CHAPITRE I. ELUCIDATION DES CONCEPTS CLES
La démarche habituelle dans toute recherche
scientifique consistant à commencer par l'élucidation des
concepts clés répond à un but précis à
savoir celui de choisir les bonnes clés d'entrée dans
l'investigation sur le sujet choisi. En effet, l'identification des
significations utiles des mots clés évite par la suite au
chercheur de naviguer à vue, de se perdre dans des tâtonnements
à n'en point finir à l'instar d'un touriste sans boussole dans
une jungle qui lui est complètement inconnue.
Les concepts que nous avons jugés clés à
notre étude et qui nécessitaient d'être clarifiés
sont respectivement la mémoire, la mémoire de travail,
l'handicap, la surdité et la surdité totale.
I.1. La mémoire
La mémoire peut être définie comme
étant la capacité de l'être vivant à garder les
traces des événements passés. Le mot dérive du
latin « memoria » tiré du verbe «
memorare » signifiant rappeler. Sillamy (1980, p.729) s'inscrit
dans la mouvance de cette conception latine quand il affirme que la
mémoire renvoie à la capacité de conservation des
informations du passé avec capacité de les rappeler ou de les
utiliser. Et il ajoute : « Elle est d'une importance indiscutable car
d'elle dépendent l'accoutumance, l'habitude et l'éducation »
(ibid.).
Il serait erroné, cependant, de partir de cette
signification étymologique pour conclure sans réserve qu'il
s'agit là d'une fonction simple. La fonction a des mystères qui
échappent à l'irréflexion du vulgaire et sous une
apparente simplicité se cachent les apories d'importants
problèmes (Filloux, 1967, p.5). Sa complexité repose sur deux
éléments. Premièrement, elle est loin d'être une
photographie fidèle de ce qui a été vu, senti,
touché, entendu, bref vécu. Il résulte de la
mémoire une structuration de l'information et des règles qui
régissent la manipulation et la transformation de cette information
(Bartz, 1979, p.1). Ce constat est aussi partagé par Michaux (1974,
p.16) quand il définit la mémoire comme une fonction
générale du système nerveux dont la base est la
propriété qu'ont des éléments de conserver une
modification reçue et de former des associations. Michaux (ibid.)
poursuit que la mémoire implique les activités comme la
fixation
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de certains états, leur reproduction et leur
localisation dans le temps mais, cette dernière étant facultative
parce qu'elle se trouve être un attribut de la mémoire
achevée. De là, nous comprenons que le travail de la
mémoire n'est pas mécanique mais réorganisateur.
Deuxièmement, elle implique plusieurs autres activités
tributaires du processus de développement. C'est du moins l'avis
défendu par Lieury (1975, p.251) quand il dit que la mémoire est
l'ensemble des processus biologiques et psychologiques qui permettent, selon le
degré de développement phylogénétique
(espèce animal) ou ontogénétique (le niveau de
développement de l'enfant), plusieurs catégories de comportements
- la recognition sensori-- motrice, action et imitation différée,
souvenir image ou conduite de récit - dont la fonction commune est la
conservation des informations (perceptions ou actions).
De toutes ces définitions retrouvées, nous avons
retenu, en définitive, que la fonction de la mémoire ou la
faculté mnésique se résume en deux verbes d'action
clés à savoir : capter (retenir) et
restituer (sa finalité ultime). Nous
notons que cette finalité de la mémoire requiert une certaine
réorganisation par le sujet. Cela veut dire que la mémoire
imprime à ses objets quelques modifications. Ce postulat est d'autant
plus vrai que ces modifications s'appliquent non seulement sur le cas
précis de la mémoire individuelle mais aussi sur celle collective
(voir Halbwachs, 1975, p.289). Cependant, bien que cette mise au point mette en
exergue une certaine unanimité entre auteurs, nous constatons l'absence
d'une convergence de vues quant aux formes de la mémoire. Par exemple,
une théorie de Delay (1950) appréhendant la mémoire en
termes d'hiérarchies distingue trois formes de mémoire : la
mémoire sensori--motrice (celle des sensations et mouvements), la
mémoire sociale se matérialisant par le développement des
catégories logiques, et la mémoire autistique apparaissant
dès l'age de trois ans et exploitant le matériel emprunté
aux sensations vécues dans la prime enfance. D'autres classifications se
fondent soit sur les processus psychiques mis en oeuvre dans la
mémorisation (mémoire spontanée, mémoire
volontaire), soit sur les organes de sens impliqués dans
l'activité mnésique (mémoire visuelle, auditive,
gustative, tactile,...), soit sur le moment de l'évocation
(mémoire immédiate, mémoire à court terme ou
mémoire de travail, mémoire à long terme).
expérimentale requise par notre sujet d'investigation
scientifique. Aussi, faut-il souligner que la forme de mémoire qui nous
intéresse plus particulièrement est celle de la mémoire
à court terme connue aussi sous le nom de mémoire de travail car
se prêtant mieux à la méthode expérimentale que nous
avons mise à contribution pour mener notre étude. Or, la
méthode expérimentale requiert des mesures, ce qui n'est possible
qu'avec la mémoire de travail. Cette expression de mémoire de
travail également rangée parmi les termes clés de notre
étude mérite, à son tour, d'être
clarifiée.
I.2. La mémoire de travail
La mémoire de travail ou la mémoire à
court terme (Matlin, 2001, p.166) est aussi appelée «
mémoire primaire » (Fontaine, 1999, p.134) ou « mémoire
immédiate » (Colin, 1979, p.47). C'est à elle que nous
faisons recours de façon permanente. Le nombre d'items susceptible
d'être mémorisé (empan mnésique) varie entre 5 et 7
éléments (Michaux, 1974, p.47). Tel est aussi l'avis de Miller
(1956) à travers sa formule de 7#177;2 (Matlin, 2001, p.168). Bien que
ces chiffres sur la capacité de la mémoire à court terme
soient avancés comme tels, il est à noter qu'elle ne
possède pas une capacité fixe et rigide car dépendante
aussi bien des caractéristiques de la tâche que des
différences individuelles (Matlin, 2001, p.172).
Dans le cadre de notre recherche, nous avons
considéré la mémoire de travail comme cette
capacité de reproduire les stimulations auxquelles l'individu humain a
été soumis après que ces dernières aient disparu de
son champ perceptuel depuis un temps relativement court compte tenu de la
quantité et de la longueur des items faisant objet de notre
expérimentation.
En plus, dans cette abondante terminologie (mémoire de
travail, mémoire à court terme, mémoire primaire,
mémoire immédiate), nous avons opté pour l'usage du
concept de mémoire de travail car faisant référence au
complexe travail de la mémoire qui ne se réduit pas au simple
stockage. En plus de ce concept de mémoire de travail, un autre concept
clé qu'il s'avère indispensable de clarifier est celui
d'handicap.
I.3. L'handicap
Il n'est pas très aisé de définir le
concept du handicap dans la mesure où il en existe plusieurs formes de
handicaps : handicaps mentaux, handicaps sensoriels, handicaps moteurs,
handicaps survenant à la suite de maladies chroniques, etc. Cependant,
il reste possible de chercher leur(s) dénominateur(s) commun(s). Dans
tous les cas, nous estimons que la notion de handicap renvoie à un
dysfonctionnement d'un organe ou d'une fonction limitant ainsi sa jouissance
effective.
Plusieurs sources s'accordent pour reconnaître que ce
vocable est d'origine anglaise mais les versions diffèrent quant
à sa genèse (voir par exemple Tremblay, 1987 ; Geaudreau et
Canavaro, 1990). Au départ, il désignait une pratique sportive
consistant à tenir d'une main une tasse de café pendant qu'on
joue au tennis avec un challenger de talents modestes (Ndayisaba et De
Grandmont, 1999, p.60). Cela permettait ainsi de redistribuer les cartes car
l'adversaire le plus fort était mis dans une situation d'inconfort. Il
est donc évident que le handicap décrivait une situation
d'infériorité nécessitant une compensation, une mesure
correctrice. Autrement dit, la notion d'handicap insinue l'idée
d'infériorité en termes d'aptitudes. Telle est aussi à peu
près la conception de Lafon (1973) à la seule différence
qu'elle s'applique aux enfants. Sa conception fait référence
à la notion de retard par rapport aux autres enfants de méme age
réel. L'handicap, vu sous cet angle, ne se percevrait donc que par
comparaison et deviendrait relatif. En face de cette considération
normative, il se dresse aussi des approches du handicap qui se basent sur ses
répercussions sur le plan social. L'handicap est en fait un
désavantage social résultant d'une déficience ou d'une
incapacité qui limite ou interdit forcément l'accomplissement
d'un rôle attendu de la personne qui en est atteinte, par son milieu
(voir Naniwe, 1995). De cette définition, il apparaît clairement
que l'handicap porte une connotation sociale. Nous sommes même
tenté de nous demander si l'handicap (méme s'il présente
dans la plupart des cas des manifestations physiques incontestables) n'est pas
beaucoup plus une création de la société plutôt
qu'une donnée absolue. Notre interrogation se fonde sur le constat que
les implications sociales de l'handicap pèsent parfois plus lourd sur la
personne atteinte d'handicap que son handicap lui-même. La notion
d'handicap est relative aux normes d'usage, au niveau de développement
et aux capacités de tolérance du groupe auquel appartient la
personne handicapée (Doron et Parot, 1991, p.324).
Après cette clarification du concept d'handicap en
général, nous pouvons cette fois-ci envisager la
définition de la surdité en tant qu'une de ses formes.
I.4. La surdité
Le mot surdité dérive du latin « surdus
». Il désigne l'état d'une personne qui perçoit
vaguement les stimuli auditifs ou qui en est carrément insensible. Pour
Robert (1971, p.35), est sourd celui qui perçoit insuffisamment les sons
ou ne les perçoit pas du tout. La surdité est aussi
définie comme étant une diminution de la sensibilité de
l'oreille (Gribenski, 1957, p.75). La notion de diminution nous fait penser
à une comparaison par rapport à une période
antérieure. Partant de cette observation, nous déduisons que la
surdité n'a rien d'absolu car la diminution dont il est fait mention
n'est pas une norme. C'est pour cette raison que Trannoy (1971) propose une
définition beaucoup plus objective fondée sur des indices
chiffrés et chiffrables. Le sourd est celui dont le déficit
auditif est inférieur à 65 décibels (voir Trannoy, 1971,
p.13). Nous notons que la forme la plus sévère des autres formes
de surdité est celle connue sous le nom de surdité totale.
I.5. La surdité totale
La notion de surdité totale se rapporte à la
privation totale de la faculté d'entendre. Elle est attestée par
un déficit auditif supérieur à 65 décibels
(Trannoy, 1971, p.13). Cependant, cette conception ne fait pas unanimité
au sein des spécialistes de la surdité. La qualification de la
surdité totale varie d'un pays à l'autre et elle tend à
différer selon qu'on a en vue l'éducation du sujet, le choix d'un
emploi ou l'octroi d'une indemnité (Wall, 1955, p.255). Nous comprenons
donc par là que c'est la finalité en ligne de mire qui
conditionne l'approche définitionnelle.
Dans le cas précis de notre étude, nous avons
considéré comme écolier non entendant tout écolier
dont l'insensibilité aux stimuli auditifs est avérée, en
faisant abstraction des différentes formes de surdité. Ce choix
repose sur le fait que nous avons voulu réaliser notre recherche dans un
cadre scolaire. Or, lorsqu'elle est légère, une surdité
peut passer inaperçue au sein de la famille, mais peut entraver
sérieusement la scolarisation d'un sujet (Ndayisaba et De Grandmont,
1999, p.143). Etant donné que la mémorisation est une condition
de la sauvegarde des apprentissages scolaires, nous pouvons présumer que
tout ce qui est préjudiciable à la mémoire a de fortes
probabilités de l'être à la scolarisation.
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