SECTION I: LES FREINS ENDOGENES
Les freins endogènes, plus difficiles à pallier,
sont les problèmes de pauvreté, de croissance
démographique, de la totale dépendance des économies
africaines aux ressources naturelles, de la crise financière, sociale,
économique et monétaire et enfin de l'épineux
problème de la dette.
PARAGRAPHE I : L'OBSESSION DU COURT TERME
Comme nous le verrons, les Etats d'Afrique subsaharienne sont
présentement animés par une obsession du court terme. Cette
obsession s'exprime par un recours à l'exploitation intense des
ressources naturelles, rendue possible par la pression des problèmes tel
que l'accroissement des franges de populations de plus en plus pauvres.
A-LA TOTALE DEPENDANCE DES ETATS AFRICAINS AUX
RESSOURCES NATURELLES
Les économies africaines sont fortement tributaires des
ressources naturelles, c'est le cas aujourd'hui et hélas, cela durera
encore pendant plusieurs décennies. Les ressources naturelles
contribuent majoritairement à la formation du produit national brut et
une place de choix est faite aux cultures d'exploitation qui restent le
principal secteur pourvoyeur de devises étrangères. C'est une
économie de "cueillette" basée sur les activités
agro-sylvo-pastorales sans grande intégration des différents
composants, et sur l'exploitation pétrolière et l'extraction
minière. Donc des produits dont l'utilisation et le commerce doivent
être prudents et rationnels afin de promouvoir le développement
durable.
Or, vu la multiplicité des problèmes pressants
tels les déficits budgétaires, eux-mêmes dus aux taux de
croissance insuffisants, à la crise de la dette, à la faiblesse
des cours de produits de base, à la détérioration continue
des termes de change, les Etats sont tentés de reléguer les
politiques d'environnement au second plan, au point de créer une dette
sociale et écologique dont les modalités de remboursement ne sont
pas encore connues à ce jour(1).
La tendance actuelle est à une véritable
obsession à la croissance économique quelles que soient les
modalités de son accession. L'exploitationdestruction de la forêt
tropicale, la multiplicité des grands aménagements hydrauliques,
les monocultures d'exploitation figurant parmi les grands programmes
menés pendant trente ans à l'encontre de toute conception
environnementaliste sont loin d'être totalement abandonnées, bien
que les conséquences négatives patentes de certaines de ces
orientations obligent à aménager fondamentalement de nombreux
projets(2).
Le manque de ressources alternatives pour faire face à
la crise accentue cette exploitation des ressources naturelles, conduisant
à accroître la détérioration de l'environnement. Le
statut actuel des Etats africains, "Etats rentiers" (ne dépendant que
des redevances de ses ressources naturelles) n'est pas favorable à
l'instauration d'un développement durable. Celui-ci ne peut voir le jour
que par un changement même du substrat économique dont la crise et
la pauvreté des populations constituent les retombés.
(1) Emiliènne Anikpo N'TAME, op-cit, page 235
(2) Ibdem, page 153.
B-PAUVRETE ET ENVIRONNEMENT
65 à 85% de la population de l'Afrique au sud du
Sahara, soit 4 sur 5 Africains vivent directement ou indirectement de
l'agriculture de subsistance, qui suppose le défrichage d'une grande
partie de la forêt. Ils utilisent le bois pour la cuisson des aliments et
le chauffage des maisons. Cette forte population est constituée en
majorité des couches très fragiles de la société et
ne peut produire sans endommager l'environnement qui leur sert de base de
production. Leurs pratiques culturales et les intrants qu'ils utilisent
entraînent, en effet, l'appauvrissement des terres cultivées.
Ainsi, la pratique des cultures sur brûlis (technique la plus
répandue dont la déforestation arbustive, le déboisement
et les feux de brousse sont les différentes étapes de sa
réalisation) est le meilleur exemple de cette
détérioration des terres qui se manifeste par l'érosion et
la perte de fertilité et de productivité des sols. Donc en
dépit de tous les risques écologiques qu'entraîne la
destruction des forêts, partout en Afrique, au nom de la survie,
celles-ci continuent d'être, dénaturées et finissent par
disparaître (la superficie des forêts africaines recule de 0,2%
à 4% par an: ainsi la Côte d'Ivoire qui avait 30 millions hectares
de forêt au début du siècle en comptait 4 millions en 1980
et à peine 2 en 1988, au Sénégal, environ 75 milles
d'hectares de forêts disparaissent chaque année...),
l'équilibre entre l'homme et la nature est en train de se rompre
à jamais.(3)
Par ailleurs, le surpâturage (au Tchad, au Niger, au
Mali, au Soudan et en Mauritanie...) et les pratiques culturales
minières qui exposent les sols au lessivage et, dans certains cas, en
accélèrent la concrétion et l'induction constituent le
quotidien des population de l'Afrique au sud du Sahara qui animées par
l'instinct de survie et faute de techniques et technologies fiables
(3)Revue française d'administration
publique, Janvier-Mars 1990, n° 53, page 101.
n'ont d'autre choix que celui de polluer et d'exploiter au jour
le jour leur environnement.
Selon les chiffres de 1991, l'Afrique s'enfonce davantage dans
la pauvreté, son revenu par habitant est tombé à 0,6%. Le
nombre des pays les moins avancés (PMA) dans le monde est passé
de 31 à 49 entre 1980 et 1994, et le total en Afrique subsaharienne est
aujourd'hui de 34, d'après la décision du Conseil
économique et social de l'Onu qui a ajouté l'Angola et
l'Erythrée sur la liste, soit 68% des pays les plus pauvres du monde. Le
revenu annuel par habitant est de l'ordre de 80 à 300 dollars, soit
1,40FF par jour. Cette situation vient empirer le sort réservé
à l'environnement car comme les experts l'ont démontré
à Rio, une fois menacé, l'environnement appauvrit davantage les
populations. La pauvreté dans ce continent est loin de ménager
avec la protection de l'environnement: 80% des ressources
énergétiques sont tirées des bois de feu.
L'éradication de la pauvreté paraît à cet instant
comme un défi préalable à l'instauration du
développement durable. Ceci n'est pas une révélation, car
bien connu de tous. Mais il s'agit maintenant de mettre en pratique cette
politique.
Selon le rapport du CMED, "la pauvreté est à
la fois la cause majeure et l'effet des problèmes environnementaux
globaux. Il serait futile de vouloir aborder ces problèmes sans prendre
en compte le facteur sous-jacent de la pauvreté et de l'environnement
international dans la perspective large".
Or, c'est là où le continent africain semble se
trouver dans un cercle vicieux, voire un labyrinthe. En effet, regorgeant une
population de pauvres, l'Afrique ne dispose pas de moyens de leur donner une
meilleure vie, l'éradication de la pauvreté ne pouvant s'obtenir
que par une forte croissance. Dans le cadre africain (celui de son
infrastructure technologique), cette
croissance n'est possible que par une exploitation intense de
ses ressources naturelles, autres formes de détérioration de
l'environnement. D'ailleurs, le document de synthèse du PNAE congolais
signale bien ce fait en ces termes: "la conséquence directe de cette
situation est de préconiser des activités extractives et de
politiques de développement qui ne tiennent pas automatiquement compte
de la dimension long terme du développement mais qui favorisent le fait
que les ressources soient hypothéquées et exploitées de
manière inconsidérée". Le document ajoute que
"Devant une baisse de niveau de vie, la réaction normale des
populations est de se retourner vers une exploitation des ressources naturelles
qui ne demande aucun investissement initial et qui peut générer
de revenus rapides, mais qui a des impacts dévastateurs sur
l'environnement"(4) M Mbaya KANKWENDA* a aussi
abordé le problème dans le même sens "...Ce n'est pas
par l'institution des parcs et réserves, la mise en oeuvre des
règlements et autres appareils de protection pour les besoins du
tourisme, de la science ou de l'amour de la nature que l'on peut sauvegarder
l'environnement et assurer la vie aux générations futures en
Afrique si les générations présentes sont
complètement démunies et condamnées à surexploiter
l'environnement. Mais c'est plutôt en assurant à ces derniers ou
mieux en les engageant dans un processus de croissance soutenue et
équitable que le discours sur la protection de l'environnement peut
réussir. L'Afrique de demain sera nue au sens propre et au sens
figuré si une telle croissance n'est pas réussie
aujourd'hui"(5).
Pendant la conférence de Rio, le problème de la
pauvreté a été pris en compte; la lutte contre la
pauvreté est inscrite dans la déclaration comme une
(4)Document de synthèse, stratégies
sectorielles, volume II, scénarios sectoriels,
stratégies nationales
1992
*Chef de division du programme régional et de
l'analyse des politiques, bureau régional pour l'Afrique,
PNUD
(5)CColloque sur le thème: Les
Nations-unies et le développement, le cas de l'Afrique,
Marseille, des 3 -4 Décembre 1993, page 108, éd A
Pédone, Paris 1993.
priorité de la communauté internationale. Mais
le retard enregistré jusqu'à présent dans la
reconstitution des fonds visant à lutter contre ce fléau n'est
pas de nature à diligenter l'établissement d'un
développement durable en Afrique. En plus, la lutte contre la
pauvreté en Afrique suppose une transformation fondamentale de ses
structures économiques, politiques et socio-cuturelles, ce qui
sous-entend qu'en attendant qu'elle bat en retraite l'Afrique aura
déjà connu une forte dégradation et le
développement durable risquera de devenir pour ce continent qu'un voeu
pieux comme l'autosuffisance alimentaire et santé pour tous, pour ne
citer que ceux-là.
On peut dès lors se demander si l'Afrique devra t-elle
compter avec la communauté internationale pour éradiquer le
fléau de la pauvreté? Nous sommes très sceptiques, les
précédents en ce domaine nous renseignent mieux. Le continent a
déjà fait l'objet d'études et de résolutions en vue
de l'éradication de la pauvreté, mais ces bonnes intentions n'ont
jamais été suivies d'actions concrètes. On se rappellera
du programme d'action des Nations Unies pour le redressement économique
et le développement de l'Afrique (1986-1990) adopté par
l'assemblée générale à la mi-1986 et
prolongé le 21 Avril 1992 par l'adoption de l'ordre du jour des Nations
Unies pour le développement durable de l'Afrique dans les années
90.
Edem Kodjo,* appelant l'élite africaine
à une intériorisation de cette prétendue solidarité
internationale sur la lutte contre la pauvreté dans les pays en
développement, écrivait "que les Africains ouvrent les yeux
sur les réalités du monde, ils verront que les puissances
industrielles confrontées à d'intenses difficultés
sociales avec leurs millions de chômeurs ont déjà fort
à faire pour réduire la pauvreté chez elles, et qu'en
toute logique, elle ne peuvent situer au premier rang de leur
préoccupations l'éradication de la misère dans les
* Intellectuel africain et Premier ministre Togolais
contrée lointaines" et de conclure "il
faut donc, dans le cadre de la politique économique mondiale nous
convaincre que notre continent possède des atouts et nous sommes les
seuls à pouvoir créer avec ou sans aide extérieure- notre
propre richesse par un développement conçu en fonction de nos
besoins"(6). L'Afrique a-t-elle des besoins spécifiques
à elle? Cela se pourrait, mais ce qui est sûr c'est que
malgré la prise de position officielle des autorités africaines
à Rio et la rédaction des PNAE, la question de la pauvreté
demeure l'obstacle majeur.
Mais le pire pour le continent noir est qu'à
côté de ce fléau, il y a celui de l'augmentation
démographique et les pesanteurs socio-culturelles qui rendent le
développement durable très hypothétique.
PARAGRAPHE II: LA CROISSANCE DEMOGRAPHIQUE ET
LES PESANTEURS SOCIO-CULTURELLES
Il s'agit là de deux facteurs déterminants dans
la mise en oeuvre du développement durable. En Afrique, comme nous le
verrons par la suite, ces facteurs ont atteint un niveau tel que si rien n'est
fait ils résisteront à toutes politiques environnementales. Mais
à propos de l'augmentation démographique, il faut être
très lucide pour éviter de tomber dans des conclusions
mécaniques et simplistes que nous rencontrons dans plusieurs
discours.
(6) L'occident du declin au défi,
page 120
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