La protection des droits du débiteur saisi dans la réalisation de l'immeuble apporté en garantie d'une créance( Télécharger le fichier original )par Mahaman Rabiou OUMAROU UFR/SJP de Ouagadougou - DESS en Droit des Affaires 2006 |
SECTION I : Une procédure non maitrisée par les praticiens du droit27(*)L'entrée en vigueur de l'Acte Uniforme le 1er juillet 1998 avait fait nourrir beaucoup d'espoir dans les Etats membres, surtout chez les praticiens du nouveau droit communautaire que sont les juges, les avocats, les huissiers et les notaires. En effet, tous semblaient unanimes sur la révolution apportée par la législation communautaire du point de vue de la simplicité et de la rapidité des procédures prévues. Ont-ils eu raison de le croire ? Peut-être oui, car l'intitulé28(*) de cet Acte Uniforme lui-même concourt légitimement à cette croyance. Pour l'heure, force est de reconnaitre que, si l'hypothèque est aujourd'hui plus facilement admise, elle apparait souvent au créancier et au banquier comme une garantie qui n'en est pas une, dans la mesure où la réalisation judiciaire, sur saisie immobilière de l'immeuble hypothéqué se révèle extrêmement difficile à mener à une bonne fin pour des raisons qui, outre juridiques, sont aussi, le cas échéant, des raisons d'ordre social. Au cours de notre stage, l'examen des résultats29(*) de la pratique du droit de la saisie immobilière nous a amené au constat suivant : il y a une inadéquation de la nouvelle législation avec le contexte socio-économique actuel (Paragraphe I), toute chose qui ne favorise pas la maitrise de celle-ci par nos juges et auxiliaires de justice (Paragraphe II). Paragraphe I : L'inadéquation de la nouvelle législation aux contexteséconomique et social
Au début des années 1980, les banques nigériennes avaient été confrontées à un problème sérieux de réalisation des garanties. A l'époque, la saisie immobilière telle que régie par les textes s'avérait inefficace pour un certain nombre de raisons dont entre autres : - la lourdeur et le coût de la procédure ; - les considérations sociologiques et religieuses qui, dans la pratique, empêchent certaines personnes pourtant intéressés par l'immeuble saisi de se porter publiquement acquéreurs ; - l'exigence d'un paiement immédiat et au comptant du prix excluant du coup la plupart des éventuels candidats ; - la difficulté de trouver un prix intéressant lors de la vente à la criée. Devant toutes ces raisons et bien d'autres, avant l'avènement de l'Acte Uniforme, pour contourner les difficultés des saisies immobilières, les banques nigériennes utilisaient des procédés plus faciles comme par exemple le pouvoir spécial pour vendre de gré à gré, en abrégé PSVGG. N'est-ce pas dans cet esprit que le Professeur Guy A. KOUASSIGAN30(*) disait que « il n'y a pas de politique du crédit sans une politique correspondante des garanties qui peuvent en assurer le remboursement » ? En effet, le PSVGG est un contrat conclu entre le débiteur et la banque par lequel, le débiteur donnait pouvoir à la banque, en cas de non remboursement du prêt à l'échéance de vendre l'immeuble donné en garantie sans passer par la procédure de saisie immobilière en vigueur en ce moment. Dans ce contrat, il est stipulé que la banque procèdera à la vente de l'immeuble sans recourir à une procédure longue et coûteuse. Comme annoncé en sus31(*), l'avènement de l'Acte Uniforme sur les voies d'exécution avait nourri beaucoup d'espoir chez les praticiens de la chose. Mais très vite, on s'est rendu à l'évidence au fil du temps que la complexité de la procédure émane de la loi elle-même comme en témoignent certaines de ses dispositions. A titre illustratif, l'article 246 de l'Acte Uniforme dispose que : « le créancier ne peut faire vendre les immeubles appartenant à son débiteur qu'en respectant les formalités prescrites par les dispositions qui suivent. Toute convention contraire est nulle ». Et l'article 247, alinéa 1er du même Acte Uniforme pour sa part dispose que la vente forcée ne peut se faire que sur un titre exécutoire. Or, l'obtention du titre exécutoire n'est pas une chose aisée. Le PSVGG32(*) est le reflet du génie d'un monde des affaires qui a voulu à sa façon, organiser son système de réalisation de la garantie immobilière. Et en jugeant de lui faire produire ses pleins effets, certains (Avocats, Juristes des banques, Magistrats) pensent33(*) que les tribunaux nigériens, toujours à la quête d'une rationalité dans des décisions qu'ils rendent, ont juste fait une application de la loi des parties. Malheureusement, la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage (C.C.J.A) n'a pas suivi les juridictions nigériennes. Ainsi, en décidant de la censure des tribunaux de Niamey34(*), la C.C.J.A n'a pas donné suite à « l'offre » faite au monde des affaires. En prohibant les conventions (comme le PSVGG) qui ont pour objet de déroger aux règles prévues, l'Acte Uniforme condamne la clause de voie parée. Cette clause est l'acte par lequel, le débiteur consent, à l'avance, au créancier, le droit de vendre à l'amiable l'immeuble hypothéqué à son profit en le dispensant de respecter la procédure légale de vente aux enchères publiques à la barre du tribunal. Malgré les termes utilisés par les rédacteurs de l'Acte Uniforme, on est tenté de nuancer la portée de cette interdiction. C'est le lieu d'observer que la règle formulée par l'article 246 de l'Acte Uniforme a le même objet que celle résultant de l'article 742 de l'Ancien code français de procédure civile. Or, la jurisprudence qui s'est dégagée à propos de ce texte s'est attachée à en restreindre le domaine. Partant de l'idée que, le débiteur n'a besoin de protection qu'au moment où il s'oblige, parce qu'en ce moment il ne jouit pas d'une indépendance complète et n'est pas suffisamment libre de discuter les termes de son obligation, la Cour de Cassation française valide les conventions intervenues postérieurement à la naissance de la dette35(*). C'est dans une démarche pareille à celle de cette jurisprudence de la Cour de Cassation française que de la Cour d'appel et le Tribunal Régional de Niamey36(*) ont rendu leurs décisions37(*). D'où, le lieu de le souligner avec regret que, pour tous ceux qui prônent l'avènement d'un droit de saisie immobilière inspiré de notre monde d'affaires, l'occasion est donc une fois de plus manquée pour apprécier, l'aptitude à régir notre monde des affaires, par des règles secrétées par notre environnement socio-économique. Comme l'a souligné M. Djibril ABARCHI « Dans le milieu des affaires, une garantie des engagements souscrits, quelle que soit sa nature ou son imperfection, n'est jamais inutile »38(*). Par ailleurs, les mêmes difficultés ayant contraint les banques du Niger à la pratique du PSVGG se sont retrouvées dans les pays de la sous-région. En effet, lors de la réunion des juristes de banques tenue en novembre 1998 à Cotonou, il s'est avéré que seules les villes d'Abidjan et de Dakar disposent d'un vrai marché immobilier permettant à la saisie immobilière de se pratiquer dans des meilleures conditions. Ailleurs, on utilise des dérivatifs39(*). Ces pratiques se sont encore révélées d'actualité lors d'une autre réunion des juristes de banque tenue à Ouagadougou en novembre 2002. Au risque de voir davantage un durcissement des conditions d'octroi de crédit sous garantie immobilière, dans la prise des textes, le législateur communautaire doit être encore plus regardant sur ce qui se passe dans la pratique. Car quoique l'on dise, notre droit doit s'accommoder avec les besoins de nos sociétés. Au plan sociologique, nous savons qu'en Afrique, il existe au sein des sociétés des valeurs morales qui sont ancrées dans nos mentalités. C'est le cas de l'adage « nul ne doit profiter du malheur de l'autre ». Ce dicton semble être respecté dans le cas des saisies immobilières. En effet, en cette matière on assiste à une très grande réticence des Nigériens à acquérir des immeubles à la suite d'une vente sur saisie immobilière. Selon leur conception, Dieu ne leur pardonnera pas le fait d'avoir profité de la mauvaise posture dans laquelle se trouve le débiteur pour s'approprier son immeuble qui, très souvent, constitue la demeure familiale. En plus, il serait mal vu de voir expulser des gens de leur maison. On se dit peut-être que se serait son tour un jour. Ce sont toutes ces raisons qui font que les citoyens n'aiment pas acquérir des immeubles provenant d'une vente forcée. A l'heure actuelle, il y a un manque crucial d'enchérisseurs. Le plus souvent c'est la banque qui se retrouve adjudicataire40(*). Or, la réglementation bancaire ne leur permet pas la gestion des immeubles hors exploitation au-delà de deux ans. En outre, notons dans le même ordre d'idées que les gens ont tendance à considérer les biens saisis et vendus aux enchères comme des biens volés ou des biens porte-malheur que l'on ne peut accepter d'acquérir qu'à vil prix. A ces inadéquations aux contextes économique et social de la nouvelle législation communautaire viennent s'ajouter des difficultés d'ordre judiciaire * 27CCJA arrêt N°013/2002 du 18 avril 2002 « Du fait de l'article 336 de l'AUPRSVE qui abroge toutes les dispositions relatives à la matière des saisies dans les Etats parties au traité de l'OHADA, le délai d'appel contre les décisions rendues en audience éventuelle doit être apprécié par rapport aux articles 30 et 49 dudit acte et non par rapport à une disposition interne. En l'espèce doit être cassé l'arrêt de la cour d'appel d'Abidjan qui en se fondant sur l'article 403 du code Ivoirien de procédure civile a déclaré recevable l'appel interjeté contre un jugement du tribunal de première instance d'Abidjan rendu à l'audience éventuelle. Dans le même sens, l'article 300 de l'AUPSRVE dispose que l'appel se fait dans les conditions de droit commun. Le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar interprétant ces dispositions a toujours considéré que l'appel fait contre le jugement rendu à l'audience éventuelle était suspensif en vertu des règles de droit commun interne qui prévoient un délai d'appel de 2 mois et qu'aussi bien l'appel que le délai pour y procédé sont suspensifs. La CCJA quant à elle, statuant sur une décision de la Cour d'Appel d'Abidjan ayant déclaré irrecevable un appel fait au-delà du délai de 15 jours sans, remettre en cause le caractère suspensif de l'appel, a estimé en outre que le délai d'appel était de 15 jours et non de 2 mois comme dans le droit commun ivoirien pour finalement confirmer ladite décision au motif que le droit commun de l'appel trouve son siège dans l'article 49 de l'AUPRSVE. * 28 Cet Acte Uniforme est intitulé : Acte Uniforme portant Organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement des Créances et des Voies d'Exécution. * 29 Ce terme doit être entendu de façon large. Il s'agit des résultats de la jurisprudence, de l'état de la maitrise de cette nouvelle législation par les praticiens du droit et nos opérateurs économiques * 30. Encyclopédie juridique de l'Afrique, op cit. * 31 V. page 28. * 32. Les arguments suivants sont avancés en faveur du PSVGG : le principe de la liberté des conventions et la possibilité d'échapper aux formalités lourdes et coûteuses de la saisie immobilière normale. * 33 Acte du séminaire sur « Le droit OHADA à l'épreuve de la pratique nigérienne » dont la communication de Maître Souleymane YANKORI intitulée : Le pouvoir spécial de vente de gré à gré, Niamey, décembre 2003. * 34. CCJA, arrêt n°002/2005 du 27 janvier 2005, aff. Abdoulaye B B contre BIA-Niger * 35 Tel est le cas du mandat donné postérieurement à l'échéance de la dette par le débiteur au créancier en vue de la vente de l'immeuble sans respecter les formalités de la saisie immobilière. Sur cette question, V. DONNIER « Voies d'exécution et procédures de distribution », Litec, 5e édi. 1999 n°66, p.25 * 36 Devenu Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey (v. la loi organique n°2004-50 du 22 juillet 2004 fixant l'organisation et la compétence des juridictions en République du Niger ; J.O spécial n°14 du 15 juillet 2004) * 37 Cour d'appel de Niamey, arrêt N° 76 du 23 mai 2001 A.B.B contre BIA Niger et Tribunal Régional de Niamey, jugement n°261 du 31 juillet 2002 A.B.B contre BINCI et GS. * 38. Djibril ABARCHI « L'introduction du `'TOLME'' ou `'DJINGUINA'' dans le nouveau code de commerce nigérien : une tentative de valorisation d'une sûreté traditionnelle aux suites incertaines », in Revue nigérienne de droit, p. 55, (disponible sur http:// www.ohada.com/doctrine). * 39. Selon le rapport de la rencontre des juristes des banques (Cotonou novembre 1998), au Burkina, les banques utilisent la dation en paiement, au Mali c'est une vente de gré à gré après autorisation de la mairie. Malheureusement, dans nos recherches nous n'avons pas trouvé des exemples concrets. * 40. A la Société Nigérienne des Banques (SONIBANK) une longue liste des maisons dont elle est adjudicataire ou créancière hypothécaire est affichée au ré-de chaussé du bâtiment. |
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