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Le pardon et la justice post conflits en Afrique. Etude comparative des dynamiques des acteurs et des institutions du dedans et du dehors (Afrique du Sud, Rwanda)

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par Alain-Roger Edou Mvelle
Université de Yaoundé 2 - DEA 2008
  

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Paragraphe 2. Les violences faites dans le système Apartheid : un facteur de complexification de la sociabilité commune

La ségrégation avait plusieurs visages en Afrique du Sud. Elle a été systématisée par la minorité blanche dont les planificateurs et exécutants bénéficieront néanmoins des mesures de clémence décidées et constitutionnalisées dans la période post apartheid. Pour les besoins d'authenticité et de préservation de l'esprit et de la lettre du texte, nous préférons rapporter les versions anglaises tirées du rapport de la CVR.

A. La culture d'une mémoire officielle à visée consensuelle en Afrique du Sud

Le système en  vigueur en Afrique du Sud, avant l'arrivée des noirs au pouvoir, est caractérisé par la brutalité et la répression. Pour soutenir la balkanisation qui était l'une des matrices de ce phénomène, un arsenal législatif est voté par le parlement217(*) ; ce qui constitue le fondement de la légalité des exactions. Malgré les conséquences de l'application de ces lois, Nelson Mandela conduira les leaders de l'ANC vers une autre voie que celle que certains auraient pronostiquée : la réconciliation. Pour cela ; il fallait que les différentes communautés réécrivent ensemble leur histoire. L'ampleur de la difficulté de cette tâche est relevée dans le rapport de la CVR en ces termes : « The road to reconciliation requires more than forgiveness and respectful remembrance. It is, in this respect, worth remembering the difficult history of reconciliation between Afrikaners and white English-speaking South Africans after the devastating Anglo-Boer/South African War. Despite coexistence and participation with English-speaking South Africans in the political system that followed the war, it took many decades to rebuild relationships and redistribute resources. Reconciliation requires not only individual justice, but also social justice »218(*). Ce paragraphe souligne le caractère insuffisant du pardon dans le processus de réconciliation. Pour les commissionnaires sud africains, il fallait plus que ce dernier. Ainsi, la justice individuelle devait être couplée avec la justice sociale pour densifier les ressources de la réconciliation. La grande majorité de noirs ont accepté de pratiquer la philosophie de l'Ubuntu219(*). De plus, le rapport revalorise le concept d'égalité dans la nouvelle société. Le système politique est `'déracialisé'', en même temps qu'est rappelé l'avènement d'une coopération inter personnelle : « The survival of our people in this country depends on our co-operation with each other. My plea to you is, help people throw their weapons away. No person's life is a waste. Every person's life is too precious »220(*). De manière Claire, la CVR a noté que la sociabilité commune ne peut pas être possible si les victimes n'ont pas le sentiment que leurs bourreaux d'hier ont été punis. C'est en réalité l'appel au réalisme du processus de réconciliation, dans la mesure où tout en prônant de tourner la page du passé, il est recommandé ardemment qu'une justice restauratrice soit appliquée. C'est le gage de l'adaptation des mémoires au temps présent. Cette vision est formulée en ces termes: «  Restorative justice demands that the accountability of perpetrators be extended to making a contribution to the restoration of the well-being of their victims. The fact that people are given their freedom without taking responsibility for some form of restitution remains a major problem with the amnesty process. Only if the emerging truth unleashes a social dynamic that includes redressing the suffering of victims will it meet the ideal of restorative justice »221(*).

L'ampleur du travail effectué par la CVR traduit l'importance et la difficulté du rapprochement des ennemis d'hier. En guise d'illustration, 21707 dossiers ont été étudiés dans la période comprise entre le 1er mars 1960 et le 10 mai 1994. L'on doit ainsi à la Commission d'avoir « pris en considération toutes les victimes : celles qui ont succombé sous l'apartheid mais aussi les 5000 personnes hâtivement exécutées par les mouvements de résistance (dans les camps de guérilla, dans les townships, lors des confrontations au Kwazulu-Natal) et bien sûr les victimes des attentats »222(*). Ce sentiment n'est pas partagé par tous. En effet, vu l'ampleur et la durée de l'apartheid, il n'a pas été matériellement possible de considérer l'entièreté des cas: «In essence, therefore, the Commission was restricted to examining only a fraction of the totality of human rights violations that emanated from the policy of apartheid - namely, those that resulted in physical or mental harm or death and were incurred in the course of the political conflicts of the mandate period»223(*). Le panorama des violences rappelées par le Rapport de la Commission est le suivant : « These include bannings and banishment; judicial executions, public order policing, the use of auxiliary forces, torture and deaths in custody. The various methods of torture are discussed, amongst others, beating, the imaginary chair, electric shocking and the incidence of sexual torture »224(*). La description des violences sexuelles endurées est faite avec une froideur qui a justement pour but de créer le choc nécessaire qui permettra aux négationnistes de se rendre compte de l'authenticité des faits imputés aux tortionnaires du système racial : « Cases of sexual torture included forcing detainees (both male and female) to undress; the deliberate targeting of genitals or breasts during torture; the threat of and, in some instances, actual rape of detainees (male and female); the insertion of objects such as batons or pistols into bodily orifices and placing detainees overnight in cells with common-law prisoners known to rape newcomer »225(*). Puisque le processus de réconciliation doit être total, même les abus de l'ANC sont mis en évidence, ce qui n'était pas du goût des dirigeants de ce parti, de surcroît au pouvoir pendant les travaux de la Commission, et même après, ainsi que rappelé supra. La formulation de la responsabilité de l'ANC et des autres mouvements noirs est ainsi déclinée : « Nonetheless, the Commission drew a distinction between a 'just war' and 'just means' and has found that, in terms of international conventions, both the ANC, its organs the National Executive Council (NEC), the National Working Committee (NWC), the Revolutionary Council (RC), the Secretariat and its armed wing Umkhonto weSizwe (MK), and the PAC and its armed formations Poqo and the Azanian People's Liberation Army (APLA), committed gross violations of human rights in the course of their political activities and armed struggles, acts for which they are morally and politically accountable »226(*). Il est question que le consensus recherché soit d'orientation équilibriste. Imputer l'ensemble de la responsabilité à la minorité blanche ne l'aurait pas amené à adhérer au projet de réconciliation. Au début des travaux de la Commission, les blancs étaient très réticents à son encontre. Mais ils se sont progressivement rangés derrière sa cause, surtout lorsque la responsabilité des mouvements de résistance a été nettement emphasée. S'il fallait rendre une justice punitive, tous étaient désormais de potentiels justiciables. Mais cela traduit-il à suffisance la pratique d'absolution du mal ?

* 217 Pour en avoir une idée, signalons le `'population registration Act'' de 1950. Cette loi donnait la catégorisation humaine ci-après: A White person is one who is in appearance obviously white - and not generally accepted as Coloured - or who is generally accepted as White - and is not obviously Non-White, provided that a person shall not be classified as a White person if one of his natural parents has been classified as a Coloured person or a Bantu ... A Bantu is a person who is, or is generally accepted as, a member of any aboriginal race or tribe of Africa ... a Coloured is a person who is not a white person or a Bantu. Il y avait le `'Group areas Act'' de 1950, le `'Prohibition of Mix Mariage Act'' de 1950, `'Immorality amendment Act'' de 1950, `'Suppression of Communism Act'' de 1950, `'Separate Amenities Act'' de 1953, `'Bantou education Act'' de 1953, `'Extension of University Education Act'' de 1959, etc.

* 218 Vol 1, chapitre 5, paragraphe 52.

* 219 C. Marx, « Ubu and Ubuntu : on the dialectics of apartheid and nation building », Politikon, 29 (1), 2002, pp. 49-69.

* 220 Vol 1, chapitre 5, paragraphe 88 du rapport.

* 221 Vol 1, chapitre 5, paragraphe 100.

* 222 Antjie Krog, La douleur des mots, op.cit ; p. 401.

* 223 Introduction au rapport de la CVR, 19e alinéa.

* 224 Rapport de la CVR, vol 2, chapitre 3, paragraphe 1.

* 225 Vol 2, chapitre 3, paragraphe 115. Pour Derrida, un tel panorama de violence contredit même l'idée de pardon. Il écrira : « Quand le crime est trop grave, quand il franchit la ligne du mal radical, voire de l'humain, quand il devient monstrueux, il ne peut plus être question de pardonner, le pardon devant rester, si je puis dire, entre hommes, à la mesure de l'humain ». In Jacques Derrida, L'impardonnable et l'imprescriptible, op.cit ; p. 24.

* 226 Volume 2, chapitre 4, Paragraphes 2 et ss.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway