PARAGRAPHE II: LES NOUVELLES ORIENTATIONS DU GROUPE
DE
LA BANQUE MONDIALE
Les années 1980 ont été, pour les Etats
du tiers monde, une période de crise économique et
financière. Cette époque fut l'occasion d'une grande
sollicitation des prêts par les Etats en crise auprès de la banque
mondiale, qui devenait à l'instant un rempart incontournable. Elle
acquît ainsi une grande influence dans les relations
économico-finacières internationales. Plusieurs projets, soit 80%
réalisés depuis cette période jusqu'à nos jours
dans les pays développés l'ont été soit par son
financement soit sous sa direction. Ces projets consistaient dans la
majorité des cas à des opérations de grands travaux tels
que la construction des barrages hydroélectriques, des ponts et des
équipements immobiliers.
Cependant, après plus de 14 ans d'exercices dans ces
domaines, la banque mondiale s'est attirée de nombreuses critiques. En
effet, les Etats occidentaux et les défenseurs de l'environnement ont
accusé la banque mondiale d'avoir accordé des prêts
à des projets préjudiciables à l'environnement. L'exemple
le plus cité est l'autoroute construite dans l'Etat de Rondonia au
Brésil, qui ouvre des vastes zones de la forêt amazonienne
à une exploitation comportant des risques immenses.
A-RECONNAISSANCE PAR LA BANQUE DES IMPACTS NEGATIFS
DE SES PROJETS SUR L'ENVIRONNEMENT
Aujourd'hui, la Banque Mondiale admet par la voix de son
ancien président M. Baber CONABLE que "certaines activités
économiques classiques ne trouvent parfois plus de place dans une
politique de développement durable sur le plan de l'environnement,
d'où elle (la banque) doit consacrer une part de plus en plus importante
de ses ressources financières et humaines à l'évaluations
de l'impact sur l'environnement et la promotion de la sauvegarde de
l'environnement."
Pour sa part, M. Lewis PRESTON* qui l'a
succédé a, dès son installation, procédé
à la création d'un groupe chargé de veiller à ce
que les projets de la banque ne violent pas les principes qu'elle avait
érigés après les critiques dont elle a été
l'objet(4). Ces principes qui exigent l'intégration des
préoccupations environnementales aux activités de la Banque
Mondiale sont contenus dans la directive opérationnelle sur les
évaluations environnementales, publiée en Octobre 1989.
Cette directive rend obligatoire les évaluations environnementales pour
les projets qui pourraient avoir des effets importants, sensibles, et
irréversibles(5).
. Pour mener à bien cette nouvelle politique, la banque a
d'abord augmenté
les effectifs de son service environnement, puis s'est
dotée d'une vice présidence Environnement et Développement
durable, composée de département chargé respectivement de
l'environnement, de l'agriculture et des ressources naturelles et des
transports, de l'eau et du développement urbain.
* Il vient de décéder
(4) La banque mondiale- Maîtresse au royaume
du développement, in le courrier international,
n°141, Sept-Oct 1993, page 72.
(5) Rapport de la banque mondiale 1993
page51.
(6) Ibdem page
Selon le rapport de la banque de 1993, cette
vice-présidence devrait aider les services opérationnels de la
banque à fournir une aide de qualité aux pays membres,
identifier, codifier et diffuser les meilleures pratiques actuelles et les
enseignements, et associer une coordination d'ensemble avec les organismes
publics et privés qui contribuent ou qui s'intéressent aux
travaux opérationnels et de politiques générales de la
banque (6).
A travers ses prêts qui sont devenus incontournables, la
banque s'ingérera dans l'orientation des politiques économiques
des pays d'Afrique subsaharienne. Nous pouvons lire dans son rapport de 1993
que "les opérations de prêts de la banque sont l'un des moyens
essentiels employés pour aider les pays à améliorer la
gestion de leur environnement"
Dans le même rapport, la banque réaffirme sa
volonté de renforcer les capacités institutionnelles des
emprunteurs en matière d'environnement et la nécessité de
tirer davantage profit du cadre politique macro-économique qui
conditionne en grande partie l'utilisation et la gestion des ressources.
Trois points manifesteront concrètement
l'interventionnisme de la Banque Mondiale.
Le premier c'est "l'embrigadement" par celle-ci des banques
nationales sur les questions d'environnement. Le deuxième c'est
l'exigence faite par la banque aux pays emprunteurs de la créer des
plans nationaux d'actions environnementales (PNAE), condition à
l'accession aux prêts, et enfin le renforcement des pouvoirs de la banque
par la CNUED qui a mis sous sa houlette la gestion du Fonds mondial pour
l'environnement, en collaboration avec le PNUE et le PNUD.
B-LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT COMME NOUVELLE
CONDITIONNALITE DES PRETS DE LA BANQUE
La banque a adopté la procédure de
présélection pour les prêts qu'elle consent à une
vaste gamme d'institutions intermédiaires de crédits (banques
commerciales, coopératives de crédits agricoles et organisations
non gouvernementales). En vertu de cette procédure, ces prêts
doivent solennellement être soumis à un préexamen à
la suite duquel une note de A à D est attribuée en fonction de
l'impact du projet sur l'environnement. Ainsi un projet de défrichement
obtiendra par exemple, la note A, tandis qu'un projet dont l'objectif principal
est l'amélioration de l'environnement se verrait attribuer la note D.
Par ce mécanisme, la banque exige une évaluation
de la capacité institutionnelle des emprunteurs à effectuer une
analyse d'impact sur l'environnement. De cette façon, s'ils
désirent prêter de nouveau ces fonds, les emprunteurs doivent
à leur tour s'assurer que l'emprunteur secondaire possède la
capacité d'évaluer l'impact sur l'environnement(7). Ce
système de préexamen d'impact écologique de programmes de
crédits est actuellement renforcé au niveau de plusieurs grandes
banques régionales de développement.
En outre, la banque exige l'élaboration et
l'exécution par ses membres des plans de protection environnementale
(PPE). Ces plans, selon elle devrait servir de base aux questions de
l'environnement, ils doivent à cet effet décrire les principaux
problèmes et préoccupations auxquels les pays font face dans ce
domaine, ils doivent enfin formuler diverses politiques et initiatives pour
tenter de remédier aux problèmes identifiés.
(7) Banque mondiale, Environmental
assessment sourcebook, policis procedure and cross sectorial issues,
vol 1, in les banques au service de l'environnement, bulletin de
service agricole de la FAO N°103 page 48-49.
Le caractère interventionniste dans ce domaine des
plans de protection environnementale (PPE) est plus apparent du
côté de l'association internationale de développement (AID
ou IDA).
Lors des négociations sur la neuvième
reconstitution de ses ressources, il a été convenu que tous les
pays bénéficiaires de l'IDA devaient établir des plans PPE
avant la fin de la période l'IDA-9(8): véritable
diktat notamment pour les pays en développement. La création de
ces PPE a fini par toucher aussi les emprunteurs de la BIRD.
Les Etats d'Afrique subsaharienne, comme ceux d'ailleurs
devaient donc mettre au point des plans nationaux pour la protection de
l'environnement. A la fin de l'exercice 1993 de l'IDA, le Bénin, le
Burkina-Faso, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Lesotho, le Madagascar,
le Rwanda et le Congo avaient déjà achevé
l'élaboration de leurs plans d'action. Ainsi la nouvelle
conditionnalité imposée par la Banque Mondiale comme par l'IDA
aura produit ses fruits: conduire les pays en développement même
contre leur gré à promouvoir le développement durable.
Mais le grand coup vient de ce que la CNUED ait donné
une nouvelle impulsion aux efforts déployés par la banque (la
gestion du FEM). Cette réaffirmation la renforce dans son nouveau
rôle de protecteur de l'environnement. Compte tenu des différents
PPE qui se créent ici et là, on peut donc dire que la politique
interventionniste de la Banque Mondiale est en voie d'atteindre ses buts. Mais
quant à son objectivité, nous devons dire que les seules
sanctions admissibles contre les contrevenants à l'ordre
écologique mondial ne sauraient frapper que les pays du Sud,
étant entendu que pour les pays riches, on ne comptera que sur leur
bonne foi, car ils ont les moyens de se
(8) Le rapport de la banque mondiale
1993.
passer des prêts conditionnés de la Banque
Mondiale dont ils sont eux-mêmes les principaux "pourvoyeurs". C'est
là le signe de la survie du régime de démocratie
censitaire des Nations unies où les riches détiennent le monopole
de la décision, les autres ne disposant que d'un rôle consultatif.
Ils sont en fait écoutés que quand ils font preuve d'une
capacité de nuisance.
Toutefois, si la conditionnalité des prêts des
institutions internationales est désormais tel que l'Afrique ne peut y
résister, la détérioration rapide de son environnement a
fini par l'enjoindre à adhérer à la nouvelle donne
mondiale: le développement durable. En effet, l'Afrique subsaharienne se
trouve actuellement confrontée au phénomène de
désertification qui fait disparaître plusieurs villages. A cela il
convient d'ajouter les problèmes de la dégradation des sols et du
manque d'eau. Ceci permet de comprendre que l'adhésion de l'Afrique ne
doit s'analyser uniquement comme une contrainte venant de l'occident. Il y a
aussi dans l'esprit des Africains qui ne sont pas moins responsables qu'on ne
le pense, une opportunité à saisir: profiter de l'occasion de
relever un défi, celui d'éviter de vivre les affres
imposées par le modèle occidental dont les limites sont
actuellement mises à nu, et enfin mettre en oeuvre, au moment où
sont crées des fonds pour l'environnement, de vieilles conventions en
matière d'environnement longtemps tombées dans les oubliettes.
Faudrait-il rappeler qu'en 1968, donc avant même la tenue de la
conférence de Stockholm que les Etats africains avaient dans le cadre de
l'OUA signés à Alger la convention africaine sur la
préservation de la nature? Cette convention, qui intégrait
déjà en son temps la conservation de la nature dans les plans de
développement, couvrait l'éducation, la conservation et la
recherche écologique(9). Il y a aussi le comité
permanent inter-Etats de la lutte
(9) François FALLOUX et Lee TALBOT
Crise et opportunité, Environnement et
développement, page 19, édition maisonoeuve.
contre la sécheresse au Sahel (CILSS) crée en 1973
à la suite des premières grandes sécheresses du Sahel.
Dans ces conditions, les négociations de la convention
de Lomé IV et la conférence de Rio devaient être, pour
l'Afrique noire, l'occasion de juguler la dégradation de son couvert
végétal. On doit noter que chaque année cette
région perd une bonne partie de ses terres cultivables, la
désertification ravage les villages et décime les populations
contraignant les survivants d'immigrer vers les régions où
l'accès à l'eau potable est encore facile. A présent on y
compte plus de 10 millions de "réfugiés de l'environnement" dont
la grande partie est constituée des Mauritaniens qui ont quitté
leurs villages à la suite de la sécheresse de 1974 et des
Africains de l'ouest à la recherche des vivres en 1985.
SECTION II : L'ADHESION DE L'AFRIQUE
SUBSAHARIENNE AU DEVELOPPEMENT DURABLE
Tous les problèmes susmentionnés devaient amener
l'Afrique subsaharienne à renouer avec le souci environnemental en
adhérant au développement durable. La convention de Lomé
IV, l'élaboration des PNAE et sa participation à la
conférence de Rio sont le signe de cette détermination.
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