Le droit de ne pas s'autoaccuser dans la jurisprudence de la CEDH( Télécharger le fichier original )par Jean-Dominique VOISIN Université Paris II-Assas - Master 2 droit pénal et sciences pénales 2007 |
SECTION PREMIÈRE: LES VIOLATIONS AU STADE DEL'ENQUæTE : LE CRITéRE DE LA COERCITION ABUSIVE
94 CEDH 4 octobre 2005, Shannon c/ Royaume-Uni, § 36. 95 Cf. la formule type de l'arrêt Allan, introduction n°15. 98 L.-E. Pettiti, Droit au silence, p.145, précité. A] L'ÉQUITÉ DE LA COERCITION PHYSIQUE EN CAS
DE RECHERCHE DE PREUVES
L'accusé était soupçonné d'être un trafiquant de stupéfiants, ou tout du moins un «passeur». L'une des façons de dissimuler ces produits illicites consiste à les ingérer emballés dans une enveloppe protectrice, puis à les faire sortir du corps une fois en lieu silr. Par conséquent, le meilleur moyen pour les enquêteurs de récupérer les stupéfiants était de les faire régurgiter par le suspect. Les agents compétents lui administrérent donc un émétique puissant, afin de provoquer ses vomissements. Les stupéfiants ainsi recueillis furent ensuite utilisés comme élément à charge dans le process pénal ultérieur dirigé contre lui. Devant la CourEDH, le requérant invoque une violation de l'article 6, mais également une violation de l'article 3. L'espéce semble relativement proche des arrêts précédents admettant l'usage de la force pour obtenir des éléments de preuve sans le consentement de l'accusé. Il s'agit bien ici d'une contrainte physique exercée sur l'intéressé afin d'obtenir, dans l'intérêt de la justice, des éléments de preuve menacés de disparition. Cependant, les méthodes précédemment employées par les policiers, si elles étaient coercitives, impliquaient une atteinte relativement 99 CEDH 11 juillet 2006, Jalloh c/ Allemagne. bénigne à l'intégrité physique du suspect. Au contraire, en l'espèce, la méthode employée est jugée constitutive d'un traitement inhumain et dégradant contraire à l'article 3 ConvEDH, dont les dispositions sont particulières en ce sens que les Etats ne peuvent en restreindre la portée par une réserve ni y déroger en aucune circonstance. Toutefois, il convient de rappeler ici que les articles de la ConvEDH sont autonomes, et qu'une violation de l'article 3, si elle permet au requérant d'obtenir réparation sur ce fondement, n'est pas automatiquement constitutive d'une violation de l'article 6100. 103. Selon la Cour, la méthode employée par les enquêteurs dans l'affaire Jalloh, bien que constitutive d'un traitement inhumain et dégradant, n'établit pas ipso facto que l'accusé ait été passif lors de la recherche des preuves. Ceci peut surprendre puisque les enquêteurs se sont contentés d'administrer de force à ce dernier un émétique, lequel a provoqué une réaction physiologique de l'organisme ayant permis la collecte des preuves. L'usag e de la contrainte physique semble par hypothèse opposée à l'idée d'une collaboration de l'accusé : qu'il affiche la volonté de se taire ou de parler n'a aucune influence sur le processus déclenché par l'administration, au surplus contre son gré, d'un émétique. Il faut reprendre le considérant type de la Cour afin de comprendre son raisonnement dans l'espèce: Ç sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l'accusé È. Comment la volonté de l'accusé peut-elle permettre de constater dans l'arrêt Jalloh une violation du droit de ne pas s'autoaccuser ? On sait gr%oce à l'arrêt Saunders qu'il n'y a pas contrainte abusive lorsque la coercition est employée contre la volonté de l'accusé pour recueillir des données existant indépendamment de sa volonté101. Sa volonté serait dans une telle hypothèse inopérante. En réalité, il y a là une inexactitude dans le raisonnement de la Cour. D'abord, ce n'est pas l'existence des données collectées qui est en cause, car la volonté de l'accusé ne saurait influer sur leur être ou leur 102; non être en revanche, elle influe sur la connaissance que les enquêteurs peuvent avoir de ces données. Ensuite, que la contrainte soit
employée afin de forcer le requérant à produire 100 Sur la combinaison des articles 3 et 6 ConvEDH, cf supra, n°41 et suivants. 101 Cf. supra n°98. 102 Sauf à considérer que l'accusé ne peut empêcher l'ADN d'exister, alors qu'il peut priver d'existence des informations et des documents. Dans cette optique, les premiers existent indépendamment de sa volonté, alors que l'existence des seconds, si elle n'est pas conditionnée par la volonté du requérant, ne peut persister en cas de volonté contraire. Mais ce serait raisonner selon la nature des éléments en cause, ce que la Cour ne fait pas puisqu'elle classe les données que l'on peut recueillir en vertu d'un mandat dans la première catégorie. prélèvement ADN ou en exécution d'un mandat, dans les deux cas la recherche des preuves suppose de passer outre la volonté du requérant. La différence semble donc plutôt reposer sur le fait que dans le premier cas, on oblige le requérant à changer d'avis, on le force à vouloir ce qu'il ne veut pas (avouer), alors que dans le second cas la volonté du requérant n'est pas modifiée, les enquêteurs passent outre mais le refus demeure. La distinction est ainsi de nouveau fondée sur le critère de l'activité ou de la 103 passivité du requérant lors de la recherche des preuves . Du point de vue des enquêteurs, cela revient à dire que si le suspect est seul à détenir des informations concernant sa situation (par exemple financière), celles-ci ne peuvent être connues en l'absence de volonté spontanée de sa part de les divulguer (c'est alors un aveu valant renonciation au droit de ne pas s'autoaccuser). Forcer cette volonté, inciter le requérant à avouer malgré lui (oralement ou en le forcant à produire des données à charge), constitue une coercition inéquitable au sens de l'article 6. En revanche, lorsque certaines données matérielles ou corporelles ne peuvent être connues qu'en usant de la force physique contre l'accusé, mais indépendamment de sa volonté de collaborer aux opérations, le recours à une telle méthode ne viole pas le droit de ne pas s'autoaccuser. 104. Dans l'affaire Jalloh, la difficulté résidait dans le caractère corporel des preuves obtenues gr%oce à l'administration de l'émétique. La méthode employée, ainsi que les données obtenues, semblaient se confondre avec les exemples de coercition passive équitable. On aurait pu penser qu'ici aussi il y avait eu usage contraint d'un procédé scientifique afin de collecter un produit du corps humain. Ce n'est pas l'analyse de la Cour. Selon elle, les produits en question avaient été ingérés par le prévenu, il ne s'agissait donc pas de produits naturels du corps humain. En outre, leur recueil a nécessité de provoquer un fonctionnement organique anormal, Ç pathologique È même, alors que dans les exemples précités le suspect ne doit endurer qu'une atteinte mineure à son intégrité physique104. Par conséquent, la contrainte exercée en l'espèce doit être rattachée aux cas de coercition abusive, malgré le fait que cette catégorie vise en principe les pressions psychologiques auxquelles le requérant a été soumis et qui l'ont forcé à collaborer activement à sa propre accusation. 103 Rappelons que ce critère n'est jamais employé par la Cour, il est simplement évoqué par L.-E. Pettiti dans l'exposé Droit au silence précité. 104 Arrêt Jalloh, § 114. Les enquêteurs lui ont en l'espèce fait «cracher le morceau», au propre comme au figuré. II. LA CONTRAINTE PSYCHOLOGIQUE OU L'IMPOSSIBILITÉ ABSOLUE DE FORCER LE REQUÉRANT Ë COLLABORER ACTIVEMENT Ë SA PROPRE ACCUSATION
encore fois ici de . L'argument du requérant consistait à soutenir que les autorités chargées de l'enquête, devant son refus de communiquer les pièces qui lui avaient été demandées, avaient engagé une procédure pénale qui Çtendait à forcer M. Funke à collaborer à son accusation È. Une telle façon d'agir serait inadmissible, en ce qu'elle dispense les enquêteurs de rechercher eux-mêmes les preuves nécessaires. La Cour accueille l'argument, constatant que Çfaute de
pouvoir ou de vouloir se les procurer 105 Cf. également l'affaire J.B. c/ Suisse, précitée, qui adopte la même solution. contraindre le requérant à fournir lui-même la preuve d'infractions qu'il était soupconné avoir commises. La CourEDH juge qu'un tel procédé porte atteinte au droit pour l'accusé de ne pas s'autoaccuser: la sanction pénale prévue par le droit douanier en cas de refus opposé à une demande de communication de pièces est un mécanisme inéquitable, en ce qu'il aboutit à condamner le prévenu qui refuse de produire des preuves à charge. Il n'y a pas ici de contrainte physique exercée sur l'intéressé, les enquêteurs ne lui ayant pas soutiré les informations qu'ils recherchaient par la force. En revanche, la procédure est organisée de telle facon qu'elle place l'accusé dans une position oü il ne peut éviter une condamnation pénale immédiate qu'en produisant des preuves à charges. Si l'on postule que tout accusé souhaite éviter une condamnation pénale, alors on doit conclure qu'un tel mécanisme constitue une contrainte inéquitable. Bien entendu, il est préférable dans certains cas de se voir infliger une peine pour refus de produire des pièces, moins sévère que celle qui serait prononcée si les pièces produites permettent d'établir l'infraction pour laquelle l'intéressé est interrogé. C'est d'ailleurs le choix tactique opéré par M. Funke en l'espèce. Mais précisément, le requérant était confronté à un choix inéquitable, en ce sens qu'il devait décider entre parler et révéler des informations susceptibles de mener à sa condamnation pénale, ou se taire et être condamné pénalement de ce chef. Autrement dit, il lui fallait choisir entre deux condamnations pénales, au détriment de sa volonté réelle. Le critère du choix équitable rejoint ainsi celui de la volonté rencontré dans les développements précédents : il n'y a pas choix équitable lorsque l'accusé est contraint d'agir contre son gré pour éviter une sanction pénale. On comprend que la Cour parle ici d'un environnement coercitif: oü que l'accusé se tourne, il est confronté à la menace d'une sanction pénale et quel que soit son choix, une condamnation pénale l'attend. En outre, l'intéressé n'a souvent pas beaucoup de temps pour décider de la conduite à adopter, ce qui accro»t d'autant la pression psychologique à laquelle il est soumis. Il résulte de tous ces éléments que, quelle que soit la décision finale du requérant, il aura été soumis à une contrainte abusive portant atteinte à son droit de ne pas s'autoaccuser. 108. Ce qui est inéquitable, c'est de contra indre l'accusé à parler en érigeant le silence en infraction. La simple menace d'une sanction suffit donc à établir la violation de l'article 6, indépendamment du prononcé effectif de cette sanction. En outre, si, dans l'affaire Funke, le requérant avait décidé de garder le silence et d'encourir la condamnation, le choix contraire ne devrait pas priver le requérant de la possibilité d'invoquer une violation de son droit de ne pas s'autoaccuser, quand bien même les déclarations obtenues ne justifieraient pas le déclenchement de poursuites pénales. Ce point est débattu Shannon 106 dans l'affaire . Le gouvernement prétendait qu'il n'est pas contraire à l'article 6 « d'exiger la fourniture de réponses ou d'informations lorsqu'il s'agit d'utiliser ces données dans le cadre d'une enquête extra judiciaire ». Autrement dit, il n'y aurait pas coercition abusive si les éléments recueillis selon une procédure contraignante ne sont pas ensuite retenus comme éléments à charge au cours d'un procés pénal ultérieur. Mais on sent bien l'hypocrisie d'un tel raisonnement : au moment oil les agents de l'administration interrogent l'accusé, ni les enquêteurs ni l'intéressé ne peuvent savoir si les informations recueillies seront probantes ou non. La Cour en est consciente et décide qu'il n'est pas nécessaire que « les éléments potentiellement incriminants obtenus par la contrainte aient été réellement utilisés dans le cadre d'une procédure pénale pour que trouve à s'appliquer le droit de ne pas s'incriminer soi-même ». La motivation est donnée quelques lignes plus loin : « si l'obligation de se présenter à l'interrogatoire avait été imposée à une personne à l'égard de laquelle les autorités ne nourrissaient aucun soupcon ni aucune intention d'engager des poursuites, l'utilisation des pouvoirs coercitifs aurait éventuellement pu se concilier avec le droit de ne pas s'incriminer soi-même ». La CourEDH sait bien que lorsque de forts soupcons pésent sur l'accusé, les informations qui lui sont demandées lors de son interrogatoire ont pour objectif de fonder sa condamnation lors d'un procés pénal ultérieur. Dans de telles conditions, répondre aux enquêteurs constitue pour le requérant un « risque trés réel » (sic) de condamnation. 109. Encore faut-il que ce risque soit immédiat, sinon il n'y a pas de coercition. Ainsi, dans l'affaire Murray107, la Cour décide que, lorsque l'accusé décide de garder le silence pendant un interrogatoire et que les enquêteurs l'avertissent que les juges pourront fonder leur jugement de condamnation sur son mutisme, il n'y a pas coercition abusive car « le requérant a en vérité pu garder le silence ». Il faut comprendre ici que si la pression d'une sanction pénale comme sanction immédiate du refus de parler est inéquitable (affaire Funke), l'éventualité d'une condamnation pénale prononcé lors du procés et fondée sur les conclusions tirées par les juges d'un silence gardé ne place pas l'intéressé dans une position intenable, puisqu'il pourra encore défendre cette position et éviter la condamnation. Contrairement à M. Funke, dont le choix était faussé puisque l'un des membres de 106 CEDH 4 octobre 2005, Shannon c/ Royaume-Uni. 107 CEDH 8 février 1996, John Murray c/ Royaume-Uni. l'alternative constituait une infraction pénale, M. Murray a pu équitablement décider s'il était préférable pour lui de se taire ou de produire des preuves à charge. 110. Une difficulté particulière se pose dans le cas du témoin: l'obligation de prêter serment constitue-t-elle une coercition abusive au sens de l'article 6 ? L'hypothèse est celle de Serves 108 l'affaire , dont la complexité impose de rappeler brièvement les faits. Un juge d'instruction avait auditionné l'intéressé, soupconné en raison d'indices graves et concordants (mais probablement insuffisants pour établir sa culpabilité) d'être l'auteur d'une infraction, ce qui constituait une violation des articles 105 et 109 CPP, lesquels imposent dans une telle hypothèse que l'intéressé soit mis en examen et non pas entendu comme témoin. Ce contournement de procédure permettait au juge d'instruction de menacer l'intéressé de l'amende sanctionnant le refus de prêter serment et le faux témoignage, tout en le privant des droits dont jouit normalement une personne mise en examen. Le «témoin» se trouvait ainsi, a priori, placé dans la même situation que M. Funke mais démuni de la protection de l'article 6. Pourtant, la CourEDH, après avoir décidé que le droit de ne pas s'autoaccuser était applicable en l'espèce 109 , rejette la requête au fond, au motif que, si l'obligation de prêter serment relève d'une certaine coercition, son objectif n'est pas d'obliger l'intéressé à déposer mais simplement de garantir la sincérité des réponses données au juge d'instruction. Autrement dit, il n'est pas contraire au droit de ne pas s'autoaccuser de contraindre un suspect à prêter serment sous la menace d'une condamnation pénale. Pour autant, selon la Cour, cette solution n'oblige pas l'intéressé à être témoin dans sa propre cause puisque, une fois le serment prêté, le témoin n'a pas l'obligation de déposer. Le raisonnement semble donc être le suivant : pour des raisons de bonne administration de la justice, le serment est obligatoire ; il contraint le témoin a dire la vérité, mais uniquement dans l'hypothèse oü l'intéressé déciderait de parler; pour le reste, le droit de ne pas s'autoaccuser étant applicable au témoin, ce dernier peut exercer son droit de taire, sans qu'une condamnation pénale puisse être prononcée de ce chef (sous peine de placer le témoin dans la même situation que M. Funke). Le requérant a donc en l'espèce opposé un refus prématuré: il n'aurait pas dü s'opposer à la prestation de serment mais, une fois ce serment prêté, opposer son droit de se taire Çaux questions du juge qui »110 auraient été de nature à le pousser [à témoigner contre lui -même] . 108 CEDH 20 octobre 1997, Serves c/ France. 109 Cf. supra, n°51 et suivants. 110 Cf. arrêt Serves § 47, précité. Ce raisonnement repose sur une interprétation contestable de l'obligation de prêter serment111 et aboutit à une solution pour le moins paradoxale. En effet, la Cour affirme depuis l'arrêt Funke que la coercition abusive peut être psychologique. Or, on peut légitimement penser que, une fois sous serment et averti des sanctions encourues en cas de faux témoignage, le témoin se sente contraint de déposer (l'omission est un mensonge, bien qu'il soit alors plus difficile à prouver). Mais, précisément, la CourEDH semble préconiser que, confronté à des questions embarrassantes, le témoin sous serment mente par omission. Le droit de se taire permettrait donc de préserver les droits de la défense, que le détournement de procédure de l'espèce mettait en péril. La Cour para»t ainsi consacrer le faux témoignage en défense personnelle, ce qui aboutit à un mécanisme plutôt surprenant : obligé de se placer dans un environnement coercitif au nom de la vérité, le témoin peut en sortir en bafouant cette vérité112. 111. Si l'on écarte l'hypothèse du témoin sous serment, le principe est alors le suivant: il »113 suffit que la procédure << expose le requérant à une sanction pénale ou fasse <<planer sur »114 lui la menace d'une sanction pénale en cas de refus de collaborer à la recherche des preuves, pour que l'intéressé soit plongé dans un environnement coercitif qui porte atteinte à son droit de ne pas s'autoaccuser. Cependant, des pressions psychologiques peuvent également être exercées sur un accusé sans qu'une telle menace plane sur lui. En effet, confrontés à un suspect qui a décidé de garder le silence, les enquêteurs, conscients qu'ils ne peuvent le menacer d'une condamnation pénale pour l'inciter à collaborer, préfèrent parfois passer outre ce refus en obtenant les informations qu'ils recherchent par un moyen détourné. L'interception des conversations d'un accusé, avec un codétenu complice des policiers ou avec ses proches au parloir, est susceptible de violer le droit de l'intéressé de ne pas s'autoaccuser dès lors que cette méthode, profitant de la détresse de l'individu placé dans un environnement coercitif, le prive d'un choix équitable au regard de ce droit. 111 Qui est d'ailleurs à l'origine de la formulation d'une opinion dissidente par trois des juges de la Cour. 112 L'exercice du droit de se taire (afin de préserver les droits de la défense) accède ainsi au rang de fait justificatif du faux témoignage (ce serait un cas particulier de fait justificatif par «autorisation de la Convention»). 113 CEDH 6 juin 2000, Averill c/ Royaume-Uni, § 48. 114 CEDH 21 décembre 2000, McGuiness c/ Irlande, § 49. 2) La contrainte psychologique par provocation ou interception des révélations de l'accusé en cas de refus de collaborer activement a la recherche de preuves
116 son compte la jurisprudence de la Co ur Suprême du Canada , la Cour constate l'absence d'élément témoignant d'une coercition directe, mais estime néanmoins que l'intéressé a subi une pression psychologique qui a affaibli le caractère volontaire de ce qu'il a révélé a son codétenu. L'emploi d'un intermédiaire pour soutirer des informations a l'accusé est donc un Ç subterfugeÈ abusif en ce qu'il permet d'obtenir la collaboration de l'intéressé a sa propre accusation, au mépris de sa volonté. Quant a l'élément de contrainte, il résulte de l'état mental de l'accusé lorsqu'il se confessait a son codétenu: mis sous pression par les enquêteurs lors des interrogatoires, il était placé dans un environnement coercitif qui l'incitait, une fois de retour dans sa cellule, a répondre aux questions insistantes du faux codétenu (pour relâcher la pression en quelque sorte). La motivation de la CourEDH est laconique, mais reste compréhensible. Si la menace d'une sanction pénale crée une pression psychologique immédiate sur l'accusé, la mise en scène de l'affaire Allan développe un processus coercitif plus long mais tout aussi efficace, qui aboutit a contourner le refus de l'intéressé de ne pas répondre aux enquêteurs. Dans cette hypothèse, le suspect se voit initialement offert le choix de se taire ou de collabo rer, mais par un subterfuge est amené a revenir sur sa décision, a son 115 CEDH 05 novembre 2002, Allan c/ Royaume-Uni. 116 Arrêt Allan, § 51. Sur les sources d'inspiration de la conception européenne du droit de ne pas s'autoaccuser, cf. supra, n°17 et suivants. insu et contre son gré. La méthode employée place donc l'accusé dans un environnement coercitif qui, en brisant sa volonté, le prive d'un choix équitable entre conserver le silence et contribuer à sa propre accusation. 114. Le droit de ne pas s'autoaccuser risque également d'être violé lorsque des preuves à charge sont tirées des conversations tenues au parloir entre l'accusé et ses proches. La question avait déjà été soulevée dans l'arrêt Allan, sur le double fondement des articles 6 et 8 ConvEDH. La Cour a été amenée à préciser son raisonnement dans l'affaire Wisse117, mais sur le seul fondement de l'article 8 ; il est donc difficile de donner une réponse tranchée sur la compatibilité entre une telle méthode et le respect du droit de ne pas s'autoaccuser. Confrontés au refus de l'accusé de collaborer à la recherche de preuves, les enquêteurs décidèrent d'intercepter les conversations du détenu lors de ses visites au parloir. Dans l'arrêt Wisse, la Cour semble indiquer que la clé du problème est le critère de la prévisibilité pour l'accusé de l'utilisation qui sera faite du contenu de ses conversations. Ainsi, lorsqu'un détenu ignore que ses entretiens sont écoutés par les enquêteurs dans le but précis d'obtenir les informations qu'il a refusé de leur divulguer, il ne peut prendre la mesure du risque qu'il encourt en parlant. Autrement dit, on pourrait considérer que dans cette hypothèse le requérant ne s'est pas vu offrir un choix équitable entre se taire et s'entretenir avec ses proches, quitte à divulguer des preuves de sa culpabilité. Partant, il y aurait violation de l'article 6. Ce raisonnement est critiqué dans les deux espèces au motif que, si le requérant ignorait l'usage effectif que les enquêteurs feraient des propos recueillis, il savait qu'il était surveillé, puisqu'il avait été informé du caractère systématique des écoutes. La Cour elle-même retient dans l'arrêt Wisse que le requérant placé dans une telle situation parle librement en ayant conscience du risque d'être enregistré. Il y aurait renonciation volontaire au droit de garder le silence, et acceptation libre du risque de collaborer à sa propre accusation. Au final, le caractère équitable de cette méthode ne sera pas tranché sur le terrain de la coercition abusive. La violation du droit de ne pas s'autoaccuser sera examinée au stade du jugement, sur le critère de l'utilisation des éléments de preuve recueillis. 117 CEDH 20 décembre 2005, Wisse c/ France.
118 Arrêt Saunders § 62, précité. Le principe serait alors que les enquêteurs peuvent contraindre l'accusé à participer à la recherche de preuves par une coercition destinée à fléchir sa volonté. Cette coercition ne serait abusive que dans la mesure oü les déclarations recueillies seraient ensuite utilisées en la défaveur de l'intéressé. L'examen de la Cour se ramènerait donc au contrôle de la violation du droit de ne pas s'autoaccuser par les juges nationaux, les enquêteurs ayant quant à eux toute latitude pour rassembler les preuves qui leur seront soumises. La Cour rejette cet argument, estimant que le droit de ne pas s'autoaccuser protège le requérant non seulement au cours du procès, mais également à toutes les étapes de la procédure oü ce droit serait susceptible de subir des atteintes le rendant inefficace une fois l'accusé devant le juge. En outre, elle souligne qu'il est impossible pour l'intéressé de déterminer avec certitude l'usage que les enquêteurs feront de ses déclarations lors de son procès. C'est précisément le rôle de l'accusation et de l'avocat de la défense que de faire dire aux faits une chose et son contraire; partant, aucun propos ne peut être qualifié «d'incriminant par nature»119. Il est donc impossible de préjuger de l'existence d'une autoaccusation; c'est seulement l'utilisation a posteriori des éléments recueillis qui permettra aux juges de décider s'il y a eu atteinte au droit de l'accusé de ne pas s'autoaccuser. Cependant, le critère de l'utilisation n'est pas non plus pertinent pour déterminer si la coercition exercée a été abusive au sens de l'article 6. Il ne s'agit en réalité que d'une précision quant au moment de l'appréciation de ce caractère abusif, précision selon laquelle il reviendrait aux juges nationaux de sanctionner les abus dans la recherche des preuves. L'utilisation ne peut être considérée comme un critère de la coercition abusive, sous peine de retomber sur l'argument du gouvernement. En effet, dans sa décision, la CourEDH se fonde sur l'incertitude de l'accusé concernant l'usage au procès des informations recueillies pour rejeter l'argument du gouvernement, reconnaissant ainsi explicitement que la nature de ces informations se déduit de leur utilisation. Autrement dit, l'utilisation comme l'autoaccusation ne sont pas des critères opérationnels de la coercition abusive ; tout au plus permettent-il d'assurer le respect du droit de ne pas s'autoaccuser au stade du procès pénal. 119 Cf. Saunders, § 72: Ç Un témoignage obtenu sous la contrainte, qui semble de prime abord dépourvu de caractère incriminatoire - telles des remarques disculpant leur auteur ou de simples informations sur des questions de fait - peut par la suite être utilisé dans une procédure pénale à l'appui de la thèse de l'accusation, par exemple pour contredire ou jeter le doute sur d'autres déclarations de l'accusé ou ses dépositions au cours du procès, ou encore saper sa crédibilité È.
de procès pénal fondé sur . Ce scénario permet d'identifier avec certitude le moment d'appréciation du caractère abusif de la contrainte. En effet, ce n'est pas alors le prononcé de la sanction qui importe, mais le simple fait qu'elle soit encourue. Par conséquent, c'est au moment oü le requérant doit déterminer la conduite qu'il va adopter vis-à-vis des enquêteurs, au moment oü il choisit entre le silence et la collaboration, que doit être apprécié le caractère abusif de la contrainte. La 120 Cf. l'arrêt McGuiness, précité. solution posée par la Cour dans chacune des deux hypothèses s'éclaire maintenant d'un jour nouveau. Lorsque l'accusé a été condamné pour avoir conservé le silence, il n'a rien révélé et n'a donc pas stricto sensu collaboré à sa propre accusation, mais il n'en a pas moins été soumis à une coercition abusive; simplement, celle-ci n'a pas produit l'effet escompté, il y a eu tentative de collaboration provoquée121. Par conséquent, l'intéressé est fondé à saisir la CourEDH d'une requête en réparation de cette condamnation sur le fondement de l'article 6, quand bien même il n'aurait pas fait l'objet de poursuites pénales postérieures. Lorsque l'accusé révèle les informations demandées dans le seul but d'échapper aux pressions qu'il subit, ces informations sont viciées par le caractère inéquitable du choix laissé à l'intéressé, indépendamment du caractère accusateur de leur contenu. Si l'accusation estime qu'elles sont suffisamment probantes pour fonder des poursuites pénales, leur utilisation comme preuves à charge au cours du procès pénal sera sanctionnée par une décision d'irrecevabilité prononcée par le juge national. Si celui-ci ne rend pas justice à l'accusé dont la volonté a été bafouée, c'est la CourEDH qui assurera en dernier recours le respect de son droit de ne pas s'autoaccuser. |
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