CHAPITRE 2 :
LA DÉTERMINATION DE LA
RESPONSABILITÉ ENVIRONNEMENTALE DU FAIT DE LA POLLUTION PAR DES
DÉCHETS INDUSTRIELS
63. Pendant longtemps, la mise en oeuvre de la
responsabilité environnementale des pollueurs et des dommageurs de
l'environnement ainsi que la réparation des préjudices qui en
résultaient, se faisaient essentiellement sur le fondement des
règles civiles de la responsabilité, soit délictuelle,
soit quasi-délictuelle, soit contractuelle, soit du fait des produits
défectueux. Cependant, force a été de constater que ces
règles civiles qui plaçaient uniquement l'homme au centre des
préoccupations et de protection se sont avérées
inadaptées à protéger efficacement l'environnement et {
régir les dommages environnementaux du fait d'une part, de leur faible
propension { la prévention et d'autre part, des exigences de la preuve
de la matérialité du dommage c'est-à-dire de la faute
ainsi que du lien de causalité. A l'inverse, la protection de
l'environnement, bien collectif non approprié, aspirait à
s'enclencher par la simple perception de l'éventualité de la
menace ou du risque sans qu'il ne soit besoin de faire la preuve scientifique
de l'atteinte. Le démariage entre responsabilité civile de droit
commun et la responsabilité environnementale se réalisait
dès lors au point d'accoucher d'une responsabilité
intermédiaire centré sur le dommage écologique.
64. Dès 1993, la Convention de Lugano (article 2,
7°) distingua clairement les «dommages communs» du
«dommage écologique» perçu comme les pertes ou les
dommages «résultant d'une altération de
l'environnement». Cette consécration du préjudice
écologique pur rendu possible par les efforts conjugués d'une
législation internationale innovante et d'une jurisprudence audacieuse a
marqué inéluctablement une étape importante en droit
international de l'environnement. Ce renouveau de la responsabilité
civile environnementale a été surtout facilité par la
jurisprudence27, car le droit positif qu'il soit interne ou
international, est souvent lent { réagir du fait de son
inflexibilité. Mais, les difficultés de détermination de
la responsabilité environnementale au plan international ne
s'arrêtent pas aux dommages. Car pour situer ces responsabilités,
il faut, suivant les nationalités des parties (auteurs et victimes), le
lieu de perpétration du dommage environnemental, trouver non seulement
la juridiction qui a compétence internationale à trancher
27 A titre illustratif, en droit comparé
notamment en France, on peut relever l'affaire du Naufrage de l'Erika qui a vu
la jurisprudence française s'affranchir des strictes règles
civiles pour consacrer, sans anicroches, l'autonomie de l'atteinte {
l'environnementale et par ricochet, la particularité du préjudice
écologique en tant que préjudice objectif et distinct. La
jurisprudence a également suivi la cadence puisqu'elle retient dans la
même affaire Erika explicitement l'autonomie «du préjudice
résultant de l'atteinte { l'environnement». Cette
consécration marque un pas important dans le traitement des atteintes {
l'environnement. V. MARTIN (Gilles J.), «La responsabilité civile
pour les dommages { l'environnement et la Convention de Lugano, RJE 2-3/ 1994,
p. 123.
du litige, mais encore, trouver surtout le droit applicable
à la situation après qu'il eût été
procédé { l'imputation de la responsabilité.
Section 1. Le cadre général de la
responsabilité civile environnementale au plan
international
65. Classiquement, pour prétendre à
réparation les victimes d'atteintes devaient prouver trois
éléments indissociables à savoir : qu'il y a eu d'abord
une faute, ensuite, que cette faute a occasionné un dommage, qu'enfin,
le préjudice qu'elles ont subi résulte directement de cette
faute. Il n'apparait pas nécessaire de développer de façon
détaillée ces conditions de droit commun, mais d'en examiner les
interférences. Le préjudice réparable de droit commun
était donc perçu comme un préjudice personnel qui
atteignait la victime dans sa personne, dans ses proches ou dans ses
biens.
66. Inéluctablement, cette théorie de la
responsabilité parce qu'elle était subjective, stricte et
excluait plusieurs victimes collatérales ou indirectes et autres
victimes personnes morales surtout privées (Associations de
défense de l'environnement, mouvements écologiques...)
s'avérait impropre28 à une prise en charge juste et
équitable du dommage environnemental tant pour situer les
responsabilités que pour réparer les dommages. Ceci, du fait que
les dommages environnementaux sont par essence des dommages à large
spectre, c'est-à-dire des dommages collectifs qui touchent souvent un
nombre important de personnes à la fois dont chacune doit pouvoir
prétendre à réparation. Finalement, l'on peut s'interroger
de savoir quelles peuvent être les conséquences de l'objectivation
de la responsabilité civile environnementale et des faveurs faites aux
victimes par rapport { l'efficacité même de la réparation
des atteintes environnementales?
I- L'INADAPTATION DES RÈGLES DE LA
RESPONSABILITÉ CIVILE CLASSIQUE DANS LE TRAITEMENT DU DOMMAGE
ENVIRONNEMENTAL
67. Parce qu'elle est une responsabilité
subjective eu égard à ses éléments constitutifs, la
responsabilité civile classique se trouve déphaser dans le litige
environnemental où de nouveaux enjeux sont apparus. Lorsque les
règles civiles doivent s'appliquer { des atteintes environnementales
internationales, interindividuelles ou interétatiques,
c'est-à-dire des situations ayant plusieurs éléments de
rattachement, soit en raison du lieu de commission de l'atteinte
environnementale, soit en raison de la nationalité des acteurs
(dommageurs et victimes), soit en raison d'une clause élective de
juridiction
28 ROBIN (Cécile), in «La réparation des
dommages causés par l'Erika : un nouvel échec dans l'application
du principe pollueur-payeur~, RJE, 1/2003, p. 32, affirmait dans le cas du
procès de l'Erika que «cet arrêt illustre parfaitement dans
une décision longuement motivée sur certains points les
difficultés des juges à prendre en compte par le biais des
règles classiques de la responsabilité civile délictuelle
l'indemnisation des préjudices nés d'une pollution accidentelle.
Il reflète parfaitement l'inadaptation des mécanismes
légaux de la responsabilité civile délictuelle {
l'appréhension des phénomènes d'atteinte {
l'environnement~.
ou de loi, elles soulèvent des questions de
conflits29 de lois et de juridiction qu'il faut résoudre :
quelle est la juridiction territorialement compétente dans une telle
situation? Quelle loi faut-il appliquée? Comment exécuter les
décisions? A l'interne, ces conflits peuvent revêtir d'autres
formes en l'occurrence opposés divers ordres de juridictions.
A/ Rappel des éléments constitutifs de la
responsabilité civile classique 1°) La triptyque
d'éléments constitutifs
68. Le dommage classique n'est réparable que s'il est
direct, actuel, certain et si la victime justifie de son intérêt
à agir. Concernant la faute civile, elle est constituée
dès lors que du fait de la négligence, de l'imprudence ou
intentionnellement, une personne cause à autrui ou à un bien
appartenant { un tiers des dommages qu'ils soient matériels ou
immatériels (responsabilité délictuelle). La faute peut
résulter également de l'inaction ou être le fait d'une
chose dont on est propriétaire (responsabilité des choses) ou que
l'on détient même { titre précaire. Enfin, la faute civile
peut être liée { la mauvaise exécution d'une obligation
prédéfinie d'origine contractuelle (la responsabilité
contractuelle). Avant de consacrer la faute environnementale, certains pays
comme la France avaient prévu un mécanisme souple qui permettait
de retenir la responsabilité d'une personne physique ou morale qui a
manqué à son devoir de sécurité envers les autres
(responsabilité des produits défectueux, article 1386-1 du Code
civil français). S'agissant du dommage civil, c'est l'altération
ou la détérioration par un auteur (dommageur) d'un bien ou d'une
chose lui appartenant ou appartenant à un tiers. C'est en outre
l'atteinte physique volontaire ou involontaire qu'une personne (l'auteur)
occasionne à autrui (la victime). Le dommage civil est prouvée
par sa matérialité et rarement par présomption. Quant au
lien causal, c'est { la victime qui prétend avoir été
lésée ou atteint dans ses biens ou dans sa personne de faire la
preuve que les préjudices qu'il a subis sont directement liés {
l'agissement fautif de l'auteur.
2°) Les éléments de
dissociation du dommage civil et du dommage environnemental
69. A l'opposée de la réparation du dommage
civil, la réparation du dommage écologique outre son
caractère indirect, incertain et futur, peut être mis en oeuvre
par toute personne qui en a souffert. En droit commun le préjudice doit
être direct et personnel pour donner droit à réparation, en
matière environnementale la preuve du caractère personnel est
bien souvent difficile à faire dans le cas du dommage environnemental
parce que la nature est un bien collectif qui De même, dans dommage
écologique il n'est pas exigé que responsable ait commis une
faute. Dans tous les cas, la démonstration du lien entre la faute et le
dommage est ici plus difficile à faire. En conséquence, la
victime est admise avec plus de largesse et de faveur quant à la
production de la
29 BATTIFOL (Henri) et LAGARDE (Paul), Traité de droit
international privé, t.1, 8 éd., L.G.D.J., Paris, 1993, p..57
à 76. V. ég. FRANCQ (Stéphanie), L'applicabilité du
droit communautaire dérivé au regard des méthodes du droit
international privé, thèse, Belgique, éd. BRUYLANT,
L.G.D.J. 2005, (722 p), p. 15 à 41.
preuve. Les présomptions et risques
appréciées souverainement par les juges, suffisent souvent
à emporter la responsabilité. La Convention de permet ainsi aux
juges de «tenir dûment compte du risque accru de provoquer le
dommage inhérent { l'activité dangereuse30>
(article 10) pour apprécier et justifier le lien de causalité.
70. Sanctionner en présence d'un moindre
«risque> réel ou futur, c'est l{ l'une des originalités
du droit international de l'environnement qui, face au haut désir de
prévention et de protection fait fléchir les règles de
responsabilité de droit commun. C'est le cas en droit français
depuis un certain moment où la responsabilité civile
fondée sur les articles 1382 (responsabilité pour faute), 1383,
1384 (responsabilité du fait des choses), 1386 (responsabilité du
propriétaire) a été jugée inadaptée à
répondre promptement aux besoins de la réparation des dommages
environnementaux dus à des pollutions par des déchets
industriels. Ce fléchissement des règles civiles est
compréhensible au regard des enjeux. Certaines atteintes
environnementales pouvant décimer des millions de personnes sinon
exterminer la planète si elles venaient à se produire, il est
bien raisonnable de veiller à ce que de tels cataclysmes ne se
réalisent jamais. Il est donc conforme à la raison de causer de
petits torts au droit civil pour préserver l'environnement et
l'humanité.
F/ Les juridictions internationalement compétentes et
le droit applicable
1°) Les personnes responsables et
victimes
71. Peuvent être désignées responsables
d'une atteinte environnementale, aussi bien les personnes morales de droit
privé et de droit public dont l'État que les particuliers
personnes physiques. Les grandes pollutions engagent souvent la
responsabilité des États. Cette responsabilité de la
puissance publique peut être soit directe, lorsque que l'atteinte est le
fait d'une entité administrative, soit indirecte lorsque l'État a
manqué { son devoir général de protection et de
sécurité, en appliquant pas ou ne faisant pas appliquer la
législation. Mais les particuliers, personnes physiques et morales sont
par l'entremise de leurs exploitation { l'origine de la plupart des
catastrophes écologiques et des pollutions en particuliers. Ce sont les
responsables actifs. La détermination de la responsabilité des
personnes morales posent plus de difficultés en tant qu'entités
abstraites bien que représentées par leurs dirigeants. Car en
fonction de la structuration de la personne morale (société,
entreprise, groupement d'intérêt économique) les
règles d'identification des dirigeants varient. Quelquefois, l'on fait
face { plusieurs dirigeants. Il faut ainsi tenir compte du rôle
joué par chacun et de son implication dans la survenance de la pollution
ou de tout autre dommage.
72. Conformément { la Convention de Lugano, le
responsable est l'exploitant de l'activité dangereuse ou du site au
moment ou apparaissent les dommages, l'«exploitant étant
défini comme la personne physique ou morale, de droit privé ou de
droit public, «qui exerce le
30 MARTIN (G.J.), «La Convention du Conseil de
l'Europe du 8 mars 1993 dite ?convention de Lugano?~, in
Cours n°8 , Master 2 DICE, op.cit,p. 16.
contrôle de l'activité dangereuse> (article 2,
5°). Qui de celui qui exerce le contrôle
opérationnel de l'activité ou de celui qui exerce une influence
sur l'entreprise d'exploitation elle-même, est-il réellement
l'exploitant peut-on s'interroger? S'il s'agit d'un site fermé avant la
réalisation du dommage et après l'entrée en vigueur de la
Convention, c'est le dernier exploitant qui sera désigné comme
responsable. Les actions sont soumises au régime de la prescription
triennale à partir de la connaissance des faits
répréhensibles et la prescription trentenaire { partir de
l'atteinte cause du dommage. Par contre, selon la Directive 2005/35, outre
l'exploitant, les sanctions seront applicables au propriétaire du
navire, au propriétaire de la cargaison, au capitaine du navire et
à la société de classification. Mais de plus en plus de
contrats passés entre les particuliers au moment des cessions, ou des
reprises d'activité comportent des clauses d'acceptation des risques, ce
qui peut influencer les règles de responsabilité. Ces clauses et
contrats ne produisant leurs effets qu'entre les parties contractantes, car
libre cours est laissé aux tiers d'exercer leurs actions en
réparation en tant que victimes. Par contre, le propriétaire non
exploitant n'est pas responsable sauf si les deux qualités sont
confondues. Certaines conventions comme la Directive 2005/35 sur la pollution
causée par les navires ont d'ailleurs précisé
(préambule point 9) que les sanctions applicables ne sont pas
liées { la responsabilité civile des parties et ne sont donc
soumises à aucune règle concernant la limitation ou la
détermination des responsabilités civiles, pas plus qu'elles ne
restreignent l'indemnité efficace des victimes des incidents de
pollution.
73. C'est d'abord autour du principe
«pollueur-payeur» que la responsabilité civile des personnes
morales était organisée. Or, comme l'a fait remarquer
Geneviève VINEY31, ce principe était { l'origine un
instrument de justice fiscale qui a par la suite pris une envergure avec la
Directive 2004/35 sur la responsabilité environnementale. D'autres
conventions internationales élargissent le champ des personnes
responsables. C'est le cas de la Convention internationale du 20 novembre 1992
portant création des FIPOL qui affirme que les conséquences
économiques des dommages par pollution ne devraient pas être
supportées par les propriétaires seuls mais devraient
l'être en partie par tous ceux qui ont des intérêts
financiers dans le transport des hydrocarbures.
74. Quant aux personnes victimes, elles
peuvent être des personnes physiques et morales de droit privé ou
de droit public. La Convention de Lugano ouvre droit aux associations et
fondations ayant statutairement pour objet la protection de l'environnement,
c'est-à-dire celles reconnues d'utilité publique { agir en dehors
de toute infraction pénale, pour demander { l'instance judiciaire ou
administrative, d'interdire une activité dangereuse illicite (voire
polluante) susceptible de causer un dommage { l'environnement. Sauf qu'en
dehors des dommages personnels qu'elles ont subis, elles ne peuvent avoir une
réparation pécuniaire pour les dommages causés aux
intérêts collectifs qu'elles défendent.
31 VINEY (G.), « Les principaux aspects de la
responsabilité civile des entreprises pour atteinte { l'environnement en
droit français», JCP, éd. G, n°3, Doctr.
3900, p.40.
2°) La désignation des juridictions
compétentes et le droit applicable
75. En droit interne, l'une des difficultés en
matière environnementale a été souvent de savoir dans
certaines situations quel est l'ordre de juridiction compétente : est-ce
l'ordre judiciaire ou l'ordre administratif? Concernant les installations
classées (insalubres et incommodes) ainsi que les sites
d'activités dangereuses, l'on se demande souvent si c'est le juge
judiciaire qui est compétent et qui doit être saisi d'une action
en réparation ou d'une dénonciation d'un trouble anormal de
voisinage ou si c'est l'autorité administrative qui a
délivré l'autorisation qui est compétent pour ordonner la
fermeture? La question est controversée. Cependant en droit
comparé, l'arrêt de la Cour de cassation française
(Cass32. civ, 1ère, 13 janvier 2004 aff. M.A
(exploitant) C/un groupe de propriétaires voisins RDI 2005, p. 40,)
rejetant le pourvoi formé contre la décision de la Cour
d'Appel33 qui a ordonné la cessation temporaire d'une
activité quand bien même cette activité était
fonctionnelle et avait requis l'autorisation du Préfet, montre
parfaitement que la solution n'est pas simple car cette décision
confirme en la compétence du juge judicaire à ordonner de telles
mesures qui semble relever a priori de la compétence de
l'autorité administrative et au surplus du juge
administratif.
76. En droit international, la question est beaucoup plus
complexe parce que le litige international et présente plusieurs
facteurs de rattachement (lieu de commission, lieu de réalisation,
nationalités des responsables et des victimes, élection de
juridiction). La compétence matérielle ou ?ratione materiae? ne
soulève aucun problème particulier. En revanche, la
compétence territoriale ou ?ratione loci? soulève plusieurs
interrogations. En cas de pollution ou d'atteinte environnementale quelconque
quelle juridiction faut-il saisir? Est-ce le tribunal du domicile du
défendeur (dommageur)? Est-ce celui du domicile de la victime? Est-ce le
tribunal du lieu du dommage? Ces questions ont soulevé quelques
controverses à un certain moment qui se sont progressivement
dissipé, puisque le principe retenu aujourd'hui est très souple
et décidé au cas par cas en tenant compte, non pas de
critères juridiques rigoristes, mais d'objectifs d'efficacité, de
protection de l'environnement. C'est le pragmatisme qui prévaut ici
puisque tous les trois facteurs de rattachements sont aujourd'hui
acceptés comme éléments justificatifs de
compétence, grâce à la jurisprudence. Le défendeur
(pollueur, dommageur, exploitant ou propriétaire) peut donc être
attrait devant le tribunal de son domicile. Il peut également
répondre de ses faits devant le tribunal du domicile de la victime. Ce
critère s'explique par le souci d'éviter plus de peines { la
victime. En plus, comme il a été déjà dit le
dommage environnemental atteint souvent plusieurs victimes, et de ce fait, il
serait inopportun de les faires tous déplacés dans un autre pays
ou ville pour être dédommagées. Enfin, le défendeur
peut être jugé devant le tribunal où il a
perpétré le trouble ou
32 Citée CAMPROUX-DUFFRENE (Marie-Pierre) et
CURZYDLO (Alexia), in «Chronique de droit privé de l'environnement,
civil et commercial», RJE 1/ 2007, p. 6 et 7.
33 En l'espèce, plusieurs
propriétaires se disant victimes de nuisances olfactives,
demandèrent { leur voisin exploitant éleveur de porcs titulaire
d'une autorisation préfectorale la suppression des troubles et le
paiement de dommages intérêts pour préjudices
économiques. V. CAMPROUX-DUFFRENE (Marie-Pierre) et CURZYDLO (Alexia),
op.cit. Dans son arrêt la Cour de cassation à propos de la
suspension temporaire de mesure administrative concluait que «La Cour
d'appel n'a rien outrepassé ses pouvoirs dans la mesure où le
moyen invoqué ne soutient pas que cette mesure contrarierait les
prescriptions de l'administration>.
désastre environnemental. La compétence de ce
tribunal se justifie par la nécessité de permettre une meilleure
expertise des préjudices de pollutions, donc une meilleure
évaluation des dommages. La plupart du temps le domicile des victimes
coïncident avec le lieu de perpétration du dommage ce qui
facilitent les choses.
II- LA CONSÉCRATION D'UNE RESPONSABILITÉ
CIVILE ENVIRONNEMENTALE SUI GENERIS
A/ La spécificité du préjudice
écologique pur 1°) Explications
77. La notion de «dommage environnemental>> qui
regroupe l'atteinte au milieu naturel ainsi que les troubles et nuisances
environnementaux, apparait bien plus large que celle de «dommage
écologique>> centrée sur l'environnement naturel et la
biodiversité. Alors qu'au début, la jurisprudence était
réticente { retenir la responsabilité du dommageur, auteur
d'atteintes environnementales sans répercussions personnelles, ne se
bornant qu'{ prendre seulement en compte les conséquences personnelles
desdites atteintes, l'instant fut solennel quand le juge judiciaire, en se
fondant notamment sur la notion de «préjudice moral>> admit
le principe de la réparation de ces atteintes environnementales en
dehors de toutes répercussions personnelles.
78. Saisi pour déterminer les postes de
préjudices réparables nés de la pollution engendrée
par la dispersion de l'hydrocarbure, le Tribunal de Grande Instance de Paris,
dans sa décision du 16 janvier 2008, à distinguer nettement le
préjudice matériel, le préjudice moral et le
préjudice environnemental. Cette notion de préjudice moral
à géométrie variable prend souvent la forme d'atteinte
directe { l'image de marque (par exemple d'un site, d'un paysage, d'une ville)
ou de trouble de jouissance. En 1985, le Tribunal de Grande Instance de
Bastia34, dans son jugement dans l'affaire Montedison, une
société qui provoqua une pollution par rejet de boues rouges,
condamna cette société à réparer les effets de ses
agissements fautifs aux départements de Corse. Dans la même
mouvance en 2006, la Cour d'appel de Bordeaux a indemnisé plusieurs
associations au titre du «préjudice subi par la flore et les
invertébrés du milieu aquatique>>; tandis qu' en octobre
2007 le Tribunal de Grande Instance de Narbone a indemnisé les
préjudices causés à un parc naturel régional
consécutif { l'écoulement de produits chimiques dans les eaux
marines et a évalué le préjudice en distinguant nettement
le «préjudice matériel>>, le «préjudice
moral>> et le «préjudice environnemental subi par le
patrimoine naturel>> des lieux35. Dans l'affaire relative au
projet «Gabcikovo-Nagymaros>> opposant la Hongrie et la Slovaquie la
Cour internationale de Justice dans son avis du 25 septembre 1997
déclarait que «l'environnement n'est pas une abstraction, mais
bien
34 V. « Projet de loi relatif à la
responsabilité environnementale>>,
http://www.senat.fr/rap/107-348/107-3485.html
consulté le 29 juillet 2010, p. 1.
35 V. note supra, p. 1
l'espace où vivent les êtres humains et dont
dépendent la qualité de leur vie et leur santé y compris
pour les générations { venir...~36.
2°) Le champ d'application
79. Le dommage écologique est
principalement et restrictivement une atteinte à la nature y compris ses
ressources. Selon Cécile ROBIN, le dommage écologique pur peut
être défini «comme un préjudice causé
directement au milieu, pris en tant que tel, indépendamment de ses
répercussions sur les biens et sur les personnes. Il s'agit d'un dommage
spécifique mi-collectif et miindividuel, matériel et diffus,
réversible à plus ou moins long terme, parfois incertain et
direct, et souvent futur>37. Quant à Hermon CAROLE
elle affirmait que «semblable traduction du dommage écologique en
terme de préjudice moral aux associations permet d'assigner un
coût aux faits de pollution et par suite peut avoir une fonction
préventive pertinente. En cela elle est opportune. Pour autant, en
l'absence d'affectation de dommages-intérêts alloués, elle
ne règle pas la question du dommage
écologique>38.
B/ Les fondements de l'autonomisation du
préjudice environnemental
1) Les fondements textuels et jurisprudentiels
80. A travers le procès de l'Erika, la
jurisprudence a clairement affirmé l'autonomie du «préjudice
résultant de l'atteinte { l'environnement>. Cette affirmation est
d'autant plus claire que dans l'énumération des préjudices
réparables pour les dommages causés par la pollution des
hydrocarbures de l'Erika, les juges ont retenu de manière
séparée deux préjudices de droit commun (le
préjudice matériel et le préjudice moral) mais surtout le
préjudice «résultant de l'atteinte { l'environnement> qui
est par contre un préjudice original, admis en dehors de toute
répercussion personnelle. Le 16 mars 1978, le Tribunal de Chicago dans
l'affaire de la marée noire de «Amoco Cadiz>, admit le
préjudice écologique en concluant à la
responsabilité principale de la Société AMOCO CORPORATION
et à la responsabilité partielle des chantiers navals ASTILLEROS
ESPAFIOLES DE CADIX. Quant au Législateur, il a consacré cette
distinction à travers la Convention de Lugano (article 2,
7°) par la différenciation, entre d'une part, les
«dommages communs> et d'autre part le «dommage
écologique>. Ce qui signifie que le dommage écologique n'est
pas un dommage de droit commun en ce qu'il bénéficie d'un
régime particulier. Mais du point de vue législatif cette
consécration était implicite depuis la Convention de Bruxelles du
29 novembre 1969 relative à la responsabilité environnementale
internationale du propriétaire du navire transportant des
hydrocarbures.
36 Cf. C.I.J., Avis consultatif relatif à la
licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires,
Rec. 1996, p.241-242 paragraphe 29) in «La responsabilité
internationale en matière d'environnement (en savoir plus), Cours
n°8, Master 2 DICE, Fascicule, p. 5.
37 ROBIN (Cécile), op. cit., p.41
38 CAROLE (Hermon),«La réparation du
dommage écologique, les perspectives ouvertes par la Directive du 21
avril 2004, AJDA, 4 octobre 2004; citée par
http://www.senat.fr/rap/107-348/107-3485.html,
op. cit., p. 1.
81. En droit comparé, il apparait que si le juge civil
français reconnait le préjudice écologique distinct, il en
va autrement du juge administratif. A deux reprises le Conseil d'État
français (CE, 12 juillet 1969, Ville de Saint Quentin; CE, 26 octobre
1984, Fédération des associations de pêche et de
pisciculture de la Somme)39 s'est prononcé contre la
reconnaissance du préjudice écologique dans des affaires
concernant des associations de pêche demandant la réparation du
dommage écologique constitué par la pollution des
rivières, en arguant que ce dommage ne peut «par lui-même
ouvrir droit à une réparation». Mais, l'on peut estimer que
depuis lors, c'est-à-dire vingt-six (26) ans après sa
jurisprudence hostile au préjudice écologique, le Conseil
d'État a dû certainement revoir sa copie parce que les enjeux
politico-judiciaires tendent à une plus grande protection de
l'environnement.
2) Les considérations historiques et politiques
82. Historiquement, au sortir de la seconde guerre mondiale,
des voix commençaient à s'élever partout dans le monde
pour dénoncer la guerre, ses effets néfastes sur la paix et la
sécurité universelles et surtout sur la préservation de
l'environnement et des ressources naturelles. Les deux guerres mondiales ont
contribué à elles-seules à une destruction sans
précédent au plan international des ressources naturelles et
provoqué des pollutions gravissimes. Des villes et villages entiers ont
été décimés et rayés de la carte. Des
forêts ont été dévastées pour en faire des
champs de guerre. Les armes de destruction massives (bactériologiques)
et les essais d'avant-guerre pour tester les performances des armes ont
laissé à jamais des traces indélébiles dans
certaines contrées (dans le pacifique, à Hiroshima et Nagasaki).
Les navires de guerre ont pollué les mers et détruit la faune et
l'écosystème. A la fin de la seconde guerre, le «crime»
nucléaire de Tchernobyl, sans compter les vagues de marées noires
qui s'en sont suivies (Amoco-Cadiz, Exxon Valdez, Erika...) ont enfoncé
le clou des graves pollutions et catastrophes environnementales. A y voir de
plus près, toutes ces pollutions et désastres environnementaux
ont pour origine et point commun, l'industrialisation. Car cette
industrialisation en tant que forme achevée et
matérialisée des progrès scientifiques est aussi la cause
de toutes ces destructions parce qu'elle a permis de produire toutes sortes de
biens (pour se nourrir, se vêtir, se protéger et se tuer) et en
même temps elle a engendré beaucoup de déchets (ordinaires
et dangereux) qui constituent des souches de pollutions.
83. Quant à la politique, son rôle est
déterminant par le fait qu'elle au début et à la fin des
activités humaines. C'est elle qui a généré les
guerres. C'est encore la politique qui a sonné le glas de la prise des
dangers de l'environnement sur la santé, la biodiversité et le
développement. Toutes les conventions internationales sont les
résultats de longues et grandes tractations politiques. C'est donc la
volonté politique affichée par les leaders politiques mondiaux
poussés par la société civile mondiale aux sorties des
nombreuses crises qui a permis de faire ces bonds environnementaux depuis
maintenant un demi-siècle et de consacrer le préjudice
écologique, comme meilleure alternative { la protection de
l'environnement.
39 V. « Projet de loi relatif à la
responsabilité environnementale», op. cit., p. 1.
Section 2. Les conditions d'imputation de la
responsabilité environnementale
I- LES CRITÈRES D'IMPUTABILITÉ
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