Syndrome de la guerre : lorsque le psychisme ne cesse de rappeler( Télécharger le fichier original )par Shqipe BUJUPI Institut libre Marie Haps - Assistante en psychologie 2005 |
21. La réparationPour la personne lésée, l'enjeu fondamental qui permet d'accéder au processus de réparation, au rétablissement d'une Loi humaine en tant que préservatrice de la vie, c'est la reconnaissance collective de la réalité traumatisante, disent les auteurs. La violation explicite de la loi exige de justice, mais « la justice ne peut réparer que le réparable et il y a toujours une part d'irréparable »210(*). Pour cela, il faut laisser la mémoire faire son travail qui permet, au moins, l'apaisement et l'instauration d'une culture de la paix. Et pour que ce travail par la mémoire soit possible, la justice doit nommer les protagonistes : la victime et le coupable. « Ce premier acte est fondamental, il est peut-être même plus important encore que la sanction »211(*). Car, dans l'exigence de justice, se trouve une fonction réparatrice essentielle pour la guérison de la personne blessée. Voici un exemple que Luise Arbour, procureur du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, nous fournit. « Après la guerre au Kosovo, au printemps 1999, une femme qui a vu son mari massacré sous ses yeux par les Serbes, a crié vengeance et a voulu se faire justice en cherchant `à tuer les serbes'. Ce besoin de vengeance était pour elle la seule solution acceptable à ses yeux. Mais voyant qu'elle ne parviendrait pas à ses fins, elle a demandé à rencontrer `cette femme juge' »212(*). Donc, l'horreur de la guerre révèle chez l'homme la partie le plus sombre en lui : haine, violence, vengeance. Pour que la Loi soit rétablie, la justice doit représenter une alternative à la vengeance. Elle doit faire son travail qui s'exprime par cette reconnaissance de la victime comme une personne lésée, sans aucune ambiguïté, et le coupable comme responsable de ses actes qui doit être condamné. Conclusion de la partie théoriqueSelon l'approche psychanalytique, ce qui fait trauma, c'est moins la violence de l'événement, que l'impréparation du psychisme à cet événement. Le plus souvent, le sujet y répond par effroi, sidération. A ce moment, il n'y pas d'angoisse, juste un blanc, un vide. L'état d'angoisse peut être considéré comme une capsule de protection contre cette sidération. Un sujet peut se sentir traumatisé mais pourtant ne pas évoluer vers un syndrome psychotraumatique. Ne confondons pas les concepts de traumatisme, de stress, de burn out, etc. Nous pouvons parler d'installation de syndrome psychotraumatique quand le psychisme n'arrive pas à intégrer l'événement. Il demeure alors comme un corps étranger au sein du psychisme. Les traumatismes causés par l'homme, particulièrement dans un contexte de guerre, ont impact profond sur la victime. Ils sont d'ailleurs plus difficiles à traiter car les lois fondamentales qui régissent l'être humain sont violées. Souvent, les victimes de guerre au Kosovo ont vécu plusieurs traumatismes : ils ont perdu leurs proches dans des conditions atroces, ils ne savent pas si leur proche est vivant ou mort ce qui complexifie le travail de récupération. Les traumatismes peuvent toucher ceux qui les subissent, en étant témoin ou en étant acteur. Les facteurs qui peuvent infliger un traumatisme seront divers et complexes. Ca dépend de brutalité de l'événement, ça dépend en quoi un événement peut être traumatique pour le sujet, c'est-à-dire qu'un même type d'événement peur être vécu différemment chez des sujets différents, ça dépend de sa « vulnérabilité psychique ». L'enfant n'est pas préservé non plus des traumatismes. L'âge joue un rôle, c'est-à-dire, un enfant qui n'a pas encore acquis le concept de la représentation de la mort va peut être le protéger. Cela reste pour nous une question à étudier. Le destin du traumatisé dépend aussi de plusieurs facteurs : de (non) l'accomplissement de ses projets de vie, du type de soutien qu'il a autour de lui. La culture du pays joue aussi un rôle important. Par exemple, nous avons vu que pour une femme violée au Kosovo, c'est un événement très pénible, très dégradant non seulement pour la femme, mais aussi pour sa famille et pour la communauté même. La pauvreté, la marginalisation, l'injustice, l'exclusion sont des facteurs autant traumatisants pour la victime. Pour l'enfant, la qualité de relation avec ses parents est cruciale. Une mère contenante, affective peut prévenir énormément de troubles chez l'enfant. La distinction claire entre la victime et le coupable et condamnation de ce dernier par la justice s'avère indispensable. Ceci est important pour le soulagement de la souffrance ainsi que pour annuler les affects pathologiques comme le sentiment de vengeance car la violence engendre de la violence. Les répercussions sur la victime semblent être multidimensionnelles. Le traumatisme touche la victime dans le champ individuel mais aussi dans sa dimension sociale, ce qui a comme conséquence la dégradation des relations qu'il entretient avec la société et elle avec lui. Un sentiment de culpabilité en rapport à l'événement, souvent irrationnel est associé au syndrome psychotraumatique: Pourquoi j'ai survécu quand mon camarade, mon enfant, etc. a péri la vie ? Pourquoi n'ai-je pas fait autrement, etc. ? Ces « pourquoi » rongent l'intérieur de l'être de la victime. Les victimes disent qu'elles ont changé, qu'elles ne sont plus comme avant. Ceci est qualifié de changement dans sa personnalité ou régression qui se traduit par une hypervigilance, les sursauts, la dévalorisation systématique, un retrait social, l'irritabilité, la perte de goût pour la vie, des dépendances affectives, etc. Chez les enfants plus petits, on retrouve des régressions psychoaffectives se manifestant par l'énurésie, vouloir dormir dans la chambre avec ses parents, etc. Chez les plus grands on trouve des troubles de comportement. D'autres symptômes non spécifiques tels que des asthénies, l'anxiété, les différents troubles psychonévrotiques, psychosomatiques, troubles de conduites peuvent également être présents chez la victime. Nous avons remarqué que la mémoire d'un sujet traumatisé est altérée aussi. Un des symptômes principaux du syndrome psychotraumatique sont différentes formes des réviviscences intrusives. Le responsable de ces réviviscences semble être la pulsion de mort. Le but de cette pulsion de mort est un retour à l'inanimé qui permet au sujet d'annuler la souffrance. La pulsion de mort aurait-elle une visée d'intégration de l'événement ? Cette conception n'est pas retenue par les auteurs contemporains ! Nous trouvons raisonnable par la simple logique que la pulsion de mort ne peut avoir un rôle qui tend vers la vie, au contraire. Freud n'a pas pu donner une explication claire et définitive à ce sujet. Les victimes mettent en place des mécanismes de défense pour se protéger de l'événement douloureux. Les principaux seront le clivage et le déni. Cependant, nous avons vu que plus l'événement est douloureux, plus ces mécanismes s'avèrent inefficaces. Le seul chemin à entreprendre sera la « métabolisation » de l'événement. L'altération de la mémoire d'un sujet traumatisé est marquée aussi par des amnésies, que ce soit des amnésies de la vie quotidienne ou des amnésies concernant d'un moment particulier de l'événement traumatique. Pour un sujet qui se trouve affecté par un événement potentiellement traumatique, plus la prise en charge est précoce, plus il y a des chances de prévenir les troubles. L'intervention juste après le vécu ou/ et les jours qui suivent (durant la première semaine) est très importante pour cette prévention213(*). Nous avons vu que la relation entre le thérapeute et son patient est spécifique. Le thérapeute doit laisser de coté sa neutralité et donc, exprimer de l'empathie et reconnaître la souffrance de son patient. Différentes approches thérapeutiques sont mises en évidence pour la prise en charge à long terme de la victime. Nous nous sommes sceptiques pour ceux qui pensent que les thérapies classiques sont suffisantes pour soigner une victime de traumatisme de guerre à cause de la violence extrême de l'événement. Concernant la thérapie par des mouvements oculaires, nous ne prenons pas de position car c'est une approche qui est basée sur le fonctionnement physiologique du cerveau dont nous n'avons pas de connaissances suffisantes. Par contre, dans les cas des traumatismes induits délibérément comme c'est le cas de la torture et du viol, nous avons trouvé intéressant l'approche de Sironi qui prend en compte l'intentionnalité de bourreau et par là, cherche à l'extraire du psychisme du patient. * 210 Chafaï-Salhi, H. Oublier oui, pardonner peut être. Apparu dans le texte : Restaurer l'humanité dans l'humain. http://www.alliance21.org/2003/IMG/pdf/final_human_fr-3.pdf * 211 Ibidem. * 212 Ficher, G-N. (2003). Les blessures psychiques. Paris : Odile Jacob. Page 174. * 213 Dans un contexte de guerre comme celui de Kosovo, cette intervention n'a pas été possible autant que la guerre a duré pour des raisons que nous avons expliquées précédemment dans la théorie. |
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