CHAPITRE 1.
L'ÉVALUATION DU DOMMAGE ENVIRONNEMENTAL
CAUSÉ PAR LA POLLUTION PAR DES DÉCHETS
INDUSTRIELS
101. En fonction de la gravité d'une atteinte {
l'environnement, certains dommages peuvent être réparés
plus ou moins convenablement tandis que d'autres malheureusement sont
intrinsèquement irréparables parce que l'atteinte est par nature
irréversible ou purement abstraite. Une seule atteinte environnementale
génère souvent divers préjudices et d'importantes
nuisances qui naissent par ramifications.
102. La réparation des dommages née d'une
atteinte environnementale peut être judiciaire ou extrajudiciaire. La
réparation extrajudiciaire est surtout pratiquée dans les pays
anglosaxons et s'opère par voie transactionnelle c'est-à-dire par
règlement { l'amiable entre les dommageurs et les victimes donc en
dehors de la justice. Cette voie pacifique de règlement à
l'avantage de préserver les relations entre victimes et dommageurs mais
souvent l'inconvénient d'accorder de faibles indemnités aux
victimes. Quant à la réparation judiciaire plus fréquente,
hormis sa lenteur, elle à vocation à trouver un équilibre
entre le tort environnemental crée par le dommageur et le coût de
la réparation dû aux victimes. Dans tous les cas, le
problème est de savoir quels sont les dommages qui doivent être
pris en compte au moment de la réparation (section 1)? Et comment les
évaluer concrètement (section 2)?
Section 1. Les préjudices réparables
103. En principe pour être réparables, les
dommages doivent avoir un caractère «personnel. Ce qui signifie que
l'atteinte doit avoir directement ou indirectement des conséquences pour
l'être humain. De prime abord on pourrait alors penser que les atteintes
environnementales sans répercussions sur les personnes ne sont pas
réparables dans la mesure une telle action ne pourrait être
exercée à défaut de victime (demandeur) donc en l'absence
de la qualité pour agir. Mais il n'en est pas ainsi, d'abord parce
certaines atteintes au milieu naturel sont réparables sur le fondement
de la théorie du préjudice écologique pur sans avoir
à prouver matériellement les conséquences
immédiates sur les hommes; ensuite parce que tout bien ou toute chose
qui existe dans la nature est par nature un bien collectif qui a
forcément une utilité connue, inconnue, ou non
découverte48 de sorte que son altération a des
répercussions sur la communauté humaine. Or,
intrinsèquement, le préjudice collectif est luimême admis
en justice { travers les groupes de défense d'intérêts
collectifs ou des associations de défense de la nature. On comprend
alors que toute atteinte { l'environnement quelle qu'elle soit peut, ne
serait-ce que subtilement constituer un motif d'action en justice pour obtenir
réparation.
48 Dans l'affaire de l'Erika, TGI de Paris, 16 janvier
2008, «le tribunal démontre que la notion d'intérêt
personnel { agir ne rime pas uniquement avec l'intérêt individuel
mais englobe aussi les intérêts collectifs~, NEYRET Laurent, op.
cit p.2685.
I- LES PRÉJUDICES CAUSÉS À
L'ENVIRONNEMENT
104. Les atteintes à l'environnement
touchent gravement l'écosystème, les ressources biotiques et
abiotiques en sus des préjudices directement ou indirectement
causés aux personnes.
A/Les préjudices causés aux ressources naturelles
et à la faune
1°) L'impact de la Directive
européenne 2004/35 dans la réparation du préjudice
écologique
105. Conformément à la
Directive 2004/35 (annexe 1) les atteintes réparables doivent être
celles qui sont significatives, mesurables et leur prise en compte doit
être fonction du nombre d'individus touchés, la densité et
la surface couverte par l'atteinte, le degré d'implication de ces
individus dans la conservation de l'espèce ou de l'habitat, la
rareté des espèces touchés, leur capacité de
multiplication, la capacité de régénération
naturelle, la capacité de l'espèce ou de l'habitat { se
rétablir en un temps limité. L{ encore, le choix balance en
faveur de la large admission du préjudice objectif (matériel) au
détriment du préjudice subjectif.
106. Doit être réparé
avec une attention particulière, en cas d'atteinte { l'environnement, le
préjudice écologique pur; en d'autres termes, les
préjudices liés { la destruction ou à la
dégradation de la nature, la perte de valeur esthétique que ceci
induit. Le préjudice écologique pur est une atteinte au milieu
naturel, aux «choses communes» appelées
«biens-environnement». Selon l'article 2-11 de la Convention de
Lugano, «l'environnement comprend les ressources naturelles abiotiques
et biotiques, telles que l'air, le sol, la faune et la flore et l'interaction
entre les mêmes facteurs, les biens qui composent l'héritage
culturel et les aspects caractéristiques du paysage». C'est
l'ensemble de ces éléments que la réparation du
préjudice environnemental objecte de couvrir. Métonymiquement,
certains parlent même de plus en plus de «lésions {
l'environnement>49. C'est cette orientation de personnification
de l'environnement que semble adopter la Directive communautaire 2004/35
précitée. En plus du dommage direct dont la responsabilité
incombe au dommageur qui en est l'auteur, la réparation inclut tout
dommage indirect c'est-à-dire tout autre préjudice
collatéral.
107. Conformément { l'annexe II-1 de
la Directive européenne 2004/35 «la réparation de
dommages environnementaux liés aux eaux ainsi qu'aux espèces ou
habitats naturels protégés s'effectue par la remise en
l'état initial de l'environnement par une réparation, primaire,
complémentaire et compensatoire...». Ces trois phases de
réparations du préjudice écologique constituent un panel
complet de restauration de l'environnement. La réparation primaire
désigne l'ensemble des mesures qui doivent permettre aux ressources
naturelles endommagées ou services de recouvrer leur état initial
ou un état voisin. Par contre, l'objectif de la réparation
complémentaire est de fournir aux ressources naturelles ou aux services
en cas de non retour des ressources à leur état initial
(échec des mesures primaires) ce dont elles
bénéficieraient si le site ou la ressource endommagée
avait pu être remis à son état initial. Quant à la
réparation compensatoire, comme son nom l'indique sa vocation est de
suppléer, de combler les pertes provisoires de ressources
49 V. VINEY (G.), op.cit., p. 44.
naturelles endommagées en attendant leur
régénération. S'agissant des sols pollués ou
contaminés, il est prévu de supprimer les contaminants ou
à tout le moins, de réduire leur virulence de sorte à ce
qu'ils ne puissent pas avoir d'impact négatif sur la santé
humaine et la biodiversité.
108. Pour réussir la réparation selon cette
Directive «les options de réparation raisonnables devraient
être évaluées { l'aide des meilleures technologies
disponibles lorsqu'elles sont définies suivant des critères
suivants : les effets de chaque option sur la santé et la
sécurité publique, le coût de la mise en oeuvre de
l'option, les perspectives de réussite de chaque option, la mesure dans
laquelle l'option empêchera tout dommage ultérieur et
évitera des dommages collatéraux, la mesure dans laquelle chaque
option a des effets favorables pour chaque composant de la ressource naturelle
ou du service, la mesure dans laquelle chaque option a des aspects sociaux,
économiques et culturels pertinents..., le délai
nécessaire { la réparation effective du dommage
environnemental, la mesure dans laquelle chaque option permet la remise en
état du site du dommage environnemental, le lien géographique
avec le site endommagé>. S'agissant de la réparation des
sols, les mesures prises doivent permettre de garantir au minimum la
suppression, le contrôle, l'endiguement ou la réduction des
contaminants concernés.
2°) L'originalité du
système américain de réparation du préjudice
écologique
109. Le système américain de l'OPA, prend en
compte dans la réparation du préjudice écologique, comme
dommages réparables ceux touchant «à la terre, aux poissons,
à la faune sauvage, { l'ensemble des formes de vie animale et
végétale dans un système donné, l'air, l'eau, les
eaux souterraines, les provisions d'eau potable et autres ressources y compris
celles de la zone économique exclusive»50. En revanche,
exclut-elle de son champ d'application «les ressources qui ont un
propriétaire, celles qui sont gérées ou tenues en trust,
celles qui sont contrôlées par les États-Unis, soit par un
gouvernement étatique ou local, soit par une tribu indienne ou un
gouvernement étranger. Mais contrairement { la Directive
européenne susvisée, l'OPA inclut dans les critères de
qualification du préjudice écologique «la perte de
valeur» des ressources naturelles et plus largement de la
biodiversité. Dans cette perspective, la simple perturbation des
habitats des espèces fauniques est constitutive du préjudice
écologique, même si par ailleurs cette loi dit que l'atteinte
environnementale est celle qui induit un changement mesurable ou observable
c'est-à-dire notoire. Il suit que dans le système
américain la notion de dommage écologique est plus large que ne
l'a voulu la Directive.
110. Concrètement, dans la réparation, les
conventions internationales renvoient souvent aux législations
nationales l'initiative de fixer ou de déterminer la valeur ou le
coût de chaque composante de l'écosystème (poisson, oiseau,
tec, insecte, plantes diverses...) soit forfaitairement en élaborant un
canevas (barème), soit au cas par cas, en recourant à des
expertises ou en parvenant à un consensus entre victimes et dommageurs.
Pour le préjudice écologique pur, c'est
généralement l'État qui se présente en victime pour
réclamer réparation au nom de la collectivité, en tant que
«propriétaire» de tous les biens collectifs et choses
placés hors
50 V. CORNU-THENARD (Emilie), op. cit. p.176.
d'appropriation se trouvant à l'intérieur de ses
frontières. Seuls les préjudices directs et effectifs
causés { l'environnement sont généralement admis.
111. L'on peut par extension inclure au titre du
préjudice environnemental, le coût de la réparation
environnementale, c'est-à-dire l'ensemble des dépenses de
nettoyage des lieux pollués et des contaminants, les frais
générés par l'arrêt et la stabilisation de
l'incident ou de l'accident écologique, les frais de prévention
temporaires pour éviter les risques d'aggravation des dommages, les
frais de capture, de soin et de sauvetage de la faune. Autrement dit, en plus
de l'atteinte { la nature, les préjudices immédiatement
nés de la sauvegarde temporaire du lieu dégradé (usine,
mer, forêt). Il s'agit grosso modo des préjudices nés de la
prise de mesures d'urgence visant à pallier le pire. Ces coûts ne
sont donc pas à confondre avec les dommages et intérêts qui
pourraient être supportés par les responsables, ni les frais
d'expertise et le coût des services rendus, les frais de
décontamination et tous les autres coûts induits par des travaux
qui n'appelaient pas de célérité ou d'urgence au sens
strict.
112. Du reste, l'on doit en revanche, s'interroger de savoir
si le préjudice écologique pur est d'ordre patrimonial ou d'ordre
extrapatrimonial? Tout dépend de la place que l'on donne { la nature
(bien privé ou bien collectif) et des sujets de droit que l'on
considère comme victime. Le préjudice écologique est
certainement un préjudice extrapatrimonial parce que la nature n'a pas
de prix et parce qu'elle symbolise plus que le simple bien matériel. Le
préjudice écologique peut également être
considéré d'un autre point de vue comme un préjudice
d'ordre patrimonial ne serait- ce qu'en considérant que
intrinsèquement l'environnement comme est un patrimoine commun national
ou international. De ce point de vue, l'on supposera que ce n'est pas parce que
l'environnement n'est pas dans le marché qu'il n'a pas de prix, mais
c'est parce qu'il est hors de prix car trop cher qu'il n'est pas sur le
marché. Ceci est d'autant vrai que dans certains pays tels les
États- Unis, de milliers de particuliers richissimes achètent
pratiquement la nature, ou une grande partie de l'environnement incluant la
biodiversité, avec toutes les prérogatives qui s'y attachent
(usus, fructus et abusus).
B/Les préjudices liés aux personnes et aux biens
1°) Les atteintes aux personnes
113. S'il est indéniable que l'atteinte {
l'environnement est source de divers préjudices { classification
variable, il reste que parmi ces préjudices la loi51
environnementale et la jurisprudence n'admettent que quelques uns, pendant que
d'autres sont accueillis avec plus de circonspection. Les préjudices
personnels objectifs, c'est-à-dire les lésions directement ou
indirectement subies par les personnes (pertes ou détérioration
d'un bien privé, mort de personne, perte d'un membre du corps, atteinte
{ l'intégrité physique avec incapacité partielle ou
totale, pertes économique ?perte d'une chance?ou ?gain
manqué?...) sont mieux acceptées que les préjudices
personnels subjectifs ou immatériels (préjudice psychologique
évolutif ou non, moral, affectif) permanents ou temporaires. De ce qui
précède, l'on en déduit que dans la réparation du
dommage environnemental, les
51 La Directive 2004/35 par exemple préconise
de s'en tenir aux préjudices objectifs significatifs.
préjudices patrimoniaux sont privilégiés
par rapport aux préjudices extrapatrimoniaux ce, contrairement à
la réparation des dommages de droit commun. Mais dans la vague des
préjudices subjectifs, le préjudice moral (la réputation
d'une personne, l'image de marque d'une ville, d'un paysage donné,
échec des actions de protection d'une ressource naturelle ou
faunistique, perte de l'esthétique) est accueilli plus facilement que le
préjudice psychologique (symbole de l'endroit détruit,
considération immatérielle, peur, anxiété dû
au dommage).
114. S'il en est ainsi, c'est parce que, d'une part, dans
l'atteinte environnementale, il y a tellement de préjudices qu'il est
nécessaire de les filtrer en imposant aux victimes des critères
d'admission. Cette exigence constitue une sorte de garantie
d'équité, d'évitement d'erreur judiciaire, et enfin un
obstacle justifié pour ne pas banaliser le procès
environnemental. C'est aussi, d'autre part, parce que la nature est
considérée comme un bien sans maître, un bien qui ne doit
servir de prétexte à quiconque pour s'enrichir personnellement.
En barricadant, la fenêtre des préjudices réparables, la
jurisprudence52 n'a-t-elle pas cependant fait un pas en avant et
deux pas en arrière? Elle, qui plusieurs années auparavant a
admis un préjudice écologique pur, s'établissant de
manière plus large dérogeant au droit commun, la victime n'ayant
pas forcément à démontrer que le dommageur a commis une
faute pour bénéficier de la réparation?.
2°) Les dommages aux biens
115. Certains préjudices environnementaux concernent
directement ou indirectement des biens, meubles ou immeubles. Ces dommages aux
biens désignent les situations de destruction, de
détérioration, de perte de valeur marchande de biens
appropriés { la suite d'atteintes { l'environnement. Par exemple, la
démolition accidentelle d'un immeuble { la suite d'un incendie
volontaire. La réparation des dommages causés aux biens est plus
facile à réaliser en matière environnementale que les
dommages écologiques. La plupart des biens, sont des biens marchands qui
ont des prix indicatifs connus sur le marché auxquels il faut se
référer. L'évaluation de ce type de préjudice n'est
pas sujette { des complications particulières.
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