CONCLUSION DU DEUXIéME CHAPITRE
92. Ainsi que la Cour le rappelle dans l'arrêt Shannon
précité, Çil y a principalement deux types d'affaires dans
lesquelles la Cour a constaté des violations du droit de garder le
silence et du droit de ne pas s'incriminer soi-même >>. Il y a
d'abord les affaires concernant l'utilisation de la contrainte aux fins
d'obtention de renseignements susceptibles d'incriminer la personne
concernée dans le cadre d'une procédure pénale
déjà pendante ou envisagée contre lui. Il y a ensuite les
affaires concernant l'utilisation dans le cadre de poursuites pénales
subséquentes d'informations incriminantes obtenues par la contrainte en
dehors du contexte d'une procédure pénale90. Ces
affaires soulevaient toutes des difficultés quant à
l'applicabilité de l'article 6 à des procédures complexes,
dont le déroulement diffère des poursuites exercées dans
le cadre d'une procédure pénale classique. La CourEDH a
résolu ces difficultés en revêtant la notion de
matière pénale d'un caractère autonome qui la soustrait
à l'appréciation
88CJCE 18 octobre 1989 Orkem c/ Commission,
Rec., 1989, p.3283.
89 Mentionné supra, n°87.
90 CEDH 2005 Shannon précité, § 41
à 43.
des Etats-membres91. Face à la tendance
à dépénaliser le droit penal, cÕest-à-dire
à permettre à dÕautres autorités que le juge penal
de sanctionner des infractions, la Convention permet ainsi lÕapplication
de régles identiques à toutes les mesures
punitives92.
Au final, le droit de ne pas sÕautoaccuser se voit dote
dÕun large champ dÕapplication afin de satisfaire au mieux les
exigences du procés equitable. Tout requérant ayant fait
lÕobjet dÕune accusation en matiére pénale
(question de forme) est ainsi habilité à se prétendre
victime dÕune violation des droits qui lui sont conférés
par lÕarticle 6 ConvEDH (question de fond).
93. La délimitation du domaine du droit de ne pas
sÕautoaccuser permet déjà de distinguer les
éléments qui seront examines sur le fond. Cependant, le
mécanisme élaboré est difficile à
appréhender dans son ensemble, la Cour se limitant à des
explications ancrées dans les circonstances des espéces qui lui
sont soumises, au detriment de lÕesprit de système. Il en
résulte que le contenu du droit de ne pas sÕautoaccuser ne fait
lÕobjet dÕaucune definition abstraite : la notion se
développant au fil de la casuistique, chaque violation constatée
est une pierre de plus apportée à lÕédifice.
LÕétude du contrTMle exercé par la CourEDH
révéle une mise en Ïuvre pour le moins complexe, dont la
portée est incertaine.
91 LÕinclusion des procedures dites
ÒmixtesÓ dans la notion de matière penale entra»ne
egalement des consequences importantes sur lÕapplicabilite du principe
non bis in idem.
92 Cf. sur ce point, P. Conte et P. Maistre du
Chambon, Droit pénal général, p. 96-97.
TROISIéME CHAPITRE : LA PORTÉE DU DROIT
DE NE PAS S'AUTOACCUSER
94. La ConvEDH ne définissant pas expressément
le droit de ne pas s'autoaccuser, le juge européen procede en quelque
sorte à l'incrimination de certains comportements. En effet, la CourEDH
semble raisonner de la maniere suivante : le silence est la valeur sociale
européenne à protéger ; par conséquent, il convient
de déterminer les différents comportement susceptibles de lui
porter atteinte ; une fois les éléments constitutifs de ces
«infractions» définis, il suffit de vérifier s'ils sont
réunis en l'espece pour déterminer s'il y a eu violation du droit
au silence. On constate qu'il existe deux façons complémentaires
de porter atteinte au silence : la contrainte exercée peut dissuader
l'accusé de se taire ; elle peut l'inciter également à
produire des pieces ou à formuler des déclarations qui vont dans
le sens de sa culpabilité, c'est-à-dire à
s'autoaccuser.
95. Le droit de ne pas s'autoaccuser et le droit de se taire
permettent ainsi de garantir le respect du droit au silence, et d'assurer le
traitement équitable de l'accusé tout au long de la
procédure. La CourEDH définit, à l'occasion de son
contrTMle, les comportements concrets constitutifs d'une attei nte à ces
droits. Selon elle, « pour rechercher si une procédure a
anéanti la substance même » du droit au silence, il convient
d'examiner en priorité les éléments suivants : « la
nature et le degré de la coercition, l'existence de garanties
appropriées dans la procédure et l'utilisation qui est faite des
éléments ainsi obtenus »93.
La distinction est donc essentiellement chronologique : la
recherche de preuves par les enquêteurs est qualifiée de
coercition abusive des lors qu'elle a privé le requérant des
garanties de l'article 6 (section première). La
procédure suivie lors du proces pénal ultérieur est
inéquitable des lors que les informations abusivement recueillies ont
exercé un impact déterminant sur la décision de
condamnation (section deuxiime).
93 CEDH 11 juillet 2007, Jalloh c/ Allemagne, §
101.
|