SECTION PREMIÈRE: LA NOTION DE MATIéRE
PÉNALE
55. Cette notion est difficile à cerner
(I), et la casuistique permet de prendre la mesure
concrète des conséquences de l'analyse (II).
I. L'ÉLABORATION DIFFICILE D'UN CRITéRE DE LA
MATIéRE PÉNALE
56. Certaines affaires sont classiquement incluses dans la
matières pénales, d'autres en sont classiquement exclues (A). La
difficulté principale survient dans les affaires dites mixtes, la
procédure ayant à la fois des aspects pénaux et
extrapénaux (B).
A] LA MATIéRE PÉNALE CLASSIQUE
57. Sont traditionnellement incluses dans la matière
pénale les procédures sur lesquelles a statué une
juridiction pénale nationale. Ce critère n'est pas
contesté, ni par les Etats ni par la CourEDH et l'article 6 trouve ici
pleinement à s'appliquer. Il y a recoupement parfait de la
définition européenne et de la définition nationale de la
matière pénale.
58. Sont en revanche traditionnellement exclues les
procédures administratives. Dans l'arrêt Saunders 59,
la Cour, se citant elle-même, rappelle que l'article 6 est inapplicable
à une enquête administrative Çlorsque les inspecteurs
exercent une mission essentiellement d'investigation et qu'ils ne rendent
aucune décision juridictionnelle ni dans la forme ni quant au fond
È. Il serait malvenu de soumettre une telle procédure aux
exigences du procès équitable car, ainsi que l'indique la Cour
dans le même arrêt60, Ç exiger que semblable
enquête soit assujettie aux garanties d'une procédure judiciaire
énoncées à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) gênerait
indilment, en pratique, la réglementation efficace, dans
l'intérêt public, d'activités financières et
commerciales complexes È.
59 CEDH 17 décembre 1996, Saunders c/
Royaume-Uni, § 67.
60 Ibid.
59. A contrario, lorsque les agents de
l'administration disposent à la fois de pouvoirs d'investigation et de
sanction, l'article 6 pourrait trouver à s'appliquer. La Cour
énonce dans l'arrêt Saunders61 Ç qu'une
enquête administrative peut impliquer une décision sur une
accusation en matière pénale >>. La procédure est
alors mixte, car elle présente à la fois des aspects de
procédure pénale et des aspects de procédure
administrative, ce qui soulève une difficulté d'application de
l'article 6.
B] LES PROCÉDURES MIXTES
60. Le critère organique (1) est rejeté par la
Cour au profit d'un critère finaliste (2). 1) Le rejet du
critère organique
61. Il est possible de considérer que, dans un tel
cas, l'un des aspects de la procédure l'emporte sur l'autre, et celle-ci
prend alors un caractère entièrement pénal ou
entièrement administratif. L'article 6 est corrélativement
applicable ou inapplicable à l'ensemble de la procédure. Cet
argument est fréquemment invoqué en défense par les
gouvernements, le plus souvent dans le sens d'une qualification exclusivement
administrative de la procédure. L'inconvénient de cette solution
est qu'elle nie les particularités de chaque phase des poursuites et
vise à contourner les garanties du procès équitable. Comme
le dit Louis-Edmond Pettiti, Çl'administration possède ses
propres procédures et moyens juridiques de mener à bien ses
enquêtes, mais lorsqu'il s'agit de réprimer pénalement le
manquement d'un citoyen à ses obligations de coopération, les
garanties procédurales de l'article 6 doivent être
respectées, et en cas de désaccord, doivent l'emporter
>>62.
62. La Cour rejette donc cette solution au profit d'une
application de l'article 6 plus subtile qui se fonde sur une définition
particulière de la sanction pénale. Le critère organique,
trop simpliste, est ainsi abandonné au profit d'un critère
finaliste : toute procédure susceptible d'aboutir à la
condamnation du requérant à une sanction pénale appartient
à la matière pénale.
61 Ibid.
62 L.-E. Pettiti, Droit au silence, p.144,
cité en bibliographie.
2) L'adoption d'un critère finaliste: la gravité
de la sanction
63. son Suisse 63
Dans arrét J.B. c/ , la Cour énonce que pour
déterminer si l'article 6 est
applicable à la procédure, il faut tenir compte
d'abord de la classification de l'infraction au regard du droit national, puis
de la nature de l'infraction et enfin de la nature et du degré de
gravité de la sanction que risquait de subir
l'intéressé.
En réalité, lorsqu'on examine la mise en
Ïuvre de ces critères par la Cour, on constate qu'ils se
réduisent au troisième, celui de la sanction pénale. En
effet, le premier critère signifie simplement que, lorsque la
classification retenue par les Etats-membres n'est pas contestée par le
requérant, elle est considérée comme établie, avec
les conséquences qui en découlent sur l'applicabilité de
l'article 6. Mais précisément, dans le cas d'une procédure
mixte, la classification nationale s'avère insatisfaisante, et la Cour
ne s'estime pas liée par celle-ci. Le second critère est en
principe celui qui fonde la classification
nationale de l'infraction et la Cour considère qu'est
une infraction pénale par nature le manquement dont la poursuite est
susceptible d'aboutir à une condamnation pénale. Au final, le
seul critère efficace est celui de la sanction et au sein de ce
critère, celui de la gravité de cette sanction. 64
Ainsi, lorsque le requérant est passible d'une
sanction qui Çne tend pas à la réparation
pécuniaire d'un préjudice, mais a un caractère
essentiellement punitif et dissuasif È65, les poursuites dont
il fait l'objet revétent un caractère pénal et justifien t
l'application de l'article 6§1.
64. Cette définition permet d'incorporer deux grands
modèles de procédures dites mixtes dans la matière
pénale, et de les soumettre aux exigences du procès
équitable. Le droit de ne pas contribuer à sa propre
incrimination trouve ici son domaine de prédilection car c'est
principalement en statuant sur ce type d'affaires que la Cour a
été amenée à consacrer puis à définir
les contours de ce droit.
63 CEDH 03 mai 2001, § 48.
64 En effet, la seule sanction pénale par
nature est une peine d'emprisonnement et, dans ce cas, il n'est pas
contesté que la procédure appartienne à la matière
pénale. Le critère de la nature de la sanction est
inopérant lorsqu'il s'agit d'une amende, celle-ci pouvant aussi bien
ôtre infligée par une autorité administrative que par une
autorité pénale.
65 Arrôt J.B. précité, § 48.
Ce critère est analogue à celui des «répercussions
importantes sur la situation du requérant», cf. infra
n°77 et suivants.
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