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Le droit de ne pas s'autoaccuser dans la jurisprudence de la CEDH

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par Jean-Dominique VOISIN
Université Paris II-Assas - Master 2 droit pénal et sciences pénales 2007
  

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II. LA RECHERCHE D'UN FONDEMENT CONVENTIONNEL

33. S'il est loisible à la CourEDH, à la lumière du contexte intellectuel, de retenir une interprétation extensive des textes de facon à en tirer les principes du droit de ne pas s'autoaccuser, encore faut-il identifier le fondement textuel adapté à une telle manipulation. L'article 6 ConvEDH, et notamment la notion de «procès équitable» qu'il consacre, sera, malgré la confusion de la Cour à ce sujet, le fondement certain du droit de ne pas s'autoaccuser (A). D'autres articles sont parfois invoqués par les requérants, et jouent un rTMle plus ou moins important dans le contrTMle du respect du droit de ne pas s'autoaccuser (B).

A] CERTITUDE ET CONFUSIONS :L'ARTICLE 6 COMME FONDEMENT DU DROIT DE NE PAS
S'AUTOACCUSER

34. L'article 6 est assurément le fondement juridique des décisions de la CourEDH. Il consacre le droit à un procès équitable, notion qui sert de porte d'entrée dans la Convention au droit de ne pas s'autoaccuser. Cependant, si l'on s'en tient à la lettre du texte, plusieurs exigences distinctes concourent au procès équitable et sont réparties dans autant de paragraphes.

La Cour n'est pas ici très rigoureuse, et s'il est clair que les dispositions de l'article 6 n'ont pas toutes la méme valeur, il est difficile de déterminer si le droit de s'autoaccuser s'intègre dans le paragraphe 1, le paragraphe 2, ou le paragraphe 3-c de l'article 6.

1) Le fondement certain, l'article 6 et le droit à un procés équitable

35. Si l'on s'en tient à la présentation des dispositions de la Convention, l'article 6 dans son ensemble fonde le droit à un procés équitable : « Article 6 : Droit à un procès equitable ». Il faudrait donc comprendre que les paragraphes suivants sont des exigences particuliéres que les Etats doivent satisfaire afin de prétendre garantir le respect du droit à un procés équitable dans leur ordre interne.

Quoi qu'il en soit, la simple référence à cette notion permet à la CourEDH d'ériger le droit de ne pas s'autoaccuser en regle conventionnelle. Ainsi que l'indique L.-E. Pettiti32, on sait que l'interprétation extensive de la notion du droit à un procés équitable lui permet de développer des garanties non expressément prévues par la Convention. Cette manipulation est d'autant plus aisée en ce qui concerne le droit de ne pas s'autoaccuser, que cette notion est tirée de principes généraux du droit qui répondent à un souci d'équité, d'équilibre entre les parties au sein d'une procédure pénale . La Cour peut ainsi installer ce droit « au coeur de la notion de procés équitable ».

Il ne s'agit toutefois pas ici d'une simple interprétation ; la Cour reconna»t, implicitement, qu'elle fait oeuvre créatrice. Les normes internationales, dont elle prétend s'inspirer pour incorporer le droit de ne pas s'autoaccuser au sein des dispositions de l'article 6, sont en effet muettes sur les limites de ce droit33. C'est donc à la CourEDH qu'il revient de définir le contenu et les contours du droit de ne pas s'autoaccuser. Ce n'est plus ici de l'interprétation, nécessairement déclarative, mais de la construction, puisqu'elle rajoute alors à la lettre du texte.

36. Le droit de ne pas s'autoaccuser a donc pour fondement certain la notion de procés équitable. Toutefois, il est difficile d'identifier ce fondement avec plus de précision, car si le texte de la Convention fait référence à l'équité dans l'intitulé général de l'article 6, cette notion n'est plus reprise ensuite que par le paragraphe 1 et ne se retrouve dans aucun des paragraphes suivants.

32 Droit au silence, p.136, précité.

33 Cf. CEDH 8 février 1996, John Murray c/ Royaume-Uni, § 47.

2) Le fondement récurrent, l'article 6§1

37. L'article 6§1 sert de base juridique à l'intégralité des décisions de la Cour relatives au droit de ne pas s'autoaccuser. Les solutions adoptées ne sont pas toujours fondées exclusivement sur ce paragraphe, mais elles le sont toujours au moins pour partie. L'article est donc autonome par rapport aux paragraphes 2 et 3-c, et peut justifier à lui seul une décision relative au droit de ne pas s'autoaccuser, ainsi que l'attestent les termes employés par la CourEDH, laquelle statue fréquemment sur des griefs <<tirés de l'article 6§1 pris isolément È34.

L'explication est relativement aisée : dans l'esprit de la Cour, ce paragraphe est celui qui consacre véritablement le droit à un procès équitable. Certes, les autres paragraphes participent à cette notion, mais le paragraphe 1 en est le centre névralgique.

La Convention elle-même laisse la porte ouverte à cette interprétation, son article 6§1 disposant que <<toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, (É) È. Pour autant, il ne faut pas en déduire que ce paragraphe occupe une place prépondérante parmi les exigences du procès équitable. Les deux paragraphes suivants, notamment, sont d'une importance considérable, et jouent même un rTMle crucial quant au droit de ne pas s'autoaccuser, plus encore que le paragraphe 1. Par rapport à ce droit, tout se passe comme si le paragraphe 1 ne concernait que son champ d'application, alors que les paragraphes 2 et 3-c auraient trait à son contenu même.

Pourtant, la CourEDH rappelle régulièrement que le droit à un procès équitable est garanti par le paragraphe 1 et que les exigences des paragraphes 2 et 3-c de l'article 6 en représentent des aspects particuliers35. Au final, la confusion n'est que peu dommageable pour le justiciable, puisque les mêmes droits lui seront garantis, que ce soit au titre d'un paragraphe particulier ou du seul paragraphe 1.

38. Néanmoins, en procédant de la sorte, la Cour contribue à faire du paragraphe 1 un article fourre-tout, qui absorbe les deux autres et les prive ainsi de toute autonomie; tout est dans tout, au détriment du sens propre des textes et dans la confusion la plus totale. On aboutit, par exemple, au résultat surprenant que l'article 6§2 est devenu un fondement surabondant des requêtes et pourrait tout aussi bien être supprimé du texte de la Convention,

alors pourtant qu'il consacre un élément central du droit de ne pas s'autoaccuser, la présomption d'innocence.

3) Le fondement surabondant, l'article 6§2

39. La théorie de la preuve est l'un des éléments du contexte idéologique dans lequel se le ne s'autoaccuser 36

situe droit de pas . Or la preuve, en matière pénale, est étroitement liée à

la présomption d'innocence. En effet, les règles d'administration de la preuve sont des règles de procedure qui déterminent à qui incombe la charge de rechercher et d'établir la vérité37. La présomption d'innocence impose que ce rTMle soit rempli d'abord par le ministère public, qui doit prouver la culpabilité du suspect (actori incumbit probatio)38. Ce principe joue un rTMle clé dans la compréhension du mécanisme du droit au silence, qu'on l'envisage sous l'angle du droit de se taire ou du droit de ne pas s'autoaccuser. En conséquence, l'article 6§2 a vocation, au même titre que l'article 6§1, à servir de fondement aux droits considérés.

La jurisprudence lui dénie pourtant ce rTMle, avec une constance sans faille : dans tous les arrêts oil le requérant invoque à la fois une violation de l'article 6§1 et de l'article 6§2, la Cour constate, ou rejette le cas échéant, la violation du droit de ne pas s'autoaccuser sur le fondement du paragraphe 1, et décide que « la conclusion qui précède dispense la Cour de rechercher [s'il y a également eu violation du] principe de la présomption d'innocence »39. Cette solution est d'autant plus étonnante que la Cour affirme, non moins régulièrement, que le droit de ne pas s'autoaccuser est « lié » à la présomption d'innocence40.

En réalité, lorsqu'elle contrTMle le respect du droit de ne pas s'autoaccuser sur le fondement de l'article 6§1, la Cour examine des éléments qui se rattachent à la présomption d'innocence, et donc à l'article 6§2. Dès lors, il n'y a plus lieu de statuer sur le fondement de ces dispositions, puisque la notion de «procès équitable» du paragraphe 1 a complètement absorbé celle de présomption d'innocence41. La Cour lie ainsi le sort des griefs tirés de l'article 6§2 à ceux de l'article 6§1, et peut affirmer que, lorsque ces deux fondements sont invoqués, « l'argument des requérants [tiré de la violation de l'article 6§2] consiste à reprendre la thèse qu'ils ont

36 Cf. supra, n° 23.

37 Cf. L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, n° 576, cité en bibliographie.

38 Ce n'est qu'une fois cette preuve rapportée que l'accusé, au sens de la Convention, doit contribuer à l'établissement de la vérité en tentant d'établir son innocence (reus in excipiendo fit actor).

39 Solution constante depuis CEDH 25 février 1993, Funke c/ France, § 45.

40 Cf. notamment CEDH 17 décembre 1996, Saunders c/ Royaume-Uni, § 65.

41 Cf. CEDH 2 mai 2000, Condron c/ Royaume-Uni, particulièrement révélateur de ce phénomène.

développée sur le terrain de l'article 6§1 de la Convention È. Et de conclure <<qu'aucune question distincte ne se pose à cet égard È42.

40. Le paragraphe 2 est donc devenu, en ce qui concerne le droit de ne pas s'autoaccuser, un fondement surabondant. Cet état de fait est contraire à la lettre du texte, qui n'inclut pas la présomption d'innocence dans les dispositions de l'article 6§1, mais lui consacre sans équivoque un paragraphe distinct : << toute

personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie È. Dès lors que la Cour considère que la notion de procès équitable réside dans le paragraphe 1 et attire à elle toutes les exigences des paragraphes suivants, un tel résultat est inévitable.

Cette présentation est d'autant plus regrettable qu'elle occulte l'importance des droits consacrés par le paragraphe 2 et 3-c de l'article 6 dans la mise en Ïuvre du droit de ne pas s'autoaccuser. L'article 6§3-c bénéficie à ce titre d'un traitement de faveur, dans la mesure oü il n'est pas toujours absorbé par l'article 61.

4) Le fondement combiné, l'article 6§3-c

41. Les dispositions de ce paragraphe consacrent le droit à l'assistance d'un avocat: <<tout accusé a droit notamment à : (É) c-se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix (É) È.

Le rTMle de l'avocat est particulièrement important dans le cadre de la procédure pénale, dans
la mesure oü il apporte son assistance à une personne se trouvant en désavantage dans le
rapport de force qui l'oppose aux enquêteurs ou aux juges. Permettant en quelque sorte de

43

rétablir l'équilibre entre les parties, il est l'un des re ssorts du droit de ne pas s'autoaccuser . Pour autant, ce droit ne saurait résumer à lui seul la notion de procès équitable, et contrairement à la présomption d'innocence, il ne fait aucun doute que l'accès à l'avocat ne peut en être qu'un << élément particulier È. Il est donc compréhensible que la Cour n'envisage la violation de l'article 6§3-c qu'en l'associant à l'article 6§1 (puisque selon l'interprétation consacrée le paragraphe 1 concerne le procès équitable). Les requérants sont ainsi amenés à

42 Ibid.

43 Sur l'importance de l'accès à l'avocat en matière de droit au silence, cf. infra n°125.

fonder leurs griefs Ç sous l'angle de ces deux textes combinés È44.

Cependant, la Cour se montre ici d'une incohérence surprenante, au point que l'on ne sait plus quelle place occupe l'article 6§3-c dans la notion de procès équitable. Si la lecture «combinée» avec le paragraphe 1 l'emporte par le nombre, on trouve également des arrêts qui constatent une violation du droit de ne pas s'autoaccuser, mais rejettent les arguments tirés de l'article 6§3-c, au motif qu'il serait Çsuperflu d'examiner les allégations des r equérants séparément sous l'angle de cet article puisqu'elles se ramènent à dénoncer le caractère inéquitable du procès È45. Le droit à l'assistance d'un avocat se trouve donc absorbé, tout comme le droit à la présomption d'innocence, dans la notion de procès équitable. Plus surprenant encore, un arrêt rejette la violation du droit de ne pas s'autoaccuser sur le fondement de l'article 6§1 pris isolément, mais la constate sur le fondement des articles 6§1 et 6§3 combinés46. Il faudrait donc comprendre que la violation de l'article 6§1 ne suffit pas à entra»ner la violation du droit à un procès équitable, mais que la violation supplémentaire de l'article 6§3 est nécessaire, solution qui contredit les affirmations précédentes de la CourEDH.

42. Face à une telle diversité, il convient de retourner à la lettre, et sans doute à l'esprit, du texte de la Convention. La CourEDH avait statué en ce sens dans un arrêt47, isolé sur ce point, en décidant que le droit de se taire et le droit de ne pas s'autoaccuser étaient fondés sur l'article 6, sans préciser de paragraphe particulier. Cette solution semble être la meilleure, en ce qu'elle fonde la notion de procès équitable sur l'ensemble des paragraphes de l'article 6, permettant à chacun d'eux de jouer son rTMle propre. Preuve en est que, situé au cÏur du procès équitable, le droit au silence fait appel à la fois aux exigences des paragraphes 1, 2 et 3-c, puisque le droit de se taire et le droit de ne pas s'autoaccuser garantissent la présomption d'innocence, mais ne peuvent fonctionner sans exercice des droits de la défense.

43. Quoi qu'il en soit, dans l'état actuel de la jurisprudence de la Cour, il est compréhensible que les requérants, ne sachant trop quelle interprétation adopter, invoquent pêle-mêle les trois paragraphes, au hasard des combinaisons et de manière à ne laisser aucun fondement de cTMté. Poussant le raisonnement au bout, certains requérants vont même plus loin

44 Cf., pour un arrêt récent, CEDH 2 aoüt 2005, Kolu c/ Turquie, § 50.

45 Cf. CEDH 19 septembre 2000, IJL c/ Royaume-Uni, § 77.

46 Cf. CEDH 6 juin 2000, Averill c/ Royaume-Uni.

47 CEDH 8 février 1996, Murray c/ Royaume-Uni, § 45.

et tentent de «ratisser large» en invoquant d'autres articles de la convention au soutien de leur requête. Si la Cour refuse de fonder le droit de ne pas s'autoaccuser sur des dispositions extérieures à l'article 6, elle n'exclut pas pour autant que les autres articles invoqués puissent jouer un certain rTMle quant à la violation de ce droit.

B] AUTONOMIES ET ASSOCIATION : L'ARTICLE 6 COMME FONDEMENT EXCLUSIF DU DROIT DE
NE PAS S'AUTOACCUSER

44. Le droit de ne pas s'autoaccuser protégeant, in fine, la liberté de parole de l'accusé, des requérants ont tenté, sans succès, d'invoquer une violation de ce droit sur le fondement de l'article 10 ConvEDH, qui protège la liberté d'expression (1). Les informations qui leur sont demandées dans le cadre de la procédure pénale tenant à leurs activités personnelles, d'aucuns ont cru, à tort, pouvoir fonder leurs griefs sur l'article 8 de la Convention, mais le droit de ne pas s'autoaccuser ne protège pas la vie privée (2). Enfin, le constat d'une violation de ce droit est facilité, lorsque les méthodes employées par les enquêteurs pour contraindre les accusés à collaborer à la recherche de preuves s'apparentent à une violation de l'article 3 ConvEDH (3).

1) Le fonctionnement autonome des articles 10 et 6 de la Convention

45. L'article 10 dispose que Ç Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques (É) È.

On retrouve ici l'idée, évoquée dans les sources intellectuelles du droit de ne pas s'autoaccuser, selon laquelle tout homme doit pouvoir être maître de sa communication avec autrui48. L'argument consiste alors à dire que communiquer implique la liberté de parole mais également la liberté du silence, du refus de communiquer. Ainsi, la liberté d'expression d'un accusé serait en cause lorsque les enquêteurs le contraignent à révéler des informations qu'il n'a pas envie de révéler : cette contrainte serait une forme d'ingérence au sens de l'article 10 ConvEDH.

La Cour répond à cet argument, de facon un peu abrupte, que le requérant Ç n'a fourni aucun
élément de nature à démontrer la nécessité de considérer ledit grief aussi sous l'angle de

l'article 10. Il n'y a donc pas lieu de rechercher s'il y a eu violation de cette disposition »49. Encore une fois, la Cour rejet te l'examen de la question lorsqu'elle est posée sur un fondement différent du proces équitable, des lors qu'elle a déjà retenu une violation du droit de ne pas s'autoaccuser sur ce fondement. La réponse de la Cour semble à première vue indiquer que le respect du droit de ne pas s'autoaccuser pourrait être examiné sur la base de l'article 10, à condition que les éléments propres à ce texte soit réunis en l'espece (« sous l'angle de »). En réalité, une telle interprétation n'est pas permise, car elle irait à l'encontre de l'esprit des articles 6 et 10 ConvEDH.

En effet, si la notion de proces équitable peut accueillir le droit de ne pas s'autoaccuser, c'est parce que les conditions du respect de ce droit correspondent aux exigences posées par les principaux paragraphes de l'article 6 ; en quelque sorte, l'objet de la protection du droit à un proces équitable recoupe par intégration celui du droit de ne pas s'autoaccuser. La violation du second n'est qu'un moyen particulier de violation du premier.

En revanche, contrairement à ce que l'on pourrait penser au premier abord, l'article 10 a un objet de protection différent. Il protege certes la liberté de parole, mais uniquement dans son aspect positif, afin de permettre à tous les citoyens de s'exprimer sans risque de censure étatique. Sa finalité n'est nullement de protéger le droit au silence d'un accusé face aux investigations abusives des enquêteurs.

Le « résultat voulu par l'article 6 »50étant différent du résultat recherché par l'article 10, il est vain d'invoquer ce dernier à l'appui d'une requête en constatation de la violation du droit de ne pas s'autoaccuser. En revanche, il n'est pas impossible que des faits constitutifs d'une violation de l'article 6 soient également constitutifs d'une violation de l'article 10, des lors que les exigences propres à chacun de ces articles ont été bafouées51.

46. Les requérants sont donc «hors sujet» lorsqu'ils invoquent l'article 10 au soutien d'une requête tendant à constater la violation de leur droit à ne pas s'autoaccuser. La

49 CEDH 20 octobre 1997, Serves c/ France.

50 CEDH 8 février 1996, John Murray c/ Royaume-Uni, § 45.

51 La solution fait penser au concours d'infractions : les valeurs européennes protégées par l'article 10 et l'article 6 n'étant pas les mêmes, lorsque les faits portent atteinte à ces deux valeurs à la fois, il y a concours réel d'infractions (encore faut-il que les requérants fassent la preuve de cette double atteinte). En revanche, lorsqu'ils invoquent une violation du droit de ne pas s'autoaccuser sur le double fondement des articles 6 et 10, ils se placent sur le terrain d'un concours idéal d'infractions, ce qui d'abord est impossible en raison des valeurs distinctes que ces articles protegent et ce qui ensuite, à supposer ces valeurs identiques, serait vain puisque la Cour déciderait alors que la violation de l'un des articles suffit à établir la violation du second (pour les mêmes raisons que celle examinées supra, n°33 et suivants.). Le même raisonnement s'applique aux articles 6 et 8.

confusion est similaire lorsque la requête est fondée sur l'article 8 de la Convention.

2) Le fonctionnement autonome des articles 8 et 6 de la Convention

47. L'article 8 ConvEDH dispose que Ç toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance È. Cet article a été invoqué dans deux types d'affaires: lorsque les enquêteurs contraignent le requérant à fournir des documents en

52

sa possession , lorsqu'ils dissimulent un dispositif dans son parloir 53

ou d'enregistrement , ils

violeraient le droit de l'accusé à ne pas s'autoaccuser en portant atteinte à sa vie privée et familiale, à son domicile ou à sa correspondance.

Formulées ainsi, les requêtes s'exposent à des critiques identiques à celles formulées en matière de cumul des articles 6 et 10: pour les mêmes raisons, il est impossible de se prévaloir d'une violation du droit de ne pas s'autoaccuser sur le fondement de l'article 8. La Cour, dans l'arrêt McGuiness, rejette ainsi en même temps les griefs tirés d'une violation de l'article 8 et ceux tirés d'une violation de l'article 10 : Ç les griefs des intéressés sur le terrain des articles 8 et 10 de la Convention ne soulèvent aucune question distincte [du grief que la Cour a examiné sous l'angle de l'article 6 de la Convention] È.

En revanche, si la possibilité que la Cour admette une violation simultanée des exigences propres aux articles 6 et 10 ConvEDH était restée théorique, elle a reconnu que des faits puissent être constitutifs à la fois d'une violation du droit de ne pas s'autoaccuser et de l'article 8 de la Convention. Ainsi, dans l'arrêt Allan précité, l'enregistrement des conversations d'un coaccusé au parloir et avec son codétenu a été invoqué avec succès comme l'un des éléments constitutifs (associés à d'autres faits) à la fois d'une violation de l'article 6 et de l'article 8. Cependant, il ne s'agit pas là d'une violation combinée comme on a pu en voir entre les différents paragraphes de l'article 6, mais bien d'une violation autonome de chaque droit considéré, dont les conditions propres n'ont pas été respectées54.

48. Il n'en reste pas moins que ni l'article 10 ni l'article 8 ConvEDH ne peuvent servir de fondement à une requête tendant à constater la violation du droit de ne pas s'autoaccuser.

52 Cf., notamment, CEDH 21 décembre 2000, Heaney et McGuiness c/ Irlande.

53 Cf., notamment, CEDH 5 novembre 2002, Allan c/ Ro yaume -Uni.

54 Il y a ici, en quelque sorte, concours réel d'infractions entre la violation du droit de ne pas s'autoaccuser et la violation de la vie privée.

La solution est identique pour l'article 3 de la Convention, mais sur ce point seulement. Les articles 3 et 6 ne sont pas autonomes, puisque, en cas de qualification d'actes de torture ou de traitements inhumains et dégradants, les faits concernés sont également constitutifs d'une violation du droit de ne pas s'autoaccuser.

3) Le fonctionnement combiné des articles 3 et 6 de la Convention

49. L'article 3 ConvEDH dispose que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Cette affirmation laconique a pour conséquence qu'il y a violation de l'interdiction posée par l'article 3 chaque fois que la Cour qualifie un fait d'acte de torture ou de traitement inhumain ou dégradant, selon ses propres criteres de définition.

Le traitement inhumain et dégradant, le seul constaté dans les arrêts qui concernent le droit de ne pas s'autoaccuser, est défini par la Cour comme « celui qui provoque des souffrances mentales ou physiques d'une intensité particuliere »55. Or, le traitement qui soumet un accusé à une coercition psychologique, bien que d'une gravité moindre que le traitement inhumain, entra»ne violation du droit de ne pas s'autoaccuser si la contrainte exercée dépasse le seuil fixé par la Cour56. Qui peut le plus peut le moins ; par conséquent, les exigences des articles 3 et 6 ayant ce critere en commun, des lors que la Cour qualifie un fait de traitement inhumain et dégradant, elle devrait constater que ce fait entra»ne violation du droit de ne pas s'autoaccuser.

Cependant, les exigences de ce droit ne se résument pas à l'interdiction d'exercer une contrainte psychologique sur l'accusé ; des conditions supplémentaires sont requises. Par rapport à la qualification de traitement inhumain ou dégradant, la conséquence est que la violation de l'article 3 n'emporte pas nécessairement violation de l'article 6. Simplement, elle établit que le traitement auquel les enquêteurs ont soumis l'accusé a été inique, mais l'absence d'équité à ce stade de la procédure peut être réparée au stade du jugement, dans les conditions propres au droit de ne pas s'autoaccuser57 .

55 CEDH 25 avril 1978, Tyrer c/ Royaume-Uni, Rec. Série A n° 26.

56 Sur la coercition psychologique, cf. infra, n°105 et suivants.

57 Cf. infra, n°123 et suivants. La combinaison des articles 3 et 6 retenue en pratique par la CourEDH est donc relativement complexe, mais ce n'est là qu'une conséquence de la complexité du mécanisme même du droit de ne pas s'autoaccuser.

50. Les articles 3 et 6 ConvEDH ne sont pas autonomes puisque, contrairement à la violation des articles 8 et 10, la violation de lÕarticle 3 a une influence sur le mécanisme du droit de ne pas sÕautoaccuser. Cependant, la combinaison des articles 3 et 6 nÕest pas identique à celle des différents paragraphes de lÕarticle 6 entre eux. Il ne sÕagit pas ici dÕune absorption dÕun article par un autre ; simplement, le traitement inhumain et dégradant correspond à lÕun des elements de violation du droit de ne pas sÕautoaccuser. LÕassociation des exigences des articles 3 et 6 peut etre utile au contrTMle de la Cour, mais ils nÕen restent pas moins indépendants, dans la mesure oil la violation de lÕun nÕentra»ne pas immanquablement la violation de lÕautre.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault