4.1.2. Les différents types de modèles
Les économistes utilisent des modèles pour
comprendre l'économie. Les modèles sont des théories qui
synthétisent, souvent en termes mathématiques, les relations
entre variables économiques. Ils sont élaborés en vue d'un
certain nombre d'objectifs : prévision, compréhension,
manipulation, etc.
Dans toutes les économies du monde en
général, des modèles sont développés. Entre
autres modèles utilisés nous avons :
· Les modèles comptables
utilisés pour réaliser des exercices de projection.
Ils sont souvent utilisés pour analyser l'effet des
évolutions démographiques sur les comptes de la
sécurité sociale.
L'avantage de ces modèles est qu'ils sont assez
simples pour pouvoir développer de façon importante les
différents comptes du secteur public. En particulier, le budget de la
sécurité sociale peut être simulé dans ses
différentes composantes. Leur portée est limitée dans la
mesure où ils ne permettent pas d'éclairer les choix de politique
économique ni de rendre compte de l'impact des choix. La réaction
des agents économiques aux différentes politiques possibles est
absente. Aussi, les modèles comptables ne considèrent-ils
nullement les aspects liés à l'investissement et à
l'accumulation du capital.
· Les modèles VAR : Vectoriel
Autorégressif pour l'analyse des prévisions et des fluctuations
conjoncturelles.
Les modèles VAR ne fonctionnent adéquatement
qu'avec un nombre limité de variables, un choix judicieux de ces
dernières s'impose donc. Par ailleurs, l'estimation d'un modèle
VAR requiert l'étude des caractéristiques des séries
pour choisir la variante convenable en plus de la
détermination de l'ordre approprié et de l'identification des
chocs. Deux instruments importants permettent de synthétiser l'essentiel
de l'information contenue dans la dynamique du système.
· Le modèle de croissance de
Solow met en avant les interactions entre croissances du stock de
capital et de la force de travail, d'une part, et progrès technologique,
d'autre part.
Il montre comment ces trois facteurs affectent la production.
La production de l'économie est ainsi réalisée au travers
d'une fonction de production à rendements d'échelle constants
combinant les facteurs travail et capital.
Un premier avantage est qu'on peut calculer dans ces
modèles le rendement du capital. Si on ajoute au modèle de
croissance un marché financier concurrentiel, ce rendement du capital
est alors égal au taux d'intérêt. L'autre
intérêt de l'approche à la Solow est de pouvoir
étudier les réactions du modèle en modifiant de
manière exogène le taux d'épargne.
En son état actuel, ce modèle n'explique pas
l'amélioration constante du bienêtre.
· Les modèles
macro-économétriques : La synthèse
néo-classique (combinaison du schéma keynésien de court
terme et de la théorie de la croissance), jointe aux progrès de
l'économétrie, de la statistique et de l'informatique, a
suscité l'apparition de modèles
macro-économétriques de grande taille dans les pays
développés. De fait, dans les années
soixante/soixante-dix, l'analyse macroéconomique
appliquée s'appuyait souvent sur une utilisation intensive de ces
outils, couplant des représentations de l'offre et de la demande
agrégées à une courbe de Phillips. Des maquettes de plus
en plus détaillées ont ainsi été
développées (multisectorielles, multinationales,
etc.). Ils associent au sein de trois grands blocs d'équations (bloc
réel, bloc prix - salaires, et bloc monétaire/financier), les
principales relations comptables et équations de comportement en oeuvre
dans l'économie.
La disponibilité d'un tel outil est d'un grand secours
pour le décideur car il remplit des fonctions aussi importantes que
celles de support à la définition des programmes
économiques et financiers, d'instrument de dialogue avec des partenaires
au développement, de monitoring des politiques économiques et
sociales. La finalité de ces modèles est donc d'éclairer
le choix des décideurs en apportant des réponses précises
sur les conséquences des mesures qu'ils souhaitent mettre en oeuvre.
Outils incontournables de prévision et de simulation dans les pays
développés, leur complexité, leur opacité, leur
caractère fréquemment keynésien (les seuls effets d'offre
transitent par la demande de travail et d'investissement) et la surabondance de
statistiques qu'ils requièrent (chaque équation est
estimée sur série historique), ont été autant
d'obstacles à leur diffusion au sein des pays en
développement.
Des critiques de ces outils sont toutefois apparues dans le
courant des années soixante et dix, faisant apparaître qu'ils
n'avaient pas toutes les qualités qu'on leur prêtait. Au nombre de
ces critiques, on peut citer celle de Lucas (1976) pour qui ces modèles
ne sont pas invariants à la forme de la politique. Il critique
l'utilisation de ces modèles pour étudier l'impact d'une
modification de la politique économique sur les variables
d'intérêt. Une autre critique empirique développée
par Sims (1980) met en cause la pratique qui impose le caractère
exogène de certaines variables intervenant dans la résolution des
modèles macroéconomiques. Ces modèles imposent des
contraintes sur les variables et des a-priori économiques non
justifiés du point de vue statistique.
A côté de ces critiques fondamentales, il faut
également mentionner d'une part le problème de gestion de ces
modèles qui nécessitent en général la
mobilisation d'une équipe à effectif important
et d'autre part, les difficultés d'actualisation des équations
qui se traduisent souvent par le maintien d'équations obsolètes.
Les macroéconomistes ont alors proposé différentes
approches afin de prendre en compte ces critiques. Les modèles
Dynamiques et Stochastiques d'Equilibre Général (DSEG)
constituent une étape très importante dans cette démarche.
Les modèles DSEG de la dernière génération, qui
incorporent les avancées théoriques et
économétriques les plus récentes, sont aujourd'hui les
outils les plus aboutis de l'analyse macroéconomique. Leur champ
d'application, limité dans un premier temps à l'analyse de
phénomènes particuliers, s'est élargi grâce,
notamment, aux travaux réalisés dans les banques centrales.
Toutefois, il reste que ces modèles ne sont pas
toujours suffisamment détaillés, soit parce qu'ils supposent une
structure de production monosectorielle, soit parce qu'ils n'intègrent
que partiellement les échanges commerciaux internationaux.
· La modélisation RBC (Real Business
Cycle) :
Le courant RBC a commencé à se développer
au début des années quatrevingts. Prenant appui sur les travaux
de Lucas et de la nouvelle macroéconomie classique, il propose une
nouvelle théorie du cycle économique, qui exploite les
propriétés dynamiques du modèle de croissance
néoclassique. Dans les modèles RBC, les fluctuations
économiques sont causées par les réponses optimales des
agents à des chocs de productivité globale des facteurs : Ce sont
donc des chocs réels sur la fonction de production qu'on assimile
communément aux innovations technologiques. En réponse à
ces chocs, les agents effectuent des arbitrages inter temporels sur la
consommation et l'offre de travail, dans un cadre walrasien. Le courant RBC se
caractérise en outre par un cadre de raisonnement et une méthode
de
validation originaux. Ainsi, l'objectif est de construire de
petits modèles compacts, aisément simulables et structurels. Les
paramètres de ces modèles, en nombre restreint, sont
calibrés à partir d'études microéconomiques par
exemple. Parce qu'il n'existe pas de solution explicite au problème,
cette dernière est obtenue par simulations du modèle à
partir des approximations linéaires au premier ordre autour de la
solution d'équilibre. En outre, le critère de validation
empirique des modèles est leur capacité à reproduire dans
leur ensemble les variations et co-variations des principales séries
macroéconomiques (PIB, consommation, investissement, emploi,
productivité).
Pourtant, les premiers modèles RBC échouent dans
leur description du marché du travail: les faits stylisés
concernant l'emploi et la productivité ne sont pas reproduits de
manière correcte par les simulations du modèle. De plus, Les
modèles
RBC avec prise en compte de la monnaie ne parviennent pas
à reproduire les variations cycliques des taux d'intérêt
réels et nominaux (volatilité, persistance). Un mécanisme
théorique semble alors manquer au modèle de base (King et Watson,
1996). Enfin, ces modèles prédisent un accroissement du taux
d'intérêt nominal à la suite d'un choc expansionniste sur
la masse monétaire. Or les études empiriques montrent le
contraire.
· Les Modèles d'Equilibre
Général Calculable (MEGC) apportent dans un cadre
d'équilibre une réponse partielle aux contraintes
théoriques (prise en compte des effets d'offre et des
réallocations sectorielles) et pratiques (manque d'informations
statistiques) pesant sur la modélisation macroéconomique dans les
pays en développement.
En effet, leurs besoins statistiques se limitent pratiquement
à renseigner, sur une année de référence, une "
matrice de comptabilité sociale " (MCS), qui
retrace, à partir du TCEI et du TRE de la
comptabilité nationale, les flux économiques entre secteurs et
agents.
Dans notre typologie simplifiée, ces modèles
apparaissent comme une application numérique de " l'équilibre
général " concurrentiel, de la microéconomie
traditionnelle au sens d'Arrow Debreu : les comportements isolés mais
rationnels des agents, transcrits en programmes d'optimisation, s'harmonisent
grâce aux prix d'équilibre, qui permettent l'égalisation
simultanée de l'offre et de la demande sur tous les marchés. Le
modèle d'équilibre général concurrentiel est devenu
" calculable " grâce aux algorithmes informatiques
développés dans les années 1970, en passant par un "
calibrage " préalable du modèle, c'est-à-dire le choix
déterministe des paramètres et leur mise en cohérence sur
l'année de base de la MCS. Il permet d'analyser quantitativement
certains problèmes de politique économique peu ou mal
traités par les autres outils. Construits pour apporter une
réponse à un problème particulier, ces modèles "
jetables après usage " éclairent les canaux de transmission des
politiques économiques incitatives agissant, à long terme, via
les marchés, par des effets d'offre et de redistribution.
Si le modèle de planification multisectoriel de
Johansen sur la Norvège (1960) peut être considéré
comme l'ancêtre des modèles EGC, ceux-ci sont sans doute mieux
représentés, pour la " première génération
", par les travaux de Shoven et Whalley (1992) et ceux qui s'y rattachent. Ces
modèles néoclassiques, désagrégés au niveau
des entreprises comme des ménages, greffent, autour d'un noyau walrasien
simple, l'agent Etat (et sa fiscalité) et l'agent Reste du monde.
D'où leur utilisation, dans les années 70, à
l'étude de thèmes tels que les politiques fiscales ou les
échanges internationaux. Ces premiers modèles sont purement
statiques et fondés sur la théorie des avantages comparatifs au
sens de Hecksher - Ohlin - Samuelson. Leurs insuffisances ont conduit, depuis
1984, à la mise au point d'outils plus
élaborés, dynamiques ou incorporant les nouvelles
théories des échanges (différenciation de produits,
concurrence imparfaite et économies d'échelle).
Mais, ce faisant, les MEGC se sont peu à peu
éloignés de leur épure
walrasienne, en intégrant des spécifications ad
hoc aux fondements microéconomiques parfois mal éclaircis.
Robinson (1989) distingue trois étapes dans ce cheminement :
1. l'introduction de substitutions imparfaites entre les
facteurs ou les produits ("elasticity-structuralist models ") ;
2. l'introduction de rigidités sur les prix ("
micro-structuralist models ") ;
3. le traitement de liens entre les parties réelles et
nominales (" macrostructuralist models ").
Depuis quelques années, les MEGC sont devenus des
instruments privilégiés d'analyse des politiques de
développement. Pourtant, en matière de prévision, ils ne
peuvent se substituer aux modèles macro-économétriques (ou
aux modèles " VAR "), plus fidèles d'un point de vue empirique.
Cependant, les MEGC sont mieux adaptés à l'appareil statistique
de ces pays car la pratique du calibrage requiert moins de données
statistiques que l'estimation économétrique. Par ailleurs, les
MEGC prennent en compte les effets d'offre et de réallocation
intersectorielle, ce qui leur donne un avantage décisif sur leurs
concurrents keynésiens pour analyser les politiques d'ajustement
centrées sur la restructuration de l'offre productive.
Les MEGC, situés à la frontière de la
recherche et de la décision, ont en outre, l'intérêt
d'assurer la connexion "en temps réel" entre certains
développements récents de la micro-économie
(anticipations, concurrence imparfaite, générations
imbriquées et équilibre inter-temporel, etc.) et les
problèmes
concrets que posent les politiques de développement, en
"testant" ces politiques sur des économies archétypes.
Tout à la fois "expériences de pensée" et
"instruments pertinents d'analyse", les MEGC ont des atouts qui
résultent de cette nature hybride, mais aussi des faiblesses.
Leurs résultats sont fortement sensibles d'une part,
aux formes fonctionnelles et aux valeurs des paramètres qui
caractérisent les comportements microéconomiques et d'autre part,
aux modes de bouclage macroéconomiques choisis (les façons dont
l'équilibre est réalisé ex post, les choix des variables
qui servent à équilibrer les marchés). Cette
sensibilité des résultats est illustrée par les
modèles d'échange, dont la première
génération, fondée sur la théorie des avantages
comparatifs dans un cadre statique, faisait apparaître un très
faible gain de croissance résultant de l'ouverture des frontières
négociée au sein du GATT. Il a fallu attendre une seconde
génération de modèles, prenant en compte les
échanges intra-branches, la concurrence imparfaite et les rendements
d'échelle, pour obtenir des résultats plus conformes aux
attentes, quoique toujours très dépendants des
spécifications.
Pour pallier ces inconvénients en l'absence
d'estimation économétrique solide des fonctions de comportement,
il est d'usage de réaliser des "tests de sensibilité" portant sur
les paramètres stratégiques des modèles. On peut
même calculer des "régions de confiance" statistiques pour les
résultats des modèles, en imputant une loi de probabilité
aux paramètres.
Mais le choix des modes de bouclage a souvent tout autant,
sinon plus, d'influence sur les résultats que les paramètres et
les spécifications des comportements micro-économiques pris un
à un. Ces modes de bouclage sont encore plus difficiles à valider
ou à tester. Par exemple, l'équilibre général
walrasien ne déterminant pas le niveau général des prix, "
l'ancrage nominal "
des MEGC s'effectue par l'adjonction d'un bloc
macroéconomique et financier, qui peut revêtir de nombreuses
formes. L'école dite " néostructuraliste " a mis l'accent sur les
modes de bouclage alternatifs au schéma néo-classique (dans
lequel l'épargne joue un rôle moteur) : bouclage fishérien
par les taux d'intérêt; keynésien par le volume de
production ; kaldorien par l'épargne forcée, etc.
Hypothèse cruciale et difficile à valider, chaque mode de
bouclage renvoie fondamentalement aux caractéristiques institutionnelles
des économies. Cependant, à part leur justification
institutionnelle, les modes de bouclage ou " fermetures macroéconomiques
", ne peuvent pas être validés directement sur données
empiriques.
L'une des prochaines étapes pourrait être le
développement de maquettes multisectorielles et multi-pays qui
permettront par exemple, une meilleure prise en compte de
l'hétérogénéité (notamment intra zone) et
à terme, d'analyser plus finement les canaux de transmission de la
politique monétaire.
· Les modèles multi-pays :
Le caractère ouvert de l'économie est un
élément crucial à prendre en compte de façon
satisfaisante. L'hypothèse parfois soutenue de petite économie
ouverte est très insatisfaisante sur un horizon lointain. En effet, il
revient à supposer que le taux d'intérêt est donné
par celui du reste du monde. Les capitaux internationaux se localiseront de
manière à égaler la productivité marginale du
capital de chaque pays; comme l'économie domestique peut s'endetter
infiniment vis-à-vis du reste du monde au taux mondial en vigueur. Les
conditions intérieures (épargne...) n'ont pas d'effet sur la
dynamique de l'accumulation du capital, ce qui est une propriété
regrettable du modèle sur un horizon de 50 ans. Une alternative
intéressante est celle proposée par Docquier, Liégeois et
Stijns, 1997. Ils simulent dans un premier temps un modèle
représentant l'environnement du pays que l'on étudie et
obtiennent
ainsi des valeurs pour le taux d'intérêt mondial
qui sont cohérentes avec les développements démographiques
dans cet environnement. Ensuite, le modèle de l'économie
domestique est simulé en prenant comme input les résultats du
premier modèle pour les variables internationales. Ceci revient à
supposer que les politiques économiques domestiques n'ont pas d'effet
sur les variables internationales, ce qui est réaliste. Dans l'avenir,
on pourrait imaginer un véritable modèle multi-pays qui prenne
explicitement en compte les relations qui existent entre ceux-ci.
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