b)
Les motivations "latentes" de l'aide française au Cameroun et au
Gabon
Nous désignons par motivations "latentes", celles qui
ressortent plus ou moins des discours officiels aussi bien du côté
du donateur que de celui du bénéficiaire. Ce sont des motivations
le plus souvent voilées à l'opinion nationale qu'internationale,
car elles risquent parfois de toucher la sensibilité des uns et des
autres, mais dont l'importance et la prise en compte demeurent indispensables
dans la conduite de la politique extérieure généralement
du donateur. Comme motivations latentes de l'aide française, nous avons
principalement les motivations politico-stratégiques.
* Les motivations politico-stratégiques de
l'aide française
Jamais au cours de son histoire, la France ne s'est
résignée au repliement, elle a toujours éprouvé le
besoin d'agir bien au-delà de son hexagone. Naguère, la France
avait fourni un immense et glorieux effort pour conquérir, organiser,
mettre en valeur l'ensemble de ses dépendances. Par
l'épopée coloniale, elle avait cherché à se
consoler de la perte des ses possessions lointaines du XVIIe et
XVIIIe siècle, puis de ses défaites en Europe (1815,
1870).
En tentant de se replier sur elle même, la France
risque donc de se sentir diminuée, c'est pourquoi un rayonnement, oeuvre
de sa politique extérieure et d'une culture prétendant à
l'universalité lui sont nécessaires (Essama, 1984 : 70-71).
C'est dans le cadre général que l'aide
française octroyée à ses bénéficiaires,
surtout ceux faisant partie de ses anciennes possessions coloniales, va
obéir à des motivations politico-stratégiques, car elle
sera mise quotidiennement au service du rayonnement et du prestige de la
grandeur de la France qu'elle a toujours revendiqué au cours de
l'histoire au sein des puissances. L'aide française sert à cet
effet d'abord, les intérêts français qui peuvent être
de plusieurs ordres, qu'ils soient à court, à moyen ou à
long terme.
Pour Sogge (2003), les motivations
politico-stratégiques de l'aide peuvent concerner le court terme, dans
la mesure où elle peut servir à récompenser un "client" et
pour le garder "de son côté" (comme ce fut le cas pendant la
Guerre Froide), d'un point de vue politique, durant les négociations,
des guerres et autres crises ; pour neutraliser la contestation et
désamorcer le soulèvement public. Elles peuvent aussi servir des
intérêts à long terme dans la mesure où, l'aide peut
permettre au donateur d'entretenir la loyauté de la classe dirigeante
des pays bénéficiaires ; pour gagner ou accroître
l'acceptabilité d'une doctrine ou d'un modèle de
développement, afin de renforcer la position d'un pays au sein d'un
système économique, politique et militaire plus large (Sogge,
2003 : 67).
Nous avons montré plus haut la profondeur des liens
historiques qui a existé entre la France avec le Cameroun et le Gabon ;
et quand on fait partie d'un même ensemble pendant des années,
comme ce fut le cas entre la France et ces derniers, des liens ce sont
créés, et il ne peut être de l'intérêt de la
France, ni d'ailleurs des autres, de les rompre brutalement, même si ces
liens doivent être modifiés ou dépassés. Le
passé colonial s'impose donc comme une variable pertinente dans les
considérations politico-stratégiques d'allocation de l'aide
française à ces deux bénéficiaires. Les
intérêts que la France a dans ces deux pays peuvent être de
nature diverse : matériel (accès aux matières
premières stratégiques, bases militaires, investissements des
firmes multinationales françaises...) ; symbolique (rayonnement culturel
de la France).Cet origine historique et politique des politiques d'aide, se
retrouve sans surprise dans les études économiques sur les
déterminants de l'allocation de l'aide française (Alesina et
Dollar, 2000 ; Mc Kinley, 1978).
Mais si la variable coloniale s'est avérée
pertinente par le passé, dans la compréhension des
modalités d'octroi de l'aide française qui a pu être
considérable au Cameroun et au Gabon, il faut se rendre à
l'évidence qu'elle est sérieusement remise en cause à
l'heure actuelle, au regard de la maigreur excessive des fonds que la France a
consenti à affecter à ces deux pays dans des secteurs pourtant
très sensibles pour ces derniers.
Ce qui nous pousse à considérer la thèse
de Berthélémy et Tichit (2002) comme étant pertinente.
Ces derniers en effet, ont au cours de leurs travaux,
catégorisé les donateurs suivant la primauté des
critères d'allocation de l'aide : ils ont à cet effet,
distingué la catégorie des "altruistes" (Norvège), les
"égoïstes" (France, Grande Bretagne) et la catégorie
intermédiaire (U.S.A). Même si cette thèse peut
paraître simpliste, voire, réductionniste pour certains (Severino
et Charnoz, 2005), il n'en demeure pas moins vrai qu'elle peut, au regard de
l'analyse de l'orientation sectorielle de l'aide française faite plus
haut, aux deux pays sus étudiés, être sérieusement
prise en compte dans la compréhension de modalités d'allocation
de l'aide française.
Au regard de ce qui précède, il en ressort que
les considérations politico-stratégiques dans l'allocation de
l'aide française à ses bénéficiaires occupent une
place centrale. Cela veut dire en outre que l'aide française au Cameroun
et au Gabon ne répond pas prioritairement à des motifs
généreux, mais qu'elle est d'abord liée à des
considérations politico-stratégiques, qui tiennent à la
propre prospérité de la France et à son propre
désir d'expansion.
En guise de conclusion partielle à ce chapitre, il
apparaît que l'aide publique française au développement
répond à plusieurs motivations qui, si sur le plan
théorique elles peuvent être distinguées plus ou moins
clairement, dans la pratique, elles brillent par leur ambiguïté,
leur imbrication et leur complexité.
Toujours est-il, comme l'ont souligné Alesina et Dollar
(2000), il existe un grand fossé entre le discours officiel du donateur
de l'aide et la pratique qui s'en suit ; ceci est aussi valable en ce qui
concerne l'aide française. Car, au regard de ce qui a été
constaté dans l'analyse de l'orientation sectorielle de son aide au
Cameroun et au Gabon depuis 1990, on peut conclure que l'on ne sait sur quel
fondement on peut asseoir l'aide française affectée à
ces deux pays. Dans la mesure où on assiste ici à une
contradiction notoire entre le discours français sur ses
priorités en matière d'aide, parmi lesquelles figurent au premier
plan, les quatre secteurs sus étudiés, pour lesquelles l'aide
doit être plus concentrée ; et les fonds squelettiques qui
sont affectés à ces secteurs, pourtant clé dans
l'épanouissement et le bien-être de ces derniers. On pourrait
fondamentalement s'interroger, au regard de ce qui précède, de
savoir si le développement constitue le véritable leitmotiv de
l'aide française allouée au Cameroun et au Gabon dans les
secteurs sus analysés.
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