CONCLUSION DU PREMIER CHAPITRE
51. Né du souci de préserver le caractere
sacré de la liberté de parole, le droit de ne pas
sÕautoaccuser est devenu lÕun des droits fondamentaux des ordres
juridiques contemporains. Element essentiel dans la théorie de la
preuve, il a inspire des choix procéduraux contrastés, mais qui
visent toujours à améliorer la protection du justiciable. La
procedure pénale est la première concernée
puisquÕelle soumet les libertés individuelles à des
contraintes particulierement importantes : la mise en place du droit de ne pas
sÕautoaccuser a pour but dÕétablir un equilibre
satisfaisant entre les droits des justiciables et les nécessités
de la repression.
Reconnu au niveau inter national, le droit de ne pas
sÕautoaccuser joue un rTMle particulierement important dans le systeme
instauré par la Convention européenne de sauvegarde des droits de
lÕhomme et des libertés fondamentales. En effet, la Cour
européenne des droits de lÕhomme, organe privilégié
dÕinterpretation de la Convention, a installé ce droit au
cÏur de la notion de proces equitable, laquelle occupe elle-même une
place centrale au sein des garanties consacrées. Les Etats-membres
doivent donc assurer, dans leur ordre interne, le respect du droit de ne pas
sÕautoaccuser tel quÕil est défini par la CourEDH.
Cependant, le mécanisme européen nÕest pas toujours facile
à déchiffrer, la Cour refusant de sÕenfermer dans une
construction cohérente mais figée du droit de ne pas
sÕautoaccuser.
52. Il reste relativement aise dÕen identifier le
fondement textuel : puisque ce droit se trouve au cÏur de la notion de
proces equitable, cÕest quÕil se situe au cÏur des
dispositions
de l'article 6 ConvEDH, lequel consacre cette notion. Il est
en revanche beaucoup plus difficile de déterminer l'influence que les
différents paragraphes exercent sur la Cour dans la mise en Ïuvre
du droit de ne pas s'autoaccuser. Si l'on s'en tient à la lettre des
dispositions conventionnelles, les paragraphes 2 et 3 contiennent des exigences
susceptibles de jouer un rTMle sur le mécanisme méme de ce droit.
Quant au paragraphe 1, il rappelle l'exigence générale
d'équité de la procédure, et définit les
matières qui y sont soumises. En conséquence, on peut
légitimement penser que l'article 6§1 est le siège des
dispositions relatives au champ d'application du droit de ne pas
s'autoaccuser.
DEUXIéME CHAPITRE : LE DOMAINE DU DROIT DE
NE PAS S'AUTOACCUSER
53. Parvenu au rang de norme conventionnelle, le droit de ne
pas sÕautoaccuser sÕimpose aux Etats-membres dans les mêmes
conditions que les autres dispositions de la Convention. Cependant, le champ
dÕapplication des textes ne permet pas toujours de donner aux droits qui
en découlent une portée aussi vaste que le principe originel
pouvait le laisser espérer. En raison de ses objectifs, le droit de ne
pas sÕautoaccuser doit pouvoir sÕappliquer à des
espéces quÕil nÕa pas a priori vocation à
régir, sous peine d'être privé dÕune réelle
efficacité. La fin justifiant les moyens, la Cour est parvenue, à
lÕoccasion de la delimitation du domaine du droit de ne pas
sÕautoaccuser, à conférer à ce droit un large champ
dÕapplication.
54. En effet, elle ancre le droit de ne pas
sÕautoaccuser Ç au cÏur des garanties du procés
equitable È. Or, il est des cas oil lÕapplication des regles de
lÕarticle 6 ne serait pas justifiée, car elle serait trop
contraignante
et nuirait à lÕefficacité de la
repression. Dans ces domaines, oil lÕéquité pése
traditionnellement moins lourd dans la balance que
lÕintérêt (la raison) des Etats, il est nécessaire
dÕempêcher la revendication du droit de ne pas
sÕautoaccuser, quel que soit le bien-fondé de la requête
soumise à la CourEDH. Toute la difficulté consiste donc à
assurer lÕeffectivité de ce droit tout en excluant certaines
affaires de son champ dÕapplication. LÕarticle 6§1 determine
le champ dÕapplication du droit à un procés equitable. Par
voie de consequence58, le droit de ne pas sÕautoaccuser se
trouve soumis aux mêmes conditions dÕapplicabilité. Pour
reprendre une expression de la CourEDH, les dispositions pertinentes de cet
article sont ainsi libellées : « Toute personne a droit à ce
que sa cause soit entendue (É) par un tribunal indépendant et
impartial qui décidera (É) du bien-fondé de toute
accusation en matiére pénale dirigée contre elle È.
Notons que les termes mêmes qui sont employés par la Cour excluent
sans doute possible le droit de ne pas sÕautoaccuser du champ des
Ç droits et obligations de caractére civil » egalement vises
par lÕarticle 6.
Il faut donc determiner ce quÕil convient
dÕentendre par matiére pénale (section
première ) et ce quÕest un accuse (section
deuxiime) au sens de la Convention.
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