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Le pardon et la justice post conflits en Afrique. Etude comparative des dynamiques des acteurs et des institutions du dedans et du dehors (Afrique du Sud, Rwanda)

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par Alain-Roger Edou Mvelle
Université de Yaoundé 2 - DEA 2008
  

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Paragraphe 2 : Une réconciliation définitive est-elle possible ?

Nous venons de voir que les politiques du pardon et de la justice butent très souvent contre la mémoire des victimes qui peuvent ne pas oublier. Dès lors se pose la question de savoir si le pardon et la justice peuvent contribuer de manière durable à la paix dans une société post conflit.

A. Passéisme et présentisme dans la réconciliation au Rwanda

Aujourd'hui, le visage qu'offre le Rwanda est de loin différent des images de violence de 1994. Le pays s'est peu à peu relevé des cendres du génocide. Le système judiciaire tatillon au lendemain des événements atroces s'est reconstruit remarquablement. De plus, les « gacacas » ont permis de réécrire dans les détails l'histoire du génocide à travers les acteurs.

Le retour vers le passé se fait à deux niveaux distincts qui ne sont jamais neutres: celui des individus et celui des institutions. Dans le premier cas, des associations créées248(*) travaillent pour perpétuer la mémoire positive du génocide249(*). Certaines essayent de recenser les noms de l'ensemble des rescapés et victimes. En plus, elles ont permis d'avancer vers la création des sépultures symboliques aux tutsi enterrés dans des fausses collectives. Des fonds d'aides privés existent par ailleurs pour soutenir les familles des disparus, notamment dans les domaines de la santé, de l'éducation, et de la réhabilitation sociale. Bon nombre travaillent sur des domaines précis. C'est la raison pour laquelle il existe des associations qui prennent en charge les femmes violées et mutilées, les enfants des tutsi assassinés, les rescapés traumatisés, etc. Dans le second cas, le pouvoir central essaye de faire en sorte que les Rwandais s'identifient au génocide non en tant que membre d'une composante ethnique, mais en tant que citoyen du pays. Les manuels scolaires essayent de transmettre la version officielle de l'histoire de ce génocide, tout en sensibilisant les jeunes générations sur les dangers du crime passé250(*). Le Fonds d'Assistance aux rescapés du génocide et d'autres mesures officielles sont prises dans le même sens251(*). Comme l'écrit Valérie Rosoux, la mémoire « ne se réfère jamais au passé de manière neutre et tout à fait objective. En effet, ce ne sont pas les choses elles-mêmes qui entrent dans la mémoire mais leurs images...elle reconstruit et réorganise le passé »252(*).

Chaque année, une semaine est consacrée aux célébrations des morts pour affirmer que le courant négationniste est anhistorique. En effet, certains pensent encore aujourd'hui que le génocide n'a pas eu lieu au Rwanda. Les défenseurs de cette thèse avancent plutôt l'hypothèse d'une violence mineure exagérée par les médias, ou pire encore celle des tutsi eux-mêmes génocidaires. Pour appuyer cette dernière thèse, l'on mentionne des actions menées par le FPR en RDC, en soutien à la rébellion de Laurent Nkunda Batoiré, un tutsi congolais ; et l'implication des milices du FPR dans le bombardement de l'avion présidentiel en avril 1994, point déclencheur des tueries.

Il est aussi éclairant de signaler l'important travail effectué par le TPIR pour arrêter et juger certaines grandes figures du génocide. La relative collaboration apaisée avec les autorités rwandaises traduit une volonté générale de tourner la page pour rebâtir la nation Rwandaise expurgée de la haine réciproque et de la désignation mutuelle de l'autre comme ennemi.

Toutefois, malgré tout ceci, la reconstruction du présent demeure parsemée de défis liés à ce passé trop présent. La question des libérations des génocidaires repentis sans réparations constitue l'un de ces défis. Faute de preuves, les « gacacas » et les tribunaux ordinaires étaient très souvent appelés à libérer les prévenus253(*). Dans la mesure où ces personnes devaient cohabiter avec leurs victimes, il demeure impossible d'imaginer une situation dans laquelle la page du passé pourrait se retourner devant une impression d'injustice. Le sentiment d'incomplétude du processus se trouve amplifié par la non prise en compte des dommages contre les biens, ainsi que nous l'avons relevé.

La question des mémoriaux divise encore les Rwandais aujourd'hui. Une quantité raisonnable des hutu qui soutiennent toujours la famille Habyarimana en exil sont opposés à la décision du président Rwandais de transformer l'ancienne résidence du président défunt en musée. La famille de ce dernier a d'ailleurs vivement réagi en publiant un communiqué dans lequel elle fustigeait cette décision. De manière plus générale, nous avons montré que les musés peuvent attiser des foyers de violence latentes dans les mémoires individuelles. Le musée de Gisozi de Kigali par exemple expose 260000 corps. A l'intérieur, on y trouve des crânes humains, des ossements, des vidéos qui montrent des tueurs en action, des blessés qui demandent grâce à leurs bourreaux, etc.

Devant cette irruption permanente du passé dans les consciences individuelles et collectives, il devient impératif que la construction du présent s'émancipe du poids de la mémoire négative pour puiser dans l'histoire non les réminiscences des événements douloureux, mais plutôt le ferment de l'unité et de la réconciliation qui reste une possibilité, bien que difficilement réalisable dans la totalité. Le cas Rwandais permet de voir que malgré la priorisation par le pouvoir central des poursuites contre les génocidaires254(*), l'unité nationale commande la prise des mesures plus conciliatrices qui, à défaut de réconcilier totalement, permettent une sociabilité commune durable entre tutsi et hutu. L'expérience sud africaine quant à elle, centrée sur les victimes255(*), va devoir se solder par la rupture avec le passé et la projection vers le futur.

* 248 C'est le cas d'Ibuka ou de l'association des veuves du génocide.

* 249 Ricoeur lit le devoir de mémoire à celui de justice, notamment par le souvenir. In : La mémoire, l'histoire, l'oubli, op.cit ; p.227.

* 250 Sur le lien entre mémoire et pardon, lire Rainer Rochlitz, « Mémoire et pardon », Critique, n°646, mars 2001.

* 251 Voir supra.

* 252 Valérie Barbara Rosoux, « Rwanda. La mémoire du génocide », op.cit ; p. 732.

* 253 Cette situation s'est aussi posée au niveau du TPIR. Le procureur dudit tribunal s'est par exemple retrouvé contraint de ne pas poursuivre les membres de l'Akazu, un cercle d'initiés qui détenaient les rênes du pouvoir hutu en avril 1994. De même peut-on noter l'impasse sur les crimes de guerre commis par l'APR, la branche armée du FPR.

* 254 Sur les victimes a contrario, lire le philosophe et sociologue Jean-Michel Chaumont, La concurrence des victimes. Génocide, identité reconnaissance, Paris, La Découverte, 1997, pp 335-342.

* 255 Voir Stephane Leman-Langlois, «Mobilizing victimization: the construction of a victim-centered Approach in the South African Truth and reconciliation Commission», Criminilogie, 33 (1), 2000, pp. 145-166.

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