CONCLUSION DE LA SECTION DEUXIéME
160. L'enquête a pour finalité de rechercher les
preuves qui permettront au juge de se prononcer sur le culpabilité du
suspect. Lorsque la recherche de preuves a violé l'article 6 ConvEDH,
c'est donc aux juridictions nationales qu'il incombe, en premier lieu, de
réparer les atteintes au procès équitable. La CourEDH
assure le dernier niveau de protection, en identifiant les méthodes qui
peuvent être qualifiées de coercition abusive, et en
contrôlant l'impact des éléments de preuve qu'elles ont
permis de recueillir. L'influence que ces éléments ont
exercée sur les juges nationaux fait ainsi l'objet d'un contrôle
qui distingue les violations du droit de ne pas s'autoaccuser et les violations
du droit de se taire.
161. Au titre des premières, la CourEDH sanctionne les
décisions fondées sur les déclarations du requérant
obtenues par l'usage d'une coercition abusive. L'aveu contraint lie le juge en
ce qu'il est impossible à ce dernier d'accueillir un tel él
ément comme preuve de la culpabilité de
l'accusé153, même corroboré par d'autres
pièces à charge. Le droit de ne pas s'autoaccuser est donc un
droit absolu154 et ne tolère à ce titre aucune
dérogation. L'intérêt public à réprimer
certains comportements particulièrement nuisibles à la
société, par exemple en matière de droit des
sociétés ou de terrorisme, ne saurait justifier que l'Etat ait
recours à la coercition abusive afin de faciliter l'établissement
de la culpabilité de l'accusé.
151 Ce qui explique que l'appel de la condamnation du jury ne
soit pas considérée comme une garantie suffisante de
l'équité de la procédure, cf. arrêt Condron §
63 et suivants, précité.
152 Arrêt Condron, précité.
153 Qu'il y ait ou non condamnation au final, cf. arrêt
McGuiness, précité.
154 C'est ce qui ressort de la jurisprudence de la Cour, bien que
celle-ci se refuse à le reconna»tre expressément, sans doute
pour ne pas être liée par sa propre jurisprudence.
L'originalité du mécanisme mis en place par la
Cour consiste essentiellement dans la définition de la coercition
abusive, indépendante des règles nationales de recherche de
preuves, ce qui peut imposer au juge de désobéir à son
propre droit s'il veut se conformer aux exigences de la Convention. Quant au
critère de l'impact, il n'est intéressant que dans la mesure
oü il précise la portée de l'aveu contraint: l'interdiction
étant absolue, c'en est fini, sur ce point précis, de l'intime
conviction du juge. Ce dernier n'est libre ni de qualifier la contrainte, ni
d'apprécier la force probante de l'aveu extorqué, il doit
impérativement se conformer aux règles conventionnelles
d'admissibilité de la preuve.
162. Au titre des violations du droit de se taire, la CourEDH
sanctionne les décisions fondées sur la seule circonstance que
l'accusé a gardé le silence lors de l'enquête. Ce droit
n'est pas absolu et le juge reste libre de condamner l'accusé qui ne se
disculperait pas, au stade du procès, mais préfèrerait
conserver le silence. La Cour se contente de rappeler ici des règles
classiques d'administration de la preuve, sans apporter d'élément
nouveau si ce n'est, peut être, en matière d'appréciation
de la force probante des commencements de preuve. Bien que moins original, ce
mécanisme est pourta nt le complément nécessaire du droit
de ne pas s'autoaccuser : puisque l'accusé ne peut être contraint
à produire des pièces à charge, il doit pouvoir se taire
sans encourir de condamnation. De même que se défendre, ce n'est
pas s'accuser, se taire, c'est ne pas s'autoaccuser.
163. Le critère de l'impact permet de comprendre le
fonctionnement du système mis en place par la CourEDH. Droit de se taire
et droit de ne pas s'autoaccuser participent ainsi d'un même
mécanisme de protection du droit au silence. Ce dernier joue, en
matière pénale, un rTMle particulièrement important
puisqu'il contribue au respect de la présomption d'innocence, et
garantit le traitement équitable de l'accusé d'un bout à
l'autre d'une procédure susceptible d'affecter considérablement
les libertés individuelles.
Néanmoins, les rapports entre le droit au silence, les
droits de la défense, le droit à la présomption
d'innocence et le droit à un procès équitable sont
difficiles à établir. La CourEDH est peu explicite sur ce point,
et préfère préciser ses solutions au cas par cas au lieu
de construire un ensemble cohérent et lisible. Il n'est toutefois pas
impossible, à partir des indices fournis par la Cour, d'esquisser
à titre de conclusion générale un portrait d'ensemble,
afin de situer le droi t au silence au sein d'un contexte
hiérarchisé et ordonné.
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