II.1.2 ...A LA LOGIQUE DU LIEU...
Le lieu, selon M.Lussault [GUY DI Méo : 2000],
constitue la plus petite unité spatiale complexe. Il se
caractérise par sa brève continuité, la
contigüité des tissus qui le composent. Le lieu peut être une
aire géographique vaste comme le Silicon Valley à San Francisco
[Bourdin : 2000 : 57]. Il porte en lui un sens spatial particulier qui lui
rend, comme D.Retaillé [GUY DI Méo : 2000] l'a remarqué,
un milieu doué d'une <<puissance>> capable de grouper et
maintenir ensemble des êtres hétérogènes en
cohabitation et corrélation réciproque. Cette capacité de
regrouper s'explique par les logiques qui le fondent, à savoir <<
l'identité locale>>, << l'appropriation>> et <<
l'appartenance >> [Julien Aldhuy : 2009 : 5].
L'identité est un terme polysémique. Selon les
définitions données par le Petit Robert,
il évoque la similitude, << caractère de ce qui est
identique >>, l'unité, << caractère de ce qui
est UN >>, la permanence, << caractère de ce qui reste
identique à soi-même >>, la reconnaissance
et l'individualisation, << le fait pour une personne
d'être tel individu et de pouvoir également être
reconnue pour telle sans nulle confusion grâce aux
éléments qui l'individualisent » [V.De Gaulejac : 2002 : 1].
L'identité se définit d'une façon objective en s'appuyant
sur des critères de nature juridique (diplôme,
nationalité...), et sur des critères de nature subjective qui
renvoie quant à elle à des <<représentations de
soi-même » confronté au regard des autres sur soi.
Le mode d'inscription identitaire ne se fait pas d'une
façon linéaire, mais selon et suivant un processus dialectique du
rapport sujet/objet. [V.De Gaulejac : 2002 : 2]. Donc, il est question de
parler <<processus identitaire » plutôt qu'une entité
qui renvoie l'idée de la stabilité et de la permanence. La notion
de processus implique l'idée de changement, alors que l'identité
est synonyme de ce qui est identique, de similitude et d'une stabilité.
C'est paradoxal comme situation. Le développement durable reflète
le même cas. Développement synonyme de changement, et durable
synonyme de tout ce qui ne change pas. Ou est la durabilité ? Le
développement durable est un concept qui fut crée pour <<
maintenir la biosphère et garantir un développement qui dure dans
le temps ». Entre autre c'est l'objectif et la valeur qui sont durables.
Et pour l'identité, où se trouve la permanence? Edmond Marc
Lipianski, Isable Taboada-Leonetti et Ana Vasquez [cités par De Gaulejac
: 2002 : 4] parlent à ce propos << d'unité diachronique
d'un processus évolutif ». C'est bien l'épaisseur du temps
et la stabilité de l'objectif qui garantissent cette <<permanence
identitaire ».
L'identité locale se définit comme un
phénomène de représentations [Caterine Reginensi, 2000 :
357]. Cette représentabilité peut être instaurée par
l'histoire [Ch.Robin : 2000 : 116] comme elle peut être carrément
inventée [Carlini: 2003 : 113]. Et dans les deux cas, le lieu est la
ressource qui permet cette re-construction identitaire. Tout d'abord,
l'histoire saisie dans le sens institutionnel se veut unifier les
mémoires collectives et à leur donner une certaine unité.
La mémoire collective, quant à elle, se définie comme une
réappropriation du passé accordée aux aspirations du
présent. Halbwachs, dans la << La Topographie
légendaire », a montré à travers les
récits des fables de la mémoire de L. Valensi
[cité par Mazzella : 2008], que l'histoire subit une sorte d' <<
affabulation », de <<variations de mémoires »,
liée aux aspirations des groupes qui vivent l'instant présent.
Son efficacité est jaugée par sa capacité de lier l'espace
au temps [Mazzella : 2008]. Tout cela témoigne le caractère,
à la fois, << subjectif » et << heuristique » de
la mémoire collective. Cette mémoire
collective une fois réappropriée se
présente comme un << mythe >> autour duquel gravitent un
ensemble de pratiques sociales, ce qui s'exprime en << ordre local
>>. Autrement dit, et comme disait Norberg-Shultz, ce théoricien
de l'espace [cité par Lefebvre: 1986 : 343], le jalonnement du local n'a
pour but que la << mémorisation >> et la
<<reconnaissance>> (subjective) des lieux. La mémoire
collective se maintient par une intériorisation, puis
extériorisation sous forme d'un ensemble de pratiques sociales qui ne
sont pas universelles, elles sont structurées selon des «
modèles culturels », des habitus dirait Bourdieu, ou le propre et
le sale, le montré et le caché, le privé et le public, ne
sont pas forcément distribué, voire distingués de
façon univoque et universelle [cité par Ch.Robin, 2000 :
113]. La proximité culturelle (mémorielle) crée un
sentiment << d'appartenance >> à un groupe et abolit donc
les distance. Et c'est dans cette aire d'appartenance et de proximité
que nous voyons se former un schéma complexe de <<socialisation
urbaine17 >>, qui, elle, transgresse le lieu, propre à
un monde constitué anthropologiquement, pour créer soit une
continuité ou une frontière socio-spatiale avec d'autres lieux,
et cela via le jeu de communication identitaire qui fait et défait les
groupes [Bourdieu, 1997 : 283]. L'identité se traduit comme un principe
qui tend à organiser << l'architecture sociale >> et les
pratiques sociales du local en définissant ce que peuvent être les
groupes sociaux locaux [Bourdin : 2000 : 199].
Dans cette optique d'identité et de mémoire
locales, Les lieux patrimoniaux sont porteurs de structures immuables et
peuvent constituer la référence de l'ici et maintenant
[Bourdin : 2000 : 37]. Quand ces lieux se présentent comme contexte
d'action, cela permet une <<substantification >> de cette
référence. << Le patrimoine fait le territoire, qui fait le
local>> [Bourdin : 2000 : 44]. C'est-à-dire, la possibilité
de maintenir la population locale ainsi que leurs pratiques sociales ou les
développer à leur faveur. In fine, le lieu se
présente aussi comme un <<capital symbolique >> pouvant
<< orienter >> et constituer donc une << utilité pour
l'action >> (de type bottom up, par le bas). Et comme
exemple d'action bottom up, nous citons le cas des quartiers bolonais
qui ont été restaurés grâce à une
mobilisation poussées par les Comités d'intérêt de
quartier [CIQ], et qui a aboutit à une réhabilitation avec le
maintien des habitants. Nous avons présenté le lieu comme un
capital symbolique (identité et mémoire collective), lié
au temps comme à l'espace, et maintenu par un ensemble de pratiques
sociales. Ce qui lui permet, bien évidement, d'être un point
d'appuie et de
17 Danilo Martucelli et François De Singly [2009 :
52-80] distinguent quatre modes de socialisation. (i) socialisation
adossé aux habitudes (ii) socialisation par les normes (iii)
socialisation soutenu par autrui (iv) socialisation construite par les
épreuves. Les deux premiers modes insistent sur le coté
multiformes d'incorporation du social, les deux derniers accentuent davantage
le travail du groupe sur soi. Autrement dit, une socialisation inconsciente et
consciente.
résistance pour les habitants du lieu, comme ça
peut aider les pouvoir publics à s'infiltrer dans les interstices de la
mémoire du lieu et faire passer leur vision d'ordre global et assurer
par la suite une continuité des lieux et c'est ce qu'on va essayer de
déceler en explorant la reproduction de l'espace selon la logique de
territoire.
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