III. L'ACCUSÉ PERSONNE MORALE OU LE CRITéRE
EN SUSPENS
86. Il aurait été intéressant de savoir
si le droit de ne pas contribuer à sa propre accusation peut
également être invoqué par une personne morale. Aucun
arrêt de la CourEDH ne se prononce expressément en ce sens.
L'art 6§1 est applicable à « toute personne
» des lors qu'elle remplit les conditions énumérées
par cet article. Les restrictions à la compétence de la CourEDH
sont prévues par la Convention elle même, et sont exclusivement
territoriales. En conséquence, les dispositions relatives au
procès équitable peuvent a priori être
invoquées par une personne morale.
En pratique, la Cour a répondu à certaines
questions concernant les rapports entre l'article 6 et les personnes morales,
mais jamais directement sur le point de savoir si ces dernieres peuvent
invoquer le droit de ne pas s'autoaccuser (A). Plusieurs solutions sont a
priori envisageables84 et les réponses peuvent parfois
être trouvées hors de la jurisprudence de la CourEDH (B).
Al LA QUESTION RÉSOLUE : LA PERSONNE PHYSIQUE AU SEIN
D'UNE PERSONNE MORALE
87. Il ne s'agit en réalité que d'une
précision apportée par la Cour quant à la notion classique
d'accusé85. La juridiction européenne rejette la
distinction, au sein de cette catégorie d'accusés, entre les
personnes physiques ayant commis une infraction de droit commun et les
personnes physiques ayant commis une infraction en droit pénal des
sociétés.
La référence est ici l'arrêt Saunders
précité. Le gouvernement suggérait de distinguer entre les
fraudes commises en matiére de sociétés et d'autres types
d'infractions, les auteurs des premières bénéficiant de
garanties moindres en raison des nécessités de l'enquête.
La Cour répond que le droit de ne pas s'autoaccuser doit s'appliquer
également à tous les types d'accusés, y compris ceux
soupçonnés d'avoir commis des fraudes complexes au sein des
sociétés. Autrement dit, l'intérêt public à
démêler des infractions complexes ne saurait justifier une
atteinte au principe d'égalité entre les accusés au regard
de l'article 686.
88. La Cour se contente dans cette affaire de préciser
que les infractions en matiére de sociétés doivent
être poursuivies et réprimées dans le respect des garanties
du procés équitable. Elle ne répond pas directement
à la question de savoir si les personnes morales accusées d'une
infraction en matière pénale bénéficient des
mêmes droits conventionnels que les personnes physiques placées
dans la même situation. La confrontation sur ce point entre la
jurisprudence européenne et la jurisprudence communautaire ne permet pas
de donner une réponse définitive.
B1 LA QUESTION DÉBATTUE : LA PERSONNE MORALE
ELLE-MæME
89. En l'absence de décision expresse de la CourEDH
dans ce domaine, il est intéressant de se tourner vers la juridiction
communautaire. En effet, l'article 6§2 du traité instituant l'Union
Européenne87, codifiant la jurisprudence de la CJCE, dispose
que « l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis
par la Convention européenne de sauvegarde
85 Cf. supra, n°76.
86 Arrêt Saunders, § 44 et 45.
87 Signé à Maastricht le 7
février 1992.
des droits de l'homme et des libertés fondamentales
(É) >>. L'examen des décisions de la Cour de Justice et du
Tribunal de première instance des Communautés européennes
pourrait donc fournir un indice concernant l'invocabilité du droit de ne
pas s'autoaccuser par les personnes morales.
90. La jurisprudence communautaire décide que le droit
de ne pas s'autoaccuser peut être invoqué par les personnes
morales, mais elle en limite la substance à la possibilité pour
celles-ci de refuser d'admettre l'existence d'une infraction88.
Cette conception est très éloignée de celle
consacrée par la CourEDH et il est probable que cette dernière
retiendrait une solution différente au fond si elle se prononcait sur la
question, au nom du Çprincipe d'égalité entre les
accusés au regard de l'article 6 >>89.
91. De ce principe et des indications fournies par le droit
communautaire, il résulte qu'aucun obstacle rationnel ne devrait
empêcher une personne morale d'invoquer à son
bénéfice le droit de ne pas s'autoaccuser. Il faudra toutefois
attendre une décision expresse de la CourEDH pour conna»tre les
conséquences sur le fond de cette applicabilité.
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