Trois canaux de propagation de la crise aux économies
africaines sont examinés dans cette rubrique. Il s'agit de
l'interdépendance entre le système bancaire des pays africains et
celui des banques occidentales, l'arrêt des flux financiers en direction
de l'Afrique et le resserrement du crédit.
B-1.1.1. Interdépendance entre le
système bancaire des pays africains et les banques
internationales
Depuis le début des années 1970, on assiste
à une expansion des institutions bancaires internationales dans les pays
émergents. Le nombre de banques d'origine étrangère
installées dans les pays émergents est passé de 575 en
1995 à 897 banques en 2006. Ces dernières représentaient
40% des avoirs des banques étrangères internationales en 2006
contre 20% en 1995. L'Afrique sub-saharienne possède 6% de ces avoirs
extérieurs des banques internationales (Banque Mondiale, 2008).
En moyenne, la part du capital détenue par les banques
étrangères dans le capital des banques installées dans les
pays d'Afrique subsaharienne6 a presque doublé entre 2000 et
2005 comme l'indique la figure B.1.
6 Ce groupe inclus les pays suivants : l'Angola, le Benin, le
Botswana, le Burkina Faso, le Burundi, le Cameroun, la Côte d'Ivoire ,
l'Ethiopie, le Ghana, le Kenya, le Lesotho, Madagascar, le Malawi, le Mali,
l'Île Maurice, le Mozambique, la Namibie, le Niger, le Nigeria, le
Rwanda, le Sénégal, les Seychelles, le Sierra Leone, l'Afrique du
Sud, le Soudan, le Swaziland, la Tanzanie, l'Uganda, la Zambie et le
Zimbabwe.
Figure B.1 : Part du capital des banques
domestiques détenues par les banques étrangères par
région (en % des capitaux totaux du secteur bancaire
domestique)
60,0%
All
developped
Regions
South Asia Middle East & North Africa
East Asia &
Pacific
Latin
America &
Caribbean
Sub-Saharan
Africa
Eastern
Europe &
central Asia
1995 2000 2005
50,0%
40,0%
30,0%
20,0%
10,0%
0,0%
Source: La Banque Mondiale (2008), CULL R. et PERIA
M. (2007)
Il ressort de ce graphique que l'Afrique sub-saharienne
serait l'un des groupes de pays exposés aujourd'hui à la crise
à travers son système bancaire, les propriétaires
majoritaires étrangers détenant en moyenne plus de 50% du
capital7. On a des cas extrêmes comme celui de Madagascar, du
Mozambique, du Swaziland ou de la Zambie où les propriétaires
étrangers détiennent la quasi-totalité du capital
(c'est-à-dire plus de 90%).
La majorité de ces banques étrangères
sont d'origine européenne (73,4%), les autres étant le plus
souvent d'origine américaine (11,9%), japonaise (4,3%), ou canadienne
(1,5%). Cette diversification géographique des banques internationales
qui les exposaient hier au risque pays, expose aujourd'hui les pays
émergents à la crise. En effet, cette implantation abondante des
banques étrangères en Afrique est source de contagion, en temps
de crise, des défaillances du système bancaire des pays
avancés.
La première source de contagion est la perte
bancaire. En effet, l'interdépendance entre les banques
installées en Afrique et celles des pays avancés a
créé des marchés de gré à gré. La
surliquidité des banques en Afrique, due principalement à
l'imperfection du marché local du crédit, a amené ces
succursales à opérer des placements dans les banques des pays
avancés. Le solde de la position extérieure des banques d'Afrique
sub-saharienne vis-à-vis des banques étrangères est
resté créditeur et consistant après la crise (situation de
septembre 2008, (BRI, 2009)). Ainsi, si cette situation ne
change pas, une éventuelle faillite des banques « mères
» ferait perdre énormément de ressources aux banques
domestiques. Si aucune perte bancaire n'est annoncée explicitement en
Afrique, il ne fait guère de doute que par ce mécanisme, les
banques des pays d'Afrique sub-saharienne sont exposées aux
créances désormais douteuses des banques « mères
».
La deuxième source de contagion pourrait
être un bank run, causé par la panique des
déposants suite à l'augmentation du risque de faillite des
banques « mères ». En effet, la faillite d'une banque
européenne dont une filiale se trouve en Afrique pourrait
précipiter les déposants aux guichets. Le soutien des
gouvernements européens aux banques « mères » a,
jusqu'à présent, permis d'éviter la panique dans les
filiales en Afrique. Cependant, les menaces de faillite pèsent toujours,
car toutes les pertes dues aux « subprimes » n'ont pas
7 Les pays dans lesquels les banques
étrangères détiennent moins de 50% du système
bancaire sont le Burkina Faso (30,4%), le Burundi (21, 5%), l'Ethiopie (0,0%),
le Malawi (27,9%), l'Ile Maurice (24,7%), le Nigeria (11,2%), l'Afrique du Sud
(10,8%), le Soudan (4,7%) et le Zimbabwe (33,3%).
encore été répertoriées et
provisionnées. Le FMI a d'ailleurs déclaré que 75% des
banques européennes étaient exposées aux actifs toxiques,
ce qui les exposerait autant à la faillite que leurs homologues
américaines. En bref, un risque de bank run pèse sur les
banques d'Afrique sub-saharienne à cause de l'augmentation du risque de
faillite des banques « mères ».
La troisième source de contagion pourrait
être une crise de liquidité. En cas de panique conduisant à
l'assèchement des banques locales, ces dernières ne pourraient
pas reprendre leurs créances auprès de leurs banques «
mères ». En effet, en cherchant à restaurer leur
liquidité, les banques « mères » se trouveraient dans
l'incapacité de rembourser ou de prêter à leurs filiales
d'Afrique sub-saharienne. Dans cette situation, ces filiales se retourneraient
vers le marché interbancaire domestique. Or ces filiales des banques
étrangères y sont majoritaires, ce qui pourrait se traduire par
une demande de liquidités nettement supérieure à l'offre.
De plus, connaissant leur situation, les autres banques pourraient refuser de
leur prêter des liquidités. On pourrait ainsi arriver à une
situation où les banques refuseraient de se prêter entre elles, ce
qui aboutirait à un arrêt du marché interbancaire. Dans ce
cas, les banques centrales africaines devraient jouer leur rôle de
prêteur en dernier ressort et réguler plus que jamais les sorties
de capitaux pour éviter leur fuite (par exemple, les placements
extérieurs excessifs au moment où le marché interbancaire
ne fonctionne pas).
En résumé, l'interdépendance entre le
système bancaire domestique et les banques européennes et
américaines expose l'Afrique sub-saharienne à la crise. Les
sources de contagion sont : les probables pertes bancaires dues aux placements
dans les banques européennes, un bank run dont l'origine serait
l'augmentation du risque de faillite des banques « mères » ou
une crise de liquidité, conséquence du bank run et de la
rareté des ressources financières dans les banques «
mères » ou de l'arrêt du marché interbancaire.
B-1.1.2. Les Investissements Directs Etrangers (ou
IDE) et les autres flux financiers en direction de l'Afrique
Pour les pays émergents, les IDE sont des
entrées de capitaux susceptibles de créer des emplois productifs.
Ils facilitent aussi le transfert de technologie et de savoir-faire qui se
transforme en gains de productivité pour les entreprises locales. Enfin,
les IDE améliorent les possibilités d'exportation du
pays-hôte grâce au commerce international (ZIMMERMANN,
2008).
Selon la Conférence des Nations Unies sur le Commerce
et le Développement (ou CNUCED), l'Afrique ne reçoit qu'une
très faible part de flux mondiaux d'IDE (environ 3% en 2007, ce qui
représente quand même une nette amélioration par rapport
aux 1% reçus en 2001 par exemple). Cette situation est due à un
environnement économique, juridique et judiciaire « peu attractif
», caractérisé par une instabilité politique, des
guerres civiles, l'absence de transparence institutionnelle et des relations
contractuelles peu développées. Malgré cette part
relativement faible, ces flux de capitaux constituent un moteur
indéniable pour la croissance des pays africains grâce aux
mécanismes exposés ci-dessus, d'autant que l'épargne
locale nécessaire pour financer les projets à moyen ou long
terme, est presque nulle.
Or, après le déclenchement de la crise dans les
pays avancés, on a assisté à une stagnation des flux
d'entrée d'IDE, voire une raréfaction des flux financiers en
direction de l'Afrique (figure B.2). Sachant qu'il existe un risque de
crise financière suite à la décroissance des IDE
(FAOUZI, 2004), comme ce fût le cas pour la Crise Asiatique, on
se doit de s'interroger sur ce risque en Afrique.
Figure B.2 : Evolution des flux financiers vers
l'Afrique (en milliards de US $)
Source : FMI (Octobre (2008 b))
Globalement, le taux de croissance annuel des flux financiers
vers l'Afrique a baissé en 2008. Les flux de portefeuille sont devenus
négatifs tandis que les transferts des migrants, les IDE et les aides
ont stagnés. La Banque Mondiale ((2009 a), P. 3) prévoit une
contraction encore plus significative de ces transferts de capitaux en 2009. Ce
ralentissement des flux d'IDE et de portefeuille auront pour conséquence
la diminution des activités au niveau des entreprises. Quant aux
transferts des migrants, leur diminution aura un impact négatif sur la
pauvreté des ménages par le ralentissement de la consommation et
des activités informelles, principale source de revenu des
ménages pauvres. La situation est préoccupante dans certains
pays, par exemple le Lesotho, où les transferts de capitaux des migrants
représentent 29% du PIB. Le soutien financier ne pourra pas non plus
provenir de l'Aide Publique au Développement (ou APD), en faible
progression depuis plusieurs années (SOGGE, 2004). En outre,
l'objectif de consacrer 0,7% du PIB à l'APD annoncé par les pays
riches8 depuis le début des années 1970 n'a jamais
été atteint et ne le sera pas à fortiori avec la crise
actuelle.
En définitive, la raréfaction des flux
financiers et en particulier des IDE en direction de l'Afrique est l'un des
canaux de transmission de la crise à l'Afrique, et par lequel celle-ci
pourrait avoir un effet négatif sur la pauvreté.