De la TICAD III à la TICAD IV: enjeux et mutations de la politique africaine de coopération du Japon( Télécharger le fichier original )par Patrick Roger Mbida Université de yaoundé II - Master professionnel 2011 |
III-DEBLAYAGE CONCEPTUELPour Madeleine Grawitz « le chercheur prudent indiquera la définition adoptée pour les concepts à utiliser 31(*)». Et comme soutenait le précepteur d'Alexandre Legrand, au nom d'Aristote ; « si les hommes prenaient la peine de s'entendre au préalable sur les mots qu'ils allaient utiliser, il y aurait moins de problèmes dans le monde »32(*). C'est donc dans le souci du respect de ces recommandations cardinales que dans le cadre de notre travail, des concepts clés retiendront notre attention à savoir : la coopération, la politique étrangère, et le développement. Le Lexique de politique définit la coopération comme « une politique d'entente, d'échange et de mise en commun des activités culturelles, économiques, politiques et scientifiques entre Etats de niveau de développement comparable...ou politique d'entente et d'aide entre Etats de niveau de développement inégaux »33(*). Une définition qui nous semble peu adaptée au contexte actuel des relations internationales. La présente analyse met bien en évidence plusieurs Etats de niveau de développement inégaux. Mais, est-ce suffisant pour réduire leur coopération à l'aide, à l'assistance, ou à la charité ? Le second pan de la définition suscitée présente la coopération comme « ...une politique d'entente et d'aide entre Etats de niveau de développement inégaux ». Or il est d'usage dans le jargon international que l'on ne parle d'aide que lorsqu'elle circule des pays riches vers les pays pauvres. C'est dire suivant l'esprit de cette définition, qu'entre pays riches et pays pauvres, la coopération se réduit aux actes de bonne volonté, de bienfaisance et de charité. Prendre cette définition telle quelle, c'est assurément infirmer cette pensée de George Washington selon laquelle « aucune nation ne doit être crue au-delà de son intérêt ». Comment comprendre cette conception alors qu' Henry Kissinger déclare sans ambages que : « la coopération n'est pas une faveur qu'un pays concède à un autre ... [Mais qu'elle] sert les intérêts des deux parties »?34(*) Et que dire de cette maxime qui a résumé la politique clintoniènne de coopération : « Trade not aid », ou de cette pensée du Général De Gaulle devenue populaire : entre Etats, il n'y a pas d'ami, mais seulement des intérêts ? De plus, on se rend compte que dans le passé, le terme coopération a souvent été utilisé comme euphémisme à la place de celui d'aide, pour des raisons psychologiques ou politiques. De ce fait, les Nations Unies ont recommandé dès 1959, de substituer le mot coopération à celui d'aide en ce qui concerne l'assistance technique ; l'étendue de la réciprocité et la portée synallagmatique des dispositions de celle-ci variant évidemment, en fonction du niveau de développement des Etats souverains en présence35(*). Deux principales tendances existent dans la conception doctrinale des études portant sur la politique étrangère. Il s'agit de la tendance étatiste et celle dite post- étatiste. La première est portée par des auteurs tels que Charillon, Stein, Rosenau, Zorgbibe... En effet, selon Frédéric Charillon36(*), la politique étrangère est l'instrument par lequel l'Etat tente de façonner son environnement politique international. Janice Stein37(*) la définit comme un ensemble de comportements qui traduisent les préoccupations de l'Etat. Plus précis, James Rosenau parle à ce propos, d'une « ligne d'action que les responsables officiels d'une société nationale suivent pour présenter ou modifier une situation dans le système international afin qu'elle soit compatible avec les objectifs définis par eux-mêmes ou leurs prédécesseurs »38(*). Pour d'autres, à l'instar de Charles Zorgbibe, la politique étrangère correspond soit « aux principes qui orientent l'action des gouvernements dans certaines circonstances telles que les doctrines Stimson ou Monroe », soit « aux engagements pris et garantis par les traités » soit encore « à l'ensemble des actions et des décisions exécutées chaque jour par une organisation bureaucratique »39(*). Au même titre qu'une politique énergétique ou une politique sanitaire, la politique étrangère peut être comprise comme une politique publique, c'est-à-dire une politique mise en oeuvre par les services étatiques avec des moyens précis dans le but d'atteindre des objectifs bien définis. Mais il s'agit d'une politique publique très particulière car, son rayon d'action dépasse par définition le territoire national. Elle consiste souvent à réagir ou à s'adapter à des événements externes sur lesquels les décideurs n'ont aucune prise. Souvent considérée comme la gardienne des intérêts à long terme d'un Etat, ladite politique publique subit d'importantes transformations permanentes. C'est à ce niveau qu'intervient la seconde tendance, qui soutient que la politique étrangère n'est plus seulement une affaire de relations entre des gouvernements ou encore un instrument administratif docile d'une machine d'Etat à la poursuite d'un intérêt national clair. Ainsi, comme l'indique Dario Battistella40(*); elle « se limite de moins en moins à la seule partie de l'activité étatique dirigée vers le dehors, étant donné l'existence de politiques étrangères privées des entreprises multinationales ou des organisations non gouvernementales, de diplomaties infra-étatiques des collectivités locales, voire de politiques extérieures potentiellement post-souveraines comme la PESC de l'Union Européenne. »41(*) Elle a même aujourd'hui parmi ses priorités grandissantes, deux dimensions. La dimension économique et commerciale d'abord, dont on peut avoir l'impression qu'elle triomphe depuis la fin de la Guerre Froide par le truchement entre autres de l'aide aux exportations ou bien la gestion de la dette. La dimension « règlement de conflit », qui vient ensuite mettre en mouvement les diplomaties les plus importantes et rappeler par là même aux décideurs que la force compte toujours, que la puissance n'est pas seulement « souple », pour reprendre le qualificatif de Joseph Nye. En fin de compte, nous retenons avec Marie Claude Smouts42(*) que la politique étrangère se trouve au point d'intersection du système inter- étatique et du monde proliférant et hétéroclite des acteurs privés. Cette nouvelle dimension la rend plus complexe et la banalise, d'autant que la mondialisation conduit à l'internationalisation de la quasi-totalité des questions et renforce les liens entre politique intérieure et extérieure. 3) Le développementLe développement est un concept polysémique qui désigne sommairement « un accroissement dans le revenu total et le revenu moyen par tête diffusé largement parmi les groupes professionnels et sociaux qui dure au moins deux générations et devient cumulatif43(*)». Cette conception qui est sans rappeler la vision d'Adam Smith, et qui déborde largement la dimension économique, se retrouve confirmée sous la plume d'Austruy pour qui, « Le développement est un mouvement qui bouleverse fondamentalement une société pour permettre l'apparition, la poursuite et l'orientation de la croissance économique vers une signification humaine44(*) » C'est la même vision soutenue par Valentin Nga Ndongo pour qui, le développement peut se concevoir comme « un processus dynamique de changement de l'environnement, naturel ou sociétal, en vue de la transformation de l'humaine condition »45(*). Suivant la catégorisation du sociologue camerounais, trois dimensions principales et entrelacées se rattachent au développement, à savoir : les dimensions quantitative, qualitative et compétitive46(*). La première est la plus visible et se traduit par l'acquisition et l'accumulation d'une certaine quantité de biens ou par la réalisation d'un certain nombre de performances économiques ou sociales statistiquement mesurables (PIB, PNB...). La deuxième quant à elle, intègre la dimension culturelle, voire spirituelle du phénomène. En effet, l'homme est ici au centre de tout : il est en quelque sorte l'alpha et l'oméga du développement. Le processus de celui-ci doit viser son plein accomplissement, à son éducation, à l'éclosion de ses potentialités. De ce fait, l'aspect qualitatif n'est pas réalisable si les hommes qui en ont la responsabilité et qui en sont les acteurs et les bénéficiaires ne sont pas animés d'un esprit, d'une mentalité, d'une idéologie, bref d'une culture du développement. La dernière dimension, s'illustre de plus en plus dans le nouveau contexte mondialisé et qui est marqué par une compétitivité sans précédent, où la survie est fonction des capacités d'adaptation et d'amélioration constante des performances individuelles et/ou collectives. Etre développé, devient également synonyme d'est être à l'abri d'une domination extérieure. Se développer, c'est agir pour sa libération et son émancipation. Cette dimension est d'autant plus pertinente que comme le fait remarquer opportunément le Pr Maurice Kamto : « Il n'y a pas de dignité pour les Nations Pauvres ; par suite il ne peut y avoir de respect pour elles»47(*). * 31 M. Grawitz (2001), Méthodes des sciences sociales, 11e édition, Dalloz, Paris. * 32 L'Ethique à Nicomacque * 33 Lexique de politique ,7ème éd, Dalloz, 2001 * 34 H.Kissinger (2003), La nouvelle puissance américaine. Paris : Fayard, p.63 * 35 N. Mouelle Kombi (1996). La politique étrangère du Cameroun. Paris : L'Harmattan, p.86 * 36 F. Charillon (dir.) (2002). Politique étrangère. Nouveaux regards. Paris : Presses de Sciences Po. * 37 J.Stein (1992) "L'analyse de la politique étrangère : à la recherche de groupes de variables dépendantes et indépendantes". Etudes Internationales. N°4. * 38 J.Roseneau (1968), "Moral fervour, systematic analysis and scientific consciousness in foreign policy Research «in A. Ranney, ed. Political Science and Public Policy. Chicago: Markham, p.197 * 39 C. Zorgbibe (1994), Les relations internationales. Paris : Presses universitaires de France. Collection Thémis, p 55 * 40D. Battistella (2006), Théories des relations internationales, 2ème édition revue et augmentée, Presse de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris, p.324 * 41 Pour les tenants de cette tendance cf. les travaux de Marcel Merle (1984) ; B. Hocking (1993) ; J. Rosati et al. (1994) * 42 M-C Smouts, "Que reste-t-il de la politique étrangère?", in Pouvoirs, revue française d'études constitutionnelles et politiques, n°88, 1999, p.5-15. Consulté le 25-07-2010. URL : http://www.revue-pouvoirs.fr/Que-reste-t-il-de-la-politique.html * 43 Higgins cité par Valentin Nga Ndongo (1998), « Développement, Emancipation et Originalité» in Simo (dir) la politique de développement à la croisée des chemins. Le facteur culturel, Clé, Yaoundé, pp 43-62, * 44 Cité par Paul Kuaté (1998), « développement et économie » in Simo (dir) la politique de développement à la croisée des chemins. Le facteur culturel, Clé, Yaoundé, p.79 * 45 V. Nga Ndongo (1998) op.cit, p.45 * 46 Idem, pp : 45-47 * 47 M. Kamto (1993), L'urgence de la pensée. Réflexion sur une précondition du développement en Afrique, Mandara, Yaoundé, p.56 |
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