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Le pardon et la justice post conflits en Afrique. Etude comparative des dynamiques des acteurs et des institutions du dedans et du dehors (Afrique du Sud, Rwanda)

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par Alain-Roger Edou Mvelle
Université de Yaoundé 2 - DEA 2008
  

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Paragraphe 1 : L'impact des violences rwandaises sur les mémoires individuelles et collectives

Il n'est pas inutile d'examiner cette situation au plan des mémoires individuelles et de la mémoire collective et instruite tutsi.

A. La mémoire individuelle : un foyer de la survalorisation du passé présent

La mémoire individuelle ici traduit le rattachement intime de la victime à la violence qu'elle a endurée. Les évènements de 1994 ont créé chez bon nombre de tutsi des traumatismes qui hantent leur existence plusieurs années après leur accomplissement. Ces traumatismes constituent des psychoses dont seuls des spécialistes de la psycho pathologie et des psychologues peuvent mieux rendre compte. Or le travail de réconciliation au Rwanda a davantage mis l'accent sur la répression des génocidaires. Le relatif délaissement des victimes quant aux guérisons individuelles est patent. Ceci a pour conséquence de créer une mémoire passéiste201(*). La mémoire passéiste202(*) est contre présentiste et produit une déconnection de l'individu avec le temps présent. C'est « une mauvaise mémoire, une mémoire en trompe l'oeil, [qui] nous colle au présent et éloigne le trop proche pour nous donner l'illusion de la perspective. »203(*). Le passé présent ne permet pas à certains tutsi de regarder de l'avant, de s'assumer dans la nouvelle société post génocide. Et Frédéric Mutagwera d'écrire, « la conscience égarée, à la recherche de repères, se tourne alors vers le monde extérieur. »204(*) Or aucun processus de réconciliation authentique ne peut s'appuyer uniquement vers l'extérieur. Le fait pour nombre de victimes du génocide de perdre confiance en leurs propres institutions judiciaires, lors même que le discours dominant était celui de la justice, a un impact négatif sur leur rapport aux hutu. Comme le précise Jean François Dupaquier, « le sentiment de non-justice favorise le discours négationniste, renforce l'espoir des architectes du génocide, en même temps qu'il pousse les rescapés à imaginer la vengeance individuelle...comme issue. »205(*).

Dans les représentations individuelles, il est primordial de rendre justice, pour permettre aux proches des tutsi assassinés ainsi qu'à ceux des hutu modérés de pouvoir pardonner. Cette perspective est pourtant polémique dans la galaxie du pardon politique. Certains auteurs estiment que celui-ci ne peut être formulé que par les victimes : « Les victimes sont mortes, souvent. Les crimes semblent inexpiables puisqu'ils sont imputables à des hommes qui agissent en tant qu'agent de l'Etat. Qui devrait alors demander le pardon, et qui pourrait l'octroyer ? Victimes directes et indirectes, coupables et indifférents vivent dans des motifs distincts, et ne sont que rarement en mesure de délibérer ensemble sur la justice ».206(*) La légitimité des ayant droits des victimes décédées étant à caution, il serait donc question que se soient les survivants qui accordent le pardon. Or il s'agirait d'un processus incomplet. Les effets des violences subies par des tutsi et des hutu modérés, pris individuellement, ont un impact sur d'autres membres survivants de leurs familles. Si rien n'est fait dans le sens de tenir compte de leurs souffrances, aucune coexistence pacifique de long terme n'est envisageable. Jacques Derrida ne partage pas cet avis. Pour lui, « le pardon ne semble pas être demandé ou accordé que « seul-à-seul », en face-à-face, sans médiation entre celui qui a commis le mal...et celui ou celle qui l'a subi, et qui est seul à pouvoir l'entendre... »207(*).

Au cours des audiences des « gacacas », les rapports exploités font en effet état de ce qu'il arrivait que des témoins affirment que des prévenus n'avaient pas tout dit. Une antipathie se développe immédiatement face à ce déni d'histoire entre le bourreau et le représentant moral et familial de la victime qui personnalise ainsi la violence endurée par son proche208(*). Ce processus d'appropriation de la souffrance est d'autant plus marquant que leurs acteurs estiment que le système « gacaca » faisait la part belle aux accusés, alors que le génocide a causé une « effrayante blessure morale...D'où une sorte de paralysie mentale devant des crimes tellement énormes, au sens étymologique tellement inouïs, que la référence à des situations passées, à une jurisprudence rwandaise, était impossible »209(*). Cette blessure morale a indéniablement un impact sur la mémoire collective tutsi.

* 201 Henri Rousso, La hantise du passé, Paris, Textuel, 1998.

* 202 Celle-ci est différente de la mémoire heureuse et apaisée dont parle François Dosse, « Paul Ricoeur : entre mémoire, histoire et oubli », Cahiers français, n°303, juillet-août 2001, p.16.

* 203 Abderrahmane N'Gaide, « Se réconcilier, juger ou pardonner ?... », op.cit ; p. 42.

* 204 Frédéric Mutagwera, « Détentions et poursuites judiciaires au Rwanda », in : La justice internationale face au drame rwandais, op.cit ; p.17.

* 205 Jean François Dupaquier (sous dir), La justice internationale face au drame rwandais, op.cit ; p. 10.

* 206 Sandrine Lefranc, op.cit ; p. 18.

* 207 Op. cit ; p. 17.

* 208 Voir Valérie-Barbara Rosoux, « Rwanda : la mémoire du génocide », Etudes, juin 1999, pp. 731-734.

* 209 Frédéric Mutagwera, op.cit ; p. 17.

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