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La réparation du dommage environnemental causé par la pollution par des déchets industriels en droit international de l'environnement

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par Soumaà¯la AOUBA
Faculté de Droit et de Science à‰conomique de l'Université de Limoges (FRANCE) - Master 2 en Droit International et Comparé de l'Environnement 2010
  

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CHAPITRE 2 :

LA DÉTERMINATION DE LA RESPONSABILITÉ ENVIRONNEMENTALE DU FAIT DE LA POLLUTION PAR DES DÉCHETS INDUSTRIELS

63. Pendant longtemps, la mise en oeuvre de la responsabilité environnementale des pollueurs et des dommageurs de l'environnement ainsi que la réparation des préjudices qui en résultaient, se faisaient essentiellement sur le fondement des règles civiles de la responsabilité, soit délictuelle, soit quasi-délictuelle, soit contractuelle, soit du fait des produits défectueux. Cependant, force a été de constater que ces règles civiles qui plaçaient uniquement l'homme au centre des préoccupations et de protection se sont avérées inadaptées à protéger efficacement l'environnement et { régir les dommages environnementaux du fait d'une part, de leur faible propension { la prévention et d'autre part, des exigences de la preuve de la matérialité du dommage c'est-à-dire de la faute ainsi que du lien de causalité. A l'inverse, la protection de l'environnement, bien collectif non approprié, aspirait à s'enclencher par la simple perception de l'éventualité de la menace ou du risque sans qu'il ne soit besoin de faire la preuve scientifique de l'atteinte. Le démariage entre responsabilité civile de droit commun et la responsabilité environnementale se réalisait dès lors au point d'accoucher d'une responsabilité intermédiaire centré sur le dommage écologique.

64. Dès 1993, la Convention de Lugano (article 2, 7°) distingua clairement les «dommages communs» du «dommage écologique» perçu comme les pertes ou les dommages «résultant d'une altération de l'environnement». Cette consécration du préjudice écologique pur rendu possible par les efforts conjugués d'une législation internationale innovante et d'une jurisprudence audacieuse a marqué inéluctablement une étape importante en droit international de l'environnement. Ce renouveau de la responsabilité civile environnementale a été surtout facilité par la jurisprudence27, car le droit positif qu'il soit interne ou international, est souvent lent { réagir du fait de son inflexibilité. Mais, les difficultés de détermination de la responsabilité environnementale au plan international ne s'arrêtent pas aux dommages. Car pour situer ces responsabilités, il faut, suivant les nationalités des parties (auteurs et victimes), le lieu de perpétration du dommage environnemental, trouver non seulement la juridiction qui a compétence internationale à trancher

27 A titre illustratif, en droit comparé notamment en France, on peut relever l'affaire du Naufrage de l'Erika qui a vu la jurisprudence française s'affranchir des strictes règles civiles pour consacrer, sans anicroches, l'autonomie de l'atteinte { l'environnementale et par ricochet, la particularité du préjudice écologique en tant que préjudice objectif et distinct. La jurisprudence a également suivi la cadence puisqu'elle retient dans la même affaire Erika explicitement l'autonomie «du préjudice résultant de l'atteinte { l'environnement». Cette consécration marque un pas important dans le traitement des atteintes { l'environnement. V. MARTIN (Gilles J.), «La responsabilité civile pour les dommages { l'environnement et la Convention de Lugano, RJE 2-3/ 1994, p. 123.

du litige, mais encore, trouver surtout le droit applicable à la situation après qu'il eût été procédé { l'imputation de la responsabilité.

Section 1. Le cadre général de la responsabilité civile
environnementale au plan international

65. Classiquement, pour prétendre à réparation les victimes d'atteintes devaient prouver trois éléments indissociables à savoir : qu'il y a eu d'abord une faute, ensuite, que cette faute a occasionné un dommage, qu'enfin, le préjudice qu'elles ont subi résulte directement de cette faute. Il n'apparait pas nécessaire de développer de façon détaillée ces conditions de droit commun, mais d'en examiner les interférences. Le préjudice réparable de droit commun était donc perçu comme un préjudice personnel qui atteignait la victime dans sa personne, dans ses proches ou dans ses biens.

66. Inéluctablement, cette théorie de la responsabilité parce qu'elle était subjective, stricte et excluait plusieurs victimes collatérales ou indirectes et autres victimes personnes morales surtout privées (Associations de défense de l'environnement, mouvements écologiques...) s'avérait impropre28 à une prise en charge juste et équitable du dommage environnemental tant pour situer les responsabilités que pour réparer les dommages. Ceci, du fait que les dommages environnementaux sont par essence des dommages à large spectre, c'est-à-dire des dommages collectifs qui touchent souvent un nombre important de personnes à la fois dont chacune doit pouvoir prétendre à réparation. Finalement, l'on peut s'interroger de savoir quelles peuvent être les conséquences de l'objectivation de la responsabilité civile environnementale et des faveurs faites aux victimes par rapport { l'efficacité même de la réparation des atteintes environnementales?

I- L'INADAPTATION DES RÈGLES DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE CLASSIQUE DANS LE
TRAITEMENT DU DOMMAGE ENVIRONNEMENTAL

67. Parce qu'elle est une responsabilité subjective eu égard à ses éléments constitutifs, la responsabilité civile classique se trouve déphaser dans le litige environnemental où de nouveaux enjeux sont apparus. Lorsque les règles civiles doivent s'appliquer { des atteintes environnementales internationales, interindividuelles ou interétatiques, c'est-à-dire des situations ayant plusieurs éléments de rattachement, soit en raison du lieu de commission de l'atteinte environnementale, soit en raison de la nationalité des acteurs (dommageurs et victimes), soit en raison d'une clause élective de juridiction

28 ROBIN (Cécile), in «La réparation des dommages causés par l'Erika : un nouvel échec dans l'application du principe pollueur-payeur~, RJE, 1/2003, p. 32, affirmait dans le cas du procès de l'Erika que «cet arrêt illustre parfaitement dans une décision longuement motivée sur certains points les difficultés des juges à prendre en compte par le biais des règles classiques de la responsabilité civile délictuelle l'indemnisation des préjudices nés d'une pollution accidentelle. Il reflète parfaitement l'inadaptation des mécanismes légaux de la responsabilité civile délictuelle { l'appréhension des phénomènes d'atteinte { l'environnement~.

ou de loi, elles soulèvent des questions de conflits29 de lois et de juridiction qu'il faut résoudre : quelle est la juridiction territorialement compétente dans une telle situation? Quelle loi faut-il appliquée? Comment exécuter les décisions? A l'interne, ces conflits peuvent revêtir d'autres formes en l'occurrence opposés divers ordres de juridictions.

A/ Rappel des éléments constitutifs de la responsabilité civile classique 1°) La triptyque d'éléments constitutifs

68. Le dommage classique n'est réparable que s'il est direct, actuel, certain et si la victime justifie de son intérêt à agir. Concernant la faute civile, elle est constituée dès lors que du fait de la négligence, de l'imprudence ou intentionnellement, une personne cause à autrui ou à un bien appartenant { un tiers des dommages qu'ils soient matériels ou immatériels (responsabilité délictuelle). La faute peut résulter également de l'inaction ou être le fait d'une chose dont on est propriétaire (responsabilité des choses) ou que l'on détient même { titre précaire. Enfin, la faute civile peut être liée { la mauvaise exécution d'une obligation prédéfinie d'origine contractuelle (la responsabilité contractuelle). Avant de consacrer la faute environnementale, certains pays comme la France avaient prévu un mécanisme souple qui permettait de retenir la responsabilité d'une personne physique ou morale qui a manqué à son devoir de sécurité envers les autres (responsabilité des produits défectueux, article 1386-1 du Code civil français). S'agissant du dommage civil, c'est l'altération ou la détérioration par un auteur (dommageur) d'un bien ou d'une chose lui appartenant ou appartenant à un tiers. C'est en outre l'atteinte physique volontaire ou involontaire qu'une personne (l'auteur) occasionne à autrui (la victime). Le dommage civil est prouvée par sa matérialité et rarement par présomption. Quant au lien causal, c'est { la victime qui prétend avoir été lésée ou atteint dans ses biens ou dans sa personne de faire la preuve que les préjudices qu'il a subis sont directement liés { l'agissement fautif de l'auteur.

2°) Les éléments de dissociation du dommage civil et du dommage environnemental

69. A l'opposée de la réparation du dommage civil, la réparation du dommage écologique outre son caractère indirect, incertain et futur, peut être mis en oeuvre par toute personne qui en a souffert. En droit commun le préjudice doit être direct et personnel pour donner droit à réparation, en matière environnementale la preuve du caractère personnel est bien souvent difficile à faire dans le cas du dommage environnemental parce que la nature est un bien collectif qui De même, dans dommage écologique il n'est pas exigé que responsable ait commis une faute. Dans tous les cas, la démonstration du lien entre la faute et le dommage est ici plus difficile à faire. En conséquence, la victime est admise avec plus de largesse et de faveur quant à la production de la

29 BATTIFOL (Henri) et LAGARDE (Paul), Traité de droit international privé, t.1, 8 éd., L.G.D.J., Paris, 1993, p..57 à 76. V. ég. FRANCQ (Stéphanie), L'applicabilité du droit communautaire dérivé au regard des méthodes du droit international privé, thèse, Belgique, éd. BRUYLANT, L.G.D.J. 2005, (722 p), p. 15 à 41.

preuve. Les présomptions et risques appréciées souverainement par les juges, suffisent souvent à emporter la responsabilité. La Convention de permet ainsi aux juges de «tenir dûment compte du risque accru de provoquer le dommage inhérent { l'activité dangereuse30> (article 10) pour apprécier et justifier le lien de causalité.

70. Sanctionner en présence d'un moindre «risque> réel ou futur, c'est l{ l'une des originalités du droit international de l'environnement qui, face au haut désir de prévention et de protection fait fléchir les règles de responsabilité de droit commun. C'est le cas en droit français depuis un certain moment où la responsabilité civile fondée sur les articles 1382 (responsabilité pour faute), 1383, 1384 (responsabilité du fait des choses), 1386 (responsabilité du propriétaire) a été jugée inadaptée à répondre promptement aux besoins de la réparation des dommages environnementaux dus à des pollutions par des déchets industriels. Ce fléchissement des règles civiles est compréhensible au regard des enjeux. Certaines atteintes environnementales pouvant décimer des millions de personnes sinon exterminer la planète si elles venaient à se produire, il est bien raisonnable de veiller à ce que de tels cataclysmes ne se réalisent jamais. Il est donc conforme à la raison de causer de petits torts au droit civil pour préserver l'environnement et l'humanité.

F/ Les juridictions internationalement compétentes et le droit
applicable

1°) Les personnes responsables et victimes

71. Peuvent être désignées responsables d'une atteinte environnementale, aussi bien les personnes morales de droit privé et de droit public dont l'État que les particuliers personnes physiques. Les grandes pollutions engagent souvent la responsabilité des États. Cette
responsabilité de la puissance publique peut être soit directe, lorsque que l'atteinte est le fait d'une entité administrative, soit indirecte lorsque l'État a manqué { son devoir général de protection et de sécurité, en appliquant pas ou ne faisant pas appliquer la législation. Mais les particuliers, personnes physiques et morales sont par l'entremise de leurs exploitation { l'origine de la plupart des catastrophes écologiques et des pollutions en particuliers. Ce sont les responsables actifs. La détermination de la responsabilité des personnes morales posent plus de difficultés en tant qu'entités abstraites bien que représentées par leurs dirigeants. Car en fonction de la structuration de la personne morale (société, entreprise, groupement d'intérêt économique) les règles d'identification des dirigeants varient. Quelquefois, l'on fait face { plusieurs dirigeants. Il faut ainsi tenir compte du rôle joué par chacun et de son implication dans la survenance de la pollution ou de tout autre dommage.

72. Conformément { la Convention de Lugano, le responsable est l'exploitant de l'activité dangereuse ou du site au moment ou apparaissent les dommages, l'«exploitant étant défini comme la personne physique ou morale, de droit privé ou de droit public, «qui exerce le

30 MARTIN (G.J.), «La Convention du Conseil de l'Europe du 8 mars 1993 dite ?convention de Lugano?~, in Cours n°8 , Master 2 DICE, op.cit,p. 16.

contrôle de l'activité dangereuse> (article 2, 5°). Qui de celui qui exerce le contrôle opérationnel de l'activité ou de celui qui exerce une influence sur l'entreprise d'exploitation elle-même, est-il réellement l'exploitant peut-on s'interroger? S'il s'agit d'un site fermé avant la réalisation du dommage et après l'entrée en vigueur de la Convention, c'est le dernier exploitant qui sera désigné comme responsable. Les actions sont soumises au régime de la prescription triennale à partir de la connaissance des faits répréhensibles et la prescription trentenaire { partir de l'atteinte cause du dommage. Par contre, selon la Directive 2005/35, outre l'exploitant, les sanctions seront applicables au propriétaire du navire, au propriétaire de la cargaison, au capitaine du navire et à la société de classification. Mais de plus en plus de contrats passés entre les particuliers au moment des cessions, ou des reprises d'activité comportent des clauses d'acceptation des risques, ce qui peut influencer les règles de responsabilité. Ces clauses et contrats ne produisant leurs effets qu'entre les parties contractantes, car libre cours est laissé aux tiers d'exercer leurs actions en réparation en tant que victimes. Par contre, le propriétaire non exploitant n'est pas responsable sauf si les deux qualités sont confondues. Certaines conventions comme la Directive 2005/35 sur la pollution causée par les navires ont d'ailleurs précisé (préambule point 9) que les sanctions applicables ne sont pas liées { la responsabilité civile des parties et ne sont donc soumises à aucune règle concernant la limitation ou la détermination des responsabilités civiles, pas plus qu'elles ne restreignent l'indemnité efficace des victimes des incidents de pollution.

73. C'est d'abord autour du principe «pollueur-payeur» que la responsabilité civile des personnes morales était organisée. Or, comme l'a fait remarquer Geneviève VINEY31, ce principe était { l'origine un instrument de justice fiscale qui a par la suite pris une envergure avec la Directive 2004/35 sur la responsabilité environnementale. D'autres conventions internationales élargissent le champ des personnes responsables. C'est le cas de la Convention internationale du 20 novembre 1992 portant création des FIPOL qui affirme que les conséquences économiques des dommages par pollution ne devraient pas être supportées par les propriétaires seuls mais devraient l'être en partie par tous ceux qui ont des intérêts financiers dans le transport des hydrocarbures.

74. Quant aux personnes victimes, elles peuvent être des personnes physiques et morales de droit privé ou de droit public. La Convention de Lugano ouvre droit aux associations et fondations ayant statutairement pour objet la protection de l'environnement, c'est-à-dire celles reconnues d'utilité publique { agir en dehors de toute infraction pénale, pour demander { l'instance judiciaire ou administrative, d'interdire une activité dangereuse illicite (voire polluante) susceptible de causer un dommage { l'environnement. Sauf qu'en dehors des dommages personnels qu'elles ont subis, elles ne peuvent avoir une réparation pécuniaire pour les dommages causés aux intérêts collectifs qu'elles défendent.

31 VINEY (G.), « Les principaux aspects de la responsabilité civile des entreprises pour atteinte { l'environnement en droit français», JCP, éd. G, n°3, Doctr. 3900, p.40.

2°) La désignation des juridictions compétentes et le droit applicable

75. En droit interne, l'une des difficultés en matière environnementale a été souvent de savoir dans certaines situations quel est l'ordre de juridiction compétente : est-ce l'ordre judiciaire ou l'ordre administratif? Concernant les installations classées (insalubres et incommodes) ainsi que les sites d'activités dangereuses, l'on se demande souvent si c'est le juge judiciaire qui est compétent et qui doit être saisi d'une action en réparation ou d'une dénonciation d'un trouble anormal de voisinage ou si c'est l'autorité administrative qui a délivré l'autorisation qui est compétent pour ordonner la fermeture? La question est controversée. Cependant en droit comparé, l'arrêt de la Cour de cassation française (Cass32. civ, 1ère, 13 janvier 2004 aff. M.A (exploitant) C/un groupe de propriétaires voisins RDI 2005, p. 40,) rejetant le pourvoi formé contre la décision de la Cour d'Appel33 qui a ordonné la cessation temporaire d'une activité quand bien même cette activité était fonctionnelle et avait requis l'autorisation du Préfet, montre parfaitement que la solution n'est pas simple car cette décision confirme en la compétence du juge judicaire à ordonner de telles mesures qui semble relever a priori de la compétence de l'autorité administrative et au surplus du juge administratif.

76. En droit international, la question est beaucoup plus complexe parce que le litige international et présente plusieurs facteurs de rattachement (lieu de commission, lieu de réalisation, nationalités des responsables et des victimes, élection de juridiction). La compétence matérielle ou ?ratione materiae? ne soulève aucun problème particulier. En revanche, la compétence territoriale ou ?ratione loci? soulève plusieurs interrogations. En cas de pollution ou d'atteinte environnementale quelconque quelle juridiction faut-il saisir? Est-ce le tribunal du domicile du défendeur (dommageur)? Est-ce celui du domicile de la victime? Est-ce le tribunal du lieu du dommage? Ces questions ont soulevé quelques controverses à un certain moment qui se sont progressivement dissipé, puisque le principe retenu aujourd'hui est très souple et décidé au cas par cas en tenant compte, non pas de critères juridiques rigoristes, mais d'objectifs d'efficacité, de protection de l'environnement. C'est le pragmatisme qui prévaut ici puisque tous les trois facteurs de rattachements sont aujourd'hui acceptés comme éléments justificatifs de compétence, grâce à la jurisprudence. Le défendeur (pollueur, dommageur, exploitant ou propriétaire) peut donc être attrait devant le tribunal de son domicile. Il peut également répondre de ses faits devant le tribunal du domicile de la victime. Ce critère s'explique par le souci d'éviter plus de peines { la victime. En plus, comme il a été déjà dit le dommage environnemental atteint souvent plusieurs victimes, et de ce fait, il serait inopportun de les faires tous déplacés dans un autre pays ou ville pour être dédommagées. Enfin, le défendeur peut être jugé devant le tribunal où il a perpétré le trouble ou

32 Citée CAMPROUX-DUFFRENE (Marie-Pierre) et CURZYDLO (Alexia), in «Chronique de droit privé de l'environnement, civil et commercial», RJE 1/ 2007, p. 6 et 7.

33 En l'espèce, plusieurs propriétaires se disant victimes de nuisances olfactives, demandèrent { leur voisin exploitant éleveur de porcs titulaire d'une autorisation préfectorale la suppression des troubles et le paiement de dommages intérêts pour préjudices économiques. V. CAMPROUX-DUFFRENE (Marie-Pierre) et CURZYDLO (Alexia), op.cit. Dans son arrêt la Cour de cassation à propos de la suspension temporaire de mesure administrative concluait que «La Cour d'appel n'a rien outrepassé ses pouvoirs dans la mesure où le moyen invoqué ne soutient pas que cette mesure contrarierait les prescriptions de l'administration>.

désastre environnemental. La compétence de ce tribunal se justifie par la nécessité de permettre une meilleure expertise des préjudices de pollutions, donc une meilleure évaluation des dommages. La plupart du temps le domicile des victimes coïncident avec le lieu de perpétration du dommage ce qui facilitent les choses.

II- LA CONSÉCRATION D'UNE RESPONSABILITÉ CIVILE ENVIRONNEMENTALE SUI GENERIS

A/ La spécificité du préjudice écologique pur 1°) Explications

77. La notion de «dommage environnemental>> qui regroupe l'atteinte au milieu naturel ainsi que les troubles et nuisances environnementaux, apparait bien plus large que celle de «dommage écologique>> centrée sur l'environnement naturel et la biodiversité. Alors qu'au début, la jurisprudence était réticente { retenir la responsabilité du dommageur, auteur d'atteintes environnementales sans répercussions personnelles, ne se bornant qu'{ prendre seulement en compte les conséquences personnelles desdites atteintes, l'instant fut solennel quand le juge judiciaire, en se fondant notamment sur la notion de «préjudice moral>> admit le principe de la réparation de ces atteintes environnementales en dehors de toutes répercussions personnelles.

78. Saisi pour déterminer les postes de préjudices réparables nés de la pollution engendrée par la dispersion de l'hydrocarbure, le Tribunal de Grande Instance de Paris, dans sa décision du 16 janvier 2008, à distinguer nettement le préjudice matériel, le préjudice moral et le préjudice environnemental. Cette notion de préjudice moral à géométrie variable prend souvent la forme d'atteinte directe { l'image de marque (par exemple d'un site, d'un paysage, d'une ville) ou de trouble de jouissance. En 1985, le Tribunal de Grande Instance de Bastia34, dans son jugement dans l'affaire Montedison, une société qui provoqua une pollution par rejet de boues rouges, condamna cette société à réparer les effets de ses agissements fautifs aux départements de Corse. Dans la même mouvance en 2006, la Cour d'appel de Bordeaux a indemnisé plusieurs associations au titre du «préjudice subi par la flore et les invertébrés du milieu aquatique>>; tandis qu' en octobre 2007 le Tribunal de Grande Instance de Narbone a indemnisé les préjudices causés à un parc naturel régional consécutif { l'écoulement de produits chimiques dans les eaux marines et a évalué le préjudice en distinguant nettement le «préjudice matériel>>, le «préjudice moral>> et le «préjudice environnemental subi par le patrimoine naturel>> des lieux35. Dans l'affaire relative au projet «Gabcikovo-Nagymaros>> opposant la Hongrie et la Slovaquie la Cour internationale de Justice dans son avis du 25 septembre 1997 déclarait que «l'environnement n'est pas une abstraction, mais bien

34 V. « Projet de loi relatif à la responsabilité environnementale>>, http://www.senat.fr/rap/107-348/107-3485.html consulté le 29 juillet 2010, p. 1.

35 V. note supra, p. 1

l'espace où vivent les êtres humains et dont dépendent la qualité de leur vie et leur santé y compris pour les générations { venir...~36.

2°) Le champ d'application

79. Le dommage écologique est principalement et restrictivement une atteinte à la nature y compris ses ressources. Selon Cécile ROBIN, le dommage écologique pur peut être défini «comme un préjudice causé directement au milieu, pris en tant que tel, indépendamment de ses répercussions sur les biens et sur les personnes. Il s'agit d'un dommage spécifique mi-collectif et miindividuel, matériel et diffus, réversible à plus ou moins long terme, parfois incertain et direct, et souvent futur>37. Quant à Hermon CAROLE elle affirmait que «semblable traduction du dommage écologique en terme de préjudice moral aux associations permet d'assigner un coût aux faits de pollution et par suite peut avoir une fonction préventive pertinente. En cela elle est opportune. Pour autant, en l'absence d'affectation de dommages-intérêts alloués, elle ne règle pas la question du dommage écologique>38.

B/ Les fondements de l'autonomisation du préjudice
environnemental

1) Les fondements textuels et jurisprudentiels

80. A travers le procès de l'Erika, la jurisprudence a clairement affirmé l'autonomie du «préjudice résultant de l'atteinte { l'environnement>. Cette affirmation est d'autant plus claire que dans l'énumération des préjudices réparables pour les dommages causés par la pollution des hydrocarbures de l'Erika, les juges ont retenu de manière séparée deux préjudices de droit commun (le préjudice matériel et le préjudice moral) mais surtout le préjudice «résultant de l'atteinte { l'environnement> qui est par contre un préjudice original, admis en dehors de toute répercussion personnelle. Le 16 mars 1978, le Tribunal de Chicago dans l'affaire de la marée noire de «Amoco Cadiz>, admit le préjudice écologique en concluant à la responsabilité principale de la Société AMOCO CORPORATION et à la responsabilité partielle des chantiers navals ASTILLEROS ESPAFIOLES DE CADIX. Quant au Législateur, il a consacré cette distinction à travers la Convention de Lugano (article 2, 7°) par la différenciation, entre d'une part, les «dommages communs> et d'autre part le «dommage écologique>. Ce qui signifie que le dommage écologique n'est pas un dommage de droit commun en ce qu'il bénéficie d'un régime particulier. Mais du point de vue législatif cette consécration était implicite depuis la Convention de Bruxelles du 29 novembre 1969 relative à la responsabilité environnementale internationale du propriétaire du navire transportant des hydrocarbures.

36 Cf. C.I.J., Avis consultatif relatif à la licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, Rec. 1996, p.241-242 paragraphe 29) in «La responsabilité internationale en matière d'environnement (en savoir plus), Cours n°8, Master 2 DICE, Fascicule, p. 5.

37 ROBIN (Cécile), op. cit., p.41

38 CAROLE (Hermon),«La réparation du dommage écologique, les perspectives ouvertes par la Directive du 21 avril 2004, AJDA, 4 octobre 2004; citée par http://www.senat.fr/rap/107-348/107-3485.html, op. cit., p. 1.

81. En droit comparé, il apparait que si le juge civil français reconnait le préjudice écologique distinct, il en va autrement du juge administratif. A deux reprises le Conseil d'État français (CE, 12 juillet 1969, Ville de Saint Quentin; CE, 26 octobre 1984, Fédération des associations de pêche et de pisciculture de la Somme)39 s'est prononcé contre la reconnaissance du préjudice écologique dans des affaires concernant des associations de pêche demandant la réparation du dommage écologique constitué par la pollution des rivières, en arguant que ce dommage ne peut «par lui-même ouvrir droit à une réparation». Mais, l'on peut estimer que depuis lors, c'est-à-dire vingt-six (26) ans après sa jurisprudence hostile au préjudice écologique, le Conseil d'État a dû certainement revoir sa copie parce que les enjeux politico-judiciaires tendent à une plus grande protection de l'environnement.

2) Les considérations historiques et politiques

82. Historiquement, au sortir de la seconde guerre mondiale, des voix commençaient à s'élever partout dans le monde pour dénoncer la guerre, ses effets néfastes sur la paix et la sécurité universelles et surtout sur la préservation de l'environnement et des ressources naturelles. Les deux guerres mondiales ont contribué à elles-seules à une destruction sans précédent au plan international des ressources naturelles et provoqué des pollutions gravissimes. Des villes et villages entiers ont été décimés et rayés de la carte. Des forêts ont été dévastées pour en faire des champs de guerre. Les armes de destruction massives (bactériologiques) et les essais d'avant-guerre pour tester les performances des armes ont laissé à jamais des traces indélébiles dans certaines contrées (dans le pacifique, à Hiroshima et Nagasaki). Les navires de guerre ont pollué les mers et détruit la faune et l'écosystème. A la fin de la seconde guerre, le «crime» nucléaire de Tchernobyl, sans compter les vagues de marées noires qui s'en sont suivies (Amoco-Cadiz, Exxon Valdez, Erika...) ont enfoncé le clou des graves pollutions et catastrophes environnementales. A y voir de plus près, toutes ces pollutions et désastres environnementaux ont pour origine et point commun, l'industrialisation. Car cette industrialisation en tant que forme achevée et matérialisée des progrès scientifiques est aussi la cause de toutes ces destructions parce qu'elle a permis de produire toutes sortes de biens (pour se nourrir, se vêtir, se protéger et se tuer) et en même temps elle a engendré beaucoup de déchets (ordinaires et dangereux) qui constituent des souches de pollutions.

83. Quant à la politique, son rôle est déterminant par le fait qu'elle au début et à la fin des activités humaines. C'est elle qui a généré les guerres. C'est encore la politique qui a sonné le glas de la prise des dangers de l'environnement sur la santé, la biodiversité et le développement. Toutes les conventions internationales sont les résultats de longues et grandes tractations politiques. C'est donc la volonté politique affichée par les leaders politiques mondiaux poussés par la société civile mondiale aux sorties des nombreuses crises qui a permis de faire ces bonds environnementaux depuis maintenant un demi-siècle et de consacrer le préjudice écologique, comme meilleure alternative { la protection de l'environnement.

39 V. « Projet de loi relatif à la responsabilité environnementale», op. cit., p. 1.

Section 2. Les conditions d'imputation de la responsabilité environnementale

I- LES CRITÈRES D'IMPUTABILITÉ

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