L'application par les juridictions répressives internationales de l'article 3 commun aux conventions de Genève et du protocole additionnel II auxdites conventions: cas du tribunal pénal international pour le Rwanda( Télécharger le fichier original )par Jean Baptiste UWIHOREYE MUKARAGE Universite Nationale du Rwanda - Licence en Droit 2006 |
§2. Quelques raisons qui sous-tendent l'attitude du TPIR au regard des violations de l'article 3 commun et du Protocole additionnel IIC'est au 25 février 2004 qu'une condamnation pour violations de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II a été, pour la première fois, prononcée au niveau de première instance devant le TPIR224(*). A cette date, la Chambre de première instance a retenu la responsabilité pénale de Samuel IMANISHIMWE, ancien Lieutenant des Forces Armées Rwandaises (FAR), pour avoir commis lesdites violations contre les réfugiés civils rassemblés dans les divers endroits à Cyangugu (au stade Kamarampaka, au terrain de Gashirabwoba, à Kirambo, etc.) et contre les autres civils Tutsi de la préfecture225(*). Par ailleurs, comme nous avons eu l'occasion de le dire, c'est dans l'affaire Rutaganda que la Chambre d'appel a adopté pour la première fois une définition in abstracto du lieu de connexité226(*). Beaucoup de raisons expliquent cette attitude du TPIR surtout au premier degré de juridiction, notamment la superposition des crimes qui relèvent de la compétence matérielle du TPIR (I), et enfin l'approche restrictive du TPIR dans l'appréciation du lien de connexité avec le conflit armé (II). I. La superposition des crimes relevant de la compétence matérielle du TPIRLes crimes qui relèvent de la compétence matérielle du TPIR sont le crime de génocide, les crimes contre l'humanité et les violations de l'article 3 commun et du Protocole additionnel II. Chacune de ces trois catégories comporte une série d'actes qui sont réprimés aussi longtemps que les conditions spécifiques sont réunies. A cet égard, certains actes peuvent apparaître dans toutes ces trois catégories. Ainsi, le meurtre peut être constitutif d'un crime de génocide en vertu de l'article 2 1. (a) du Statut du TPIR. Il peut également être énuméré comme l'un des actes constitutifs d'un crime contre l'humanité à l'article 3 (f) du Statut du TPIR et enfin il peut être considéré comme crime de guerre en vertu de l'article 4 (a) du Statut du TPIR. Cette situation rend plus difficile le travail de qualification par le juge du comportement criminel et a des répercussions sur la peine à prononcer. Originellement, comme l'écrit R. MAISON, la jurisprudence de deux tribunaux ad hoc a tenté une différenciation hiérarchique des infractions. Face à une accusation présentant des qualifications plurielles pour des mêmes faits, les juges s'interrogent sur la qualification la plus adéquate du comportement criminel, et ne retiennent que celle-ci. Il s'ensuit que le choix de la qualification part de l'idée d'une hiérarchie dans la gravité intrinsèque des différents crimes227(*). C'est dans ce sens que les Chambres du TPIR ont jugé que le génocide, véritable plaie, est bien le crime des crimes 228(*), que le génocide et crimes contre l'humanité sont tous susceptibles de choquer la conscience de l'humanité 229(*), et que les violations de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II, malgré leur gravité, sont des crimes moindres230(*). Il s'ensuit qu'une personne accusée d'un assassinat ou d'un viol, peut voir son comportement qualifié soit de crime contre l'humanité, de violation de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II ou de génocide. Il s'agit d'une violation de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II lorsque l'accusation parvient à établir que le crime a été commis dans le cadre d'un conflit armé et que la victime est une personne protégée c'est-à-dire un non-combattant pour l'assassinat et tout individu pour le viol. Car ce dernier est prohibé en toutes les circonstances. Par contre, on est en présence d'un acte de participation à un crime contre l'humanité si cet assassinat ou ce viol s'inscrit dans le cadre d'un phénomène criminel organisé d'une plus grande ampleur, touchant la population civile pour des raisons discriminatoires. Enfin, s'il est établi que l'entreprise criminelle dont le meurtre et le viol font partie intégrante, en plus d'être massive, organisée et discriminatoire a pour but de détruire un groupe, on est en présence d'un acte constitutif de génocide. En effet, les juges du TPIR ont cherché, dans un premier temps, à ne retenir que la qualification la plus adéquate, en excluant les autres. Cette démarche construit une forme de hiérarchie des infractions : une violation de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II se transforme en crime contre l'humanité par adjonction de facteurs matériels et intentionnels aggravants à savoir le caractère massif et organisé ainsi que l'intention discriminatoire. De même, le crime contre l'humanité se transforme en génocide par adjonction d'un élément intentionnel aggravant spécifique : l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe humain. Cette construction hiérarchique a été illustrée dans différents jugements et arrêts rendus par le TPIR, les juges n'ayant retenu que le crime de génocide231(*). Plusieurs raisons ont été données pour justifier cette démarche. Par exemple, dans l'affaire Semanza, la Chambre a estimé que les actes pour lesquels l'accusé est poursuivi constituent des violations de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II mais que la responsabilité de l'accusé n'est pas retenu pour ces violations en raison, selon elle, du concours idéal apparent entre les violations qui lui sont reprochées et les crimes contre l'humanité et le génocide232(*). En revanche, cette démarche présente pourtant un défaut. D'après cette construction hiérarchique, plus une infraction occupe la première place plus elle sera sanctionnée plus lourdement qu'une infraction considéré comme moindre. Il serait alors absurde que le meurtre d'un grand nombre de personnes, qualifié de violation de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II, emportât, en raison de cette seule qualification une peine moins lourde qu'un seul acte inhumain perpétré dans un contexte massif et avec une intention discriminatoire, acte de participation à un crime contre l'humanité233(*). D'autre part, la faille de cette construction réside également dans le fait que tous les éléments de l'infraction tenue pour moins grave (violation de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II) ne se retrouvent nécessairement pas dans l'infraction la plus grave (crime contre l'humanité ou génocide). Ainsi, le crime contre l'humanité et le génocide peuvent, en principe, être perpétrés en l'absence de tout conflit armé. Il convient de remarquer que la construction hiérarchique a eu des répercussions sur l'action du Procureur. Comme nous avons eu l'occasion de le démontrer, le Procureur n'a pas, dans certaines affaires234(*), formulé aucun chef d'accusation contre les accusés ou a retiré les chefs d'accusation. De l'autre côté, le Tribunal a passé outre sans motiver sa décision à l'égard des accusations dirigées contre les accusés235(*). Cette attitude témoigne l'importance moindre qu'attache le Tribunal aux violations de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II par rapport aux autres crimes qui entrent dans sa compétence. Au fil du temps, la phase de hiérarchisation a été progressivement dépassée au profit d'une démarche tendant à retenir plusieurs qualifications pour un même comportement dès lors que les infractions comportent chacune des éléments matériels distincts, des éléments uniques. Aussi la condamnation pour violation de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II sera-t-elle prononcée même si le comportement est également constitutif d'un génocide. En revanche, il faut signaler que la qualification de crime contre l'humanité pourrait être aspirée par celle de génocide, le crime contre l'humanité ne comportant pas d'élément matériel distinct et unique par rapport au génocide. Ces condamnations plurielles s'accompagnent généralement du prononcé de la confusion des peines236(*). En somme, si la qualification est un exercice très important car elle permet d'avoir une image judiciaire des événements qui se sont déroulés, elle n'a pas d'incidence directe sur la peine. Elle est un élément parmi d'autres tout aussi importants comme, par exemple, la bonne collaboration avec le Procureur ou la situation personnelle de l'accusé237(*). Dans le cas du TPIR, ce qui est paradoxal, est que quelques fois l'acquittement des accusés pour chefs de violations de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II n'est pbas justifié par le choix de la qualification la plus adéquate, mais plutôt par l'inexistence du lien de connexité entre les actes imputés à l'accusé et le conflit armé. Compte tenu de la situation et le but dans lequel les crimes commis au Rwanda ont eu lieu, il ne serait également instructif d'associer une telle attitude à la définition restrictive que le TPIR a adoptée dans l'appréciation du lien de connexité. * 224Bien que dans l'affaire Semanza, la Chambre de première instance du TPIR ait conclu que les actes pour les quels l'accusé est poursuivi constituent des violations de l'article 3 commun et du Protocole additionnel II, elle a déclaré l'accusé non coupable de ces chefs à raison, selon elle, du concours idéal apparent entre les violations qui lui sont reprochées et les crimes contre l'humanité et le génocide (Voy. Le Procureur c. Semanza, jugement, cité à la note 16, §§. 535-536, 551-552). * 225 Le Procureur c. Imanishimwe, jugement, cité à la note 126, §§. 792-803. * 226 Voir supra (Chapitre 2, Section II, §. 4). * 227 R. MAISON, op. cit., p.11. * 228 Du fait, notamment de l'intention spéciale qui le caractérise. Voy. Le Procureur c. Jean Kambanda, affaire n° ICTR-97-23-S, jugement, 4 septembre 1998, §. 16 ; le Procureur c. Rutaganda, jugement, cité à la note 16, §. 451; le Procureur c. Omar Serushago, affaire n° ICTR-98-39-S, jugement, 5 février, 1999, §. II. B. 3. * 229 Le Procureur c. Rutaganda, jugement, cité à la note 16, §. 450. * 230 Le Procureur c. Kambanda, jugement, cité à la note 228, §. 14. * 231 Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, cité à la note 16, §. 577-579, le Procureur c. Semanza, jugement, cité à la note 16, §§. 535-536, 551-552. * 232 Le Procureur c. Musema, jugement, cité à la note 16, §§. 535-536, 551-552. * 233 R. MAISON, op. cit., p. 11. * 234 Voy. Par exemple les affaires : le Procureur c. Sylvestre Gacumbitsi, affaire n° ICTR-2001-71-T, jugement, 17 juin 2004; le Procureur c. Jean Kambanda, jugement, cité à la note 228; le Procureur c. Ferdinand Nahimana et al., affaire n° ICTR- 99-52-T, jugement, 12 décembre 2003 ; le Procureur c. Emmanuel Ndindabahizi, affaire n° ICTR-2001-17-I, jugement, 15 juillet 2004 ; le Procureur c . Omar Serushago, jugement, cité à la note 228; le Procureur c. Aloys Simba, affaire n° ICTR-01-76, jugement, 13 décembre 2005 et le Procureur c. Eliezer Niyitegeka, affaire n° ICTR-96-14-T, jugement, 16 mai 2003. * 235 Voy. Par exemple les affaires : le Procureur c. Ignace Bagilishema, jugement, cité à la note 53; le Procureur c. Juvénal Kajerijeri, affaire n° ICTR-98-44 AA-T, jugement, 1er décembre 2003 ; le Procureur c. Mikaeli Muhimana, affaire n° ICTR-95-1-T, jugement, 28 avril 2005 et le Procureur c. Jean Bosco Barayagwiza, affaire n° ICTR-99-52-T, jugement, 3 décembre 2003. * 236 Voy. Par exemple les dispositifs des jugements rendus par le TPIR dans les affaires : le Procureur c. Musema, jugement, cité à la note 16 ; le Procureur c. Rutaganda, jugement, cité à la note 16 ; le Procureur c. Imanishimwe et al., jugement, cité à la note 126; le Procureur c. Akayesu, jugement, cité à la note 21 ; le Procureur c. Bagilishema, jugement, cité à la note 53, etc. * 237 R. MAISON, op. cit., p. 11. |
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