Syndrome de la guerre : lorsque le psychisme ne cesse de rappeler( Télécharger le fichier original )par Shqipe BUJUPI Institut libre Marie Haps - Assistante en psychologie 2005 |
Chapitre II : Les entretiensProfessionnel A 1. Quelle est votre définition du « traumatisme psychique » ? Le traumatisme psychique survient quand l'individu n'arrive pas à supporter un événement qui sera très douloureux pour lui. Ceci crée une effraction (déchire l'enveloppe protectrice) au sein du psychisme. En une situation de guerre, les types d'événement qui peuvent déclencher un traumatisme psychique se présentent de façons très différentes. Ceci varie en fonction des gens et en fonction des situations où les personnes se sont trouvées. « Vous savez la guerre s'accompagne de beaucoup de violence : toujours des morts, des deuils, des pertes, et parfois aussi des blessures personnelles, des viols et surtout c'est la foi en l'homme qui est ébranlée. Je pense personnellement que c'est un trait essentiel qui signe les traumatismes événementiels qui a fait des blessures, qui a fait irruption dans l'histoire du sujet parce que la personne n'arrive pas à la cicatriser ». A partir de son expérience clinique, le sujet ajoute qu'il y a aussi d'autres traumatismes qui ne concernent pas les guerres. « On voit des gens qui traînent des blessures profondes mais qui n'ont pas affronté la guerre. On peut être blessé par n'importe quoi à la limite : un mauvais regard, un manque d'affection, une perte ». 2. Y a-t-il des différences entre les traumatismes causés par des événements naturels et les traumatismes infligés par l'homme? Le sujet fait une distinction entre ces deux types de traumatismes. La différence réside dans le fait du destinataire. « Au niveau de la souffrance que les gens ont, le destinataire vers qui on relie ce qui est arrivé, dans une catastrophe naturelle, s'il sont croyants, ils peuvent renvoyer cela à Dieu, à la malchance, au hasard. Mais quand c'est l'homme, souvent un voisin, qui a infligé de grandes souffrances, la douleur est plus vive, plus profonde. Non seulement la personne est blessée dans son corps, dans son psychisme, mais il y a quelque chose qui se déchire au niveau de la confiance en l'homme, en l'être humain tel quel. Face à ce deuxième type de traumatisme la démarche la plus difficile dans l'accompagnement de ces personnes est de recréer cette confiance en l'homme. « On rencontre des gens qui n'osaient plus se confier à quelqu'un, entrer dans une relation affective parce que ce qu'ils ont vécu les a convaincus de la nature profondément cruelle et décevante de l'homme. Il y a quelque chose de plus parce qu'elle attaque la foi de l'être humain en un autre humain. C'est une confrontation à sa propre insignifiance ». A part être confronté à un anéantissement, il y a d'autres traumas (torture, viol, ...) qui confrontent les victimes en une sorte de chosification de leur être. Des gens qui les prennent pour un objet, pour une chose où la personne est réduite à moins que rien ; il y a quelque chose qui s'effondre dans leur dignité, dans leur être. · En situation de guerre, pensez-vous qu'il y a des différences de répercussion lorsque la victime perçoit directement l'intention de faire mal de la part de l'ennemi (contact direct) et lorsqu'elle ne peut le percevoir (explosion d'une bombe) ? Les traumatismes n'ont pas la même gravité au fond. Dans le premier cas, c'est plus compliqué à cause des situations d'humiliation, de douleur, d'impuissance, etc. Mais, dans les situations de guerres, le fait de voir ta maison brûler, d'être dans une situation de perdre tous tes biens etc. sans que tu puisses adresser ta plainte, réclamer un préjudice sont aussi traumatisantes ». Néanmoins, le sujet nuance les effets traumatisants. Il est évident que quelqu'un qui tue un enfant devant son parent, le mettant dans l'impuissance de sauver son enfant, est extrêmement pénible. De voir l'appel d'un enfant et de ne pas pouvoir y répondre ; il y a une sorte de déception par rapport à sa responsabilité en tant que père. Le bourreau attaque sur plusieurs fronts. « Il ne fait pas seulement mal à l'être humain mais également au père, dans son rôle de patriarche protecteur ». Le sujet est d'accord sur le fait que les traumatismes se compliquent avec tous ces sentiments : de l'impuissance, mais aussi parfois de la trahison, de la lâcheté. Il a des patients qui disent « j'aurais préféré mourir », etc. Le sujet souligne aussi les facteurs constitutionnels qui interviennent chez les individus pour faire face à un événement traumatisant. « Il y a un élément important et qui reste obscur, c'est le psychisme de chacun ». Pour lui, les événements ne sont pas traités de la même manière chez les personnes. Pour certains c'est supportable, ils arrivent à oublier et pour d'autres cela restera indépassable. Donc, on ne peut pas se baser uniquement sur des faits. Le sujet continue en disant qu'on rencontre des personnes qui ont subi de grandes violences. Ils ont assisté à la mise à mort de leurs parents, ce qui leur a fait très, très mal ; ils ont été en danger de mort eux-mêmes, ce qui les a aussi fort secoués mais la chose qui leur a fait le plus mal et qu'ils n'arrivent pas à se pardonner, c'est de n'avoir pas pu enterrer dignement ces gens là (leur père, leur mère, ...). Le sujet termine en parlant de la douleur, « chaque traumatisé est le baromètre de sa douleur. On ne peut pas hiérarchiser. C'est au cas par cas ». Il y a des gens qui ont perdu peu mais qui sont affectés profondément et d'autres arrivent à relativiser. Cela dépend des ressources dont chaque personne dispose pour faire face, de ses croyances, du soutien qu'elle a autour d'elle. · Lorsqu'on ne connaît pas le sort de l'être cher après un enlèvement, quelles sont alors les difficultés dans le travail de deuil ? Il est évident que d'avoir vu un être cher et d'avoir pu l'accompagner dans ses derniers moments aide à faire le deuil. Dans le cas d'une disparition, c'est un deuil difficile parfois même compliqué. Certains peuvent même évoluer vers des deuils pathologiques. C'est très difficile de terminer un travail de deuil dans ces conditions car la personne n'est ni morte ni vivante. Les proches du disparu sont entre l'espoir et la déception. 3. Au moment de l'effroi le sujet se sent-il extrêmement abandonné ? Pour le sujet, c'est ça qui fait le trauma. « Les blessures physiques font mal, mais je crois que ce qui fait que la blessure physique devient indépassable c'est le contexte. Vous la subissez dans une situation de total abandon. Dieu lui-même vous laisse tomber. Vous n'avez personne à qui vous adresser pour arrêter ça, à adresser votre demande de secours. Vous êtes seul devant votre bourreau qui dispose de vous comme il veut. Il y a quelque chose de plus révoltant, c'est explosant, car vous êtes accroché aux parois du néant ». 4. Quels symptômes vous avez rencontré chez ces patients ? A part les reviviscences, d'autres symptômes peuvent affecter ces personnes. Par exemple elles deviennent tout d'un coup apathiques, elles doutent de tout, elles n'osent plus rien faire. Le sujet illustre notre question par un cas clinique : « ...la personne était devenue très, très activiste. Elle était tout le temps en train de faire quelque chose. Elle ne supportait pas le moindre échec. Elle devait toujours réussir. Mais en même temps, on voyait qu'il y avait une très, très grande souffrance. Elle était devenue allergique aux critiques ». Le sujet nous parle aussi de certains symptômes chez des femmes violées. « Ce qui est très fréquent, c'est la perte de l'amour, l'incapacité d'avoir des relations sexuelles avec un homme car elles rappellent le grand trauma. Ceci engendre des problèmes dans le couple. Il y a des femmes qui n'arrivent pas à s'imaginer se remettre avec un homme. Il y a quelque chose qui se casse dans la confiance en l'autre ». · Pensez vous que certains traumatisés présentent une régression psychoaffective ? « J'ai eu des patients qui dans la posture, dans la position, dans les attitudes corporelles se présentent démunies comme si elles revenaient à l'enfance. Je me souviens d'un homme qui prenait des postures de foetus, recroquevillé sur lui-même, des comportements inadaptés ». D'autres types de régression, le sujet a remarqué d'autres sortes de demandes qui paraissent être des demandes d'enfant, des demandes d'affection, d'amour, une sorte de demande de reconnaissance du mal qu'ils ont subi. Le sujet nous parle aussi de la position de victimisation. « Ce que j'observe aussi chez certaines personnes, pas chez toutes, c'est une sorte de fixation dans une position de victime qui cherche réparation, qui cherche une identité de la victime, et là, c'est un mauvais pronostic. On essaye de dépasser ça. Que la personne ne reste pas à ce stade uniquement de victime, qu'elle essaye de prendre un rôle actif, responsable, non de ce qu'il lui est arrivé mais, de sa vie. Non pas quelqu'un qui cherche uniquement assistance et justice mais quelqu'un qui reprend sa vie en main. Reconnaître qu'elle est victime mais la sortir de cette position de victime ». 5. En cas de traumatisme de guerre, qu'est-ce qui fait que le psychisme ne cesse de se rappeler ? Pour le sujet, la question est assez complexe et il pense qu'il y a encore une grande part de mystère autour de ce phénomène. « On ne maîtrise pas par quel processus exactement ces phénomènes s'imposent à la conscience ». Il est évident qu'il y a une mise en échec du processus de contrôle des éléments stockés dans la mémoire. « Dans des conditions normales, on utilise les éléments stockés quand on en a besoin. Alors que dans le cas d'un traumatisme, ce processus de stockage déraille et les éléments n'arrivent pas à être stocké mais ils s'imposent, ils envahissent la mémoire de telle manière qu'ils deviennent perturbateurs ». Le sujet est en accord avec l'avis de Jacques Roisin. Pour cet auteur, les réviviscences sont l'oeuvre de la pulsion de mort et une fascination de la personne par rapport à son propre anéantissement. Le sujet dit que « peut être banalement lorsque vous avez vécu quelque chose d'extrêmement violent, ça s'imprime en vous, c'est tellement fort que vous ne pouvez vous en passer ». Ces reviviscences constantes de scènes violentes qu'a vécu la victime, qui s'imposent par des flashs back, dans des cauchemars, etc., le sujet les voit comme une incapacité de digérer l'événement car c'était trop fort pour lui. Quoique, le sujet, se réfère plutôt à la pratique. Il dit que « mes meilleures références ce sont les patients ; les patients qui racontent comment ils vivent ça. Parfois je n'arrive pas bien à comprendre mais je leur fais confiance ». · Avez rencontré des patients qui ont oublié les moments de l'événement traumatique ou des moments fortement chargé émotionnellement ? Le sujet a rencontré des patients victimes de traumatismes qui présentent des amnésies. Le sujet met en évidence des problèmes que rencontrent certains demandeurs d'asiles liés à ces amnésies. « Dans des situations dramatiques, cette amnésie était la cause de leur refus d'être reconnu comme réfugié parce que des éléments essentiels dans leur histoire étaient effacés, comme dit Lacan : `il y avait des blancs, des vides dans leur histoire' ». Parfois, l'Office des Etrangers envoie des demandeurs d'asile chez des psychologues avec l'espoir que le psy aide à combler ces vides. Mais, pour le sujet, ce n'est pas le rôle du psy de lever ces amnésies car ce sont les mécanismes de défense que ces gens développent qui sont en jeu. « L'inconscient essaye d'éliminer cet intrus parce que c'est trop douloureux pour eux. L'oubli névrotique n'est pas la même chose que l'oubli de nom d'une rue, d'un numéro de téléphone. Dans le traumatisme, il y a une sorte de volonté d'oublier, une sorte de processus actif d'éloignement de quelque chose qui est affectivement pénible et qui, évidemment, revient toujours clandestinement d'une manière symbolique : dans les rêves, les actes manqués, etc. ». Nous voyons que le sujet préfère de ne pas lever ces amnésies mais il s'interroge énormément à ce sujet. « Ici ça pose une question délicate sur le plan pratique : est ce qu'il faut aller fouiller, les aider à se rappeler pour analyser ou bien vaut- il mieux respecter ce mécanisme qu'ils ont mis en place pour se protéger ? ». 6. Ces personnes éprouvent-elles des difficultés à parler du traumatisme vécu ? Au départ, ces personnes viennent souvent pour autre chose. « Parois il y a des plaintes d'incapacités, des blocages dans certains domaines parce que ça se manifeste souvent ailleurs. Ca peut être psychosomatique, ça peut être des échecs, des problèmes professionnels, etc. ». Mais parfois, le sujet affirme que ce sont des situations vraiment délicates. D'après ses dires, nous sommes en face d'une ambiguïté de la demande d'aide. Il y a une volonté voir un psy régulièrement mais il ne souhaite pas parler de ses vécus traumatiques. « J'ai vu des réfugiés rwandais qui ont échappé au génocide et ne souhaitaient pas aborder, en tout cas pour longtemps, ce qu'ils avaient vécu. On parlait de la difficulté de la survie ici, des vexations, des problèmes administratifs, de racisme, de l'incapacité à trouver un logement, des problèmes des enfants, d'emploi, des papiers. Mais on sent que ce qu'ils ont vécu au départ fait le lit, c'est le soubassement ». Souvent ces patients ne parlent qu'après longtemps de leur vécu traumatique. Le sujet souligne qu'il faut respecter le rythme des patients. « Dès le début, on est obligé de faire preuve de réticence au niveau de la volonté de savoir. On ne souhaite pas et on ne fait rien pour que la personne aborde cela. Nous attendons que la personne elle-même sente la nécessité d'en parler, se sente mûre psychiquement pour l'aborder. On lui offre un lieu pour aborder quand elle sera prête, et ça peut être très long ».
Le sujet met en évidence les problèmes rencontrés par ces patients avec le commissariat dû à cette volonté du patient de ne pas en parler. Le commissariat exige que la demande d'asile soit justifiée selon leurs critères. Alors, pour le faire, ils les envoient chez le psy avec l'espoir qu'ils pourront faire parler ces personnes. Mais « ça m'est arrivé avec un demandeur d'asile qui ne souhaitait pas aborder ses vécus. Jean Claude Metraux utilise le terme de « deuil gelé ». C'est-à-dire que les personnes ont préféré le mettre au frigo. Il ne faut pas le dégeler non plus. C'est à eux de sentir le moment pour le faire ». 7. Comment aider au mieux ces victimes ? Quelle théorie vous aide pour votre pratique ? Il n'y a pas de recette, c'est vraiment dans notre pratique que la personne doit sentir la récupération, le soulagement. Dans un premier temps, le sujet essaye de voir d'abord ce qui est en jeu chez son patient, dans son symptôme douloureux qui suit des événements extrêmement violents. « Moi je l'analyse en me référant à la psychanalyse. Sur les mécanismes de culpabilité par exemple, des mécanismes de déni, des mécanismes de perte de confiance en l'humain ». Le sujet pense qu'il y a un temps psychique pour digérer certains événements et qu'il ne faut pas se précipiter à vouloir supprimer les symptômes tout de suite. « Moi je respecte le rythme des gens. Ensuite, le sujet met l'accent sur l'empathie et la confiance. « Dans les cas que j'ai suivis, la première chose pour moi, était de créer une sorte d'empathie, de leur donner confiance car chez ces personnes, c'est la foi en l'être humain telle quelle qui s'écroule ». Reconnaître la souffrance de ces personnes est aussi une composante qui doit être incluse dans la démarche thérapeutique. « On ne peut pas rester neutre devant certaines choses. Comment peux-tu rester neutre devant des crimes pareils ? Reconnaître que ce qu'il a vécu est vraiment abominable, et de lui donner la possibilité de réaliser d'abord cela et de l'accepter à la limite, non pas de l'accepter parce que c'était juste mais c'est fait, c'est fait. C'est un fait, c'est abominable mais qu'est ce que tu voudrais faire ? On ne peut plus changer ce passé là ». « Ce qui est le plus douloureux chez les victimes, c'est que la communauté internationale était là ; mais on a massacré et personne n'a réagi, ou on a réagi trop tard, ou trop faiblement. Il y a quelque chose qui nous interpelle comme humain sur le plan éthique et qui nous oblige à protester contre ces barbaries. Je crois que c'est notre devoir de thérapeute de témoigner en tant qu'être humain que ce qui leur a été fait est inacceptable ». 8. Quelle importance a le soutien social dans l'accompagnement de la victime ? Le sujet n'a pas de réponse catégorique. Il dit que d'après la littérature le soutien social aide mais lui met des points d'interrogations. D'après ses observations, ça ne peut aider que des gens qui ont déjà des ressources. « On voit ceux qui participent à des groupes de paroles, qui ont des contacts avec d'autres mais qui ne s'en sortent jamais ». Si l'entourage a une bonne manière de faire, dans certains cas ça peut aider mais si par contre il a une approche inadéquate, ça peut aggraver encore plus, c'est-à-dire rendre la souffrance encore plus grande. Le sujet dit qu'il y a des cultures qui prohibent, qui négativisent le fait d'exprimer des souffrances de cette nature. « Tu dois les digérer, tu dois les supporter et faire face, et montrer un visage digne ». Notre sujet prend l'exemple du Burundi et du Rwanda. Dans ces pays, souvent, un homme ou une femme digne ne va pas raconter ses misères aux autres. Il doit assumer. Parfois, dans certaines situations, ça peut marcher, parfois il faut un long délai pour qu'il y ait une confiance entre les gens. 9. Est-ce que le concept de « résilience » vous est utile pour penser votre pratique ? Tout dépend de l'histoire des gens et de leurs ressources. « On voit des gens qui dépassent ces traumatismes. Où trouvent-ils ces ressources ? Le sujet pense que les facteurs très importants qui font développer la capacité de résilience sont ceux où l'enfant s'imprègne, s'alimente. « La résilience ne doit pas être une capacité personnelle privée interne mais ça doit être quelque chose qui résulte d'une situation. La résilience est contextuelle ». Toutes les personnes qui sont autour de l'autre : un ami, un prêtre, une référence par laquelle on est imprégné. « Ce référent qui t'a marqué, qui t'a transmis quelque chose de fort, reste référent même s'il n'est pas présent ». Bref, d'après le sujet, il y a toute une complexité des facteurs qui font que certains s'en sortent et d'autres pas. Parfois, le traumatisme vécu donne une autre orientation de vie à ces personnes. « Certains s'orientent vers l'église, d'autres dans des associations humanitaires, caritatives, etc. Il y en a d'autres qui s'alimentent par le support social, « les appuis qu'ils ont autour d'eux, qui les aident, qui leur donnent de la confiance en l'homme, etc. ». Mais il y a d'autres aussi « qui n'y 'arrivent pas, qui sombrent dans l'alcoolisme, dans la dépression, qui n'arrivent pas à se stabiliser dans un emploi, etc. ». Pour les personnes traumatisées qui se trouvent en exil, le sujet met l'accent sur une autre composante, celle de l'espoir. « Je me dis souvent que pour ces personnes qui ont réussi à arriver ici, la vulnérabilité se trouve surtout au niveau de l'espoir. Les gens viennent avec l'espoir que plus jamais ça, qu'on va entrer dans un monde de justice, d'équité, d'amour, etc. et quand ils arrivent ici, souvent ce n'est pas ça. Une fois que ce monde juste déçoit, que ce n'est pas du tout ce qu'ils avaient espéré, certains vont être profondément déçus et blessés ». 10. La reconnaissance sociale est-elle une voie vers la réparation ? Il y a des faits qui sont l'horreur absolue et qu'on ne sait jamais réparer. « Quand quelqu'un tue votre père, votre mère, votre enfant que vous aimez le plus au monde, comment peut-il réparer ça ? Il ne peut pas ». Mais, une chose qui aggrave la souffrance, est quand cet autre ne reconnaît même pas le mal qu'il a fait. Le sujet pense que la victime est en partie soulagée lorsqu'il y a une reconnaissance que ce qui a été fait est inhumain. Tandis que dans le sens de réparation proprement dit, pour le sujet, il y a des réparations là où la victime rend possible la réparation, entreprend la démarche de réconciliation. Parce que si c'est le bourreau lui même qui le fait, quand la victime n'est pas prête, ça ne change rien. Le sujet s'appuie sur ses observations au Rwanda. Il dit qu'on a condamné à mort certains auteurs du génocide. Le but était de les punir mais en même temps, il y avait un sens de réparation. Pourtant, certaines victimes n'étaient pas soulagées car on les a tués sans souffrir ce qui était le contraire de ce que les victimes elles-mêmes avaient vécu de la part de leurs bourreaux. Le sujet fait une remarque sur le rôle du clinicien. « Le clinicien ne doit pas bloquer le travail que la personne elle-même peut faire. Le travail de maturation. C'est à la personne elle même de condamner, de pardonner ou de faire la démarche ». Professionnelle B 1. Quelle est votre définition du « traumatisme psychique » ? Le traumatisme est une notion liée à la rupture dans la trajectoire de la personne à 3 niveaux niveaux : - Rupture de l'enveloppe physique et/ou psychique de l'individu. Confrontation à la mort, douleur extrême avec atteinte du point de rupture. - Rupture des liens familiaux, communautaires et sociaux : perte des liens concrets et symboliques qui permettent normalement de faire face à la douleur et de donner du sens aux expériences. - Rupture liée à l'exil : précarité sociale, rejet, racisme... Pour notre sujet, le traumatisme ne concerne pas seulement à la guerre. D'autres événements peuvent provoquer aussi de traumatismes tels que maltraitance dans l'enfance, etc. 2. Y a-t-il des différences entre les traumatismes causés par des événements naturels et les traumatismes infligés par l'homme? Il faut distinguer sûrement au niveau du contenu des traumatismes liés à la guerre, à une catastrophe naturelle ou à un inceste exemple. « Leonor Terr a distingué traumatismes de type I et de type II, le type II étant induit dans le cadre d'une relation interpersonnelle et provoquant des dégâts en profondeur. Par exemple, dans le cadre de la torture : l'autre est déshumanisé, c'est justement ce qui permet de torturer. Pour pouvoir torturer, il faut couper le mouvement empathique naturel qui existe chez l'humain. Il faut le couper par une mystification : c'est un chien, c'est une merde, un inhumain,... ce qui permet de torturer et détruire ». Tandis que dans une catastrophe naturelle, dit notre sujet, il n'y a pas de responsabilité humaine, ni d'intentionnalité, cela change les choses. · En situation de guerre, pensez-vous qu'il y a des différences de répercussion lorsque la victime perçoit directement l'intention de faire mal de la part de l'ennemi (contact direct) et lorsqu'elle ne peut le percevoir (explosion d'une bombe) ? La bombe a été lâchée dans l'intentionnalité de détruire aussi. On peut identifier l'ennemi, mais on n'y est pas confronté en direct, il n'a pas de visage, c'est peut-être moins destructeur au niveau psychique ? « Je pense par exemple aux femmes violées dans le cadre de conflits armés qui revoient sans cesse le visage du violeur qui vient s'interposer dans des situations d'intimité. Mais dans l'exemple de la bombe, ce qui va être traumatique ne sera pas forcément en lien avec l'agresseur mais par exemple avec la vision de l'horreur, la mort ou la souffrance de la personne ou de ses proches... » · Lorsqu'on ne connaît pas le sort de l'être cher après un enlèvement, quelles sont alors les difficultés dans le travail de deuil ? Dans ce cas, le deuil est gelé. Il ne peut être fait car subsiste toujours un espoir de retrouvaille. En plus, la personne ne peut même pas se dire « maintenant au moins il ne souffre plus » et cela est une source terrible d'angoisse aussi, à laquelle on pense moins souvent peut-être. 3. Au moment de l'effroi le sujet se sent-il extrêmement abandonné ? 4. Quels symptômes avez-vous rencontré chez ces patients ? « Souvent il y a des flashs back suite à un stimulus extérieur et qui replonge la victime dans l'événement traumatique. Il y a des patients qui ont très longtemps ce phénomène après l'événement traumatique. Ceci est plus fréquent juste après le choc traumatique : il y a souvent un temps de latence avant qu'apparaisse ce phénomène ». Mais le sujet nous dit qu'il n'est pas spécialiste de la réaction immédiate après un choc traumatique car ces personnes demandent de l'aide à ce centre au moins quelques mois plus tard. Le sujet pense qu'avec le temps, les réviviscences diminuent et laissent place à l'anxiété, la dépression et les symptômes psychosomatiques. Mais il se peut que ces flashs back durent plus longtemps. « J'ai connu une femme algérienne qui a été violée dans des conditions terribles. Cette femme était très isolée et n'arrivait pas à s'en sortir. Après des années, elle avait encore des phénomènes de flashs back. Elle entrait encore dans un état de sidération et revoyait la scène traumatique. Ca lui arrivait de se perdre en rue, de tomber parce qu'elle était prise par la reviviscence des événements ». Le sujet nous cite aussi d'autres symptômes tels que : hyperexcitabilité neurovégétative : accélération du rythme cardiaque, sudation ... ; dépression ; anxiété ; troubles dissociatifs ; troubles psychosomatiques. Un phénomène que le sujet a remarqué très souvent, c'est quand le patient est en train de s'en sortir et reçoit un nouveau coup. « Par exemple, une famille exilée qui essaye de s'implanter ici, essaye de trouver un sens à son existence et de se reconstruire quand elle reçoit un avis négatif du commissariat général aux réfugiés, elle replonge dans son état antérieur. Elle va avoir de nouveau des cauchemars, de la dépression, des somatisations chez un enfant ». Le sujet met en évidence un autre phénomène chez les réfugiés. Quelqu'un qui a lutté longtemps pour obtenir ses papiers, au moment où il reçoit son avis positif du commissariat, il se lâche, il décompense et va avoir des symptômes très, très forts liés au traumatisme vécu antérieurement lequel émerge à ce moment là. Pourquoi à ce moment ? « Peut être à ce moment là elle peut se permettre. Elle n'est plus dans la survie. Tant qu'on est dans la lutte de survie tout est gelé puis, au moment où on se pose, toute la violence vécue revient ».
Le sujet nous répond : « J'ai remarqué que quand les patients commencent à aller mieux, ils ont envie d'aller vers les autres, ils trouvent une capacité d'empathie pour les autres et d'altruisme et ils ont besoin même d'aller vers les autres, ont besoin d'apprendre aux autres ce qu'ils ont appris à travers leurs épreuves et ça les aide, ça les renforce, ça continue à les soigner. Dans un premier temps en tout cas ». Souvent ces personnes recherchent le sens de leur existence et ont besoin parfois d'un support philosophique ou éthique pour retrouver du sens : par exemple, s'engager auprès des autres leur redonne du sens à la vie et ça les soutient aussi dans leur reconstruction. « Par ex une femme va investir son enfant comme quelque chose de ressource, une impulsion vers l'avenir, vers la vie. Elle dit : ma vie n'a pas de sens seulement pour accompagner mon enfant vers l'age adulte. Donc, il y a un investissement à l'extérieur de soi pour pouvoir se soutenir soi même. Et on a souvent besoin d'aller chercher à l'extérieur ». 5. En cas de traumatisme de guerre, qu'est-ce qui fait que le psychisme ne cesse de se rappeler ? Au niveau psychique, il y a une tentative d'élaborer. Répéter c'est comme essayer de le dépasser, de trouver une issue. Le problème est que souvent cette répétition est stérile, dit notre sujet, parce que la personne n'arrive pas à trouver une voie. Elle a besoin d'une aide, d'un accompagnement thérapeutique. « La répétition : c'est l'incapacité d'élaborer le vécu ». Suite à notre question : « qu'est ce qu'il pense sur le clivage dans le traumatisme », le sujet nous dit : « Moi je parle de dissociation de conscience qui est invalidante parce que ça se fixe. Au départ c'est un mécanisme adaptatif qui permet de diminuer cette souffrance et qui peut tendre vers quelque chose qui va plus en profondeur mais où ? Pour moi ça ne veut rien dire mais qu'est ce que le sujet en fait de ça ? Ça, ça veut dire pour moi quelque chose. Et chaque sujet va faire de quelque chose de particulier, de singulier qui est en lien avec sa propre histoire ».
« Oui. Le patient raconte son histoire puis dit : là j'ai un blanc. Mais, en général, les patients se plaignent de se souvenir trop ». En tout cas, dit le sujet, c'est la mémoire qui est touchée : soit d'oublier, soit de se rappeler. 6. Ces personnes éprouvent-elles des difficultés à parler du traumatisme vécu ? D'après le sujet, il faut respecter le rythme du patient. « Je ne fais jamais parler le patient du traumatisme. Je trouve ça violent. Faire parler est traumatisant car ça réactive l'événement ». On peut parler du traumatisme quand le lien thérapeutique est bien instauré, quand la personne parle dans un lieu qui a du sens pour elle, où elle se sent protégée. Selon le sujet, il y a des cas exceptionnels où la victime ne fait rien d'autre que parler du traumatisme qu'elle a vécu. Ceci n'est pas positif non plus. « J'ai connu une personne qui n'arrêtait pas de parler du traumatisme : elle parlait, parlait, ...Là, il fallait l'arrêter et donner la place à autre chose, à une autre vision des choses, car il n'y a pas de sens, ça devient un symptôme ». Par contre, beaucoup de personnes, à un moment donné, arrivent à parler, même d'une façon très profonde, de ce que leur est arrivé mais souvent quand il y a déjà un minimum d'élaboration grâce au soutien thérapeutique ou grâce à ce qu'elles-mêmes avaient mis en place naturellement. « Et, à ce moment là, il y a une manière de parler qui n'est pas directe, qui n'est pas crue, qui est une façon de parler comment ils étaient atteints et qu'est ce que ça a provoqué ». C'est un signe de reconstruction qui se met en place. « Alors parler à ce moment là, ça devient positif car tu peux renforcer cette reconstruction, étayer ». 7. Comment aider au mieux ces victimes ? Quelle théorie vous aide pour votre pratique ? Le sujet opte pour l'approche systémique. « C'est donc comment placer les choses dans leur contexte. Je te parle de différentes ruptures : au niveau individuel, au niveau familial, au niveau social, au niveau communautaire. On essaye de répondre à ces différents niveaux de rupture en apportant un support qui va plutôt dans le sens de « réhumaniser » et de permettre à la personne de se sentir soutenue dans des liens solidaires que nous pensons réparateurs dans ces situations là ». D'après le sujet, le centre où elle travaille propose aux patients différents espaces où il va pouvoir élaborer sa souffrance dans un lien thérapeutique avec le thérapeute mais aussi avec un groupe de patients, avec sa communauté. Quant à la notion de neutralité en thérapie, le sujet nous dit que le thérapeute ne peut pas se permettre de rester neutre dans des situations comme ça parce que justement c'est l'humanité qui est atteinte. « Souvent les patients me disent « j'ai l'impression de devenir fou », « je ne suis plus comme avant », ... Chez beaucoup de victimes qui ont vécu le génocide, la torture, etc. par exemple, il y a vraiment une peur de sombrer dans la déshumanisation ». Le thérapeute doit reconnaître que la personne a vécu quelque chose de très violent, d'injuste, d'inimaginable. Il doit exprimer de l'empathie devant ces patients. « Un être humain est un animal social qui a besoin de l'échange avec d'autres pour se construire et c'est pareil dans la guérison. Quand tu es détruit, tu as besoin du regard d'un autre pour te reconstruire. Et ce regard est soutenu par les compétences de l'empathie du thérapeute face à son patient ». Le sujet ajoute que le travail du thérapeute consiste aussi à permettre à ces personnes de penser ce qui s'est passé autrement. D'analyser l'intentionnalité de l'autre pour pouvoir se dégager de lui, d'externaliser la cause de cette souffrance. « Car la tendance de la victime est d'internaliser : c'est de ma faute, si j'avais fait autrement, etc. Ce n'est pas lui qui est coupable. Par exemple, dire au patient (pour ceux qui ont parlé pendant la torture) que ce n'était pas l'intention de faire parler parce que le bourreau connaissait déjà ces informations, mais arriver à la détruire dans leur groupe, etc. » Cette approche aide la personne à se déculpabiliser. Le sujet termine avec l'idée que l'aide thérapeutique aide à sortir la victime de sa fascination face à l'horreur, de l'acte insensé et horrible. 8. Quelle importance a le soutien social dans l'accompagnement de la victime ? La forme de déshumanisation notamment dans la torture, dans la guerre, dans les conflits interethniques crée de la rupture au niveau de sentir un être humain chez les victimes lesquelles développent un syndrome psychotraumatique. Le sujet pense que le fait de pouvoir offrir des contextes qui sont chaleureux, réhumanisants est un premier pas pour se reconstruire. « C'est évident, pour nous, cette notion de contexte est essentielle ». Le sujet souligne qu'il y a des contextes qui rendent malade comme le contexte de la guerre, les conflits interethniques, la répression, ... et il y a des contextes qui permettent de guérir comme les contextes solidaires où les cultures peuvent entrer en dialogue. « Donc le premier geste du thérapeute est de reconnaître comme un humain à part entière, dans l'accueil, dans le respect. C'est un premier geste thérapeutique de la personne qui a subi ce genre de traumatisme ». Le sujet fait une distinction entre les individus. « Le traumatisme ne va pas donner forcement les mêmes conséquences d'un sujet à l'autre ». Ca dépend aussi comment et où la victime cherche des ressources. Par exemple, il y a des gens qui font plus facilement confiance à des professionnels. Il y a des gens qui font confiance à n'importe qui et ils seront roulés, ce qui ne fait que renforcer la souffrance, donc qui n'arrivent pas à trouver de l'aide. « Donc la capacité à trouver de l'aide après un événement traumatique est déterminante pour sa guérison, sa résolution ». 9. Est-ce que le concept de « résilience » vous est utile pour penser votre pratique ? Les personnes qui ont le plus de difficultés à se sortir du traumatisme sont souvent des gens pour qui c'est une répétition, c'est-à-dire, qui ont déjà vécus des traumatismes intenses dans leur vie. Par exemple perte de parent, maltraitance, abus sexuel, violence. Ces personnes avaient réussi à trouver plus au moins un équilibre et avec le survenu d'un autre traumatisme tel que viol, emprisonnement, perte de ses biens, etc. durant la guerre, c'est un coup sur une personnalité qui est déjà vulnérable. Avec ces personnes il y a plus de difficulté et l'accompagnement dur très longtemps. Par contre, des gens qui avaient une personnalité bien structurée ont la capacité de s'en sortir relativement rapidement. Ces personnes restent marquées, auront des cicatrices et ont besoin d'aide aussi mais réagissent très vite à cette aide. C'est-à-dire vont mieux en quelque mois. À condition que le contexte leur offre une opportunité de se construire un projet de vie. Ca c'est essentiel. « Même si cette personne est solide et qu'elle met tout en place pour s'en sortir mais qu'autour d'elle on sape toutes ses tentatives de reconstruction de projet de vie, évidemment elle va devenir malade ». « Je n'ai jamais vu des gens totalement détruits par un traumatisme. Le fait de rester en vie, d'avoir mis en place un tas de mécanismes adaptatifs qui sont plus au moins efficaces et sains, ça oui ». L'être humain a une plasticité extraordinaire. Il peut se sortir de beaucoup de souffrances si on lui donne la possibilité de s'implanter quelque part, de trouver un projet. Bien sûr, le traumatisme va laisser une cicatrice mais il va être viable. Parfois, il va donner un nouveau sens à sa vie. « Parfois ça va même être l'occasion de faire rebondir sa vie vers quelque chose qui a plus de sens ». 10. La reconnaissance sociale est-elle une voie vers la réparation ? Notre sujet trouve important cette démarche. Il nous rappelle que chez les réfugiés victimes de traumatismes un bon accueil, une reconnaissance de ce qu'elles ont subi, c'est la prévention d'énormément de troubles à long terme. Au contraire, « quand ils ne sont pas reconnus dans leur souffrance, c'est un facteur très, très négatif pour le pronostic de l'évolution de la santé de la personne. C'est un risque majeur. C'est essentiel. C'est un coup en plus. Parfois les gens disent : j'ai souffert beaucoup là bas mais c'est encore pire maintenant. Ca signifie vraiment que le fait de ne pas être accueilli, de ne pas être reconnu est une souffrance énorme. C'est comme si t'enfonce la tête dans l'eau. Ils sont plus que déçus, vraiment désespérés ». Dans de telles circonstances, ces gens deviennent malades et des familles comme systèmes deviennent malades : le père qui se referme sur lui-même, la mère, le couple qui éclate puis les enfants qui sont parentifiés, adultifiés pour soutenir émotionnellement leur parents, ou adultifiés pour faire des démarches que les parents devraient faire. Professionnel C 1. Quelle est votre définition du « traumatisme psychique » ? Un traumatisme survient quand il y a débordement des capacités d'adaptation par rapport à un événement vécu. « On a des événements malheureux et certains types entraînent des conséquences et deviennent invalidantes au niveau du fonctionnement quotidien ». D'après le sujet, les événements peuvent être de plusieurs types : peuvent survenir d'une manière inattendue ou sont cumulatifs donc répétés. En général, ces types d'événements exposent les personnes à des événements graves. « Parce que la guerre c'est quelque chose qui menace la vie de quelqu'un, donc ça le confronte à la mort. Souvent les réfugiés sont confrontés à plusieurs événements traumatiques cumulatifs dans le temps, c'est-à-dire c'est un parcours long sur lequel la souffrance a duré longtemps. Donc, les réfugiés se déplacent d'abord dans des camps de déplacements. Ils doivent s'organiser, ils doivent survivre en attendant l'aide du gouvernement, des O.N.G. Ils se déplacent toujours en fuyant l'agresseur jusqu'à se retrouver en dehors de leur territoire dans des conditions très difficiles. Donc, c'est un traumatisme qui s'est cumulé des mois et des mois, voir des années ». Un traumatisme cumulé est un traumatisme complexe auquel s'ajoute toute une morbidité psychiatrique qui rend plus difficile le traitement. Et, plus le temps dure, plus la prise en charge risque d'être délicate et longue. Que la personne soit confrontée directement au non, pour notre sujet, la guerre suscite l'inquiétude par rapport à l'intégrité physique donc, à la mort. « Quand tu entends une bombe qui éclate ou quand tu entends des agresseurs qui arrivent etc., automatiquement c'est la pensée à la mort, c'est une confrontation à ça ». Souvent, on oublie qu'une semaine d'inquiétude, dans la guerre, parfois peut être tellement intense que la personne est dépassée par la frayeur. La confrontation à la mort est effrayante car, est inhabituelle, parce que personne ne sait ce qu'est la mort : si la mort signifie anéantissement, si la mort signifie une autre vie au-delà, etc. « Personne n'a été pour nous dire : « voilà, c'est ça !» Le sujet met l'accent sur le fait que personne n'est immunisé contre le traumatisme, donc c'est une réaction tout à fait normale. Il y a aussi quelque chose de l'ordre d'impuissance qui est en jeu. « On est impuissant par rapport à certains événements. On est obligé de fuir ou parfois, on est dans une position où on ne peut pas fuir. Et cette incapacité de réaction est autant douloureuse parce qu'on est réduit à l'impuissance totale. On est tellement effrayé par ce qui va arriver ou ce qu'il aurait pu arriver ». 2. Y a-t-il des différences entre les traumatismes causés par des événements naturels et les traumatismes infligés par l'homme? Tous les deux sont des traumatismes mais ce qui est particulier, quand un traumatisme survient dans des circonstances de catastrophes naturelles, il est pris comme telle. « On peut dire que c'est le hasard, on peut dire que c'est peut être suite à la volonté de Dieu. Donc, la rationalisation est plus simple et les gens l'acceptent plus comme tel ». Mais, quand le traumatisme est infligé par l'humain, ça prend d'autres proportions. Parce que l'humain est considéré comme étant bon mais là, on est confronté à l'autre extrême qui est mauvais.
« En fait, là ça se complique. Les traumatismes qui sont générés par l'homme provoquent des dégâts assez compliqués au niveau de leur récupération parce que, dorénavant, les sentiments que la personne développe ne sont pas seulement d'ordre traumatique mais sont aussi d'ordre relationnel. Je pense que c'est ce qui explique les difficultés d'altération des relations, parce qu'on voit souvent que les gens ont tendance à s'isoler, à se replier sur eux-mêmes, ils deviennent méfiants par rapport à l'entourage. L'agression provoquée par l'homme rompt ce sentiment d'appartenance à la communauté, au monde ».
En cas de disparition, le sujet nous parle d'un deuil qui n'arrive pas être terminé car le proche du disparu se trouve dans l'ambiguïté entre vie et mort. « On constate que lorsqu'il s'agit de disparition, au niveau du deuil ça devient difficile parce que le proche du disparu a des sentiments qu'il est encore en vie, qu'il surgira un jour. Il pense que peut être il est en prison, qu'il est en train de subir de la violence, etc. Il y a des sentiments diffus qui persistent. La personne est dans une ambiguïté et le deuil ne peut pas être définitif. Car il n'a pas vu le corps, il n'a pas enterré, n'a pas accompagné, n'a pas fait de rituel, etc. ». 3. Au moment de l'effroi le sujet se sent-il extrêmement abandonné ? Ce sentiment d'abandon est quelque chose de récurant. Quand les personnes sont confrontées à ce type de problèmes, elles se sentent abandonnées. « Personne ne vient au secours, attendu en vain ». Ces sentiments d'abandon, de rejet persistent chez les réfugiés. Pour le sujet, les réfugiés arrivent ici avec l'espoir de trouver un espace de sécurité mais ils se trouvent de nouveau confrontés à cette agression humaine. Parce qu'ils leur rappellent justement ce qu'ils ont vécu. 4. Quels symptômes avez-vous rencontré chez ces patients ? Chez les personnes qui ont été exposées à des événements traumatisants, on retrouve souvent les surgissements des événements vécus. Ces réviviscences ne surviennent qu'après un certain temps de latence. Donc, les évènements reviennent dans leurs pensées d'une façon incoercible, ce qui les handicape dans leur mode de réflexion mais aussi dans leur travail quotidien parce que, souvent, quand ils sont en train de penser à un problème, ces idées resurgissent. D'après le sujet, ces flashs back reviennent pendant la journée mais aussi dans leur sommeil sous forme de cauchemar. « On voit souvent qu'ils ont une altération de la qualité du sommeil ou de la quantité même. Le sommeil est discontinu avec parfois des difficultés d'endormissement et des réveils précoces. Ensuite, ils ont difficile à se rendormir ». Souvent, ces personnes présentent de la dépression. Le sujet nous parle aussi des phobies jusqu'à des comportements obsessionnels, mais ne donne pas plus d'explications. Il y a des troubles anxieux de types attaque panique. On trouve aussi des phénomènes hallucinatoires de type auditif, visuel, etc. Les victimes deviennent hyper-vigilantes et ça devient un inconvénient pour elles car elles sont toujours aux aguets, toujours en attente de danger. Cette hypervigilance devient perturbatrice que ce soit au niveau biologique ou psychologique. Les personnes traumatisées sont caractérisées aussi par des évitements. Ca concerne certaines situations qui réactivent les traumatismes : Ca peut être des films violents, ça peut être le fait d'entendre des événements violents, etc. Les personnes traumatisées, souvent, se rendent compte qu'elles ont un rythme de fonctionnement qui est devenu différent des autres personnes. « Elles ont tendance à se replier sur elles-mêmes parce que les traumatismes se sont réalisés par nos semblables. Donc, souvent les personnes réalisent que le monde dans lequel elles sentaient une certaine protection constitue un monde dangereux. Donc, l'homme voit l'homme dans cette double identité qui est bon et mauvais. D'où, il a parfois la crainte des gens ». Le sujet nous parle de la perte de contrôle chez la victime. « Elle n'est plus capable de contrôler la situation. Elle n'est plus consciente de ce qu'elle fait. Elle a des automatismes gestuels ou verbaux ». Le sujet termine en disant qu'il y a une souffrance intérieure qui n'est pas visible.
Le sujet ne nous donne pas de réponse à ce sujet car il dit que c'est un domaine réservé aux psychologues. 5. En cas de traumatisme de guerre, qu'est-ce qui fait que le psychisme ne cesse de se rappeler ? Le sujet compare le psychisme de la personne qui a été exposée à des événements traumatisants avec les séquences d'un film en préparation. « Au début, on enregistre les séquences à l'état brut. Les images du film dans la tête du sujet ne sont pas fixées. Elles sont enregistrables à l'état brut. Après un certain temps le sujet doit les révisualiser. Je dirais que c'est comme le cinéaste : après quand il a fini toutes les séquences, il doit revisualiser pour essayer ». Le sujet appelle ces séquences : « dysmnésies ». Parce que les vécus ne sont pas évoqués dans l'ordre, ne surgissent pas dans l'ordre tel que la personne l'a vécu. Ainsi, dans le travail thérapeutique on aide la personne à mettre de l'ordre dans ses idées, on essaye de couper des images pour faire des séquences qui sont plus réalistes pour les personnes qui vont visualiser le film. « Souvent, j'ai dit que la mémoire d'un traumatisé était fragmentée. Donc, ça vient par fragment. C'est pour cela que dans le travail thérapeutique il faut mettre un peu d'ordre ».
D'après les constatations du sujet, la plupart des traumatisés ont souvent des troubles mnésiques, donc des pertes de mémoire qui les confrontent parfois à certaines difficultés de procédure. Ces personnes se trouvent confrontées à la non-reconnaissance car, souvent, chez les personnes traumatisées leur mémoire est fragmentée. Il y a aussi des personnes qui ont vécu des choses graves mais qui parlent plutôt des autres détails que de l'événement lui-même. Ces amnésies peuvent être aussi liées à la vie quotidienne. Tel est l'exemple d'une patiente. Cette femme est partie au marché avec son bébé dans une poussette. En rentrant chez elle, elle oublie son bébé dans le bus. Elle ne s'en rappelle jusqu'à ce que la police vienne sonner chez elle à ce sujet... 6. Ces personnes éprouvent-elles des difficultés à parler du traumatisme vécu ? Il y a des personnes qui ne veulent pas parler de leur histoire, de ce qu'elles ont vécu. Il y a ceux qui n'en parlent même pas. Il y en a d'autres pour qui parler devient tellement éprouvant qu'il faut prendre du temps. Il faut vraiment respecter leur rythme. Et puis, il y en a ceux qui en parlent mais en limitant certains détails. Le sujet nous donne l'exemple d'une personne qui au premier événement a vu une bombe tomber sur sa maison. Les membres de la famille ont été obligés de fuir dans toutes les directions possibles. La famille s'est désintégrée et elle est venue en Belgique. Cette personne n'a aucune nouvelle de sa femme après trois ans. Lui, c'est quelqu'un qui a été torturé par les miliciens, etc. « Ce que me disait mon patient, c'est plutôt la façon dont il a essayé de trouver à manger, de survivre etc. Et plus tard, quand il se sentit mieux, il m'a raconté tout le début de son histoire. Ça m'a bouleversé parce que je croyais que c'était quelqu'un qui avait fuit les hostilités, qui n'avait pas été impliqué d'une manière ou d'une autre ». 7. Comment aider au mieux ces victimes ? Quelle théorie vous aide pour votre pratique ? C'est un travail à long terme, nous dit le sujet. « Je pense qu'il faut respecter leur rythme ». Pour aider quelqu'un qui a été victime, la première étape est la reconnaissance de ce statut. « Parce que si on ne reconnaît pas cela je me demande comment on peut l'aider ». Le sujet nous parle des difficultés que rencontrent les réfugiés devant l'Office des Etrangers, parce qu'ils se sentent obligés à nouveau de se justifier. « Se justifier veut dire raconter toute l'histoire qu'ils ont vécue ». En dehors de cet élan de récupération de leur santé, ces personnes sont confrontées aussi à des problématiques existentielles. « Il y a des événements qui entretiennent leurs difficultés, qui ne les aident pas à se reconstruire. Il y a des difficultés de procédure, par exemple. Mais pas seulement cela, parce que pour se reconstruire il faut aussi être autonome. La plupart de ces personnes sont obligées d'être réduites à un mode de dépendance, ce qui n'est pas valorisant ». Penser à la récupération c'est penser aussi à toute cette difficulté que l'on rencontre. Concernant les théories utilisées, notre sujet pense qu'aucune théorie ne peut s'inventer comme étant la plus adaptée au traumatisme, que ce soit au niveau psychanalytique, au niveau cognitivo-comportementaliste, au niveau systémique, etc. Il faut une intervention dans un contexte plus global, parce que la prise en charge de certaines situations est tellement complexe. Le sujet prend l'exemple la thérapie par abréaction. « Je pense qu'il y a des personnes avec qui ça peut marcher et pour d'autres ça ne marche pas. Chez d'autres encore, c'est contre-indiqué. Il y a des personnes qui spontanément ont besoin de ça, de relater des faits vécus, de verbaliser, d'être écouté, de témoigner, surtout, de dénoncer. Il y en a d'autres qui trouvent que ça ne servira à rien. Puis, il faut respecter aussi la personne, si elle ne veut pas raconter, il ne faut pas insister ». Une approche multidisciplinaire est indispensable car, selon notre sujet, le traumatisme ne laisse pas seulement des problèmes psychologiques mais le traumatisme se passe aussi dans le corps, il laisse des traces, des séquelles. Le sujet précise qu'il y a souvent des troubles somatiques qui sont associés chez ces personnes. Mais, le contexte social est aussi très important. « Bref, il y a tout un accompagnement qui parfois est nécessaire ». 8. Quelle importance a le soutien social dans l'accompagnement de la victime ? Suite à des violences systématisées, à des événements qui impliquent toute une communauté, le soutien social permet, à la majorité de la population, de s'en sortir. « Quand le traumatisme est introduit par l'homme, quand la personne est déshumanisée, il n'y a que la communauté qui peut restaurer cette humanisation, ce sentiment d'appartenance. Ceux qui sont parvenus à s'en sortir, c'est ceux qui ont été socialement soutenus. On ne peut pas améliorer quelqu'un dans l'isolement, dans la solitude ». Le sujet fait une remarque par rapport à certaines circonstances qui s'avèrent problématiques. « On parle souvent d'intégration sociale mais quand on a eu des problèmes à cause de l'homme, souvent on voit, même longtemps après que la guerre est finie, qu'il y a des mouvements qui circulent et qui ne favorisent pas la récupération. Les victimes qui ne sont pas reconnues, parfois on les blâme ou on dit : voilà cette personne veut se victimiser ; elle doit tourner la page ; etc. alors que la personne n'en est pas capable. Cette façon de les rehumilier, de ne pas reconnaître sa souffrance ne favorise pas la récupération. Je crois que le contexte social est très important ». 9. Est-ce que le concept de « résilience » vous est utile pour penser votre pratique ? La capacité que les gens ont de rebondir les événements vécus, dépend du développement psychologique de l'individu. La compétence résiliente est innée. Parfois, elle peut devenir acquise en fonction des expériences dans la vie. Quelqu'un qui a vécu dans une communauté soutenante, qui a acquis des aptitudes de résistance, résiste mieux à certains événements qu'un autre. Le sujet dit qu'il y a aussi des personnes qui ont été exposées à des événements traumatisants chroniques et qui finissent par développer des mécanismes adaptatifs, donc développer des capacités de résilience qui sont surprenantes. « Les traumatisés ont quand même des capacités d'adaptation énormes. Lorsqu'on voit après qu'ils ont été confrontés à des situations dramatiques, parfois on est étonné de voir qu'ils sont encore capables d'établir des liens sociaux. On est parfois surpris de voir qu'ils parviennent à s'intégrer ou à faire des choses malgré ce qu'ils ont vécu ». 10. La reconnaissance sociale est-elle une voie vers la réparation ? C'est le problème de l'Etat de reconnaître ces personnes comme victime. Cependant, le sujet est sceptique face à cette tendance de réparation. « Réparer oui, mais à quel pourcentage ? Est- ce qu'on peut réparer ? Je crois qu'il faut renoncer à ça. C'est une tendance vers une réparation symbolique mais il y a des points d'interrogation ». La non-reconnaissance du statut de réfugié chez ces personnes montre cette incapacité de réparer la souffrance qu'elles ont subie parce que ça se répète ici. « La majorité des patients que j'ai sont encore dans le traumatisme parce que ils n'ont pas de papiers depuis x années ...». Professionnel D1. Quelle est votre définition du « traumatisme psychique » ? Pour le sujet, un traumatisme psychique est une notion sur laquelle on peut beaucoup débattre, et à propos de laquelle il y a souvent une confusion entre le fait de vivre des événements à portée traumatique, donc qui peuvent avoir un impact traumatique, et un traumatisme en tant que tel. Il y a des événements qui, chez certaines personnes, vont entraîner une réaction de type traumatique, au niveau psychologique, et que d'autres apparemment vont traverser avec plus de facilité. « Donc, on ne peut pas, comme c'est le cas pour un traumatisme physique, identifier de la même manière des traces ou des signes clairs au niveau clinique de ce qu'est un traumatisme ». On peut parler d'un événement à portée traumatique quand une personne a été exposée d'une manière brutale à un événement très violent, où l'intégrité physique et psychologique de lui-même ou de ses proches ont été mises en danger et face auquel elle a été sans ressources et a en conséquence vécu un moment d'effroi. Il peut y avoir des traumatismes à partir d'un événement unique, à partir d'événements qui se sont répétés, et à partir d'événements qui restent « à l'oeuvre ». Les spécialistes répertorient sous la nomination d'état de stress post-traumatique ou de névrose traumatique les manifestations symptomatiques typiques que développent des personnes qui ont été soumises aux types d'événements pré-cités, en lien direct avec cette exposition. A côté de la confrontation à la mort, le sujet met en évidence un autre phénomène propre à l'exposition à ce type d'événement, qui pour lui est au moins aussi perturbant psychologiquement et accentue le sentiment d'effroi : « C'est la rupture du contrat social sur lequel on base l'ensemble des relations, des valeurs auxquelles on croyait et sur lesquelles on avait bâti le socle sur lequel se construisent la vie collective et la vie sociale. Tout d'un coup, il y a une transgression de ces lois fondamentales. C'est un double effroi : de la présence de la mort et de l'absence des règles minimales nécessaires à la vie en société ». 2. Y a-t-il des différences entre les traumatismes causés par des événements naturels et les traumatismes infligés par l'homme? « J'ai déjà répondu dans la première question avec l'introduction du deuxième type d'effroi, lié à la transgression radicale des règles du contrat social ». Donc, il y a une différence entre ces deux types d'événements car ils laissent des traces différentes sur le fonctionnement psychique de la victime. Néanmoins, le sujet met l'accent sur les particularités de chaque personne. Il faut prendre en compte le contexte de situation dans lequel ces personnes se trouvent et leurs ressources individuelles. « Si on devait graduer les événements, sans doute qu'une atteinte traumatique dans lequel il y a eu une violence organisée par d'autres humains, en terme de gravité, je dirai que c'est plus grave mais je mets des nuances parce que pour un être humain on ne sait jamais déterminer ce qui est grave ou pas pour lui ». Parce que, dit notre sujet, il y a aussi des personnes qui réagissent d'une manière catastrophique à des événements non provoqués par l'homme et avec lesquels le travail est excessivement difficile. Par exemple à la mort d'un enfant dans un accident. « Mais on doit quand même invoquer un autre ordre de gravité de l'atteinte quand l'événement traumatique est volontairement induit par un humain ».
Dans une situation où la victime est placée dans un contexte de déshumanisation de son être, c'est sûrement différent. De plus, dans le contexte de la demande d'asile, pour certains c'est un événement qui n'est pas fini, c'est-à-dire que l'événement n'est pas clôturé. Ces personnes se sentent toujours en danger par rapport à ces situations. « Donc c'est le cas pour pas mal de demandeurs d'asiles qui sont dans la procédure où, non seulement ils ont été victimes d'événements traumatiques au sens le plus dur du terme, mais en même temps ils ne sont pas sûrs, ils n'ont pas la garantie que c'est terminé ».
« Dans ce type de situation, il est presque impossible de faire le deuil. C'est ce que nous constatons chez ces personnes qui n'arrivent pas à se débarrasser de ces « fantômes », disparus mais pas vus dans la mort, ni veillés, ni accompagnés vers l'au-delà. La recherche du corps du disparu, quand elle est possible, obsède le(s) survivant(s), les laissant très souvent dans l'incapacité de « faire avec » cette absence ». 3. Au moment de l'effroi le sujet se sent-il extrêmement abandonné ? Cela correspond également à mon point de vue. C'est le socle de ce qui fonde l'être humain comme animal social qui est brisé, il se retrouve en conséquence seul, abandonné. 4. Quels symptômes vous avez rencontré chez ces patients ? Le sujet énumère certains symptômes qu'il a rencontré chez ces patients comme : l'impression de revivre constamment cet événement sous forme de flash-back, que l'événement reste présent alors qu'il a eu lieu il y a longtemps ; des troubles de la concentration ; troubles du sommeil, comme des difficultés d'endormissement et/ou des cauchemars à répétitions ; perte de la confiance en soi et de goût dans la vie ; moment d'irritabilité importants ; les oublis ; etc. Le sujet fait remarquer qu'il y a toute une série de signes cliniques possibles qui se présentent mais qui ne sont pas nécessairement tous présents en même temps chez la même personne.
Le sujet a une perspective d'encadrement et d'interventions globales, de soutien global de la personne, ce qui a pour conséquence que l'essentiel du travail est centré sur la mobilisation des ressources dans la situation actuelle. « On peut identifier chez certains d'entre eux des manifestations de dépendance, de grande passivité face au renouvellement des épreuves qui peuvent en être des expressions, mais nous n'envisageons pas de les traiter dans une perspective de ce type ». 5. En cas de traumatisme de guerre, qu'est-ce qui fait que le psychisme ne cesse de se rappeler ? Le sujet fait l'hypothèse que la répétition dans le traumatisme est une tentative « archaïque » d'apprivoiser ce qui est arrivé, c'est-à-dire une tentative d'élaboration mais qui, souvent, échoue. « C'est un point d'arrêt sur lequel la personne achoppe ou trébuche tout le temps au même endroit parce qu'il n'a pas la possibilité de le dépasser. Ainsi, elle reste calée dans une forme de sidération par rapport à ces événements où le réel a, en quelque sorte, fait une effraction ». Le mécanisme qui maintient cette espèce de retour systématique de l'événement et cette impossibilité d'élaboration, pour notre sujet, pourrait être de l'ordre de la pulsion de mort et lié à une forme de confrontation à la jouissance. Le sujet ajoute qu'on peut parler de fascination par rapport à l'événement qu'on a rencontré suite auquel le champ pulsionnel a été tellement chamboulé qu'on n'arrive pas à le dépasser.
Le sujet nous dit qu'il a rencontré des patients qui présentent plutôt des confusions spatio-temporelles. Ces patients sont incapables de restituer précisément dans le temps l'événement. « Certains ont des pertes de repères temporels par rapport au moment où ça c'est passé. Une fois ils disent que cela s'est passé le matin, une fois l'après-midi ; La confusion gagne souvent toute la scène, le nombre de personnes concernées, les lieux.. C'est comme si la scène se brouillait, paraissait floue. D'autres, par contre, sont très précis, se souviennent de détails incroyables. Les deux peuvent être mêlés : confusion à certains niveaux, hyper précision du souvenir à d'autres. » 6. Ces personnes éprouvent-elles des difficultés à parler du traumatisme vécu ? Ce qu'ils expriment n'est pas toujours de l'ordre de la plainte, ils ont souvent des attentes très concrètes pour les aider dans des aspects de la vie quotidienne qu'ils ne parviennent pas à gérer, les accompagner dans des démarches, rompre la solitude et l'isolement dans lesquels ils se trouvent. Il n'y en a presque aucun qui vient directement pour parler des événements traumatiques, sauf s'ils s'y sentent obligés. Un autre point que notre sujet trouve important, c'est de ne pas forcer les portes de la mémoire par rapport à l'événement et à sa remémoration. « Moi, je ne suis pas du tout favorable à des formes de traitement cathartique de l'événement traumatique. La personne peut venir deux ans sans en parler. Donc, selon moi, il faut la suivre dans ce qu'elle veut nous livrer, dans ce qu'elle veut travailler avec nous ici ». Néanmoins, on doit lui montrer qu'on est prêt à entendre ce qui est de l'ordre de l'innommable, si possible sans en précipiter la révélation. Malheureusement, cette attitude n'est pas toujours possible avec les demandeurs d'asile. La procédure de demande d'asile invite en effet à forcer le retour sur les événements. Créer les conditions pour que ce soit le moins inhumain possible apparaît souvent comme la seule alternative possible, pour que, grâce au psychologue, le patient puisse témoigner de la réalité de ce qu'elle a enduré de manière crédible devant un autre moins bienveillant. « Ce n'est pas idéal de ce qu'on devrait faire dans un cadre thérapeutique. Nous le faisons parce que la sécurité du droit au séjour doit être assurée en premier lieu, elle prime sur tout le reste en matière de gages d'apaisement psychologique. Sans elle, la perspective de se projeter dans l'avenir, en assumant les épreuves passées, ne peut être travaillée. Donc, on est face à une contradiction : on doit travailler au droit au séjour prioritairement, et pour ce faire, on doit parfois favoriser de lever les oublis, de faire retour sur des événements alors que la personne n'y est pas prête, ne le désire pas, alors qu'en soi, ce ne serait pas souhaitable, que cela peut être considéré comme contre-thérapeutique ». Pour notre sujet, la procédure d'asile est, dans beaucoup de cas, un une forme de réactivation traumatique, un événement traumatique secondaire. La non reconnaissance de la souffrance par le pays d'accueil et l'humiliation d'avoir à prouver le contexte dans lequel la victime a été mise en péril, que ça soit physiquement ou psychologiquement, c'est en soi très, très violent. 7. Comment aider au mieux ces victimes ? Quelle théorie vous aide pour votre pratique ? Notre sujet s'inspire de la psychanalyse ainsi que de la psychothérapie institutionnelle telle que s'est développé dans les années 40-50-60. C'est un modèle d'accueil et de l'institution soignante où chacun peut avoir un rôle et une fonction qui est globalement enveloppant et soignant pour la personne. « Dans l'espace que représente Ulysse comme un lieu d'asile où on peut se déposer et se sentir bien, être protégé, enveloppé par l'institution dans son ensemble ». Quand on a été victime d'une déshumanisation complète, il y a quelque chose à restaurer qui est plus profond, qui est différent et qui demande une forme de présence thérapeutique dans une forme de réhumanisation du contact, de la relation et de la confiance dans l'autre. Pour le sujet, la première chose qu'il faut faire c'est d'aller au-delà de la position classique de neutralité. Il faut pouvoir marquer une forme de présence, d'humanité et d'accueil dans laquelle ces personnes peuvent trouver asile. Il faut aussi pouvoir témoigner de son engagement dans la condamnation de la violence que la personne a subi et qu'elle continue à subir, autrement lorsqu'elle est soupçonnée de mentir, tenue de prouver que les événements traumatiques ont réellement eu lieu. On est dans une position de soutien, de reconnaissance de sa qualité d'être humain. C'est nécessaire de manifester cette attitude. « Donc, on est à coté d'eux et on est avec eux, on montre qu'on est sensible à ce qui leur est arrivé et à ce qui peut encore leur arriver. » La neutralité en face des ces personnes n'est pas adéquate, parce qu'elles ont besoin de se sentir dans un cadre relationnel où le danger est exclu ou sans se sentir en danger d'une autre manière. Le sujet fait une remarque par rapport à l'attitude du psychologue. « Il faut être clair sur la position que nous nous proposons d'occuper, sans leurrer pour autant la personne sur notre (faible) capacité à tout arranger, à la sauver ». Notre sujet met en évidence un autre effet que la procédure d'asile a par rapport au vécu traumatique. L'attente de la reconnaissance ou non du statut de réfugié a dans certains cas comme impact de geler provisoirement le processus de métabolisation ou d'élaboration de traumatisme. « On le met en `conserve' le temps de la procédure, parce que la question de la survie est en jeu. Il y a des gens qui peuvent continuer à bien fonctionner tant qu'ils sont dans une logique de survie ». Parfois, on rencontre des gens qui s'écroulent dès qu'ils obtiennent le statut. Autre remarque : pour notre sujet, être régularisé214(*) ce n'est pas la même chose que d'être reconnu comme réfugié, en termes de restauration narcissique. « Personnellement, j'encourage toujours les personnes ayant obtenu la régularisation avant la clôture de leur procédure d'asile à poursuivre celle-ci pour tenter d'obtenir le statut de réfugié ». A côté de cela, il y a d'autres atteintes à la valorisation narcissique : la non reconnaissance professionnelle, la perte du statut social, l'inactivité forcée... L'exil est une épreuve qui ne s'achète pas mais qui coûte cher. 8. Quelle importance a le soutien social dans l'accompagnement de la victime ? « C'est primordial. Les réponses fournies plus haut attestent du rôle essentiel que nous donnons au soutien global, dans lequel le soutien social a une place essentielle. C'est souvent sous le couvert d'un suivi social qu'on peut démarrer autre chose, de plus relationnel ». 9. Est-ce que le concept de « résilience » vous est utile pour penser votre pratique ? Notre sujet ne veut pas faire une critique trop rapide, même s'il lui parle peu. « Ce n'est pas un concept que nous utilisons. Faire référence à des référents hérités de la physique, de la biologie et de l'éthologie ne nous apparaît pas comme le meilleur moyen de comprendre la logique du traumatisme chez l'être humain ». 10. La reconnaissance sociale est-elle une voie vers la réparation ? Voici ce que nous dit le sujet : « Je ne sais pas quoi en penser. Je ne connais pas l'usage fait de ce terme dans la théorie du traumatisme. Je croyais qu'on l'utilisait pour des objets. S'il s'agit de réparation narcissique à quoi il fait référence, je trouve cela un peu ` bateau `, trop évident » * 214 « La demande de régularisation et la demande d'asile sont deux choses différentes. Elles ont une base juridique distincte, les procédures qui les régissent sont indépendantes et les motifs invoqués pour obtenir l'une ou l'autre sont, en principe, également différents ». « Un réfugié, selon la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de 1951, est une personne qui "craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays". Demander l'asile en Belgique signifie demander la protection des autorités belges ». « La demande de régularisation faite sur base de l'article 9, § 3 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, doit mentionner les raisons pour lesquelles la personne souhaite séjourner en Belgique ainsi que les circonstances exceptionnelles qui justifient l'introduction de cette demande en Belgique et non auprès du poste diplomatique belge dans le pays d'origine. Il s'agit donc de mettre en avant des éléments d'intégration (notamment la longue durée du séjour en Belgique, même s'il n'est pas légal, l'inscription à des cours de langues, la scolarisation des enfants, des attestations d'amis ou de connaissances, etc.) ou encore des motifs médicaux (une impossibilité de soigner telle maladie dans le pays d'origine) et, en même temps, les motifs rendant un retour dans le pays d'origine impossible ou particulièrement difficile. Cette demande peut être introduite à n'importe quel moment, indépendamment de la demande d'asile », Amnesty International, Demander l'asile en Belgique, avril 2005, http://www.amnestyinternational.be/doc/article5212.html |
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