SECTION I: LE SPECTRE D'INGERENCE ECOLOGIQUE
On parle souvent d'ingérence lorsqu'il s'agit de
politique, de l'humanitaire et des finances et de l'économie (allusion
faite aux mesures imposées par la banque mondiale et le FMI). Mais la
crise de l'environnement mondial est l'occasion d'assister à
l'émergence d'une autre ingérence, qui cette fois-ci, est plus
feutrée: l'ingérence écologique.
Cette ingérence se traduira précisément
par la manière dont les Etats occidentaux et la banque mondiale
chercheront à faire triompher l'impératif de développement
durable dans le monde et particulièrement en Afrique au sud du Sahara.
Comme quoi, l'ingérence n'est que l'oeuvre des plus forts sur les plus
faibles.
PARAGRAPHE.I: L'ATTITUDE DES ETATS OCCIDENTAUX
Dans cette entreprise qui consiste à faire triompher
les politiques environnementales, l'Europe du nord et de l'ouest, qui sont
aujourd'hui la zone du monde la plus développée - selon l'indice
de développement humain- et l'un des plus grands consommateurs
d'énergie fossile, vont jouer un rôle pionnier dans la
résolution des problèmes écologiques globaux. Mais cette
volonté de faire droit au respect de l'environnement rencontrera
l'hostilité de certains Etats du sud de l'Europe. En effet, ceux-ci
analyseront les réglementations plus strictes que l'Allemagne, les
Pays-Bas et l'Angleterre proposeront comme un protectionnisme
déguisé sous des clauses écologiques. Ces pays de l'Europe
latine, en refusant des réglementations sévères, seront
par contre soupçonnés par l'Europe du nord et de l'ouest de
vouloir pratiquer un "dumping écologique" afin d'attirer chez eux des
industries à la recherche des réglementations plus
laxistes.(1)
Mais après un longue période de divergences, les
deux groupes ont fini par trouver un compromis, et comme le dit M. Alain
LIPIETZ, la communauté économique européenne mettra enfin
son ambitieux projet: "profiter de son avance technologique et
économique sur les Etats-Unis pour proposer au
(1) Alain LIPIETZ Berlin, Bagdad,
Rio, Quai Voltaire, Edima, Pairs, 1992, page 123.
Il est directeur de recherches au CNRS et porte parole de la
commission écnomique des Verts et conseiller régional
d'Île-de-France.
monde développé un nouveau compromis
social-éco-démocrate à usage interne d'abord, mais aussi
pour conquérir l'hégémonie mondiale vis-à-vis du
Sud sur le thème de l'environnement".
La CEE va ainsi se passer pour la porteuse de vertu
environnementale. Nous pouvons retrouver cette recherche
d'hégémonie dans la déclaration suivante de la commission
de Bruxelles au conseil des ministres de la CEE: " La Communauté
européenne sera le plus grand partenaire économicocommercial du
monde avec la capacité d'exercer un haut niveau d'influence et
d'autorité économique et politique. A ce titre, la
Communauté doit aux générations présente et future
de mettre de l'ordre chez elle et d'offrir à la fois le leadership et
l'exemple aussi bien pour les pays développés que pour ceux en
développement.."(2)
L'Europe procédera donc par une tentative de persuasion
du Sud sur des menaces écologiques et par des multiples propositions de
réglementations qui se transformeront en une tentative d'accusation des
Etats qui ne prêteront guère attention à la
dégradation de l'environnement global. L'Afrique subsaharienne sera
victime de cette logique.
A-LA "MISE EN ACCUSATION" DE L'AFRIQUE SUBSAHARIENNE
Compte tenu de la résistance des Etats africains
à l'idée de faire de la promotion de l'environnement une
priorité, les Etats occidentaux les taxeront d'être à
l'origine de la dégradation de l'environnement mondial. D'où la
nécessité, sinon l'obligation de ces Etats d'opter pour un
modèle de développement respectueux de l'environnement. Pour ce
faire, ils mettront en avant les effets, d'une part, de l'augmentation
vertigineuse des populations
(2) Cité par Alain LIPIETZ, ibdem, page 128.
africaines et de l'autre ceux de la pauvreté sur
l'environnement. On relèvera cette attitude dans des rapports de la CEE
au CNUCED et dans différents articles de presse occidentale. Nous
pouvons ainsi lire dans les colonnes de ces articles: les populations du
Sud pauvres et plus nombreuses sont responsables de la dégradation de
l'environnement global.
Cependant, aux yeux des Africains cette attitude est
interprétée comme un nouveau stratagème ourdi par
l'occident pour empêcher l'Afrique d'accéder au
développement au moyen de l'industrialisation. Ainsi a t-on
qualifié cette nouvelle donne de "tentative de projet de
colonisation planétaire". Au premier ministre Malaisien M. Mohamed
MAHATHIR de dire à ce propos que "les pressions occidentales qui,
sous prétexte de droit de l'homme, de syndicat, de liberté de
presse et de la protection de l'environnement et de la démocratie,
bloquent la croissance économique de leurs potentiels
concurrents".
Certes, le développement durable est indispensable pour
les Etats du Sud, -dans ses finalités notamment- . Cependant, lorsque
nous voyons la montée des quatre dragons et des autres pays
environnants, on peut se permettre de dire que cette affirmation du premier
ministre Malaisien est riche d'enseignements. L'intitulé de l'article de
M. Mohamed Larbi BOUGUERRA au sujet de la conférence de Rio: Au
service du peuple ou de l'impérialisme écologique? est
révélateur du doute que peut avoir toute personne qui s'interroge
sur les interpellations du Sud par le Nord pour la mise en oeuvre du
développement durable. S'interrogeant sur les buts réels du
développement durable et ceux de la conférence de Rio, cet auteur
(dans le même article) pense que derrière cette ingérence
est dissimulée une certaine idéologie du Nord. Selon ses propres
termes," Il reste à vérifier que la conférence de Rio
n'est pas, après la guerre du golfe et le nouvel ordre international
l'occasion pour les puissants d'instituer un nouvel ordre écologique
musclé pour garder leur privilège et
empêcher l'émergence des prémices d'une
société globale moins mercantiliste et plus
solidaire"(3).
Il s'agit de maintenir en situation de dépendance le
monde du Sud dans un domaine où le Nord est déjà
avancé. Lors des indépendances il en a été de
même; les grandes puissance ont miroité en direction des Etats du
Sud un modèle de développement dans lequel ils semblent
être aujourd'hui pris au piège.
Quoiqu'il en soit, et malgré les réticences
soulignées plus haut, l'occident a fini par entraîner l'Afrique
dans la voie du développement durable.
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