Conclusion de la partie pratique
A travers les 10 axes de recherche, nos rencontres avec les
professionnels ont donné des résultats souvent similaires
à notre recherche théorique. Voici en synthèse de ce qu'a
été mis en évidence par les professionnels :
La notion du traumatisme comprend un événement
qui par sa violence a mis en péril l'intégrité physique
et/ou psychologique de l'individu ou de ses proches. La victime se trouve sans
ressources et répond par l'effroi. Ceci déborde les
capacités d'adaptation, fait effraction dans le psychisme, traverse
les défenses psychiques de l'individu.
Quant à la rencontre de la mort en situation de
guerre, elle confronte brutalement l'être à son propre
anéantissement. L'expérience de ce Réel ne supporte pas la
représentation.
On peut être traumatisés par l'expérience
de différents événements : de différents
facteurs : confrontation à la mort, viol, torture, le fait de voir
sa maison brûler, de perdre toutes ses biens etc. sans pouvoir porter
plainte ou réclamer la réparation du préjudice subi, etc.
Il y a également d'autres traumatismes qui peuvent entraîner des
blessures profondes et qui ne concernent pas la guerre : un mauvais
regard, le manque d'affection, la perte d'êtres chers, la maltraitance
dans l'enfance, etc.
Les traumatismes infligés par l'homme laissent des
traces plus profondes car des transgressions des lois
fondamentales (concrètes et symboliques) sur
lesquelles se construit la vie collective et sociale s'imposent brutalement au
sujet. Les traumatismes sont aussi d'ordre relationnel. Ils ont pour
conséquence une perte de foi en l'humanité (brise les liens
avec le monde). Il y a aussi des traumatismes
« additionnels » liés à l'exil, à la
précarité sociale, au rejet, au racisme, etc.
L'impuissance, les humiliations, la chosification dans les cas
de torture, viols, etc. ont des répercussions graves car la victime est
en face de son bourreau qui dispose d'elle comme il veut. Cette
incapacité de réaction est d' autant plus douloureuse parce
qu'elle est réduite à l'impuissance totale. Quelque chose qui se
fondre dans sa dignité, dans son être.
Les professionnels ont mis en évidence que le sentiment
d'abandon est écrasant car elle est accrochée aux parois du
néant. Ces sentiments d'abandon, de rejet persistent chez les
réfugiés car ces personnes viennent avec l'espoir de trouver un
espace de sécurité mais elles se trouvent de nouveau
confrontées à cette agression humaine. Toute attitude à
tendance agressive leur rappellent ce qu'elles ont vécu.
Dans le contexte de guerre, souvent les individus subissent
plusieurs traumatismes dans le temps ce qui complexifie le travail de
récupération. En ce qui concerne les disparus, il est très
difficile presque impossible de mener à son terme un travail de deuil.
D'avoir vu un être cher mourir et d'avoir pu l'accompagner dans ses
derniers moments, d'accomplir les rituels, sont en cela d'une importance
capitale.
Un même événement peut se vivre
différemment d'un sujet à l'autre. Pour certains, il devient
indépassable, d'autres s'en sortent avec plus de facilité. Les
facteurs en cause sont complexes : ça dépend de la
vulnérabilité de la victime, du contexte, de la qualité de
soutien qu'il a autour de lui, de l'investissement dans un projet de vie, etc.
La résilience dépendra donc des facteurs individuels, des
facteurs familiaux et des facteurs sociaux (contextuels).
Nous trouvons des symptômes tels qui sont décrits
dans le DSM IV et dans le tableau clinique français mais, aucun
professionnel n'a parlé du tableau clinique français. Les
professionnels mettent en évidence que la mémoire de la victime
est bouleversée. Les amnésies, dysmnésies et
hypermnésies sont évoquées. Quant aux amnésies,
elles seraient des tentatives d'effacer ces événements qui font
trop souffrir. Les professionnels mettent en évidence deux
éléments essentiels pour les troubles de la mémoire :
- les sujets oublient ce qu'ils ne devraient pas oublier
(l'événement non traumatique), et n'arrivent pas à oublier
ce qu'ils devraient oublier (l'événement traumatique) ; -
la mémoire empêche de faire le travail d'oubli
(hypermnésie), le psychisme crée également des formes
d'amnésie de l'événement. En général, les
professionnels mettent en évidence que la victime se plaint de trop se
souvenir.
À propos de la compulsion de répétition,
semblablement à la partie théorique, les professionnels nous
donnent plusieurs réponses : cette compulsion de
répétition est régie par la pulsion de mort. Les
réviviscences sont dues à la fascination de la personne par
rapport à son propre anéantissement. Elles sont des vaines
tentatives d'élaborer l'événement. Concernant le processus
psychique de ces troubles mnésiques, aucun professionnel ne nous a
parlé de clivage. Un professionnel nous a parlé de dissociation
de conscience. C'est un axe qui nous reste à étudier.
Quant à la prise en charge, il est indispensable de
reconnaître la souffrance, montrer de l'empathie envers la victime. Un
accueil ré-humanisant constitue la prévention des troubles. Les
victimes éprouvent souvent des difficultés à parler de ce
qu'elles ont vécus, il faut respecter leur rythme. Cependant, ceci
n'est pas toujours possible pour certains demandeurs d'asile, parce que, pour
que la demande du statut de réfugié soit acceptée, le
commissariat leur demande des preuves précises et cohérentes.
Pour pouvoir parler ou lever les oublis, le commissariat envoie ces personnes
chez les psychologues.
La suspension du travail d'élaboration du vécu
traumatique chez les exilés en attente de leur procédure d'asile
est mentionnée par les professionnels. Pendant que les personnes se
trouvent en danger, ils sont dans la logique de survie et au moment où
ils reçoivent leurs avis positif du commissariat ils se relâchent.
A ce moment, ils peuvent décompenser et présenter des
symptômes liés au vécu traumatique.
Le travail thérapeutique consiste à pouvoir
intégrer l'événement, pouvoir faire le deuil de ce qui est
perdu, pouvoir penser autrement. Pour ceux qui ont subi la torture, le viol,
etc. la psychothérapie consiste à chercher l'intention de
bourreau et par là de pouvoir annuler le sentiment de
culpabilité, l'autodépréciation. Le soutien social est un
autre axe qui peut aider la victime à condition que ce soutien soit
adéquat.
Le dernier point concerne à la réparation. Nos
sujets sont sceptiques, mais celle-ci est indispensable car elle procure un
indéniable effet de soulagement. Néanmoins, il peut avoir une
réparation que si la victime la rend possible. Il existe des
vécus graves qu'on ne peut réparer. l'Etat et la
Communauté Internationale n'investissent pas assez de moyens pour qu'un
travail correct de réparation puisse avoir lieu. L'installation d'une
culture de paix et sa pérennité inaugure l'idéal humain.
Certains s'y attèlent... mais ceci est une autre histoire... !
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