A-LA CROISSANCE DEMOGRAPHIQUE VERTIGINEUSE
L'augmentation démographique est une voie à
double sens. Dans un sens aller, elle est porteuse de progrès
économique et social, car par définition, la croissance de la
population est une exigence pour le développement, et elle est synonyme
d'augmentation des bras pour la production et de marché pour les
producteurs, indépendamment de leur qualité ou de leur
état de santé. Dans un sens retour, elle constitue un frein
à l'augmentation de la part de chacun, car elle augmente les bouches
à nourrir, mobilise une partie de l'énergie de la
société qui devait être consacrée aux tâches
de production, bref elle représente une menace pour l'environnement,
accélère la croissance urbaine avec sa cohorte de
problèmes sociaux(7).
C'est de ce dernier sens dont souffre l'Afrique subsaharienne.
Dans une société sans infrastructures viables où
sévit en revanche la misère, la croissance démographique
constitue inexorablement une menace à l'environnement, elle constitue un
supplément de prédateurs.
A cet instant, l'enjeu pour l'Afrique c'est l'équilibre
nécessaire qu'il faut trouver entre l'exigence pour le
développement que lui impose la croissance démographique et la
maîtrise de l'accroissement de la population. Sinon au rythme
d'aujourd'hui l'Afrique se fourvoie vers une menace de famine et de
misère généralisée. Sa population est actuellement
estimée à 600 millions d'habitants, elle croît à
raison de 3,1% par an, et selon les projections, elle atteindra 1 milliards 200
millions dans 20 à 22 ans.
Mais déjà, selon la FAO, pour une dizaine de pays
la population dépasse la capacité alimentaire compte tenu de
l'inadéquation entre la capacité de
(7) Mbaya KWANDA op cit page 105
production et les taux très élevés de
fécondité. L'indice synthétique de
fécondité* est de 8,5 au Rwanda, 7,6 au Malawi, 7,3 en
Ouganda, 6,6 au Madagascar, 6,3 au Kenya et 5,4 au Zimbabwe.
Dans les travaux du PNAE du Lesotho, il a été
souligné que la croissance de la population combinée à la
pauvreté est l'une des raisons profondes de la dégradation de
l'environnement et de la stagnation économique du Lesotho. Le document
final du PNAE mentionne de façon très claire que "la
croissance rapide de la population...entraîne un processus
sévère et croissant de la dégradation
environnementale...sa réduction est préalable au
développement
durable»(8).
Sous le coup de cette expansion démographique, les
écosystèmes africains vivent l'une des mutations les plus rapides
de la planète. Les paysages changent, le couvert végétal
disparaît, les ressources renouvelables sont utilisées
au-delà de leur capacité de régénération, et
le capital foncier se dégrade de façon
accélérée. Au Niger, par exemple, le problème de
l'habitat est au centre de la dégradation de l'environnement. En effet,
il faut trouver le bois, les fourches, et les pailles pour l'habitat. Or, du
fait de la croissance de la population, ces matériaux deviennent de plus
en plus rares, menaçant ainsi plusieurs villages à
disparaître du fait de la désertification qui s'en est suivie.
Plus que toutes les autres, les Africains devaient disposer d'une
information environnementale dynamique et actualisée pour mieux
apprécier
* Il mesure le nombre moyen d'enfants auxquels les mères
donneraient le jour si les générations futures avaient le
même taux de fécondité par l'âge que les
générations actuelles. Il est égal à la somme des
taux de fécondité pour chaque âge (de15 à 49 ans)
établis pour une année donnée. Le taux de
féconditié par âge est le rapport du nombre des naissances
survenues chez les femmes d'un groupe d'âge donné, à
l'effectif des femmes de ce même groupe d'âge.
(8)Cité par F FALLOUX op-cit, page 68.
cette mutation et pouvoir guider rationnellement en enrayant la
spirale de dégradation qui les affecte aujourd'hui.
Or, il n'en est rien, car comme le constate d'ailleurs F Falloux,
" sil'information environnementale est en général
déficiente sur l'ensemble des continents, elle est encore dans les
limbes en Afrique"(9). Ce manque d'information d'abord sur
les questions environnementales et sur la croissance démographique a
des implications sérieuses sur la mise oeuvre du développement
durable, ce qui rend l'intériorisation de ces questions par
les Africains capitale. Si l'on arrive pas à réduire
rapidement et fortement ce fort taux d'accroissement démographique,
les explosions sociales résultant de la misère risqueront de
se multiplier; le Rwanda (où le taux est de 3,5/an) n'est pas le seul
pays à vivre dans la précarité, mais il est allé
jusqu'au génocide.
Malheureusement, les politiques tendant à
réduire l'augmentation démographique trouvent toujours sur leurs
voies des facteurs de résistances. De fait, à l'issue de la
deuxième conférence mondiale sur la population (Mexico 1984),
plusieurs programmes de planning familial ont été lancés
en Afrique mais les résultats n'ont pas été brillants.
Comme pour les questions de lutte contre la pauvreté, là aussi il
a manqué et manque encore les moyens financiers suffisants qui puissent
maintenir ce genre de programmes dans le temps afin de réduire les
naissances et imprégner les populations de façon durable.
Il y a aussi la religion qui continue à jouer un
rôle considérable dans cet échec; le Vatican s'est toujours
levé contre toute politique de limitation de naissances y compris des
méthodes contraceptives. La conférence du Caire sur
la population nous a montré combien les Africains au nom
de Dieu ou de leur culte étaient très solidaires avec le discours
du Saint siège.
Pour venir à bout de ces considérations
religieuses et culturelles, nous pensons qu'au lieu d'imposer aux Africains une
transition démographique venue d'ailleurs (ce qu'ils ont du mal à
accepter), il faut au contraire permettre aux femmes de participer à un
nouvel ordre mondial en leur donnant les moyens efficaces d'investir leurs
potentialités ailleurs que dans la procréation. Car parler de
développement durable sans procéder au plus juste partage des
richesses mondiales est illusoire. Ce n'est pas par hasard que le
sousdéveloppement s'accommode souvent d'une croissance
démographique élevée.
Mais dans le document final de la conférence de Caire
(qui était l'occasion de prescrire les vraies thérapies à
ce problème) les questions de développement pourtant
fondamentales pour l'Afrique n'ont été abordées qu'en six
pages sur un total de quatre vingt trois. Pourtant il est établi que le
sort de la population africaine est lié à celui de la
pauvreté. Comme pour celle-ci, toute politique de population et
environnement qui n'est pas axée sur la recherche d'un nouvel
équilibre Nord/Sud est une diversion organisée(10).
Il convient donc à la communauté internationale
d'intensifier son soutien à la croissance économique de
l'Afrique, le principe de solidarité internationale en matière de
protection de l'environnement doit jouer un rôle particulier concernant
les questions démographiques, autrement elles continueront à
enfreindre à toute tentative de promotion de développement
durable. Mais cela ne règle pas tous les problèmes, il faut
encore que les Africains intériorisent les problèmes posés
par la dégradation de l'environnement.
(10)Jean Marc ELA, Développement et
"diversion" démographique, le Monde diplomatique,
Septembre 1994, page 8 .
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