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Le pardon et la justice post conflits en Afrique. Etude comparative des dynamiques des acteurs et des institutions du dedans et du dehors (Afrique du Sud, Rwanda)

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par Alain-Roger Edou Mvelle
Université de Yaoundé 2 - DEA 2008
  

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J. La mémoire collective tutsi : une prégnance des formes socialisées du passé

A la différence de la mémoire individuelle, la mémoire collective210(*) est un trait caractéristique de l'identité tutsi. Il est quelque peu malaisé d'étudier cette collectivisation de la mémoire, notamment dans la mesure où les tutsi sont aussi différents les uns que les autres. Il devient par conséquent difficile de dégager la saillance de ce qui constitue leur patrimoine mémoriel commun. Les tutsi vivant en exil en Ouganda n'auront jamais le même rapport aux hutu que ceux qui sont restés au pays, d'ailleurs considérés comme des félons211(*). De même certains ont réussi à pardonner à leurs bourreaux d'hier.

Devant ces multiples éléments qui relativisent l'affirmation de l'existence de la mémoire collective tutsi, quelques arguments militent en faveur de l'existence des sous-mémoires collectives à l'intérieur du magma mémoriel hétérogène tutsi. Sa diaspora a effectivement pu tisser un lien vivificateur entre les unités qui la composent. Ce lien renforcé par l'effet du temps a été entretenu à la faveur de la conscience commune en une exclusion de la terre de leurs ancêtres, et derechef à leur dépersonnalisation par le pouvoir central hutu. L'on trouve par ailleurs les traces d'une sous-mémoire collective tutsi chez les survivants qui vivaient au Rwanda pendant les évènements de 1994. Pour preuve, ceux-ci ont créé une association dite des `'rescapés du génocide''.

Dans tous les cas, l'édification d'une mémoire collective n'est pas une mauvaise chose en soi. Par contre, ce qui est en jeu, c'est d'éviter que la mémoire ne soit négative. Le devenir revient généralement à ne se remémorer que des souvenirs douloureux. Or, « des souvenirs dangereux ou déformés contribuent à alimenter le cycle de la vengeance, notamment dans des conflits ethniques...Une mémoire puissante et bien souvent déformante est à l'origine de bien d'affrontements contemporains »212(*). Comme on peut le constater, une telle mémoire, lorsque sujette à une agrégation des pensées vengeresses, peut provoquer la résurgence des tensions, voire une violence larvée entre d'anciens groupes ennemis. Abderarrahmane N'Gaide ne dit pas autre chose lorsqu'il écrit : « Le meurtre d'hier a été vécu comme fête, cette dimension reste insupportable. Elle dépasse l'entendement humain et s'enfonce dans le mensonge ; ce qui alimente les sillons du génocide... »213(*).

Pour éviter la dissémination de cette haine, le gouvernement du Rwanda a mis sur pied un dispositif institutionnel réactif et proactif. Sur le plan judiciaire, la loi condamne avec une sévérité inégalée l'infraction dite `'d'incitation au génocide et au divisionnisme ethnique''. Il s'agit là d'un garde-fou juridique qui a une fonction dissuasive et interpellatrice. Par ailleurs, la création de la Commission nationale de lutte contre le génocide est un tournant majeur dans le combat institutionnel contre le négationnisme214(*). Cette structure est chargée de contribuer à la recherche sur le génocide et à la promotion de la culture de la paix. Pour combattre la transmission de la haine entre générations de tutsi, les catégories dirigeantes actuelles ont d'abord établi que justice sera faite pour ceux qui ont subi directement ou indirectement les effets du génocide, tant sur le plan matériel, humain, que sur le plan psycho social. Ensuite il s'est agit d'amener les citoyens vers la culture de la tolérance. Une semaine du génocide est instaurée officiellement, non pour se tourner vers le passé pour y puiser la source du rejet de l'autre, mais au contraire pour y transcender la douleur du tort en vue de construire l'avenir215(*). Selon Walzer, on peut tolérer à un individu ou à un groupe216(*). Mais pour se faire, le tutsi doit reconsidérer son voisin hutu comme un être humain. La réhumanisation de l'ennemi permet de l'accepter comme soi-même, d'intégrer dans sa propre conscience que ce dernier est capable de se repentir. Mais en clair, il ne s'agit pas de tolérer le génocide, loin s'en faut. Le régime de tolérance dont l'avènement est souhaité concerne la sociabilité des deux groupes après le génocide. Comme le souligne la philosophe politiste Julie Saada-Gendron, « il faut mettre en place des régimes de tolérance tels qu'ils renforcent les différents groupes et qu'ils portent même les individus à fortement s'identifier à un ou plusieurs d'entre eux »216(*). Cette tolérance sera le leitmotiv prôné par l'élite politique ANC qui va fortement imprimer l'orientation sud africaine.

* 210 Sur la mémoire collective, lire Maurice Halbawachs, La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997, p. 48. L'auteur identifie ses éléments. Il s'agit des formes socialisées de la présence du passé et de la transmission (traditions, souvenirs, notions, enseignement, symboles). Voir aussi Pierre Nora, « La mémoire collective », .Histoire, n°2, juin 1979, pp. 9-32. Celui-ci définit la mémoire collective de la manière suivante : « En première approximation, la mémoire collective est le souvenir ou l'ensemble de souvenirs, conscients ou non, d'une expérience vécue et/ou mythifiée par une collectivité vivante de l'identité de laquelle le passé fait partie intégrante ».

* 211 Forcés de vivre en exil, pour certains pendant plusieurs générations, ils ont été socialisés dans la posture de victimisation et donc, de contre pardon.

* 212 Bole, Christiansen, Hennemeyer, Le pardon en politique internationale..., op. cit ;p. 14.

* 213 Op.cti ; p. 40.

* 214 Loi n°09/2007 du 16 février 2007 portant attribution et fonctionnement de la Commission nationale de lutte contre le génocide. Son avènement, postérieur à notre période d'étude, mérite d'être signalé. Cette loi a prévu, en son article 4, les attributions ainsi énumérées : organiser une réflexion permanente sur le génocide, ses conséquences et les moyens de l'éradiquer, mettre en place un centre de recherche et de documentation sur le génocide, plaider la cause des rescapés du génocide à l'extérieur comme à l'intérieur du pays, arrêter les stratégies de lutte contre le génocide et l'idéologie génocidaire, mobiliser les aides en faveur des rescapés du génocide et continuer les plaidoyers pour les dommages et intérêts, arrêter les stratégies contre le révisionnisme, le négationnisme, et la banalisation du génocide, arrêter les stratégies de lutte contre le traumatisme, et les maladies qui découlent du génocide, entretenir des relations avec d'autres institutions nationales et internationales qui partagent les mêmes missions.

* 215 Jacques Derrida penserait autrement de la finalité de telles mesures. Dans son ouvrage déjà cité, il écrit en page 23 que le pardon est impossible et il ne le faut pas. Jankélévitch pour sa part, tout en affirmant que le pardon est mort dans les camps de mort, estime qu'il est néanmoins possible dans un cas : lorsque demandé et non imposé. Toutefois, il demeure improbable selon la gravité du crime.

* 216 Julie Saada-Gendrom, La tolérance. Textes choisis, Paris, Flammarion, 1999, p. 187.

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