CHAPITRE 2
: Etude du Milieu
Que dire de la maltraitance indirecte subie par
l'enfant témoin de violences conjugales dans sa famille?
Les enfants qui vivent dans un contexte de violences
conjugales sont dans tous les cas victimes. Qu'ils subissent eux-mêmes
les coups, insultes ou négligences ou qu'ils soient témoins
visuels
ou auditifs des violences infligées à un des
parents, ils restent prisonniers d'un contexte qui nuit à leur
développement physique, relationnel et psychosocial.
Au Sénégal, une femme sur dix a
déclaré avoir déjà subi de la violence physique
et/ou sexuelle de la part d'un partenaire (ancien ou actuel) au mois une fois
au cours de sa vie. De nombreux enfants sont donc potentiellement
touchés par la problématique. Il a été
montré que les enfants témoins de la violence commise à
l'encontre d'un des parents, montrent plus d'agressivité,
d'hyperactivité, et de comportements délinquants que les enfants
non exposés à ce type de violence. Ils manifestent
également plus de troubles de l'humeur, tels que de
l'anxiété et de la dépression. En outre, ils
présentent moins de compétences sociales, une plus faible estime
d'eux-mêmes et davantage de difficultés d'apprentissage et de
concentration que les enfants non exposés.
Pour toutes ces raisons, il est impératif qu'ils
bénéficient d'une prise en charge adéquate par des
professionnels spécialisés, au même titre que les enfants
qui subissent directement les violences parentales.
Comment s'effectuent la prise en charge et le suivi
des parents violents?
En préambule, il importe de préciser qu'il
existe deux grands ensembles de parents qui ont recours
à la violence :
o dans la grande majorité des cas, il s'agit de
travailler avec des parents qui se trouvent confrontés
à des déficits de compétences
parentales et qui ont recours à des comportements
violents dans certaines circonstances et contextes. Cela signifie que
ces parents peuvent aussi se montrer aimants et adéquats. Les
expériences positives passées avec ces parents peuvent expliquer
- entre autres - la force du lien d'attachement entre ces parents et leurs
enfants.
o Il existe aussi une minorité de parents
atteints de graves troubles qui utilisent
systématiquement la violence. Ce n'est pas de cette
minorité dont il sera question ici. Dans ces cas, la prise en charge
vise le contrôle social des parents pour assurer la
sécurité des enfants, plus que la réhabilitation des
compétences parentales.
La présence de tiers lors de
o contacts entre ces parents et leurs enfants est
nécessaire en vue d'assurer la sécurité tant psychique que
physique des enfants.
La prise en charge varie par ailleurs en
fonction des formes de violences (physiques,
psychologiques, sexuelles, économiques, etc.) et des
modalités relationnelles. Le pronostic de réussite est
généralement différent selon le type de violence :
o Violence symétrique : parents et
enfants sont conscients de l'inadéquation de leurs comportements mais ne
parviennent pas à gérer les frustrations et conflits
inhérents à la vie commune sans recourir à la violence.
Ces interactions violentes sont bidirectionnelles, réciproques et
publiques. Les protagonistes reconnaissent que la violence est
problématique. Le pronostic est positif, les séquelles
psychologiques peuvent être limitées : l'identité de chacun
est préservée car l'autre est reconnu.
o Violence complémentaire : la
relation est ici inégalitaire, dans la mesure où
l'autorité liée au statut de parent est utilisée de
manière abusive, et pas pour assurer la sécurité et la
socialisation des enfants. Cette violence est unidirectionnelle et intime. Le
pronostic est sombre, les séquelles psychologiques plus profondes, car
l'enfant intègre l'exposition à la violence comme la norme et n'a
pas droit à l'altérité. Cette modalité
relationnelle est liée à l'installation d'une forme d'emprise.
En regard de ces modalités relationnelles de la violence,
nous distinguons deux types de prises en charge : celles qui
s'effectuent sur une base
volontaire ou sur une base contrainte.
o Base volontaire : il s'agit de parents
conscients de l'inadéquation de leurs comportements (parfois suite
à l'intervention de tiers : école, pédiatre, famille,
etc.), et qui en souffrent. Ils souhaitent - malgré la honte qui les
habite - trouver des solutions pour éviter que la violence se
répète et s'aggrave. Sur la base de cette prise de conscience,
l`accompagnement va permettre à ces parents de s'approprier ou de se
réapproprier progressivement des compétences permettant de
trouver des alternatives au recours à la violence. Un suivi assurant la
consolidation de la reconstruction des compétences parentales va
être mis en place.
o Base contrainte : il s'agit de parents
dont les violences ont été repérées socialement et
dont la gravité est telle qu'une mesure contraignante - civile ou
pénale - leur est imposée. Dans un premier temps, la prise en
charge vise à ce que les parents prennent conscience du caractère
illégal et inadéquat de leurs comportements. En parallèle,
une forme de contrôle social tend à assurer la
sécurité des enfants, dans certains cas par leur placement. Pour
autant que les parents s'approprient progressivement une demande personnelle de
changement, un accompagnement proche de celui qui a été
développé pour les parents « volontaires » est
possible.
· Comment soutenir les
professionnels qui accompagnent les enfants victimes de mauvais
traitements?
Tout professionnel de l'enfance peut être confronté
au phénomène de la maltraitance, mais il n'a pas forcément
reçu de formation liée à cette
problématique. Par rapport au dépistage des mauvais
traitements, il est pourtant important que le professionnel reçoive une
formation sur:
- les symptômes fréquemment manifestés
par l'enfant maltraité, ainsi que les caractéristiques de
son fonctionnement psychologique et comportemental, - les
indicateurs évocateurs de maltraitance qui sont liés au
contexte familial.
Selon les cas, le professionnel doit faire un signalement au
service compétent, lui-même ou en passant par sa
hiérarchie. Il est donc important que l'intervenant connaisse les lois
et les procédures auxquelles il est astreint. Il convient que les
directions d'institutions (privées et publiques) donnent des
informations complètes à leurs collaborateurs afin que ceux-ci ne
se trouvent pas sans ressources en cas de besoin. Le recours aux
collègues permet aussi de ne pas rester seul et d'obtenir davantage
d'informations. Certaines institutions ont prévu des protocoles à
suivre en cas de suspicion de mauvais traitements. Cela peut constituer une
forme de soutien pour le professionnel confronté à une telle
situation. Reste que dans un tel cas, l'important est de ne pas rester seul.
Concernant les professionnels qui ont un rôle
thérapeutique ou socio-éducatif avec des familles maltraitantes,
on peut évoquer quelques aspects importants à prendre en compte
pour être soutenu: - La prise en charge de ces familles implique
souvent une approche tri-focale: d'une part la prise en charge individuelle de
l'enfant ; d'autre part la prise en charge de la famille. En troisième
lieu, il y a le contrôle social effectué par le service qui est
garant de la protection de l'enfant. Il est indispensable que ces trois
instances puissent constamment collaborer, dans la transparence totale afin que
le système encadrant (composé des divers professionnels
impliqués dans la situation) puisse à tout moment s'ajuster au
système encadré (famille et enfant). On évite ainsi les
triangulations typiques de ce type de situation. - Le professionnel doit
connaître les mécanismes de
défense présents chez l'enfant comme dans la
famille de
ce dernier ; il doit aussi savoir reconnaître ses propres
mécanismes de défense qui sont généralement
puissants dans ce type de situation (ex: suractivité, attitude à
la Zorro ou, au contraire, banalisation voire déni). - Il est
important que l'intervenant qui travaille en institution en
réfère à sa hiérarchie lorsqu'il est
confronté à un enfant victime de mauvais traitements. Il est
également nécessaire que cet intervenant bénéficie
régulièrement de séances de supervision : en effet, les
mécanismes à l'oeuvre dans ce genre de famille sont très
spécifiques et il faut pouvoir les comprendre pour les identifier et
s'en protéger. Par ailleurs, les entretiens de réseau sont
indispensables pour ne pas rester seul et pour s'accorder entre intervenants
confrontés à une même situation.
·Comment intervenir auprès de jeunes
violents, qu'ils soient seuls ou en bande (agressions, racket)?
En préambule, il convient de rappeler que la
majorité des jeunes n'ont pas de comportements violents. Il ne faut pas
oublier non plus que si quelques jeunes souffrent de troubles qui les
amènent à la violence, la majorité des jeunes qui
utilisent la violence en ont eux-mêmes été victimes,
souvent à l'intérieur de la famille. La violence subie est
donc un élément essentiel à prendre en compte au moment
où le jeune bascule de son vécu de victime à ses passages
à l'acte.
La réponse face à un jeune qui a recours à
des comportements violents doit donc être double:
· une réponse normative qui
le ramène à la Loi (autant au niveau légal que dans une
compréhension plus psychodynamique de la loi du père) ; cette
réponse doit être une conséquence directe et
immédiate à son acte.
· une réponse
éducative qui permette au jeune de
réfléchir à ses comportements et au sens qu'il y donne, en
favorisant le recours à des alternatives à la violence. Une
approche plus compréhensive (notamment dans un groupe
thérapeutique) est alors adéquate.
Cette articulation entre la sanction et le soin est
complexe, notamment en raison du rapport que chacun entretient avec la
violence et du danger auquel se confrontent potentiellement les intervenants.
Cette double réponse comporte le risque de se voir prise dans les
pièges de l'urgence, de l'émotionnel et de la simplification.
Il est essentiel que les intervenants soient
assurés de leur propre sécurité pour qu'une
réponse puisse porter ses fruits sans engendrer de nouvelles violences.
Pour ce faire, il convient de tenir compte du contexte : selon que le jeune
agit seul ou en bande, la
réponse n'est pas la même:
· avec un jeune seul, le
positionnement de l'intervenant dépend du lien entretenu avec le jeune
qui se montre violent. Une confrontation sans la création initiale d'un
lien risque de mettre en danger l'intervenant. S'il est important de se
positionner clairement face à la violence en condamnant les actes du
jeune - et non sa personne -, cette démarche
est le fruit d'un processus qui nécessite plusieurs conditions : temps,
ouverture minimale du jeune, contexte favorable, etc. Afin de permettre ce
processus, il convient de prendre toutes les mesures utiles pour assurer sa
propre sécurité et celle d'éventuels tiers. Si ces
conditions ne sont pas remplies, l'intervention portera prioritairement sur
l'aspect normatif de la réponse, quitte à utiliser le levier de
la contrainte (et des pertes qu'elle peut occasionner) pour développer
dans un deuxième temps le volet éducatif de la réponse.
· avec des jeunes en bande, les
enjeux pour chacun se trouvent dans l'appartenance à un groupe de pairs,
la reproduction de gestes connus à l'intérieur de la famille, la
recherche d'une identité forte et du respect. L'identification et la
loyauté au groupe rendent l'intervention plus complexe. Lors d'un racket
ou d'une agression, l'intervention auprès d'une bande est perçue
comme une attaque contre laquelle elle va tenter de se défendre. Il
importe donc que les intervenants ne soient pas perçus comme des «
étrangers » à la bande et/ou qu'ils en soient
respectés. Si tel n'est pas le cas, la création du lien se fera
après le rappel à la Loi et celui-ci est du ressort des forces de
l'ordre.
Dans tous les cas, il importe donc que l'intervention comporte
d'abord le rappel à la Loi qui interdit la violence. Pour ne pas devenir
dangereuse et inefficace, l'intervention - professionnelle ou citoyenne - ne
doit pas être conduite par une personne isolée. L'intervention
doit pouvoir être soutenue par une institution (service
spécialisé, police, autres témoins, etc.) qui lui assure
les conditions de sécurité et de soutien nécessaires.
· Quel accompagnement pour
l'enseignant qui accueille dans sa classe un enfant victime de mauvais
traitements ?
En ce qui concerne le soutien et l'accompagnement d'un enseignant
confronté à une situation de maltraitance, il n'existe pas de
réponse unique. La réponse dépend bien souvent du lieu
d'enseignement et du réseau existant. Les ressources à
disposition des enseignants sont de plusieurs types.
Quand il existe un service de santé, l'enseignant peut se
référer à l'infirmière de l'école qui
évaluera avec lui ses besoins et lui proposera diverses
références et ressources à l'intérieur ou à
l'extérieur de l'école. Dans certaines écoles, il
existe des procédures d'accompagnement d'intervision en et/ou lien avec
le service de psychologie scolaire et/ou le service de santé. Dans
d'autres établissements, les demandes sont à adresser à un
membre de la direction.
A signaler qu'il existe des groupes d'analyse de pratiques qui
peuvent apporter leur soutien dans ce genre de situation. Un
élément important à relever est la nécessité
de ne pas rester seul avec son inconfort et ses soucis et de pouvoir partager
ceux-ci. Parfois les collègues peuvent être de bonnes ressources
dans un premier temps.
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