A-2. Genèse de la crise financière des «
subprimes »
Les « racines » de cette crise dite des «
subprimes » remontent aux années 1990. En effet, les taux
d'intérêt américains avaient été maintenus
à un niveau très bas depuis le début des années
1990 pour lutter contre l'inflation. Cette mesure, couplée à la
dérégulation du marché du crédit, s'est traduit par
une augmentation des crédits hypothécaires octroyés par le
système financier américain (BERNAL, (2009 a)). Le prix
de l'immobilier était élevé alors
que le taux d'intérêt était bas, ce qui,
ajouté aux incitants3 des agents commerciaux du secteur de
crédit immobilier à produire des contrats, entretenait l'octroi
de nouveaux crédits hypothécaires. En bref, la hausse soutenue du
prix de l'immobilier peut être considérée comme l'un des
premiers éléments de la dynamique de la genèse de la
crise.
Le sous-secteur des crédits hypothécaires et
leurs titrisations jadis géré par les organismes parapublics
s'est révélé très rentable et a attiré la
concurrence d'autres institutions financières. Entre 2003 et mi-2006, la
part des émissions des titres adossés à des crédits
hypothécaires des organismes parapublics (Fannie Mae et
Freddie Mac), passaient de 76% à 43% tandis les émissions
privées augmentaient de 24% à 57%. Le marché immobilier a
connu en outre une forte croissance et on a assisté à une
montée des crédits hypothécaires à taux variables,
accordés à des personnes à la solvabilité fragile
et garantis par la valeur des actifs eux-mêmes. Parallèlement
à cet essor du marché immobilier et à la montée des
parts de marché des organismes privés, les critères et
normes d'octroi des crédits hypothécaires variaient. Alors que
les organismes publics n'accordaient en majorité que des crédits
de premier ordre, c'est à travers l'émission et la titrisation
des crédits hypothécaires à risque et des crédits
« Alt-A » que les sociétés privées ont
conquis leur part de marché (DODD, 2007). C'est ainsi que les
émissions de titres adossés à des crédits
hypothécaires à risque sont passées d'une croissance
annuelle de 37,4% en 2003 à 114,3% entre janvier et juin 2006. Sur la
même période, les « Alt-A » passaient d'un taux
de croissance de 15,8% à 76,5%.
A la recherche d'investisseurs sur le segment des titres
adossés à des crédits hypothécaires à
risque, Wall Street a trouvé une stratégie permettant de
les regrouper en un pool appelé « Collateralized Debt
Obligation » (ou CDO) ou encore obligations
structurées adossées à des emprunts; C'est ce qu'on a
appelé « regroupement des subprimes ». Ces titres
étaient ensuite divisés par tranches selon le risque: la tranche
« Senior » (la moins risquée), la tranche «
Mezzanine » (risque moyen) et la tranche « Equity
» (la plus risquée). Les taux d'intérêt
pratiqués sur ces différents types de titres étaient
respectivement bas, moyens et élevés, ce qui correspondait
également à leur priorité de remboursement. Ainsi la
tranche « Equity » ne devait être remboursée
que si les deux premières tranches étaient totalement
remboursées. Des sociétés ad hoc encore
appelées « Special Purpose Vehicule » (ou SPV)
avaient été préalablement créées pour
gérer ces CDO. Cette technique permettait non seulement de
transférer le risque de crédit aux investisseurs, mais aussi
d'extraire ce risque du bilan des institutions financières initiatrices
(c'est ce qu'on a appelé le modèle «Octroi puis
Cession »). Ces dernières, pour rendre les titres émis
par ces sociétés ad hoc plus attractifs, leur avaient
accordé des lignes de crédit garanties.
A la différence des autres titres cotés en
bourse et des contrats à terme négociés sur les places
boursières, les CDO ne se négociaient que sur les marchés
de gré à gré4. Aux transactions liées
à ces CDO, étaient associées des actifs financiers
dérivés dont les « Credit Default Swap » (ou
CDS). Ces derniers avaient pour objectif de garantir les défauts de
paiement sur les CDO. Echangés sur les marchés de gré
à gré, les CDS étaient de plus en plus utilisés
comme moyen de spéculation, c'est-à-dire émis sans
contreparties. Il était possible que le nombre de CDS en circulation ne
correspondait plus au nombre de CDO émis et
3 Les agents commerciaux du crédit
immobilier étaient rémunérés par contrat de
crédit signé, sans aucune supervision de sa qualité.
Naturellement, ce type de contrat de rémunération pousse les
employés à maximiser leur revenu, ce qui pose les
problèmes d'incitants ordinaires des « contrats de salaire
à la pièce ».
4 Ce sont des marchés peu transparents et
qui n'ont pas de véritables teneurs de marché pour fournir des
liquidités. Ici, les teneurs de marché sont les opérateurs
eux-mêmes. Ainsi, s'ils arrêtent de se comporter comme tels, les
transactions s'arrêtent. Sur ces marchés, les opérations
s'effectuent directement entre clients et opérateurs et leurs prix et
volumes ne sont pas diffusés.
personne n'était en mesure de vérifier cette
information à cause de l'opacité des marchés sur lesquels
ils étaient négociés. Mais, certes, le marché des
CDS a connu un grand succès.
Le risque crédit était ainsi redistribué
et restructuré au point où il n'était plus possible de
savoir où il se trouvait, ce qui a amplifié le risque
crédit hors bilan des institutions bancaires et financières
(comme Lehman Brothers ou AIG). Ce risque crédit hors
bilan résultait du fait que les institutions bancaires et
financières assuraient la liquidité des sociétés
ad hoc (prêteurs en dernier ressort). En résumé,
la titrisation des crédits hypothécaires à risque,
l'utilisation abusive des CDS à but spéculatif et
l'opacité des marchés de gré à gré sont des
éléments de la genèse de la crise.
Suite au relèvement des taux d'intérêt par
la Réserve Fédérale américaine, certains
ménages n'ont plus pu rembourser leurs crédits
hypothécaires et les spéculateurs des CDS ont commencé
à essuyer d'énormes pertes. Les impayés de la tranche
« Equity » se sont accumulés et le prix des titres
dans cette tranche a chuté, ainsi que celui de la tranche
supérieure « Mezzanine », ce qui a conduit les
investisseurs à réévaluer à la baisse les prix de
la tranche « Senior ». La demande des titres adossés
aux crédits hypothécaires s'est contractée. La
défaillance des emprunteurs ultimes (ménages) a
entraîné la saisie de leurs maisons car celles-ci constituaient
les garanties des crédits qui leur étaient accordés par
les banques. D'une part, la demande immobilière chutait en raison de la
diminution de l'octroi des crédits hypothécaires (qui entretenait
au fait cette demande). D'autre part, l'offre immobilière augmentait car
les maisons saisies étaient mises en vente. Ce double mécanisme a
contribué à la chute des prix immobiliers comme le montre la
figure A.2. La chute des prix s'est propagée aux marchés
immobiliers des autres pays avancés dont les investisseurs avaient
été attirés par les CDS et/ou les titres adossés
à des crédits hypothécaires à haut rendement. Le
marché immobilier s'est contracté de manière globale. En
bref, la défaillance des ménages et la chute brusque du prix de
l'immobilier ont donc contribué au déclenchement de la crise.
Figure A. 2 : Evolution (en pourcentage annuel) du
prix immobilier moyen
19 99 200 0 2 00 2 2 00 3 20 05 20 06 200 8
3 5
Average house price (% , Y oY )
3 0
2 5
2 0
1 5
1 0
5
0
-5
1 0
1 5
-2 0
USA U K Ireland Spain
Source : BERNAL (Janvier (2009 b))
Lorsque la crise a éclatée, les transactions sur
les marchés de gré à gré se sont
arrêtées. Ni les fonds spéculatifs, ni les
acquéreurs de billets de trésorerie, ni d'autres investisseurs
n'achetaient plus les billets de trésorerie adossés à des
actifs ou sous-jacents des crédits hypothécaires à risque.
De même, nombre d'initiateurs de crédits hypothécaires
n'ont plus pu vendre les prêts qu'ils avaient accordés. Cette
situation était aggravée par l'opacité des marchés
sur lesquels s'échangeaient les titres adossés à des
crédits hypothécaires. En effet, les investisseurs ne savaient
pas qui était exposé ou non aux crédits
hypothécaires à risque à cause de l'asymétrie
d'information. Ainsi, ces marchés de gré à gré
n'étaient plus liquides, ce qui asséchait en même temps les
sociétés ad hoc. Les banques et les autres institutions
financières initiatrices de ces prêts hypothécaires ont
dû honorer les billets de
trésorerie émis par les entreprises ad hoc
(DOOD, 2007). Ces actifs retournaient ainsi dans les bilans de ces
banques, détériorant leur taux de provision et leurs fonds
propres, ce qui a conduit à la dévalorisation des actions
bancaires. Le marché interbancaire a été affecté
à son tour car les banques ont commencé à refuser de se
prêter entre elles. Cette situation a crée un durcissement des
conditions d'emprunt sur le marché du crédit en
général.
En définitive, la crise des « subprimes
» a été principalement générée par un
boom du crédit immobilier rendu possible par le modèle «
Octroi puis Cession », lui-même entretenu par la
titrisation des crédits hypothécaires à risque et
l'émission des CDS. L'utilisation de ces CDS à but
spéculatif et l'opacité des marchés de gré à
gré sur lesquels ils étaient échangés ont
contribué à l'effondrement du marché du crédit
immobilier.
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