L'application par les juridictions répressives internationales de l'article 3 commun aux conventions de Genève et du protocole additionnel II auxdites conventions: cas du tribunal pénal international pour le Rwanda( Télécharger le fichier original )par Jean Baptiste UWIHOREYE MUKARAGE Universite Nationale du Rwanda - Licence en Droit 2006 |
INTRODUCTION GENERALE1. Présentation du sujetDepuis l'apparition de l'homme sur la terre, la guerre est considérée comme le phénomène social le plus constant1(*). Comme nous l'enseigne l'histoire, la vie dans la société se caractérise par des luttes, le plus souvent armées, dont les effets toujours hostiles ne cessent de causer des souffrances déplorables à toute l'humanité. Face à cette réalité, les hommes animés par un esprit d'humanité ont toujours prouvé combien la guerre mérite d'être réglementée, en vue d'atténuer les souffrances des combattants et d'assurer la protection aux populations civiles en période de conflit armé. A partir du XIVème siècle, les chefs d'armées adverses avaient l'habitude de mettre sur pied les conventions ayant pour but de régir le traitement des victimes. La répétition de ces clauses donne naissance à des règles coutumières humanitaires mais de caractère épisodique2(*). Cependant, l'aggravation des souffrances a imposé l'élaboration des nouvelles règles pour tenter sinon d'y mettre fin, du moins de les limiter3(*). Ainsi, sous l'impulsion du Comité International de la Croix-Rouge (C.I.C.R.), la quasi totalité des Etats ont, à plusieurs reprises, adopté des instruments internationaux4(*) dont le but majeur est d'éviter les souffrances aux personnes humaines et de limiter les destructions matérielles pendant les guerres. Jusqu'en 1949, les Conventions du droit international humanitaire (Conventions de Genève, traités de la Haye, etc.) avaient toujours été considérées comme s'appliquant principalement aux conflits armés internationaux. Le sort des conflits armés internes n'était pas réglementé. Cela paraît très étonnant étant donné que la première tentative de codification du droit de la guerre a eu lieu dans le contexte d'un conflit interne. En effet, c'est entre 1860 et 1863 que Francis LIEBER5(*) préparait des instruments destinés à l'armée américaine, alors engagée dans la guerre de sécession6(*). Les rédacteurs des Conventions de Genève de 1949 pensèrent trouver la réponse à ces difficultés en introduisant dans l'arsenal juridique une disposition qui s'appliquerait en cas « de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l'une des parties contractantes »7(*). C'est l'article 3 commun aux Conventions de Genève, qui prévoit un certain nombre de dispositions minimales que chacune des parties au conflit, signataire ou non signataire des Conventions, doit appliquer. Cet article sera renforcé ultérieurement par le Protocole additionnel II aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux. A côté des règles humanitaires ayant pour but principal de limiter les souffrances causées par la guerre, la Charte des Nations Unies retire aux Etats leur jus ad bellum assimilé, dans l'ordre interne, à la justice illicite8(*). Ainsi, le recours à la menace ou à l'emploi de la force comme moyen de règlement des différends au sein des Etats ou dans les relations entre les Etats, demeure strictement interdit. Pourtant la réalité demeure toute autre. La violence armée n'a pas disparu de la société internationale, qu'il s'agisse des guerres interétatiques9(*) ou tout particulièrement des conflits armés d'un caractère non international10(*). Les conflits armés d'un caractère non international ont de tout temps engendré proportionnellement davantage de souffrances que les conflits armés internationaux en raison de leur caractère haineux et acharné11(*). En dépit de l'existence de ces différents instruments internationaux ayant pour but l'interdiction du recours à la guerre et l'apaisement des souffrances causées par la guerre ; en octobre 1990, à la frontière entre l'Ouganda et le Rwanda, éclatent les premiers combats entre les soldats du Front Patriotique Rwandais (FPR), composés de Rwandais dont les parents s'étaient exilés dans des pays frontaliers du Rwanda dans les années soixante, et les Forces Armées Rwandaises (FAR). De multiples tentatives de médiation sont alors engagées, notamment par les présidents de l'Ouganda et de la Tanzanie, sous l'égide de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), puis de l'ONU. Elles conduisent à l'Accord de Paix d'Arusha, signé le 6 août 1993. Toutefois, le 6 avril 1994, l'avion qui transporte le Président rwandais Juvénal HABYARIMANA et le Président burundais Cyprien NTARYAMIRA, est abattu par un missile d'origine inconnue lors de son atterrissage à Kigali. Le 8 avril, le Premier Ministre Agathe UWIRINGIYIMANA est assassiné à son tour. Il s'ensuit une vague de massacres à grande échelle, perpétrés contre des membres de l'ethnie tutsi et des membres modérés de l'ethnie hutu. Orchestrés par des éléments incontrôlés de la garde présidentielle soutenus par des milices Interahamwe12(*), ces massacres se muent en un véritable génocide qui fait entre 800 000 et un million de victimes13(*), et qui ne s'achève qu'avec la victoire militaire du FPR, le 17 juillet 1994. En juillet 1994, le Conseil de sécurité charge une commission d'experts indépendants d'établir un rapport sur d'éve ntuelles violations des droits de l'homme au Rwanda. Présenté en septembre 1994, ce rapport est sans équivoque : il conclut à l'existence de « preuves accablantes attestant que des actes de génocide ont été commis à l'encontre du groupe tutsi par des éléments hutus [...]» ; puis il recommande que les auteurs de ces violations graves du droit international humanitaire soient traduits devant un tribunal pénal international14(*). Le 8 novembre 1994, la résolution 955 du Conseil de sécurité décide la création du Tribunal Pénal International pour le Rwanda dont le siège est établi à Arusha (Tanzanie). Ce Tribunal est compétent pour juger les auteurs de violations graves du droit international humanitaire ainsi que les actes de génocide perpétrés au Rwanda entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994. Son action doit contribuer au « processus de réconciliation nationale et au rétablissement et au maintien de la paix »15(*). La création d'une juridiction implique directement l'adoption de règles de droit applicables devant cette juridiction ; le droit applicable devant le TPIR est contenu dans le Statut et dans le Règlement de procédure et de preuve. La compétence matérielle en ce qui concerne les violations graves du droit international humanitaire est prévue à l'article 4 du Statut. Ce dernier reproduit les dispositions relatives à la protection de la personne humaine contenues dans l'article 3 commun aux Conventions de Genève et dans l'article 4 du Protocole additionnel II. * 1 M. C. D. WEMBOU et D. FALL, Le droit humanitaire- Théorie générale et réalité africaine, L'Harmattan, Paris, 2000, p. 29. * 2 I. M. NGANGO, Protection des populations civiles en cas d'un conflit armé, mémoire, Butare, U.N.R., Faculté de droit, 1997, p. 1. * 3 Ibid. * 4 Les instruments juridiques adoptés sont multiples mais actuellement le droit international humanitaire applicable est contenu dans les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 et dans leurs Protocoles additionnels du 8 juin 1977. * 5 Un juriste américain qui, en 1863, a été demandé par le Président Abraham LINCOLN de mettre au point une série d'instructions pour les troupes engagées dans la guerre de Sécession. Ces instructions constituent un premier essaie de codification du droit de la guerre. * 6 ABI-SAAB, R., « Le droit humanitaire et les troubles internes », in LIBER AMICORUM ABI-SAAB, G., L'ordre juridique international, un système en quête d'équité et d'universalité, Kluwer, La Haye, 2001, p. 15. * 7 Id., p. 13. * 8 Voy. Art. 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies. * 9Par exemple le conflit armé opposant l'Iran et l'Irak entre 1980 et 1988, la guerre entre la Corée du Sud (République de Corée) et la Corée du Nord (République Populaire Démocratique de Corée) de juin 1950 à juillet 1953, etc. * 10 Par exemple : les conflits libérien, somalien, angolais, sierra-léonais, ougandais, tchadien, mozambicain, soudanais, libanais, burundais, etc. * 11 I. M. NGANGO, op. cit., p. 2. * 12 Milice du parti politique MRND. Elle a été considérée comme une unité paramilitaire ou gouvernementale. Elle épaula le régime de Juvénal HABYARIMANA dans la préparation et la réalisation du Génocide au Rwanda. Voy. C. RUSHEMA, De l'application du droit international humanitaire par les acteurs non étatiques dans un conflit armé non international : Cas du Rwanda et du Libéria, mémoire, Butare, UNR, Faculté de droit, 2002, pp. 69-72. * 13 Le nombre exact des victimes n'est pas sans doute connu avec précision mais on estime qu'entre 300 000 et 800000 personnes sont décédées ou ont disparu. Voy. Rapport du juin 1994 sur la situation des droits de l'homme au Rwanda, E/CN.4/1995/7, §. 24. * 14 Voy. Rapport préliminaire de la Commission d'experts constitué conformément à la résolution 935 du Conseil de Sécurité de l'ONU, septembre 1994, UN DOC. S/1994/1125. * 15 Voy. La résolution 955 du Conseil de Sécurité de l'ONU, 8 novembre 1994, UN DOC. S/RES/955. |
|