5) Les motivations de l'aide française ou le
règne de l'ambiguïté
La question de la motivation de l'aide veut répondre
à la question de savoir quel(s) objectif(s) le pays donateur essaye
d'atteindre en octroyant l'aide. En d'autres termes, il est question
d'interroger ici les fondements même de l'aide. De manière
générale, il existe une littérature assez dense, soit qui
traite uniquement des motivations de l'aide d'une part, (Alesina et Dollar,
1998 et 2000 ; Breuning, 1994 ; Gunning, 2004 Jacquet et Naudet, 2006) ; soit
qui constitue une partie de la réflexion d'autre part (Gabas, 2002 ;
Lumsdaine, 1993 ; Sogge, 2003 ). Au regard de ces différents travaux, il
en ressort qu'on peut regrouper les motivations de l'aide en deux principales
catégories auxquelles l'aide française sera soumise à
savoir les motivations "manifestes" (1) et les motivations "latentes" (2)
d'où son ambiguïté.
a)
Les motivations "manifestes" de l'aide française
Nous nommons par motivations "manifestes", les motivations
généralement présentes et affichées dans les
discours et déclarations officielles du pays donateur. Ce sont les
motivations généralement affichées et brandies à
l'opinion publique aussi bien nationale qu'internationale. Ces motivations
peuvent être principalement de deux genres : les motivations
économiques ou commerciales (a) et les motivations humanitaires et
éthiques (b).
a1) Les motivations économiques de l'aide
française
Les motivations économiques de l'aide française
envers les pays africains au Sud du Sahara (dont le Cameroun et le Gabon),
varient en fonction du contexte et peuvent être analysées à
partir de trois découpages temporels : les années 1960 ; les
années 1980 et les années 1990.
D'abord dès les années 1960, l'idée
même de l'aide dépasse de loin celle d'effectuer un transfert
financier vers les pays aidés. La finalité économique de
la construction et du développement est l'un des motifs principaux, et
elle reçoit le soutien d'entreprises exportatrices, qui y voient
l'ouverture des nouveaux marchés que la croissance économique
rendra solvable. La théorie économique dominante de
l'époque permettait, alors, de diagnostiquer un besoin
d'accélération d'investissements pour soutenir la croissance ; et
considérait qu'il ne serait réalisable qu'avec des financements
additionnels, par rapport à la capacité d'épargne des pays
en développement (Jaquet et Naudet, 2006). La priorité est alors
à la croissance, dont on attend qu'elle réduise par la
modernisation la dualité entre secteur agricole et industriel.
Des modèles (Thorbecke, 2000) privilégient le
rôle de l'investissement et le besoin d'influx massif de capital, pour
franchir les différentes étapes d'un développement
contraint par l'insuffisance de l'épargne locale. Dès lors,
l'aide au développement peut être conçue comme un
complément externe à une épargne interne jugée
insuffisante (Jaquet et Naudet, 2006.). Chernery et Strout (1966) construisent
un modèle macro-économique, dans lequel, l'aide extérieure
permet de combler soit une insuffisance d'épargne (par rapport à
l'effort d'investissement jugé nécessaire), soit une insuffisance
de devises (par rapport aux besoins d'importations). Les années
1980, sur le plan économique des pays en développement, sont
marquées par la crise de la dette, dette accumulée envers les
créanciers publics au titre d'A.P.D. Pour réduire la
pauvreté, il faut d'abord restaurer les grands équilibres
économiques, ouvrir et libéraliser l'économie, reformer
les institutions et la gouvernance et éliminer les distorsions qui
empêchent les marchés de fonctionner correctement (Jaquet et
Naudet, 2006 : 61). C'est dans ce contexte que l'aide française va
de ce fait financer l'ajustement macro-économique des principaux pays
endettés (dont le Cameroun et le Gabon), afin de corriger les
déséquilibres des paiements et mettre fin à la spirale de
l'endettement.
Dès les années 1990 et après, le
discours officiel est axé sur le thème de la lutte contre la
pauvreté, qui connaît une consécration solennelle à
travers l'adoption le 08/09/2000 par l'Assemblée générale
des Nations Unies, des O.M.D qui se positionnent comme un véritable
contrat d'objectifs de la communauté internationale,
déclinée en 8 objectifs principaux qui eux-mêmes se
composent de 18 cibles quantifiées. Ils donnent de la pauvreté
une définition multiple, qui ne se réduit pas au seul aspect du
revenu par habitant, mais englobe aussi les conditions d'éducation et de
santé, l'égalité de genres, la protection environnement de
l'insertion dans la mondialisation. C'est dans ce dernier aspect que l'aide
française, du point de vue économique, va beaucoup s'accentuer ;
car elle doit dès lors permettre à une meilleure insertion des
économies des pays en développement (y compris le Cameroun et le
Gabon) dans la mondialisation, en développant des occasions de commerce
et d'investissements étrangers, y compris un accès
stratégique aux matières premières. Au sein des
institutions internationales, pour obtenir et pour consolider l'adhésion
aux règles économiques (Sogge 2003 : 68).
Au regard de ce qui précède, il apparaît
que les motivations économiques de l'aide française répond
à certains critères généraux, en fonction de
l'évolution de l'environnement économique depuis les
indépendance jusqu'à nos jours.
Il est question maintenant de s'intéresser aux
motivations humanitaires et éthiques de l'aide française à
ces deux pays.
a2) Les motivations humanitaires et
éthiques de l'aide française
Ce sont les motivations les plus affichées, les plus
faciles à communiquer. L'aide publique au développement
d'après Jacquet et Naudet (2006) poursuit très clairement un
objectif éthique, d'équité et de solidarité, qui
conduit à penser l'aide comme l'amorce d'une politique sociale mondiale
visant à promouvoir une distribution plus équitable des revenus
pour le présent et pour l'avenir, en aidant au développement des
pays pauvres (dont le Cameroun et le Gabon). Cette motivation correspond au
rôle que la France entend jouer dans les relations internationales et
à sa vision du monde (Naudet, 2006 : 33). En effet, aujourd'hui et plus
que jamais, le fossé entre les riches et les pauvres ne cesse de
s'agrandir au jour le jour. Devant cette pauvreté, la France ne peut
rester insensible, elle, éprise de justice, malgré ses
difficultés internes, ne saurait rester impassible à la
misère du tiers monde, car il serait intolérable qu'elle se
désintéressât à leur sort. Manquer à ce
devoir serait, à ne pas douter, renier la civilisation qu'elle a
toujours voulu incarner (Essama 1984 : 70).
Le fondement d'un tel comportement philanthropique peut se
trouver comme l'indique Gabas (2004) dans une éthique de partage et de
solidarité. La thèse religieuse s'adresse aux gens les plus
riches, qui doivent faire un effort de transfert altruiste s'ils veulent entrer
dans le royaume de Dieu. L'altruisme est ainsi vu comme une réponse aux
défaillances du marché ; dans sa capacité à
satisfaire des besoins collectifs ou sociaux et devenu un moyen d'assurance
mutuelle et inter-générationnelle (Gabas, 2004 : 48-49).
L'aide française au Cameroun et au Gabon va donc
obéir à cet impératif moral, qui va s'appliquer à
tous les pays pauvres dont ces derniers sont inclus, dans lesquels elle
s'attache à réduire la pauvreté. Les OMD, votés par
les Nations Unies en 2000, fournissent un guide utile dans la volonté
des pays riches d'engager les pays pauvres dans une trajectoire de
progrès. Cette approche tire l'A.P.D. française vers une
véritable politique sociale mondiale, qui placerait les transferts
redistributifs au coeur de la gestion de la mondialisation.
En guise de conclusion partielle, on peut dire qu'au regard
des deux motivations de l'aide française suscitées, l'aide
française peut être inscrite autour des deux paradigmes globaux de
l'aide présentés par Jacquet et Naudet (2006) à savoir le
paradigme du Développement : aider les pays du Sud à
s'engager dans la phase historique de décollage économique et du
rattrapage des pays industrialisés. Le paradigme redistributif :
bâtir un système équitable de transferts à
l'échelle mondial entre riches et pauvres.
Mais ces deux paradigmes sont à interroger, car au
regard de la situation socio- économique délétère
des pays en développement, nous ne pouvons dire qu'ils sont
restés plus pertinents strictement sur le cadre du discours. L'analyse
de l'orientation sectorielle de l'aide française accordée au
Cameroun et au Gabon faite plus haut, vient sérieusement battre en
brèche ces deux paradigmes. Car on ne saurait soutenir que, les quelques
fonds squelettiques affectés par la France à ces deux pays dans
les secteurs sus évoqués, participeraient de manière
significative, soit d'aider ces deux pays à un relèvement
notoire de la situation dans les secteurs sus visés, encore moins
à un transfert équitable des fonds de celle-ci à ces deux
derniers.
Ceci étant dit après les motivations manifestes
de l'aide française, place à l'autre type des motivations
annoncées plus haut.
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