II. L'ACCUSÉ TÉMOIN OU LE CRITéRE DE
LA NOTIFICATION OFFICIELLE
81. Inclure le témoin dans la notion d'accusé,
même au sens autonome de la ConvEDH, semble une extension a priori
excessive de cette notion, puisque les procédures applicables dans
l'ordre interne sont radicalement différentes selon que la personne
interrogée par les enquêteurs a le statut de témoin ou de
mis en examen.
En réalité, il s'agit moins dans l'esprit de la
CourEDH d'une extension que d'une précision quant au moment
d'appréciation de la qualité de témoin ou d'accusé.
Cette qualité doit s'apprécier non pas au moment oü les
déclarations accablantes ont été formulées par
l'intéressé, mais au moment de la notification officielle de son
statut par les organes de la procédure, cette notification figeant
l'état d'esprit des différentes parties lors des
opérations subséquentes79.
82. L'article 6 exigeant une accusation, on pourrait supposer
que seules la ou les personnes visées par des poursuites pénales
bénéficient des garanties du procès équitable.
Néanmoins, lorsqu'un individu est entendu comme témoin au cours
de la procédure, son témoignage peut ultérieurement
être retenu contre lui et constituer une accusation en matière
pénale, alors qu'au moment de sa déposition il n'était pas
directement visé par les poursuites et n'avait donc pas le statut
d'accusé au sens de la procédure interne.
On concoit pourtant bien qu'une telle personne, contrainte par
serment à dire toute la vérité, puisse être
amenée à faire des déclarations autoaccusatrices au sens
oü l'entend la CourEDH. Il n'est donc pas possible, pour l'application de
la ConvEDH, d'exclure a priori le témoin du champ d'application
de l'article 6. C'est pourquoi la Cour, dans son arrêt
Serves80, pose comme principe que Çle requérant
pouvait passer pour tomber sous le coup d'une accusation au sens autonome de
l'article 6§1 lorsqu'il fut assigné à compara»tre comme
témoin et condamné pour avoir refusé de prêter
serment È.
83. Cette affaire étant relativement complexe, il convient
d'en retracer brièvement le déroulement.
Le requérant fit d'abord l'objet d'un premier
réquisitoire introductif qui fut annulé par le juge francais,
mais avec des réserves telles que les pièces ayant motivé
cette première information ne furent pas retirées du dossie r. Le
requérant comparut alors comme témoin devant le juge
d'instruction mais refusa de prêter serment et fut condamné de ce
chef. Par la suite, une nouvelle information fut ouverte contre
l'intéressé, sur le fondement des pièces recueillies lors
de la première information et non retirées du dossier.
Saisie d'une requête en violation du droit de ne pas
s'autoaccuser fondée sur la condamnation du requérant pour refus
de prêter serment, la Cour estime qu'il lui incombe avant toute chose de
rechercher << si M.Serves, qui n'était ni visé par le
réquisitoire introductif du 13 mars 1990 ni inculpé lorsqu'il fut
assigné à compara»tre comme témoin devant le juge
d'instruction, tombait néanmoins sous le coup d'une accusation au sens
de l'article
6>>. Elle en vient alors à
définir la notion d'accusation au sens autonome de
l'article 6.
La Cour énonce que la notification officielle,
émanant de l'autorité compétente, du reproche d'avoir
accompli une infraction pénale constitue une accusation. Elle
précise que cette définition correspond à l'idée de
<<répercussions importantes sur la situation>> du
suspect81. En se fondant sur l'existence du premier
réquisitoire introductif qui, malgré son annulation, a servi de
fondement à la seconde inculpation, la CourEDH décide que
<<lorsque M. Serves fut assigné à compara»tre comme
témoin et condamné en application de l'article 109 du code de
procédure pénale, il pouvait passer pour tomber sous le coup
d'une accusation au sens autonome de l'article 6 >>. La Cour
apprécie donc l'utilisation que les autorités chargées de
l'enquête ont faite ou comptaient faire des éléments du
dossier, afin de déterminer si le requérant avait ou non au
moment des faits le statut d'accusé au sens de l'article 6. Si des
éléments considérés comme des
éléments à charge existaient au moment où
l'intéressé a pu faire des déclarations accablantes, alors
le requérant a fait l'objet d'une accusation au sens autonome (par
rapport au statut officiel qui lui a été accordé dans la
procédure interne) de l'article 6 ConvEDH. Partant, la personne
entendue82 dans le cadre d'une procédure pénale ne
peut être a priori exclue du bénéfice des
dispositions de cet article.
81 Sur cette notion, cf. l'arrêt J.B. c/
Suisse précité. Sans doute faut-il comprendre ainsi cette
référence: dès que le prévenu se voit reprocher
d'avoir commis une infraction pénale, il devient passible d'une sanction
susceptible d'entra»ner des répercussions importantes sur sa
situation (cf. les remarques précédentes dans cette même
section).
82 Il s'agit plus particulièrement en
l'espèce du témoin assisté, mais la Cour employant le
terme de témoin, il semble fondé d'étendre la solution
à tout intéressé déposant sous serment.
84. Il reste a contrario que le témoin contre
lequel il n'existe aucun soupcon d'avoir commis une infraction pénale a
u moment de son audition ne peut être considéré comme un
accusé au sens de l'article 6. En conséquence, et même si
cela nécessite un examen a posteriori de l'applicabilité
de la ConvEDH, un tel individu ne pourra jamais se prévaloir du droit de
ne pas contribuer à sa propre incrimination, quand bien même il
aurait été amené à faire des déclarations
accablantes lors de sa déposition83.
85. La notion d'accusé telle que la définit la
CourEDH demeure confuse mais on en percoit l'idée
générale. Lorsque les organes chargés des poursuites
accusent une personne d'avoir commis une infraction pénale (au sens oil
l'entend la Cour), cette personne acquiert la qualité d'accusé
d'une infraction en matiere pénale et bénéficie en
conséquence des garanties du process équitable. Il reste à
déterminer si toutes les personnes juridiques sont habilitées
à invoquer les dispositions de l'article 6.
|