspects de la mémoire comme ses
différentes formes, ses bases anatomiques, la notion de l'oubli, ainsi
que ses possibles pathologies.
II.2. Différentes formes de la
mémoire
La mémoire est, comme nous l'avons mis en
évidence dans le premier chapitre, une fonction qui permet de capter,
coder, conserver et restituer les stimulations et/ou les informations
perçues par nos différents organes de sens. Cependant,
derrière cette définition d'une simplicité suscitant peu
de commentaires, se cache tout un débat nourri autour du fonctionnement
de la mémoire. Il se dégage d'un bilan fait des grands courants
de la psychologie sur la mémoire (Lieury, 1975, p.174) que
l'associationnisme a conduit à voir la mémoire comme un ensemble
de copies dont le code est l'association ; tandis que les théories
d'inspiration cybernétique la considèrent comme un lieu
d'enregistrement d'informations qui nécessitent des programmes pour
être enregistrées ou récupérées. Les
conséquences découlant de ces conceptions sont que, dans le
premier cas, la mémoire est considérée comme fonctionnant
de façon autonome avec ses lois propres, et dans le second cas, la
mémoire est considérée comme fonction reliée
à une logique (les programmes) mais existant indépendamment de
celle-ci.
Des théories plus récentes (Matlin, 1998)
appréhendent le fonctionnement de la mémoire en termes de
modalités différentes : la mémoire sensorielle, la
mémoire à court terme connue aussi sous le nom de mémoire
de travail et la mémoire à long terme. C'est cette approche que
nous avons choisie d'adopter dans le cadre de notre recherche et ce, pour la
simple raison que, par le fait qu'elle fait explicitement
référence à la notion du temps pendant lequel l'individu
peut rester en possession du matériel mémorisé, elle rend
possible la méthode expérimentale susceptible de nous permettre
de comparer les écoliers entendant et ceux non entendant. Ainsi, notre
étude qui se veut comparative devient possible grâce aux tests de
rappel libre et de reconnaissance après que nos sujets aient pris
connaissance du matériel à mémoriser, un certain temps
avant la tâche de remémoration.
II.2.1. La mémoire sensorielle
D'après une définition de Matlin (2001, p.103),
la mémoire sensorielle se distingue par sa brièveté. Elle
correspond généralement au temps de la perception des stimuli par
les organes récepteurs. Il s'agit d'un système qui possède
une grande capacité de stockage des informations qui sont
enregistrées par les récepteurs sensoriels de manière
suffisamment précise. Matlin (ibid.) en isole deux formes à
savoir la mémoire iconique se rapportant à la mémoire
sensorielle visuelle, et la mémoire échoïque, qui est
synonyme de la mémoire sensorielle auditive. Sa persistance est variable
et est comprise généralement entre 300 et 500 millisecondes pour
la mémoire iconique, et elle est approximativement la même pour la
mémoire échoïque.
II.2.2. La mémoire à court
terme
La mémoire à court terme joue un rôle de
premier plan dans la cognition et le processus d'apprentissage de nouvelles
informations. Elle est caractérisée par son caractère
éphémère et sa capacité limitée et porte sur
un nombre réduit d'informations (l'empan) particulièrement
sensibles à toute activité d'interférence (Houdé et
al., 1998, p.257).
Faisant le bilan des recherches réalisées sur le
fonctionnement de la mémoire à court terme (Postman, 1975 ;
Crowder, 1982b ; Baddeley et Gathercole, 1993), Matlin (2001,
pp.172-182) retient que la mémoire à court terme opère
par un processus de codage acoustique
(principalement), visuel et sémantique. Elle se compose
de trois structures à savoir le registre phonologique, la mémoire
de travail visuo-spatiale et le système exécutif central. La
première composante se charge de maintenir une information restreinte
sous forme acoustique pendant quelques secondes, la seconde de stocker
l'information visuelle et spatiale mais aussi l'information verbale sous forme
d'images visuelles, et la troisième s'occuperait non seulement de
l'intégration, la gestion et la régulation de l'information en
provenance du registre phonologique et de la mémoire de travail
visuo-spatiale mais aussi elle jouerait un rôle décisif dans
l'attention, la planification et la coordination du comportement.
II.2.3. La mémoire à long terme
La mémoire à long terme, connue aussi sous le
nom de mémoire tertiaire (Fontaine, 1999, p.142), est apte à
conserver des données reçues pendant un moment plus long en
comparaison à la mémoire à court terme ou à la
mémoire sensorielle. Elle est en fait la dépositaire de nos
expériences, de nos souvenirs et de nos apprentissages, bref de notre
histoire. De là, la question qui se pose est celle de savoir comment
justement les informations en mémoire à long terme sont
organisées.
En effet, les informations en mémoire à long
terme sont régies et structurées par des systèmes qui
travaillent de manière à la fois distincte et synergique.
Certaines sources (Matlin, 2001 ; Fontaine, 1999) font état de
l'existence de deux systèmes mnésiques autonomes à savoir
la mémoire épisodique et sémantique. En fait, la
mémoire épisodique est la mémoire des épisodes de
notre vie, des souvenirs d'événements ou d'expériences (Da
Silva Neves, 1999, p.36) tandis que la mémoire sémantique
contient les connaissances du sujet sur le monde qui l'entoure, les mots et les
symboles et est mobilisée de façon inconsciente (Fontaine, 1999,
p. 144). Mais Fontaine (ibid.) constate que les relations structurales entre
ces deux systèmes font objet de débats théoriques car la
mémoire sémantique semble malgré tout «
perméable » à la conscience. D'où la théorie
de Winograd (1975) reprise par Fontaine (1999, p.144) s'inspirant de
l'intelligence artificielle faisant la distinction entre la mémoire
déclarative se rapportant aux connaissances verbalisables et la
mémoire procédurale concernant un savoir-faire perceptivo-moteur
et cognitif, d'habituation ou de conditionnement. En clair, la
différence fondamentale entre la
mémoire déclarative et la mémoire
procédurale repose en ceci que la première est la mémoire
du « savoir » alors que la seconde est la mémoire du «
savoir-faire » (Da Silva Neves, 1999, p.37).
II.3. Les bases anatomiques de la
mémoire
Après cette ébauche de catégorisation des
différentes formes de mémoire impliquant aussi parfois la
différence au niveau de la nature du matériel intéressant
l'une ou l'autre forme de mémoire (cas par exemples de la mémoire
procédurale et de la mémoire sémantique), il nous
paraît judicieux de nous poser une question sur le fond anatomique qui
sous-tend cette différenciation.
En effet, l'idée de la spécialisation des zones
du cerveau voudrait que l'une ou l'autre région du cerveau soit en
partie ou exclusivement responsable du contrôle de telle ou telle autre
fonction sensorielle, motrice et/ou psychique. Cependant pour Lieury (1975, p.
214), l'étude des mécanismes cérébraux de la
mémoire montre qu'il est vain de chercher un centre ou une zone unique
qui serait le siège de la mémoire. Il poursuit en disant que la
mémoire est étroitement liée aux autres fonctions de
même que ses mécanismes sont divers. En effet,
précise-t-il, même si l'unité de base, l'atome du
système nerveux est le neurone, il n'en demeure pas moins que le
système nerveux n'est pas une collection de neurones mais une
organisation d'une grande complexité, composée de centre nerveux
communiquant entre eux par de nombreuses voies (voir Lieury, 1975, p.230).
Concernant la localisation anatomique de la mémoire,
des études montrent l'importance cruciale des lobes frontaux dans la
programmation des stimulations, la régulation en fonction des signaux
verbaux et aussi dans la mise en oeuvre des schèmes complexes du
comportement. C'est l'activité des lobes frontaux qui est la base
biologique des schèmes opératoires de l'organisation temporelle
et peut-être aussi de la mémoire temporaire de travail. De plus,
ajoute-t-il, la mémoire à court terme serait sous le
contrôle du cortex préfrontal, la mémoire sémantique
sous celui du néocortex. Le corps strié et le cervelet se
chargeraient du contrôle de la mémoire procédurale alors
que l'hippocampe coordonnerait le fonctionnement de la mémoire
déclarative. C'est aussi le même hippocampe qui serait
chargé de la coordination des informations stockées dans les
différentes zones cérébrales. Son intervention serait
capitale pour faire passer les souvenirs de la mémoire à
court terme vers la mémoire à long terme. Le
système limbique- dont l'hippocampe et l'amygdale sont des centres
primordiaux- joue le rôle de cerveau fondamental parce qu'il
intéresse toutes les activités du comportement, le système
hippocampe-amydale joue le rôle d'intégrateur cognitif en
permettant, par ses relations avec le néo-cortex, la détection de
la nouveauté et aussi le rôle d'intégrateur
cognitif-affectif en donnant aux informations une valeur affective,
c'est-à-dire bonne ou mauvaise du point de vue de l'organisme(voir
Lieury, 1975, pp.226-230).
Nous réalisons, grâce à cette revue
critique de la littérature, que la mémoire et son fonctionnement
reposent sur un support anatomique. Connaître les bases anatomiques de la
mémoire nous permet de comprendre les contours de son fonctionnement.
Cependant, nous avons estimé que le débat sur la mémoire
et ses capacités, dans le cadre de notre étude, serait incomplet
si nous ne prenions pas un temps pour discuter d'un autre
phénomène qui lui est forcément indissociable, à
savoir l'oubli. La question que nous nous sommes posé est de savoir
pourquoi certains éléments sont frappés par l'oubli
méme en cas d'intégrité de tout le dispositif anatomique
impliqué dans le fonctionnement mnésique. Cela nous a
amené à envisager ci-dessous une nouvelle section relative au
phénomène de l'oubli et aux mécanismes qui le
sous-tendent.
II.4. Mémoire versus oubli
L'oubli est en quelque sorte l'antithèse de la
mémoire. Autant la maladie constitue une source de renseignements sur le
fonctionnement de l'organisme vivant, autant l'oubli peut nous éclairer
tant sur les modalités de fonctionnement de la mémoire que sur
ses caractéristiques. Comme nous avons eu l'occasion de le souligner
dans le premier chapitre dédié à l'élucidation des
concepts clés de notre étude, la matérialisation de la
mémoire s'opère par la reproduction plus ou moins fidèle
du matériel présenté alors que ce dernier s'est
éclipsé du champ perceptuel de l'individu.
De fait, la performance du sujet dépend de ses
capacités perceptives comme de ses capacités mnésiques
(Colin, 1979, p.45). Il résulte de cette intrication réciproque
qu'il est malaisé de séparer parfaitement ce qui revient à
l'une comme à l'autre entre ces deux groupes de fonctions ; celles-ci ne
sont que théoriquement indépendantes. C'est cette
complexité qui est à la base de la
difficulté à cerner les facteurs qui sont
à l'origine de la solidité ou de la fragilité de certains
souvenirs. S'agissant justement de ces facteurs, Michaux (1974, pp.38-40) en a
isolé trois à savoir le caractère utilitaire du
matériel à mémoriser, son aspect sémantique ainsi
que la motivation d'achèvement
Considérons en premier lieu le caractère
utilitaire du matériel à mémoriser en tant que facteur
à l'origine de la solidité des souvenirs. Michaux (1974, p.38)
prévient, cependant, que l'influence favorisante de
l'intérêt sur l'acquisition des souvenirs n'est pas
illimitée et inconditionnelle. Elle serait même dommageable
à la mémoire au-delà d'un certain seuil car une motivation
trop intense mettrait l'individu sous une haute tension et déclencherait
des troubles émotifs qui inhiberaient l'activité mnésique.
Autrement dit, une attention trop accrue et trop passionnée porterait
préjudice à l'enregistrement des souvenirs.
Considérons en deuxième lieu, à propos
des facteurs qui sont à l'origine de la solidité ou de la
fragilité des souvenirs, l'aspect sémantique du matériel
à mémoriser. La mémoire aurait toute la peine du monde
à retenir un matériel peu ou pas structuré (les mots ou
les chiffres isolés).
Par ailleurs, la mémorisation serait tributaire du
contexte affectif, conscient ou inconscient, auquel se rapporte le
matériel à mémoriser. En effet, le matériel
présentant une charge affective agréable serait plus
mémorisable que le matériel à connotation affective
négative et ce dernier le serait plus qu'un matériel neutre.
Néanmoins, pour Michaux (1974, p.39) cela est loin
d'être un absolu. La notion de délai est aussi très
déterminante. Et cela est d'autant plus vrai que les expériences
agréables et désagréables sont également
remémorées à court terme. Cependant, l'auteur
considère que si l'évocation est plus tardive, les
expériences agréables seraient plus remémorées que
les expériences désagréables. En conclusion, sur ce
facteur de la mémoire (versus l'oubli), il faut éviter des
positions radicales car il existe des nuances qu'il importe d'émettre
chaque fois.
conservation des acquis mnésiques. L'expérience
ayant permis de dégager cette conclusion se serait basée sur une
vingtaine de tâches dont la moitié était restée en
suspens et l'autre moitié achevée. Les résultats furent
surprenants. La fixation s'était portée curieusement sur les
travaux non achevés. L'explication fournie est que l'exécution
d'une tâche déclenche une tension qui ne cesse que lorsqu'elle est
achevée. Ce serait justement cette tension qui favorise la fixation
mnésique, tandis que la détente consécutive la
défavorise. Mais, il existe aussi des cas où l'inverse se produit
(Michaux, 1974, p.39).
Dans chacun de ces trois cas, la perte de souvenirs repose sur
les trois mécanismes que sont : la détérioration,
l'absence ou l'insuffisance des schèmes, les inhibitions pavloviennes
(c'est-à-dire quand un stimulus conditionnel n'est plus
accompagné d'un renforcement positif la réponse
conditionnée ne se produit plus) et les interférences (cas
d'analogie de réponses ou d'excitants conditionnels) (Michaux, 1974,
p.40).
Le premier mécanisme est imputable à un
processus psychophysiologique, mettant en cause une manière d'extinction
du souvenir lorsque le rappel des stimuli originels ne l'entretient pas. Ce
phénomène peut être comparé au
phénomène de l'épuisement de l'immunité obtenue
à la suite d'une vaccination lorsque celle-ci n'a pas été
renouvelée. Il peut aussi être dû à un processus
anatomique résultant d'une désagrégation progressive des
systèmes de traces mnésiques.
Le deuxième mécanisme, en rapport avec l'absence
de schèmes, est une inspiration de la conception piagétienne. En
effet, pour cette icône de la psychologie, le souvenir a pour substrat un
schème. Ce dernier est la figure abrégée
représentant les traits essentiels, d'un objet, d'une personne
(schèmes visuels) ou d'un mouvement (schème moteur). L'oubli peut
résulter d'une absence de schème, cette absence s'opposant
à la mémoire : c'est le cas de l'enfant. Dans d'autres cas, il
ressort à l'incoordination des schèmes, c'est-à-dire
à leur différenciation et fonctionnement insuffisant (Michaux,
ibid.).
Enfin, le troisième mécanisme qui est celui
relatif à la conception dite néo-associationniste fait
état d'une inhibition pavlovienne et des possibles interférences.
Sans pour autant conclure sans réserve à une assimilation, cette
conception rapproche le mécanisme de l'oubli des processus de
conditionnement pavlovien. Par ailleurs, elle empreinte à la physiologie
inspirée des expériences
de Pavlov la notion d'inhibition. Autrement dit, l'oubli
intervient quand la remémoration ne s'accompagne pas de la gratification
(renforcement positif). Pour Michaux (1974, p.41), on retrouve dans la
provocation de l'oubli un processus analogue d'extinction, d'inhibition,
lorsque le stimulus conditionnel est depuis longtemps mis en oeuvre sans
adjonction conséquente du stimulus absolu, inconditionnel. On remarque
que l'inhibition est susceptible de prendre fin lorsque le stimulus
conditionnel longtemps abandonné est de nouveau
réinstauré. Il prévoit néanmoins la
possibilité de l'intervention des interférences (à
comprendre ici comme étant des erreurs de circuits). L'erreur de circuit
peut être rétroactive quand elle aboutit à
l'évocation d'un souvenir fixé antérieurement ou proactive
dans la mesure où elle se rabat aux souvenirs postérieurs
à celui recherché.
Après ce débat sur le phénomène de
la mémoire (versus l'oubli), nous sommes en droit de nous interroger si
ce phénomène ne pourrait pas être expliqué
différemment selon les diverses formes de mémoire. Cette
interrogation est fondée dans la mesure où méme notre
étude ne s'intéresse pas sur la mémoire en
général mais se focalise sur une de ces composantes, en
l'occurrence la mémoire de travail.
En effet, concernant la mémoire sensorielle, le nombre
de mots rappelés décroît rapidement lorsque le délai
de rappel est augmenté. Quant aux informations en mémoire
à court terme, trois mécanismes expliquent le
phénomène de l'oubli à savoir celui de la taille
limitée du tampon de mémoire, celui du déclin naturel de
la trace mnésique à la suite de l'absence de l'entretien par
autorépétition et celui de l'interférence. S'agissant de
la sauvegarde ou non des informations conservées en mémoire
à long terme, l'oubli ne correspond pas à l'effacement complet
d'une trace mnésique, mais plutôt à sa
détérioration en raison d'interférences provoquées
par l'encodage postérieur ou antérieur d'autres informations et/
ou d'une usure naturelle de la force de la trace jusqu'à des seuils tels
que son activation n'est pas suffisante pour permettre la
récupération (voir Da Silva Neves, pp.26-41).
Nous réalisons, enfin de compte à propos de
l'oubli, que celui-ci est un phénomène qui s'explique par
beaucoup de facteurs dont certains sont soit liés aux
caractéristiques propres aux objets à mémoriser, soit
à l'individu concerné par l'activité de
mémorisation. Par ailleurs,
l'expérience de la vie courante nous apprend que, qu'on
le veuille ou non, l'oubli est incontournable; l'être humain est
quotidiennement soumis à un si grand nombre de stimulations
(informations) qu'il est pratiquement impossible de se remémorer de
toutes. C'est la raison pour laquelle l'oubli est, à l'exception de
certains cas extrêmes, considéré comme un
phénomène normal. Toutefois, il reste incontestable que certaines
situations d'excès ou de déficit de la mémoire renvoient
à des cas de pathologies de la mémoire.
II.5. Les pathologies de la mémoire
Notre intérêt de débattre sur les
pathologies de la mémoire dans le cadre d'une étude portant sur
la comparaison de l'efficience de la mémoire de travail entre des
écoliers non entendant et écoliers entendant repose sur le fait
que certains écarts peuvent être expliqués par l'une ou
l'autre des pathologies de la mémoire plutôt que par le simple
fait d'être entendant ou non. Autrement dit, notre souci est ici de
comprendre les pathologies de la mémoire afin de nous éviter de
sombrer éventuellement dans des inférences erronées par
rapport au sujet traité.
Qui plus est, les cas de pathologies constituent des
opportunités d'observations spontanées auxquelles le psychologue
fait très souvent recours suite à l'impossibilité de
procéder à des expériences provoquées pour des
raisons d'éthique. Cela étant dit, faire abstraction de cette
réalité dans notre revue critique de la littérature serait
synonyme de nous priver délibérément d'une fructueuse
source d'informations.
Les troubles de la mémoire dont il est question sont
respectivement les hypermnésies, les amnésies et les distorsions
de la notion du temps vécu. D'un point de vue étymologique, il
apparaît que ce sont aussi bien des pathologies par défaut que par
excès et dont l'étiologie peut se situer soit au niveau
organique, soit à celui affectif (voir Pélicier, 1981, p.362).
II.5.1. Les hypermnésies
Les hypermnésies, comme le laisse transparaître
la morphologie du mot, renvoient à des situations de capacités
excessives de la mémoire. Ces pathologies traduisent une
suractivité fonctionnelle de la mémoire d'évocation, car
elles ne portent pas sur l'acquisition des souvenirs mais sur leur fixation. On
en distingue de deux ordres à savoir les hypermnésies diffuses et
les hypermnésies partielles. Les hypermnésies diffuses sont
très fréquentes dans l'excitation maniaque où elles
s'associent à l'euphorie ; le sujet se montrant bizarrement très
dégourdi, expansif. On les observe aussi à la phase du
début de la paralysie générale, dans l'ivresse alcoolique
et après l'absorption de substances psychodysleptiques. Elles se
distinguent des hypermnésies partielles par le fait qu'elles sont libres
de toute prédilection particulière (Michaux, 1974, p.57).
Quant aux hypermnésies partielles, elles sont
systématisées sur des souvenirs liés à des
préoccupations affectives intenses. Ces hypermnésies affectives
sont l'opposé des amnésies sous-- tendues par une genèse
affective due au refoulement. Il en existe trois tableaux cliniques :
l'hypermnésie délirante courante chez les délirants
passionnels (les érotomanes vont par exemple exploiter un fait non
porteur de grande signification en soi mais simplement parce qu'il permet
d'alimenter leur illusion délirante d'être aimé et cela
s'observe également chez les paranoïaques qui ne manquent aucune
occasion pour grossir les moindres détails dans le sens d'une
persécution sans merci), les hypermnésies partielles
rencontrées chez les obsédés dont l'exaltation
mnésique serait orientée dans le sens d'une obsession, d'une
phobie et prend les allures d'une véritable torture, et enfin, le
syndrome d'hypermnésie émotionnelle paroxystique tardif
fréquent chez les sujets ayant fait l'expérience d'un
passé particulièrement terrifiant comme celui de
déportés, de rescapés de génocide ou de
catastrophes naturelles de grande envergure (Michaux,1974, p. 58).
Nous tirons également de notre source d'information
(Michaux, ibid.) que les hypermnésies partielles sont en quelque sorte
l'opposé et le symétrique des amnésies de genèse
affective. En effet, précise l'auteur, si ces dernières
dépendent du refoulement de souvenirs désagréables, les
hypermnésies affectives ressortissent à la dilection
passionnée des faits plus ou moins anciens soigneusement
conservés et parfois déformés.
Il convient par ailleurs de noter que la complexité des
hypermnésies est telle qu'il est possible de distinguer
l'hypermnésie authentique (pure remémoration) des fausses
hypermnésies oniriques qui sont l'expression des hallucinations
trouvant leur origine dans le passé (Michaux, 1974, p.59).
II.5.2. Les amnésies
Les amnésies traduisent une suspension plus ou moins
longue de la mémoire, impliquant ses principales fonctions qui sont
notamment la fixation, la conservation, l'évocation et la
reconnaissance. Aussi, distingue-t-on les amnésies de fixation, les
amnésies de remémoration et les ecmnésies
(Pélicier, 1981, p.313).
Les amnésies de fixation sont antérogrades. Dans
ce cas, l'évocation des souvenirs anciens reste intacte. C'est dire
alors que « le nuage mnésique s'étend en avant aussi
longtemps que dure le trouble de l'acquisition mnésique »
(Pélicier, ibid.). On ne peut donc pas parler d'amnésie de
fixation si les perceptions sont abolies par un trouble sensoriel ou suspendues
par le coma. Les amnésies de remémoration, par leur essence
même rétrogrades, sont détectables par évocation. Et
elles sont de cinq ordres : les amnésies d'évocation rendant
impossible l'accès aux souvenirs pourtant bien conservés, les
amnésies résiduelles de fixation (amnésies lacunaires ou
crépusculaires), les amnésies de conservation, les
amnésies de reconnaissance et les amnésies sélectives
d'origine affective (voir Pélicier, ibid.).
Il est clair que les troubles ci-dessus repris sont pour
l'essentiel quantitatifs, mais notons avec Pélicier (1981, p.314) qu'il
existe d'autres troubles qualitatifs surtout ceux touchant le rapport que le
sujet entretient avec la notion de temps.
II. 5.3. Les distorsions de la notion du
temps
Concernant les distorsions de la notion du temps,
Pélicier (1981, p.314) isole deux grands ensembles en l'occurrence les
troubles de la synthèse mnésique immédiate et les troubles
de la remémoration du passé. Les troubles de la
remémoration se présentent sous quatre aspects à savoir la
fabulation, la falsification rétrospective délirante,
l'ecmnésie et les visions panoramiques du passé.
Premièrement, la fabulation se traduit chez l'adulte
par une dissolution de la mémoire sociale et est
considérée comme normale chez l'enfant non encore
socialisé. La fabulation se révèle être un cocktail
imprécis de souvenirs et de constatations présentes. En plus,
elle se distingue du mensonge par le fait que le menteur est mystificateur,
conscient, au moment où le fabulateur est « à la fois
élaborateur et la dupe » (Pélicier, 1981, p.314).
Deuxièmement, quant à falsification rétrospective
délirante, elle se démarque par le fait que le délirant
imprime ses propres déformations, de bonne foi, à des
événements antérieurs à son délire, les
harmonisant avec les thèmes délirant ultérieurs.
Troisièmement, l'ecmnésie, de son côté, est surtout
rencontrée dans des cas de démences séniles, mais peut
exceptionnellement être causée par une tumeur du quatrième
ventricule. Le malade se cramponne à une époque précise de
sa vie comme si toutes les autres acquisitions postérieures avaient
été entièrement élaguées.
Quatrièmement et enfin, le délirant qui souffre de visions
panoramiques a comme impression que son passé se débobine en un
seul coup.
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