B. La prescription des infractions de presse commise sur
les réseaux sociaux
Les poursuites en matière d'infraction de presse sont
enfermées dans un délai de prescription abrégé de
trois mois. L'article 65 alinéa 1 de la loi de 1881 dispose que
«L'action publique et l'action civile résultant des crimes,
délits et contraventions prévus par la
présente loi se prescriront après trois mois
révolus, à compter du jour où ils auront
étécommis ou du jour du dernier acte d'instruction ou
de poursuite s'il en a été fait ». Ce court
délai, défavorable aux victimes, a pour objectif de
protéger la liberté d'expression.
L'article 65 de la loi de 1881 ne précise pas le point
de départ de l'action publique. De manière constante, la
jurisprudence fixe le point de départ de la prescription à la
date du premier acte de publication par lequel le délit a
été commis197. Plusieurs juges du fond ont
essayé de modifier la rigueur de cette solution pour les infractions de
presse commises sur Internet. Ces juges estimaient que l'infraction de presse
commise sur ce support changeait de nature et devenait une infraction continue
en raison de la « volonté renouvelée de
l'émetteur qui place le message sur un site, choisit de l'y maintenir ou
de l'en retirer quand bon lui semble »198. Le point de
départ de la prescription était donc retardé au jour
où le message litigieux était retiré du site. La Cour de
cassation mit fin à cette jurisprudence contradictoire en rappelant la
nature instantanée de l'infraction et en fixant par conséquent le
point de départ du délai de prescription à la date du
premier acte de publication199. En effet, seul le premier
195 CA Paris 16 janvier 2003 CCE octobre 2003 p. 13, A. Lepage.
TGI Paris, 25 octobre 1999, Legipresse, sept 2001, I, p.99.
196Article 93-3 alinéa 3de la loi du 29 juillet
1982
197 Cass. Crim. 5 janvier 1974 ; Bull. Crim. n° 4.
198 CA Paris, 15 décembre 1999, Expertises
n°235, 2000, p. 77 et TGI Paris, 25 mai 2000,
Légipresse, n°178, janvier2001, III, p.10.
199 Cass. Crim. 30 janvier 2001 ; JCP 2001, II, 10515, note A.
Lepage.
acte de publication doit être pris en
considération car il matérialise l'accord donné par le
responsable éditorial à la publication, peu importe que le propos
reste par la suite accessible au public200.
Le législateur tenta de briser la jurisprudence de la
Cour de cassation en prévoyant une disposition dans la LCEN selon
laquelle la prescription des contenus mis en ligne pour la première fois
sur Internet commencerait à courir après le retrait de l'article
ou du message incriminé. Cette disposition fut censurée par le
Conseil constitutionnel201 car la différence de régime
aboutissait à un décalage considérable par rapport aux
autres supports. L'article 65 de la loi de 1881 s'applique donc de la
méme manière aux sites Internet.
Des victimes ont voulu éluder la courte prescription de
l'article 65 de la loi de 1881 en invoquant l'application de l'article 1382 du
code civil et du délai de prescription en découlant. Ces
tentatives se sont soldées par des échecs : «Les abus de
la liberté d'expression prévus et réprimés par la
loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le
fondement de l'article 1382 du code civil»202. Ce principe
a été rappelé à l'occasion de l'application de la
courte prescription de l'article 65 de la loi de 1881203.
L'application de l'article 1382 à la diffamation et à l'injure
est susceptible de réapparaître car parmi les soixante cinq
propositions formulées par la Commission Guinchard au sujet de la
«répartition des contentieux », est suggérée la
dépénalisation de la diffamation et de l'injure qui ne
constitueraient plus que des fautes civile. Toutefois en raison des nombreuses
critiques que suscite cette proposition204, celle-ci ne serait plus
à l'ordre du jour.
A l'heure actuelle, pour des faits relevant d'une diffamation
ou d'une injure, seule la courte prescription de trois mois sera
appliquée. En conséquence, la diffamation ou l'injure
perpétuée sur les réseaux sociaux se prescrivent dans un
délai de trois mois à compter de la mise en ligne du message
litigieux.
Malgré la singularité d'Internet, on constate
qu'une grande partie du régime des infractions de presse s'applique
à ce média. S'il est nécessaire d'adapter certaines
notions au particularisme
200 E. Dreyer Responsabilité civile et pénale
des médias, Litec, 2008.
201 Conseil Constitutionnel décision DC n°2004-496
202 Cass. Ass. Plén. 12 juillet 2000, Bull. Civ. Ass.
Plén. n°8, p.13 ; Légipresse 2003, n°202,
II, p.71, obs. S. Martin-Vallette.
203 C. Cass., 9 octobre 2003, Dalloz 2004, n°9,
p.590, note E. Dreyer.
204 JCP, 566, n° 39 du 24 septembre 2008 P. Malaurie «
Ne dépénalisons pas la diffamation et l'injure ».
de ce support, le caractère généraliste
de la loi de 1881 permet son application à tout mode de diffusion
publique des informations. Une diffamation ou une injure constatée sur
un site de réseau social sera appréhendée de façon
similaire à un support plus traditionnel.
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